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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 5, 3 octobre 2024, n° 24/07843

PARIS

Ordonnance

Autre

CA Paris n° 24/07843

3 octobre 2024

Copies exécutoires République française

délivrées aux parties le : Au nom du peuple français

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 5

ORDONNANCE DU 03 OCTOBRE 2024

(n° /2024)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/07843 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJKQA

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 Avril 2024 du Juge de la mise en état de CRETEIL - RG n° 22/03791

Nature de la décision : Contradictoire

NOUS, Valérie GEORGET, Conseillère, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Cécilie MARTEL, Greffière.

Vu l'assignation en référé délivrée à la requête de :

DEMANDEUR

S.A.S. SIGNIFY FRANCE

[Adresse 7]

[Localité 15]

Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Et assistée de Me Christophe BOURDEL de la SELARL CVS, avocat plaidant au barreau de PARIS, toque : P98

à

DÉFENDEURS

S.A. SOCIETE D'AMENAGEMENT ET DE DEVELOPPEMENT DES VILLES ET DU DEPARTEMENT DU VAL DE MARNE - SADEV 94

[Adresse 6]

[Localité 17]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Et assistée de Me Arnaud VERMERSCH substituant Me Grégory GUTIERREZ de la SELAS DS AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS, toque : T007

S.A.S. ALCATEL LUCENT

[Adresse 3]

[Localité 14]

Représentée par Me Marie-Hélène DUJARDIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D2153

Et assistée de Me Jean DAMERVAL, avocat plaidant au barreau de PARIS, toque : P0116

S.A.S. TAUW FRANCE

[Adresse 4]

[Adresse 21]

[Localité 5]

Représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945

Et assistée de Me Marinka SCHILLINGS, avocat plaidant au barreau de PARIS, toque : L0121

S.A.S. SEMOFI

[Adresse 11]

[Localité 16]

Représentée par la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Et assistée de Me Nawal BELLATRECHE substituant Me Paul-Henry LE GUE, avocat plaidant au barreau de PARIS, toque : P0242

Et après avoir appelé les parties lors des débats de l'audience publique du 03 Juillet 2024 :

Par acte authentique du 23 juillet 2008, la société d'aménagement et de développement des villes et du département du Val de Marne (SADEV 94) a, en sa qualité d'aménageur de la [Adresse 22], acquis de la société Philips devenue la société Signify France, une parcelle cadastrée AT n°[Cadastre 10] située [Adresse 13] et [Adresse 9] à [Localité 20] pour un montant de 11 000 000 euros en vue de la construction d'un collège.

Les travaux, suspendus, ont révélé la présence de mercure.

Par ordonnance du 3 juillet 2015, le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil a ordonné une expertise.

La société SADEV 94 a indiqué qu'elle avait supporté des frais très importants, supérieurs à 35 000 000 euros, relatifs au traitement de la pollution.

Par acte extrajudiciaire du 30 mai 2022, la SADEV 94 a fait assigner la société Signify France devant le tribunal judiciaire de Créteil en indemnisation de ses préjudices.

Par acte extrajudiciaire des 1er et 5 décembre 2022, la société Signify France a fait assigner les sociétés Alcatel Lucent et Tauw France en intervention forcée.

La jonction des dossiers a été prononcée le 5 février 2023.

Selon acte délivré le 4 avril 2023, la société Tauw France a fait assigner en intervention forcée la société Semofi, qui avait été mandatée par la SADEV 94 pour réaliser les audits et diagnostics environnementaux sur le site.

Les procédures ont été jointes le 12 septembre 2023.

Par ordonnance du 9 avril 2024, le juge de la mise en état a statué en ces termes :

- Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription prévue par l'article L.152-1 du code de l'environnement ;

- Rejette les appels en garantie ;

- Ordonne une mesure d'expertise ;

- Désigne pour y procéder

Monsieur [P] [R], expert près la cour d'appel de Paris

ALCM - [Adresse 8]

[Adresse 19]

[Localité 12]

Tél : [XXXXXXXX02]

Port. : [XXXXXXXX01]

Email : [Courriel 18]

qui pourra, en cas de besoin, s'adjoindre le concours de tout spécialiste de son choix, dans un domaine distinct du sien, après en avoir avisé les parties, avec pour mission de :

. distinguer les appels de fonds liés à la construction du collège, qui sont à la charge de la SADEV 94, des appels de fonds relatifs aux opérations de dépollution du site ;

A cette fin, se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission ;

- Fixe à 4000 euros (quatre mille euros) le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert ;

- Dit que la SADEV 94 devra consigner cette somme au greffe de ce tribunal à l'ordre "du Régisseur d'Avances et de Recettes du tribunal judiciaire de Créteil" dans le délai de trois mois à compter de la date de l'invitation du greffe, à peine de caducité de la désignation de l'expert ;

