CA Nancy, 5e ch., 3 octobre 2024, n° 23/02611
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Actiprop (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jobert
Conseillers :
M. Beaudier, M. Firon
Avocats :
Me Jacquemin, Me Driencourt
FAITS ET PROCÉDURE
Par jugement du 17 janvier 2023, le tribunal de commerce de Nancy a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l'égard de la Sasu Actiprop dont l'objet social était le négoce de détergents et matériels de nettoyage ; la date de cessation des paiements a été fixée au 22 novembre 2021 ; Maître [J] [N] a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Par jugement du 21 novembre 2023, rendu sur requête du procureur de la République de Nancy, le tribunal de commerce de Nancy a prononcé à l'encontre de M. [P] [U], gérant de cette société, une interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celle-ci, pour une durée de cinq ans, au motif que ce dernier aurait sciemment omis de déclarer la cessation des paiements de cette société dans un délai de 45 jours à compter de celle-ci, et omis de tenir une comptabilité complète de celle-ci.
M. [U] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 12 décembre 2023.
Aux termes de ces dernières écritures récapitulatives notifiées le 9 avril 2024, il conclut à son infirmation en toutes ses dispositions.
Il demande à la cour, statuant à nouveau, de dire n'y avoir lieu à prononcer à son encontre une mesure d'interdiction de gérer, d'ordonner le retrait de la publicité de la mesure d'interdiction, de rejeter les demandes, fins et conclusions contraires des intimés.
A titre subsidiaire, il demande à la cour de limiter à six mois la sanction prise à son encontre.
En tout état de cause, il demande à la cour de dire que tous les frais engendrés par la procédure seront mis à la charge du Trésor public.
A l'appui de son recours, l'appelant fait valoir en substance que :
- pour ce qui est du premier grief ayant justifié la mesure litigieuse, les éléments retenus par les premiers juges sont insuffisants pour fixer la date exacte de cessation des paiements de la société Actiprop de sorte que le respect du délai de 45 jours pour la déclarer ne pouvait être vérifier ; en outre, il n'est pas démontré que cette omission ait été volontaire.
- En ce qui concerne le second, il avait confié la tenue de la comptabilité de la société à un expert-comptable qui a refusé de lui établir son bila pour l'exercice 2021-2022 faute de paiement de ses honoraires ; ainsi, le défaut d'établissement de cette comptabilité tient à la situation financière de la société et non à une faute de sa part.
- A titre subsidiaire, le quantum de la sanction est injuste.
Le ministère public, selon des écritures du 22 mars 2024, indique qu'il est dans l'impossibilité de donner son avis, faute de communication des pièces.
Aux termes d'écritures récapitulatives notifiées le 9 avril 2024 , Maître [J] [N], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Actiprop, conclut à la confirmation du jugement entrepris.
Elle demande en outre à la cour de condamner l'appelant à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civil et à supporter les dépens de la procédure.
Maître [N], ès qualités, expose en substance que :
- la date de cessation des paiements a été fixée par le tribunal à la date du 22 novembre 2021 ; faute d'avoir été contestée, cette fixation est définitive ; l'état de cessation des paiements de la société Actiprop a été déclaré par le gérant le 13 décembre 2022 avec 10 mois de retard.
- L'état de cessation des paiements de la société était caractérisé de longue date sans que son gérant, qui en avait conscience, n'ait cru devoir saisir le tribunal ; c'est sciemment qu'il n'a pas procédé à cette déclaration dans les délais.
- l'appelant a omis de tenir la comptabilité de la société du 1er octobre 2021 au 30 septembre 2022 et jusqu'au prononcé de sa liquidation judiciaire.
- Le défaut de paiement des honoraires dus au professionnel auquel la tenue de la comptabilité avait été confiée, n'exonère pas l'appelant de sa responsabilité.
MOTIFS
1- sur le défaut de déclaration de la cessation des paiement dans les délais
Aux termes de l' article L. 653-8, in fine, du code de commerce, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci, peut être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours àcompter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
L'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou un jugement de report ; cette date s'impose au juge saisi d'une demande d'interdiction de gérer pour un tel motif qui n'a pas le pouvoir de se livrer à une nouvelle appréciation de celle-ci.
Le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Actiprop du 17 janvier 2023 a fixé la date de cessation des paiements à la date du 22 novembre 2021 ; aucun recours n'ayant été formé à l'encontre de ce jugement, cette date ne peut plus être discutée.
Dans ces conditions, il ne peut être reproché aux premiers juges de ne pas avoir retenu d'éléments suffisants pour fixer la date de cessation des paiements, ce qui ne leur incombait pas.
Il est constant que l'appelant a déclaré sa cessation des paiements le 13 décembre 2022 largement après l'expiration du délai pour ce faire.