- Dit que l'expert, en concertation avec les parties, définira un calendrier prévisionnel de ses opérations à l'issue de la première réunion d'expertise et qu'il actualisera ce calendrier en tant que de besoin notamment en fixant un délai aux parties pour procéder aux extensions de mission nécessaires ;

- Dit que dans les trois mois de sa saisine, l'expert indiquera aux parties et au juge chargé du contrôle le montant de sa rémunération définitive prévisible, notamment au regard de l'intérêt du litige, afin que soit éventuellement fixée une provision complémentaire dans les conditions de l'article 280 du code de procédure civile ;

- Dit que l'expert devra déposer son rapport audit greffe dans le délai de SIX MOIS à compter du jour où il aura été saisi de sa mission sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile auprès du juge du contrôle ;

- Dit que, préalablement à ce dépôt, l'expert adressera aux parties un document de synthèse présentant ses conclusions provisoires et destiné à provoquer leurs observations ;

- Dit que l'expert devra fixer la date limite de dépôt des observations qui lui seront adressées, rappellera qu'il n'est pas tenu de répondre aux observations transmises après cette date limite et rappellera la date de dépôt de son rapport ;

- Dit qu'en cas d'empêchement, l'expert sera remplacé par ordonnance rendue sur requête ;

- Désigne le magistrat chargé du contrôle des expertises ou son délégataire à l'effet de suivre l'exécution de la présente mesure d'instruction ;

- Rappelle que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;

- Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du 7 novembre 2024 pour faire le point sur la mesure d'expertise ;

- Réserve l'ensemble des demandes présentées en application de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Par actes extrajudiciaires du 7 mai 2024, la société Signify France a fait assigner la SADEV 94, la société Alcatel Lucent, la société Tauw France et la société Semofi devant le premier président de la cour d'appel de Paris afin d'être autorisée à interjeter appel de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Créteil en ce qu'elle a ordonné une expertise judiciaire.

Aux termes de son assignation développée oralement à l'audience, la société Signify France, représentée par son avocat, demande à la juridiction du premier président de :

- l'autoriser à interjeter appel limité de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 9 avril 2024 ;

- fixer la date et l'heure à laquelle l'affaire sera plaidée devant la cour ;

- réserver l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- réserver les dépens au fond.

Aux termes de conclusions développées à l'audience du 3 juillet 2024, la SADEV 94, représentée par son avocat, demande à la juridiction du premier président de :

- rejeter la demande de la société Philips, devenue Signify France, tendant à l'autoriser à faire appel de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Créteil du 9 avril 2024 en tant qu'elle ordonne une expertise ;

- rejeter plus généralement toutes les demandes, fins et prétentions de la demanderesse ;

- condamner la société Philips devenue Signify France au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Aux termes de conclusions déposées et développées oralement à l'audience, la société Semofi, représentée par son avocat, demande à la juridiction du premier président de lui donner acte qu'elle s'en remet à sa sagesse.

Aux termes de conclusions déposées et développées oralement à l'audience, la société Tauw France, représentée par son avocat, demande à la juridiction du premier président d'autoriser la société Signify France à interjeter appel de l'ordonnance du juge de la mise en état du 9 avril 2024.

Aux termes de conclusions déposées et développées oralement à l'audience, la société Alcatel-Lucent, représentée par son avocat, demande à la juridiction du premier président de :

- lui donner acte qu'elle s'en remet à la sagesse de la juridiction du premier président sur la demande de la société Signify France ;

- lui donner acte de ses protestations à l'encontre des affirmations de l'appelante relatives aux périodes d'utilisation du mercure sur le site ;

- réserver les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

Selon l'article 150 du code de procédure civile, la décision qui ordonne ou modifie une mesure d'instruction n'est pas susceptible d'opposition ; elle ne peut être frappée d'appel ou de pourvoi en cassation indépendamment du jugement sur le fond que dans les cas spécifiés par la loi. Il en est de même de la décision qui refuse d'ordonner ou de modifier une mesure.

Aux termes de l'article 272 du même code, la décision ordonnant l'expertise peut être frappée d'appel indépendamment du jugement sur le fond sur autorisation du premier président de la cour d'appel s'il est justifié d'un motif grave et légitime. La partie qui veut faire appel saisit le premier président qui statue selon la procédure accélérée au fond. L'assignation doit être délivrée dans le mois de la décision. S'il fait droit à la demande, le premier président fixe le jour où l'affaire sera examinée par la cour, laquelle est saisie et statue comme en matière de procédure à jour fixe ou comme il est dit à l'article 948 selon le cas. Si le jugement ordonnant l'expertise s'est également prononcé sur la compétence, l'appel est formé, instruit et jugé selon les modalités prévues aux articles 83 à 89.

Selon l'article 795 du même code, dans sa version applicable au litige, les ordonnances du juge de la mise en état et les décisions rendues par la formation de jugement en application du neuvième alinéa de l'article 789 ne sont pas susceptibles d'opposition. Elles ne peuvent être frappées d'appel ou de pourvoi en cassation qu'avec le jugement statuant sur le fond. Toutefois, elles sont susceptibles d'appel dans les cas et conditions prévus en matière d'expertise ou de sursis à statuer. Elles le sont également, dans les quinze jours à compter de leur signification, lorsque :

1° Elles statuent sur un incident mettant fin à l'instance, elles ont pour effet de mettre fin à celle-ci ou elles en constatent l'extinction ;

2° Elles statuent sur une exception de procédure ou une fin de non-recevoir. Lorsque la fin de non-recevoir a nécessité que soit tranchée au préalable une question de fond, l'appel peut porter sur cette question de fond ;

3° Elles ont trait aux mesures provisoires ordonnées en matière de divorce ou de séparation de corps ;

4° Dans le cas où le montant de la demande est supérieur au taux de compétence en dernier ressort, elles ont trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier au cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Enfin, il résulte de l'article 789 du code de procédure civile, dans sa version applicable au présent litige, que le juge de la mise en état est compétent pour accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l'exécution de sa décision à la constitution d'une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522.

Il se déduit de la combinaison de ces dispositions que la décision du juge de la mise en l'état ordonnant une mesure d'expertise ne peut faire l'objet d'un appel immédiat que sur autorisation du premier président de la cour d'appel.

Au cas présent, il sera relevé, à titre liminaire, que la société Signify France a interjeté appel, le 8 mai 2024, de l'ordonnance du 9 avril 2024 rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Créteil. L'instance est enregistrée sous le numéro RG 24/08848. La déclaration d'appel indique que l'appel tend à l'annulation, la réformation ou l'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a :

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription prévue par l'article L.152-1 du code de l'environnement ;

- retenu qu'en sa qualité de détenteur des déchets à la date du contrat de vente, la société Signify France a engagé sa responsabilité en omettant d'en assurer le traitement ;

- rejeté les appels en garantie ;

- réservé l'ensemble des demandes présentées en application de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

La déclaration ajoute que l'appel porte sur toute disposition non visée au dispositif faisant grief à l'appelante.

Le juge de la mise en état était saisi d'une demande de provision, d'un montant de 27 516 629,82 euros, formée par la SADEV 94 contre la société Signify France.

Après avoir retenu qu'échappaient à sa compétence les contestations afférentes à la mise en 'uvre de la clause de renonciation prévue dans l'acte de vente, au manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme, à la clause de renonciation à recours et à l'analyse de la gestion de la cessation de l'activité sur le terrain litigieux, le juge de la mise en état a considéré, dans les motifs de l'ordonnance, qu'en sa qualité de détenteur des déchets à la date du contrat, la société Signify France avait engagé sa responsabilité en omettant d'assurer leur traitement.

Puis, pour ordonner l'expertise litigieuse, le juge de la mise en état a estimé que les pièces produites ne lui permettaient pas de distinguer les appels de fonds liés à la construction du collège - à la charge de la SADEV 94 - des appels de fonds relatifs à la dépollution du site.

La société Signify France en déduit que le juge de la mise en état a, ce faisant, outrepassé ses pouvoirs.

La SADEV 94 objecte vainement que la société Signify France n'a pas contesté le montant de la provision allouée. En effet, la question du pouvoir du juge de la mise en état, saisi d'une demande provisionnelle, d'ordonner une expertise pour déterminer le quantum de cette provision mérite d'être tranchée dès lors que l'octroi d'une telle provision suppose que le juge constate que l'existence de l'obligation n'est sérieusement contestable ni dans son principe ni dans son quantum.

En outre, il sera relevé qu'une première expertise judiciaire a été ordonnée dans cette affaire il y a près de 10 ans, par ordonnance du 3 juillet 2015 ; l'expert ayant notamment pour mission d'évaluer les préjudices subis.

Enfin, les enjeux financiers en cause sont significatifs, la provision sollicitée s'élève à plus de 27 000 000 d'euros.

Il s'ensuit que le motif grave et légitime au sens de l'article 272 du code de procédure civile est caractérisé, de sorte que la demande d'autorisation de relever immédiatement appel du jugement sera accueillie, peu important que les opérations de l'expertise critiquée aient débuté.

La nature de la demande justifie de laisser à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés, les demandes formées par les défendeurs en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetées.

PAR CES MOTIFS,

Autorisons la société Signify France à interjeter appel immédiat de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Créteil le 9 avril 2024 en ce qu'elle ordonne une expertise ;

Fixons l'affaire à l'audience du 16 janvier 2025 à 14 heures de la chambre 1 du pôle 4 de la cour (salle Portalis 2-Z-60), laquelle sera saisie et statuera comme en matière de procédure à jour fixe ;

Laissons à chaque partie la charge des dépens par elle exposés à l'occasion de la présente instance ;

Rejetons les demandes formées par les défendeurs en application de l'article 700 du code de procédure civile.

ORDONNANCE rendue par Mme Valérie GEORGET, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

La Greffière, La Conseillère