Il résulte du rapport de Maître [J] en date du 27 avril 2023 que l'exploitation de la société Actiprop a été déficitaire depuis l'exercice 2019.
Il ressort d'une lettre que l'expert-comptable de la société Actiprop a adressée le 2 février 2023 au mandataire liquidateur, qu'en 2020, la société Actiprop avait vendu une partie de son actif (nacelle, remorque, véhicule) pour un total de 39 100 euros, ce qui lui avait permis de faire face à des dettes ; cette aliénation d'une partie du matériel d'exploitation est l'illustration de la détérioration de la situation de la société dès cette époque puisque le paiement des dettes n'était assuré qu'au prix de la vente d'éléments d'actif nécessaire au fonctionnement de la société.
Par ailleurs, le 8 septembre 2022, la Banque Populaire d'Alsace Lorraine a procédé à la déchéance du terme pour défaut de paiement des échéances d'un contrat de crédit-bail consenti à la société Actiprop en 2018, ce qui a créé une dette exigible de 12 210,13 euros.
En outre, le 13 septembre 2022, la même banque a provoqué la déchéance du terme de cinq contrats de crédit consentis entre 2017 et 2020 à la société Actiprop en raison de sa défaillance dans le paiement des échéances, ce qui a engendré un passif exigible de 110 425,33 euros.
Ainsi, en septembre 2022, six contrats de crédit consentis à la société Actiprop ont été résiliés créant un passif exigible de 122 635,46 euros, ce qui illustre la dégradation continue de sa situation financière et son incapacité à faire face à ses engagements.
Le même mois, la banque a également clôturé le compte courant ouvert au nom de la société Actiprop ; ce compte présentait un solde débiteur qui n'a cessé d'augmenter depuis le 4 janvier 2022, passant de 122,85 euros à 10 296,92 euros.
Dans le même temps, le mandataire liquidateur a noté que le compte courant d'associé de M. [U], d'un montant de 4 622,96 euros au 30 septembre 2020, s'était réduit à 22,96 euros au 30 septembre 2021 tandis que l'actif se limitait à du matériel évalué à la somme de 1 450 euros TTC.
Une remorque de lavage nécessaire à l'activité de la société a fait l'objet d'une saisie signifiée le 17 octobre 2022.
Dans ces conditions, au vu des événements alarmants qui s'étaient succédés depuis 2021, M. [U] ne pouvait ignorer qu'au 13 décembre 2022, la société Actiprop était d'ores et déjà en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours.
C'est donc sciemment qu'il l'a déclaré tardivement le 13 décembre 2022.
2- sur l'absence de tenue d'une comptabilité régulière
Selon l'article L. 653-8 du code de commerce, dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, à la place de la faillite personnelle, le tribunal peut prononcer l'interdiction de gérer, d'administrer ou de contrôler directement ou indirectement une société.
En l'espèce, dans ses dernières conclusions récapitulatives, M. [U] a expressément reconnu l'absence de tenue d'une comptabilité régulière pour l'exercice 2021-2022, faute d'avoir réglé les honoraires de son expert-comptable.
Le fait qu'il ait été dans l'impossiblité de les payer n'est pas un fait justificatif ; il révèle au contraire que l'activité a été poursuivie alors que la société n'était plus en mesure de faire face à ses obligations légales.
L'infraction prévue à l'article L.653-5 du code de commerce est donc établie.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont prononcé une interdiction de gérer, administrer ou de contrôler une société à l'encontre de M. [U] au regard des deux infractions constatées à son encontre.
3- sur le quantum de la sanction
Il résulte du rapport de Maître [N] qu'auparavant, M. [U] n'avait pas été sanctionné par une interdiction de gérer ou une faillite personnelle à raison de fonctions de dirigeant dans d'autres sociétés.
Il avait été le dirigeant d'une société de transport placée en liquidation judiciaire le 13 novembre 2012, soit dix ans avant la liquidation judiciaire de la société Actiprop, sans qu'auncune sanction n'ait été prononcée à son encontre.
Dès lors, en l'absence d'antécédents, le prononcé d'une sanction d'interdiction de gérer, d'administrer ou de contrôler directement ou indirectement une société pour une durée de cinq ans, est disproportionné.
Le jugement entrepris doit être infirmé sur ce point et, statuant à nouveau dans cette limite, il convient de dire que cette mesure aura une durée de trois ans.
4- sur les autres dispositions du jugement entrepris
Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a ordonné l'emploi des dépens de première instance en frais privilégiés de procédure collective.
A hauteur d'appel, il est équitable de laisser à la charge de Maître [J] [N], ès qualités, les frais irrépétibles exposés dans la procédure.
Les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a fixé la durée de l'interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci, à cinq ans.
Statuant à nouveau dans cette limite,
FIXE cette durée à trois ans.
Y ajoutant,
REJETTE la demande de Maître [J] [N], ès qualités, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
DIT que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective.