CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 2 octobre 2024, n° 23/09584
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Mat Plast (SARL), Selarl MJ Synergie (ès. qual.)
Défendeur :
Engineering plastique et services industriels - EPSI (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Guizard, Me Etevenard
FAITS ET PROCEDURE
La société Engineering Plastique et services industriels (ci-après « EPSI ») a pour activité l'achat, la vente de matériels industriels neufs et d'occasion, l'étude et la conception d'équipements industriels, de représentation, réalisation et maintenance d'installations électriques. Dans le cadre de son activité, elle commercialise les produits de la marque Shini depuis 2009. Le 4 février 2010, elle a conclu un contrat de distribution exclusive avec la société Shini, de droit taïwanais, pour commercialiser ses produits sur les territoires de l'Algérie et de la Tunisie.
La société Mat Plast a une activité concurrente d'achat, vente, réparation, rénovation de tous matériels industriels neufs ou d'occasion. Le 11 novembre 2016, elle a conclu un contrat de distribution exclusive avec la société Shini pour la commercialisation de ses produits sur le territoire français.
Reprochant à la société EPSI de porter atteinte à sa convention de distribution exclusive sur le territoire français des produits « Shini », notamment à travers son site internet, la société Mat Plast l'a assignée en référé devant le président du tribunal de commerce de Lyon aux fins de faire cesser toute publicité, démarchage, communication et commercialisation relative au produit « Shini » sur le territoire français. Par ordonnance de référé du 7 juin 2017, le président du tribunal de commerce de Lyon a ordonné a' la société EPSI de cesser toute publicité, démarchage, communication et commercialisation des produits Shini sur le territoire français, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée.
La société Mat Plast, après avoir obtenu, par jugement du 17 avril 2018 du juge de l'exécution, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Lyon du 13 décembre 2018, la liquidation du montant de l'astreinte et la condamnation de la société EPSI à lui payer cette somme, a procédé à l'exécution forcée de ce jugement en pratiquant une saisie-attribution sur le compte bancaire de la société EPSI pour un montant de 119 500,76 euros.
Par acte du 19 octobre 2018, la société EPSI a assigné la société Mat Plast devant le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse, pour être autorisée a' utiliser son site internet pour la communication et la commercialisation de produits Shini, et pour voir condamner la société' Mat Plast a' lui restituer la somme de 119 500,76 euros saisie sur son compte bancaire en exécution forcée du jugement du juge de l'exécution du 17 avril 2018.
Par jugement du 4 octobre 2019, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a :
- Dit et jugé que la société EPSI en sa qualité de distributeur des produits Shini en Algérie et Tunisie, peut mettre à disposition de la documentation technique concernant les produits Shini sur son site internet,
- Dit et jugé que seule sont prohibées les ventes actives dans le cadre des contrats de distribution et que la société EPSI peut réaliser des ventes passives,
- Autorisé la société EPSI à utiliser son site internet pour la communication et la commercialisation de produits Shini, dès lors que le caractère passif des ventes pratiquées ne peut être remis en cause,
- Condamné la société Mat Plast à restituer à la société EPSI, la somme de 119 500,76 euros saisie sur son compte en exécution forcée du jugement du Juge de l'exécution du 17 avril 2018,
- Dit et jugé que la société Engineering Plastique & Services Industriels n'a commis aucune faute et aucun acte de concurrence déloyale,
- Débouté la société Mat Plast de sa demande reconventionnelle,
- Rejeté toutes les autres demandes, fins et prétentions des parties,
- Condamné la société Mat Plast à payer à la société EPSI, la somme de 10 000.00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- Condamné la Société Mat Plast aux entiers dépens de l'instance.
La société Mat Plast a interjeté appel le 17 décembre 2019.
Par arrêt du 28 octobre 2021, la cour d'appel de Lyon a :
- Infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
- Condamné la société Engineering Plastique et Services Industriels (EPSI) à verser à la société Mat Plast la somme de 73 254 euros en réparation de son préjudice concurrentiel lié à son exclusivité de distribution des produits Shini sur le territoire français,
- Débouté la société Engineering Plastique et Services Industriels (EPSI) de toutes ses demandes,
- Condamné la société Engineering Plastique et Services Industriels (EPSI) à verser à la société Mat Plast une indemnité de procédure de 9 500 euros,
Condamné la société Engineering Plastique et Services Industriels (EPSI) aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement
A la suite du pourvoi formé par la société Engineering Plastique & Services Industriels, par arrêt du 22 mars 2023, pourvois N°21-25.793 et 21-25.896 (jonction), la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 28 octobre 2021 par la cour d'appel de Lyon et a remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris.
La Cour de cassation a censuré l'arrêt au visa de l'article 101 paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) aux motifs que :
- Selon ce texte, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur.
- Pour condamner la société EPSI à verser à la société Mat Plast une certaine somme en réparation de son préjudice concurrentiel lié au non-respect de son exclusivité de distribution des produits « Shini » sur le territoire français, l'arrêt retient que l'atteinte qui est portée à l'exclusivité territoriale ne concerne pas une atteinte ou une restriction du jeu de la concurrence au sein du marché intérieur car si la société Mat Plast dispose d'une exclusivité sur le marché français, la société EPSI bénéficie d'une exclusivité sur les pays d'Algérie et de Tunisie, de sorte que son activité n'est pas susceptible de fausser ou restreindre le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur. Il ajoute que les visiteurs du site de la société EPSI, en dépit de sa non-assimilation à un point de vente peuvent penser que celle-ci peut céder et vendre sur le territoire français, dès lors qu'aucune mention sur ce site ne fait état de l'existence d'un autre distributeur bénéficiant d'une exclusivité sur ce territoire, la mention « agent exclusif Algérie et Tunisie » ne permettant pas aux visiteurs de deviner qu'une société détient une exclusivité sur le territoire français. Il en déduit que le droit de l'Union n'est pas applicable.
- En statuant ainsi, alors que, pour reprocher un comportement fautif à la société EPSI, la société Mat Plast se prévalait de l'exclusivité de distribution de produits qui lui était conférée sur l'ensemble du territoire français et de l'atteinte à celle-ci que les ventes de la société EPSI sur ce territoire auraient constitué, de sorte que l'accord d'exclusivité en cause, qui couvrait l'intégralité d'un État membre, en l'état des éléments produits, entrait dans le champ d'application de l'article 101§1 du TFUE, et qu'il lui appartenait de vérifier si les ventes contestées étaient compatibles avec ces dispositions, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
La société Mat Plast a saisi la Cour de renvoi par déclaration reçue au greffe le 24 mai 2023 enregistrée sous le RG N°23/09584.
Par jugement du 3 janvier 2024 du tribunal de commerce de Bourg en Bresse, la société Mat Plast a été placée en liquidation judiciaire et la société Mj Synergie prise en la personne de Me [T] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte du 25 janvier 2024, la société EPSI a assigné en intervention forcée la Selarl Mj Synergie, désignée en tant que liquidateur judiciaire de la société Mat Plast, aux fins de reprise d'instance et déclaré sa créance pour un montant de 235 254,76 euros.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 7 février 2024, la société Mj Synergie prise en la personne de Me [T] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Mat Plast, demande à la Cour de :
Vu l'article 101 paragraphe I du TFUE.
Vu l'article 1240 du Code Civil.
Vu l'arrêt de la Chambre Commerciale, Économique et Financière de la Cour de cassation du 22 mars 2023.
Vu les pièces produites.
- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bourg-En-Bresse du 7 octobre 2019 en ce qu'il a condamné la société Mat Plast Sarl à restituer à la société Engineering Plastique Et Services Industriels (EPSI) la somme de 119 500,76 euros saisie sur son compte en exécution forcée du jugement du Juge de l'exécution du 17 avril 2018, dit que la société Engineering Plastique Et Services Industriels (EPSI) n'a commis aucune faute et aucun acte de concurrence déloyale, débouté la société Mat Sarl de sa demande reconventionnelle, condamné la société Mat Plast Sarl à payer à la société Engineering Plastique Et Services Industriels (EPSI) la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
- Juger que la société EPSI s'est livrée à des ventes actives aux fins de violer délibérément l'exclusivité territoriale consentie par la société Shini, leur mandante commune à la société Mat Plast depuis 2015, ainsi qu'à des actes de concurrence déloyale consistant en un dénigrement de la société Mat Plast auprès de leur mandataire commun.
- Condamner la société EPSI à payer à la procédure collective de la société Mat Plast, représentée par la Selarl Mj Synergie, la somme de 73 254 euros en indemnisation du préjudice subi correspondant à la perte de chance de réaliser une marge brute sur les ventes détournées à son préjudice.
- Condamner la société EPSI à payer à la Selarl Mj Synergie, représentée par Maître [T] es qualité de mandataire liquidateur de la Sarl Mat Plast, la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 25 janvier 2024, la société EPSI demande à la Cour :
Vu les articles 1240, 1353 et 1356 du Code civil,
Vu les articles 9, 484, 488 et 700 du Code de procédure civile,
Vu les Lignes directrices sur les restrictions verticales (2010/C 130/01) de la Commission européenne,
Vu les Lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (2004/C 101/07),
Vu l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),
Vu le Règlement (UE) N° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010,
Vu le principe du « non-cumul » des responsabilités contractuelle et délictuelle,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées au débat,
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse du 4 octobre 2019 en toutes ses dispositions ;
- Déclarer recevable et bien fondée la Sarl Engineering Plastiques Et Services Industriels en son intervention forcée à l'égard de la Selarl My Synergies, prise en la personne de Maître [R] [G] [T], es qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Mat Plast, et désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de Bourg en Bresse du 3 janvier 2024,
- Noter la présence en la cause du liquidateur, intervenant forcé et comme tel demandeur à la saisine,
- Débouter intégralement la société Mat Plast et la Selarl My Synergies, prise en la personne de Maître [R] [G] [T], es qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Mat Plast de toutes leurs demandes envers la société EPSI,
En tout état de cause :
- Fixer au passif de la société Mat Plast au profit de la Sarl Engineering Plastiques et services Industriels la somme de 215 254,76 euros ;
- Fixer au passif de la société Mat Plast au profit de la Sarl Engineering Plastiques Et Services Industriels la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- Déclarer en frais privilégiés de la procédure collective les entiers dépens de l'instance
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 septembre 2024.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
I- Sur l'application au litige du droit de l'Union européenne
Exposé des moyens,
La société Mat Plast prise en la personne de son liquidateur judiciaire, expose d'abord que l'arrêt d'appel n'avait pas manqué de vérifier l'applicabilité de l'article 101§1 TFUE et avait conclu à son inapplicabilité au motif que l'activité des entreprises n'était pas susceptible de fausser ou de restreindre le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur. Elle affirme que la Cour de cassation reprochait uniquement à la cour d'appel de conclure à l'inapplicabilité de l'article 101§1 TFUE au motif que le marché intérieur n'était pas affecté, alors que le seul fait que la société EPSI ait bénéficié de la même exclusivité pour l'Algérie et la Tunisie ne démontre pas l'absence d'atteinte ou de restriction de la concurrence sur le marché intérieur.
Elle soutient ensuite que l'accord de distribution exclusive en cause ne constitue pas un accord au sens de l'article 101§1 du TFUE, aux motifs que cet article suppose la preuve d'un accord entre entreprises, qui ne peut se limiter à l'existence d'un réseau de distribution sélective. Elle prétend que ce concours de volonté doit porter sur un comportement déterminé connu des parties lorsqu'elles l'acceptent, et que l'application de l'article 101§1 du TFUE requiert une affectation sensible du marché entre États membres. En l'espèce, elle estime s'être contentée d'adhérer à un contrat dont elle n'a pu négocier le contenu, ce qui exclut tout concours de volonté des parties destiné à restreindre ou fausser le jeu de la concurrence. Elle fait en outre valoir que si la société Shini attribue des exclusivités de distribution dans divers états européens, les contrats et sa politique commerciale n'empêchent pas les ventes passives, en sorte qu'il n'existe aucune restriction à la concurrence au sein de l'Union sur le marché concerné.
La société EPSI sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu l'application de l'article 101§1 du TFUE. L'intimée fait valoir, en application de la législation et de la jurisprudence européenne, que le contrat entre la société Shini et la société Mat Plast est un accord entre entreprises dès lors que par la conclusion de ce contrat, les parties ont exprimées une volonté commune de travailler ensemble, ce qui exclut l'hypothèse d'une mesure unilatérale qui ferait obstacle à l'application de l'article 101§1 du TFUE. En ce qui concerne l'affectation du commerce entre États membres visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence, la société EPSI soutient que les accords de distribution exclusive, en tant qu'accords verticaux, peuvent, par nature, affecter le commerce intra-européen, indépendamment de leurs effets réels. Elle ajoute que le champ géographique exclusivement national de l'accord vertical ne suffit pas à évincer le droit de la concurrence de l'Union.
Réponse de la Cour,
Selon l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, « sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur ».
L'article 101 TFUE ne s'applique que dans la mesure où la pratique en cause est « susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres ».
Il ressort des lignes directrices de la Commission européenne (2004/C 101/07 relatives à la notion d'affectation du commerce 81 et 82 du Traité) ainsi que de la jurisprudence des juridictions de l'Union que la démonstration de l'affectation sensible du commerce impose la réunion de trois éléments : l'existence d'un courant d'échanges entre Etats membres portant sur les produits en cause, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette affectation.
La circonstance que les pratiques d'ententes ne soient commises que sur le territoire d'un seul Etat membre ne fait pas obstacle à ce que les deux premières conditions soient remplies. En effet, une entente s'étendant à l'ensemble du territoire d'un Etat membre ayant, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, induit une forte présomption d'affection du commerce entre les Etats membres qui ne peut être écartée que si l'analyse des caractéristiques de l'accord et du contexte économique dans lequel il s'insère démontre le contraire (CJUE 24 septembre 2009 Erste Group Bank/Commission C-125/07 P, C-133/07 P, C-135/07 P et C-137/07, points 36 et s ; 4 septembre 2014, C-184/13 point 44 ; Com., 7 octobre 2014, pourvoi n° 13-19.476). Ensuite, s'agissant du troisième élément, le caractère sensible de l'affectation directe ou indirecte, potentielle ou actuelle, du commerce intracommunautaire résulte d'un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause (en ce sens Com.31 janvier 2012, n°10-25.772).
Selon les lignes directrices précitées de la Commission (point 86), les accords verticaux couvrant l'ensemble d'un État membre sont notamment susceptibles d'affecter les courants d'échanges entre États membres lorsqu'ils rendent plus difficile aux entreprises d'autres États membres la pénétration du marché national en cause, soit au moyen d'exportations, soit au moyen de l'établissement (effet d'éviction). Lorsque des accords verticaux produisent ce genre d'effet d'éviction, ils contribuent à un cloisonnement de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité.
En l'espèce, est en cause le contrat de distribution exclusive sur le territoire français des produits Shini conclu par la société Mat Plast avec la société fournisseur Shini de droit taiwanais en novembre 2016. Il s'agit bien d'un accord vertical impliquant ces deux sociétés au sens des dispositions précitées et non une pratique unilatérale.
Il est indiqué sur le site internet EPSI (pièce n°47 Mat Plast PV constat du 17 juin 2020) que la société Shini est spécialisée dans la production d'équipements pour l'industrie plastique et propose une large gamme de matériels périphériques et qu'avec plus de 120 succursales et distributeurs, Shini a depuis sa création étendue sa présence dans le monde entier et produit annuellement plus de 70 000 unités. Il n'est pas contesté que les produits Shini sont vendus sur le marché intérieur de l'Union et que des contrats de distribution ont été conclus dans d'autres Etats européens.
Aussi, le contrat de distribution conclu entre les sociétés Shini et Mat Plast en ce qu'il prévoit une clause d'exclusivité sur l'ensemble du territoire français de commercialisation des produits Shini aboutissant à cloisonner le marché en cause, est susceptible d'affecter de manière sensible le commerce entre Etats membres.
En conséquence, les effets de l'accord d'exclusivité en cause doivent être appréciés au regard des dispositions de l'article 101 TFUE.
L'article 2 du règlement d'exemption n°330/2010 prévoit que conformément à l'article 101, paragraphe 3 du traité, et sous réserve des dispositions du présent règlement, l'article 101, paragraphe 1 du traité est déclaré inapplicable aux accords verticaux. Ceux-ci sont déterminés à l'article premier comme « un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérant chacune, aux fins de l'accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services ».
Toutefois, l'article 4 de ce règlement d'exemption par catégorie énumère une liste de restrictions caractérisées qui entraîne l'exclusion de l'intégralité de l'accord vertical du champ d'application dudit règlement. Lorsqu'une telle restriction caractérisée est incluse dans un accord, il est présumé que cet accord relève de l'article 101, paragraphe 1.
Ainsi, l'exemption prévue à l'article 2 ne s'applique pas aux accords verticaux qui directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d'autres facteurs sur lesquels les parties peuvent influer, ont pour objet :
(') b) de restreindre le territoire sur lequel, ou la clientèle à laquelle, un acheteur partie à l'accord, peut vendre les biens ou services contractuels sans préjudice d'une restriction quant à son lieu d'établissement, sauf s'il s'agit i) restreindre ses ventes actives sur un territoire ou à une clientèle que le fournisseur s'est exclusivement réservés ou qu'il a alloués à un autre acheteur, lorsque cette restriction ne limite pas les ventes réalisées par les clients de l'acheteur,
Selon les lignes directrices sur les restrictions verticales (2010/C 130/01 ' points 50 et suivants) :
La restriction caractérisée visée à l'article 4, point b), du règlement d'exemption par catégorie concerne les accords et pratiques concertées qui ont directement ou indirectement pour objet de restreindre les ventes réalisées par un acheteur partie à l'accord ou par ses clients, pour autant que la restriction porte sur le territoire sur lequel, ou sur la clientèle à laquelle, l'acheteur ou ses clients peuvent vendre les biens ou services contractuels. Cette restriction caractérisée est liée au partage du marché en territoires ou en clientèles. Elle peut découler d'obligations directes, comme l'obligation de ne pas vendre à certains clients ou à des clients situés sur certains territoires ou l'obligation de transmettre à d'autres distributeurs les commandes de ces clients.
Sont prévues quatre exceptions à la restriction caractérisée visée à l'article 4, point b), du règlement d'exemption par catégorie. La première, visée à l'article 4, point b) i), est la possibilité pour un fournisseur de restreindre les ventes « actives » d'un acheteur partie à l'accord sur un territoire ou à une clientèle alloués exclusivement à un autre acheteur ou que le fournisseur s'est réservés. Un territoire ou une clientèle sont alloués à titre exclusif lorsque, d'une part, le fournisseur accepte de vendre ses produits à un seul distributeur en vue de leur distribution sur un territoire ou à une clientèle donnée et, d'autre part, le distributeur exclusif est protégé des ventes actives sur son territoire ou à sa clientèle par tous les autres acheteurs du fournisseur à l'intérieur de l'Union, indépendamment des ventes du fournisseur. Le fournisseur peut combiner la concession d'un territoire exclusif et d'une clientèle exclusive, par exemple en désignant un distributeur exclusif pour une clientèle déterminée sur un territoire donné. Cette protection de territoires exclusifs ou de clientèles exclusives doit cependant permettre les ventes passives sur ces territoires ou à ces clientèles.
Pour l'application de l'article 4, point b), du règlement d'exemption par catégorie, la Commission caractérise comme suit les « ventes actives » et les « ventes passives » :
- par « ventes actives », on entend le fait de prospecter des clients individuels, par exemple par publipostage, y compris l'envoi de courriels non sollicités, ou au moyen de visites, le fait de prospecter une clientèle déterminée ou des clients à l'intérieur d'un territoire donné par le biais d'annonces publicitaires dans les médias, sur internet ou d'autres actions de promotion ciblées sur cette clientèle ou sur les clients situés dans ce territoire. La publicité ou les actions de promotion qui ne sont attractives pour l'acheteur que si elles atteignent (aussi) une clientèle déterminée ou des clients à l'intérieur d'un territoire donné sont considérées comme une vente active à cette clientèle ou aux clients à l'intérieur de ce territoire.
- par « ventes passives », on entend le fait de satisfaire à des demandes non sollicitées, émanant de clients individuels, y compris la livraison de biens ou la prestation de services demandés par ces clients. Toute publicité ou action de promotion générale qui atteint des clients établis sur les territoires (exclusifs) d'autres distributeurs, ou faisant partie d'une clientèle allouée à d'autres distributeurs, mais qui est un moyen raisonnable d'atteindre des clients situés en dehors de ces territoires ou d'une telle clientèle, par exemple pour accéder à des clients situés sur son propre territoire, est considérée comme une vente passive. La publicité ou les actions de promotion générale sont considérées comme un moyen raisonnable d'atteindre ces clients s'il serait intéressant pour l'acheteur de réaliser ces investissements même s'ils n'atteignaient pas des clients établis sur les territoires (exclusifs) d'autres distributeurs ou faisant partie d'une clientèle allouée à d'autres distributeurs.
Internet est un instrument puissant qui permet d'atteindre un plus grand nombre et une plus grande variété de clients que par les seules méthodes de vente plus traditionnelles, ce qui explique pourquoi certaines restrictions à son utilisation sont considérées comme une restriction des (re)ventes. En principe, tout distributeur doit être autorisé à utiliser internet pour vendre ses produits. En règle générale, l'utilisation par un distributeur d'un site internet pour vendre des produits est considérée comme une forme de vente passive, car c'est un moyen raisonnable de permettre aux consommateurs d'atteindre le distributeur. L'utilisation d'un site internet peut avoir des effets au-delà du territoire et de la clientèle affectés au distributeur ; toutefois, ces effets sont le résultat de la technologie qui permet un accès facile à partir de n'importe quel lieu. Si un client visite le site internet d'un distributeur et prend contact avec ce dernier et si ce contact débouche sur une vente, y compris une livraison, il s'agit là d'une vente passive. Il en va de même lorsqu'un client choisit d'être (automatiquement) informé par le distributeur et que cela conduit à une vente. En soi, la possibilité de choisir entre plusieurs langues offertes par le site en question ne modifie pas le caractère passif d'une telle vente. La Commission considère donc les situations suivantes comme des exemples de restrictions de vente passive caractérisées, compte tenu de leur capacité de limiter l'accès du distributeur à un plus grand nombre et une plus grande variété de clients :
a) convenir que le distributeur (exclusif) empêche les clients situés sur un autre territoire (exclusif) de consulter son site internet ou les renvoie automatiquement vers les sites du fabricant ou d'autres distributeurs (exclusifs), ce qui n'exclut pas de convenir que le site du distributeur doive également présenter un certain nombre de liens vers les sites d'autres distributeurs et/ou du fournisseur ;
b) convenir que le distributeur (exclusif) mette un terme à une opération de vente par internet lorsque les données de la carte de crédit du client révèlent qu'il n'est pas établi sur son territoire (exclusif) ;
(')
Une restriction à l'utilisation d'internet par les distributeurs parties à l'accord est compatible avec le règlement d'exemption par catégorie dans la mesure où la promotion des produits sur internet ou l'utilisation d'internet entraînerait, par exemple, la réalisation de ventes actives sur les territoires ou aux clients exclusifs d'autres distributeurs. La Commission considère la publicité en ligne spécifiquement adressée à certains clients comme une forme de vente active à ces clients. À titre d'exemple, des bandeaux visant un territoire particulier placés sur les sites internet de tiers constituent une forme de vente active sur le territoire où ces bandeaux apparais sent. En règle générale, des efforts visant à atteindre spécifiquement un territoire ou une clientèle particuliers sont considérés comme une forme de vente active sur ce territoire ou à cette clientèle. Par exemple, payer un moteur de recherche ou un fournisseur d'espace publicitaire en ligne pour qu'ils diffusent une publicité spécifiquement aux utilisateurs établis sur un territoire particulier constitue une forme de vente active sur ce territoire.
C'est à l'aune de ces éléments qu'il appartient à la Cour d'apprécier les prétentions des parties au présent litige.
II - Sur la concurrence déloyale
1- Sur les actes de concurrence déloyale allégués par la société Mat Plast
Exposé des moyens,
Au soutien de son appel, la société Mat Plast prise en la personne de son liquidateur judiciaire, expose que la société EPSI, au moyen de son site internet, s'assure délibérément une vitrine en France pour les produits Shini pour susciter, de manière active, de « prétendues ventes passives ». Elle relève à cet effet que la société EPSI se présente sous la mention « EPSI France » au travers de l'appellation de son site internet (https ://www.epsi-france.com/) et fait apparaître les produits Shini en cliquant sur l'onglet « Equipements » dès la page d'accueil. La société Mat Plast relève encore que le site contient plusieurs autres mentions de la France, notamment dans sa présentation et au titre de l'assistance technique et qu'aucune précaution n'est prise pour indiquer qu'elle ne développe pas le marché français. L'utilisation de ce site démontre, selon la société Mat Plast, l'habitude de l'intimée de commercialiser des produits sur le territoire français, alors même que la société Mat Plast détient l'exclusivité sur ce territoire. L'appelante ajoute que rien n'indique que la société EPSI n'ait pas prospecté discrètement des clients par son site, en adressant des messages électroniques non sollicités à de potentiels clients, ce qui constituerait des ventes actives.
La société Mat Plast prise en la personne de son liquidateur judiciaire fait encore valoir que l'interdiction de porter atteinte à son exclusivité sur le territoire français ne se résume pas aux simples ventes actives et passives de son site internet. Elle prétend que la société EPSI n'a eu aucun scrupule à effectuer du démarchage en dehors de son site internet, auprès de prospects situés en France par des commerciaux recrutés à cet effet.
Elle soutient qu'il appartient à la société EPSI d'apporter la preuve que l'ensemble des ventes effectuées sur le territoire français constaté par huissier de justice sont le fruit d'une absence totale de sollicitation par internet, téléphone, envoi mailling, courriers postaux ou démarchages physiques. Elle précise que la seule obligation qui pèse sur la société Mat Plat est celle de prouver qu'une vente à bien été effectuée sur le territoire français d'un matériel de marque Shini, et qu'il appartient ensuite à la société EPSI d'administrer la preuve que cette vente est intervenue en l'absence de toutes démarches positives de sa part. Pour les ventes sur le territoire français, elle soutient qu'il s'agit d'une violation de de la société EPSI de son obligation contractuelle vis à vis de la société Shini engageant sa responsabilité délictuelle à son égard. Elle ajoute que la société EPSI n'a pas hésité à contacter la société Shini pour pouvoir vendre ses produits en France et devenir son distributeur exclusif, une telle démarche constituant selon elle un acte de dénigrement.
En réponse, la société EPSI soutient n'avoir commis aucune faute de concurrence déloyale de nature à engager sa responsabilité. Elle expose qu'il ne lui est pas interdit de vendre de manière passive des produits Shini sur le territoire français, au regard du droit européen, malgré la distribution exclusive confiée à la société Mat Plast sur ce territoire. Ainsi en est-il de son site internet, qui n'est pas un site marchand, mais utilisé à des fins de communication générale aux visiteurs sur les produits Shini. Elle indique avoir apposé un bandeau sur ce site précisant être agent exclusif : « Algérie et Tunisie » mais qu'il ne lui appartenait pas de communiquer sur l'exclusivité de la société Mat Plast. Elle ajoute que la société Shini autorise expressément EPSI à présenter ses produits sur son site internet. Elle se limite à une action de présentation générale des produits SHINI sur son site internet pour les promouvoir sur le territoire dont elle bénéficie de l'exclusivité : l'Algérie et le Maroc. Selon elle, l'utilisation de son site internet en langue française à destination des pays du Maghreb dans lesquels la société EPSI a une exclusivité peut avoir des effets au-delà du territoire concédé par la société Shini et de la clientèle qui lui a été affectée, sans que cela soit répréhensible, restant dans le cadre de ventes passives. Aussi demande-t-elle à la Cour de constater l'absence de faute de la société EPSI et de l'autoriser à utiliser son site internet pour la communication et la commercialisation de produits Shini en raison du caractère passif des ventes pratiquées et de confirmer le jugement en ce sens.
Elle prétend par ailleurs que les pièces versées aux débats sont insuffisantes pour démontrer que les ventes réalisées en France procèdent de démarches actives de sa part. Elle précise que les commerciaux recrutés ne sont pas spécialement dédiés à la marque Shini en France et qu'elle est en droit de se rapprocher de son fournisseur pour tenter d'obtenir de nouveaux territoires exclusifs, sans que cela constitue du dénigrement.
Réponse de la Cour,
Suivant contrat de distribution prenant effet le 11 novembre 2016, la société Shini a accordé à la société Mat Plast la distribution exclusive de ses produits sur le territoire français (article 1 et 2).
Conformément aux dispositions de l'article 101§ 1 et 3 du TFUE et du règlement d'exemption précités, cette clause restrictive visant à la protection d'un territoire exclusif de vente ne peut concerner que les ventes actives et doit permettre les ventes passives des concurrents sur ce même territoire.
Aussi, il appartient à la société Mat Plast prise en la personne de son liquidateur judiciaire qui, par son action en concurrence déloyale entend faire respecter sur l'ensemble du territoire français sa clause de distribution exclusive à l'égard d'un autre distributeur des produits Shini, de démontrer des agissements de ce dernier pouvant constituer des ventes actives de ces produits sur le territoire français.
Il s'ensuit que la société Mat Plat ne peut se limiter à reprocher à la société EPSI la réalisation de ventes d'équipement Shini sur le territoire français, mais doit également apporter la preuve d'agissements de la part de la société EPSI susceptibles de générer des ventes actives portant atteinte à son exclusivité territoriale.
La société Mat Plast prétend que la société EPSI a commis des actes de concurrence déloyale non seulement au moyen de l'utilisation d'un site internet mais également au moyen de démarchages actifs de clients sur le territoire français.
* Sur l'utilisation d'un site internet
La Cour rappelle que la création d'un site internet n'est pas en soi assimilable à un point de vente dans le secteur protégé. En règle générale, l'utilisation par un distributeur d'un site internet pour vendre des produits est considérée comme une forme de vente passive, car c'est un moyen raisonnable de permettre aux consommateurs d'atteindre le distributeur.
Il ressort de la présentation du site www.Epsi-France.com telle que constatée dans les procès-verbaux des 7 juillet 2017 et 17 juin 2020 (pièces Mat Plast n°8 et 47) que :
- Sur sa page d'accueil, la société EPSI se présente de manière générale comme le spécialiste de la transformation plastique et proposant à la vente des matériels neufs et d'occasion accompagné de conseils et d'une assistance technique, en ces termes : « Fondée en 1993, par [Z] [L], pour assurer la fourniture des équipements en plasturgie, la société EPSI tout d'abord développa les marchés français puis ceux à l'Est de l'Europe et en Afrique du Nord dans les activités de vente des presses à injecter d'occasion, se démarquant par le soin apporté aux matériels en effectuant un contrôle technique puis un test de fonctionnement. Dotée d'une filiale en Algérie et d'une société en Tunisie pour répondre aux besoins de ces marchés, EPSI continue depuis son développement en complétant régulièrement ses activités par des partenariats d'importants et renommés fabricants d'équipement pour la transformation des plastiques ('). ».
Cette page d'accueil ne fait aucune mention de la distribution spécifique des produits Shini.
- sous l'onglet « Equipements », les produits Shini sont présentés avec leur référence et documentation technique ; depuis 2017 (pièce n°35 Epsi), figure un bandeau visible « agent exclusif : Algérie et Tunisie »
- Sous l'onglet assistance technique il est indiqué :
« Installation et mise en route sur devis pour toutes les machines vendues en France et à l'export. Une formation adaptée pour l'exploitation et la maintenance des presses à injecter vendues à l'export. Des stages de durées variables en fonction des niveaux techniques du personnel, dispensés sur le site de production. Contrat d'assistance technique préventif pour assurer la maintenance des presses et anticiper les pannes techniques entraînant des pertes de production. Intervention technique d'urgence. Dépannage des presses vendues à l'export.
Fourniture des pièces détachées sur toutes les séries de presses ou autres marques pour l'export. » (pièce Mat Plast n°48)
Comme le souligne à juste titre la société EPSI, ce site internet qui n'est pas marchand, est un site de présentation générale de la société avec son historique et des produits dont elle assure la distribution, notamment des produits Shini sur les territoires francophones avec le bénéficie de l'exclusivité : Algérie et Tunisie. Elle justifie de l'accord de la société Shini d'utiliser un site internet pour entreprendre les actions de publicité et d'information nécessaires pour le développement des ventes de la gamme complète des produits Shini (pièce n°3). L'utilisation de son site internet en langue française à destination des pays du Maghreb dans lesquels la société EPSI a une exclusivité peut avoir des effets au-delà du territoire concédé par la société Shini et de la clientèle qui lui a été affectée, et permettre une commercialisation des produits Shini en France à la suite de ventes passives.
Au regard de cette présentation, il n'apparaît pas que ce site internet non marchand permette la prospection active de la clientèle de la société Mat Plast sur le territoire français. Notamment, la société Mat Plast ne démontre pas, ni même explicite, en quoi les mentions de la France dans le nom de domaine du site, dans la présentation générale ou sous l'onglet assistance technique, ou les simples mentions des références des équipements Shini avec leur documentation technique, constituent un profilage permettant par lui-même, en l'absence d'autres éléments ou mécanismes associés, une captation active de la clientèle des produits Shini sur le territoire français ou tout autre effort de promotion ciblée.
Aussi, il n'est pas démontré par la société Mat Plast que la promotion des produits Shini sur son site internet ou l'utilisation de celui-ci par la société EPSI soit susceptible de susciter, par une prospection au sens de l'article 4b du règlement n°330/2010 susvisé, des ventes actives, sur le territoire français et constituer un acte de concurrence déloyale.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il dit que la société EPSI pouvait utiliser son site internet pour la communication et la commercialisation de produits Shini et y mettre à disposition de la documentation technique concernant les produits Shini, dès lors que le caractère actif des ventes pratiquées n'est pas démontré.
* Sur le démarchage de clientèle sur le territoire français
En revanche, la société Mat Plast verse aux débats divers éléments établissant des démarches actives de prospection de clientèle sur le territoire français de la part de la société EPSI pour la vente de produits Shini. A cet effet, elle produit un courriel du 6 mars 2017 (pièce n°27) faisant explicitement référence à la visite d'un commercial EPSI chez un client français pour une offre de produis Shini. Elle produit en outre une attestation du gérant d'une société établie en France attestant avoir été démarché par courriel (pièces n° 53, 55, 56,) par la société EPSI proposant son catalogue Shini sans demande de sa part, et une attestation d'un autre gérant témoignant avoir été démarché par le commercial M. [U] de la société EPSI pour des produits Shini (pièce n°28). Il ressort explicitement du profil Viadeo de M. [U] édité le 2 décembre 2019, que celui-ci travaille chez EPSI depuis février 2015 en qualité de responsable développement du chiffre d'affaires en France avec notamment pour mission de prospecter de nouveaux clients en Franc et de réaliser des tournées commerciales en France.
Ces éléments ne sont pas sérieusement contredits par la société EPSI.
Par ailleurs dans un courriel du 13 juin 2018, la société EPSI a proposé à la société Shini de remplacer la société Mat Plast dans la distribution de ses produits en France en indiquant disposer de deux commerciaux à cet effet et en critiquant l'action commerciale de la société Mat Plast (pièce n°19, Mat Plast). Ce courriel, sans être un acte de dénigrement, marque néanmoins de manière explicite la volonté de la société EPSI de s'implanter activement en France et corrobore les éléments de démarchages actifs produits par la société Mat Plast.
Dès lors, de tels agissements de la part de la société EPSI sont constitutifs de fautes de concurrence déloyale et de nature à engager sa responsabilité délictuelle à l'égard de la société Mat Plast.
2- Sur la demande indemnitaire de la société Mat Plast
Exposé des moyens,
Pour évaluer son préjudice au titre des agissements de concurrence déloyale, la société Mat Plast se base sur le chiffre d'affaires réalisé par la société EPSI sur la vente d'équipement Shini avec des clients sur le territoire français pendant la période 2016 à 2018, soit la somme de 183 291,15 euros HT. Elle estime que sa perte de chance de réaliser ces ventes à 80%. Elle précise que son taux de marge brute est de 50,17%. Elle évalue son préjudice de perte de marge sur « les ventes détournées » à la somme de 73 254 euros et réclame cette somme à titre de dommages-intérêts.
La société EPSI répond que la société Mat Plast ne rapporte pas la preuve que les ventes réalisées sur la période 2016 à 2018 sont des ventes actives prohibées. Elle conteste en outre le taux de marge à 50,17 % comme étant exorbitant.
Réponse de la Cour,
La société Mat Plast produit aux débats un procès-verbal de constat (pièces n° 22 et 23) faisant état d'un chiffre d'affaires de 183 292,12 euros réalisé par la société EPSI sur des ventes d'équipement Shini en France sur les exercices 2016 à 2018, à savoir :
- 17 783 euros pour l'année 2016
- 97 522,40 euros pour l'année 2017
- 67 986,75 euros de janvier 2018 au 27 septembre 2018
Ces montants ne sont pas sérieusement contestés par la société EPSI.
Certes comme le soutient la société EPSI, ce chiffre d'affaires de 183 292,12 euros peut ne pas avoir été entièrement généré par des ventes actives. Néanmoins, dès lors que la société Mat Plast justifie d'un chiffre d'affaires réalisé en France par EPSI avec les produits Shini et des agissements déloyaux de prospection actives de client sur le territoire français de son concurrent distributeur, il appartient à la société EPSI d'apporter les éléments de preuve dont elle est seule à disposer pour justifier des méthodes de vente de produits Shini en France à l'origine de ce chiffre d'affaires. Sur ce point, la société EPSI n'apporte aucun élément d'information.
Au regard des éléments soumis à la Cour, la perte de chance pour la société Mat Plast de réaliser des ventes Shini sur « les ventes détournées » pendant la période litigieuse sera retenue à hauteur de 80%, soit une perte de chiffre d'affaires HT de 146 633,69 euros.
Pour justifier de sa marge « brute » de 50,17 %, la société Mat Plast se borne à produire une attestation d'expert-comptable (pièce 24) et le solde intermédiaire de gestion de l'exercice 2016-2017 faisant apparaître une marge commerciale de 50,17% et sur valeur ajoutée de 27,98 % après déduction notamment des achats sous-traitance et autres charges externes (pièce n°50).
Il est constant que n'est justifié ni le taux de marge sur les exercices 2017 -2018, ni le taux de marge spécifique aux produits Shini, ni la proportion des ventes Shini sur le chiffre d'affaires global de la société EPSI. La Cour constate cependant que la proportion moyenne annuelle des « ventes détournées » représente environ 10% du chiffre d'affaires global de la société EPSI.
Au vu de ces éléments, la Cour retient une marge sur coûts variables de 45%, soit un préjudice de perte de marge évalué à la somme arrondie de 65 985 euros.
En conséquence, la société EPSI sera condamnée à verser à la société Mat Plast prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 65 985 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des agissements de concurrence déloyale.
Le jugement sera infirmé de ce chef de préjudice.
3- Sur les demandes de restitution de la société EPSI
Exposé des moyens,
La société Mat Plast pris en la personne de son liquidateur judiciaire, conteste les tentatives répétées de la société EPSI pour obtenir la restitution des sommes versées à la suite de la liquidation du montant de l'astreinte par le juge de l'exécution, car elle soutient que, sans appel de l'ordonnance de référé ni pourvoi en cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 13 décembre 2018 confirmant la liquidation de l'astreinte, cette décision était entrée en force de chose jugée. En conséquence, l'appelante demande l'infirmation du jugement du tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse en ce qu'il fait droit à la demande de restitution de 119 500,76 euros sollicitée par la société EPSI, au motif que le tribunal de Bourg-en-Bresse ne pouvait s'instaurer comme juridiction de censure de la décision d'exécution de l'ordonnance de référé. Elle conclut qu'il n'appartenait pas au tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse de dire que le montant de l'astreinte liquidée par le juge de l'exécution a été indument octroyé à la société Mat Plast.
La société EPSI expose à l'appui de la confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la restitution de la somme saisie de 119 500,76 euros, que ni la juridiction des référés, ni celle du juge de l'exécution n'ont accepté de traiter le sujet au seul regard du droit, à savoir en se prononçant sur la validité des ventes passives faites sur internet, alors qu'elles en avaient été saisies par la société EPSI. Elle prétend que dès lors que l'utilisation de son site internet était conforme au droit positif, il lui appartenait de saisir le tribunal de commerce au fond pour trancher cette question essentielle et mettre un terme aux procédures de harcèlement de la société Mat Plast et lui demander l'autorisation d'utiliser ce site et de dire que la liquidation de l'astreinte avait été prononcée à tort par le juge de l'exécution sur le fondement d'une ordonnance de référé contraire au droit positif et qui n'a pas autorité de la chose jugée au principal. Par ailleurs, elle soutient que cette somme doit lui être restituée en application de l'arrêt rendu par la Cour de cassation du 22 mars 2023 annulant l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Lyon le 28 octobre 2021 et remettant les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt.
La société EPSI demande également la restitution des sommes de 82 754 euros au titre de la demande reconventionnelle de la société Mat Plast et de 3000 euros au titre des frais irrépétibles versées en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon cassée et annulée par la Cour de cassation dans son arrêt précité.
Ainsi, la société EPSI demande la fixation au passif de la société Mat Plast la somme de 215 254,76 euros.
Réponse de la Cour,
* Sur la restitution de la somme de 119 500,76 euros saisie au titre de l'astreinte liquidée résultant de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Lyon
L'article 488 du code de procédure civile dispose que l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée. Elle ne peut être modifiée ou rapportée en référé qu'en cas de circonstances nouvelles.
L'article 491 du même code précise que le juge des référés qui assortit sa décision d'une astreinte peut s'en réserver la liquidation. Il statue sur les dépens.
En l'espère, la société Mat Plast a obtenu par ordonnance de référé du 7 juin 2017 qu'il soit ordonné à la société EPSI, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, de :
- Cesser toute publicité, démarchage et communication relative aux produits Shini sur le territoire français,
- Cesser toute commercialisation des produits Shini sur le territoire français
Suivant jugement du 5 juillet 2018, confirmé par arrêt du 13 décembre 2018, le juge de l'exécution a constaté que la société Mat Plast, selon procès-verbal établi le 7 juillet 2017, démontrait que la société EPSI avait violé l'interdiction ordonnée par le tribunal de cesser toute communication relative aux produits Shini sur le territoire français, en ce que figuraient sur son site internet 400 références de produits Shini. Le montant de l'astreinte provisoire a été liquidée à la somme de 120 000 euros, à raison de 300 euros par références sur le site (400 x 300 €). La somme de 119 500,76 euros a été saisie à la demande de la société Mat Plast.
Constatant que le site internet de la société EPSI, se limitait à de la documentation technique et n'était pas un site marchand, et relevait de la vente passive, le tribunal de commerce de Bourg-en Bresse statuant au fond, a dit infondé l'astreinte prononcée par le juge des référés et condamné la société Mat Plast à restituer à la société EPSI la somme de 119 500,76 euros.
Certes, l'ordonnance de référé n'a pas autorité de la chose jugée au principal, en ce que le juge du fond n'est pas lié par cette décision au provisoire, et peut statuer différemment sur le litige qui lui est soumis. Ainsi le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a autorisé la société EPSI à utiliser son site internet pour la communication et la commercialisation de produits Shini et à y mettre à disposition de la documentation technique concernant les produits Shini, dès lors que le caractère passif des ventes pratiquées ne peut être remis en cause.
Il n'en demeure pas moins que l'ordonnance de référé du 7 juin 2017 en ce qu'elle a ordonné à la société EPSI de cesser sous astreinte, toute publicité, démarchage, communication et commercialisation des produits Shini, avait autorité de la chose jugée au provisoire, ce que le juge de l'exécution a fait respecter en liquidant l'astreinte provisoire prononcé par le juge des référés.
Dès lors la Cour de céans qui, comme le tribunal statuant sur le fond du litige opposant les parties, n'est pas une juridiction de recours de l'exécution de l'ordonnance de référé, et n'a donc pas le pouvoir de statuer sur l'astreinte ni d'ordonner la restitution de la somme saisie de 119 500,76 euros en liquidation de l'astreinte prononcée par l'ordonnance de référé devenue définitive.
En conséquence, la société EPSI sera déboutée de sa demande de restitution de la somme de 119 500,76 euros. Le jugement sera infirmé de ce chef de demande.
* Sur la demande de restitution des sommes (de 82 754 euros et 3000 euros) versées en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon annulé
La Cour rappelle que dans la présente instance sur renvoi après cassation, la société EPSI est condamnée à verser à la société Mat Plast la somme de 65 985 euros à titre de dommages-intérêts.
Pour le surplus, la Cour rappelle que selon l'article 625 du code de procédure civile, l'arrêt de cassation constitue une décision de justice faisant naître un droit à restitution de la somme versée en exécution de la décision cassée (en ce sens Com., 26 octobre 2022, pourvoi n° 21-13.474), en sorte que la société EPSI dispose d'un titre exécutoire.
III - Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Mat Plast aux dépens de première instance et à payer à la société EPSI la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société EPSI, succombant pour l'essentiel en appel, sera condamnée aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société EPSI sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Mat Plast prise en la personne de son liquidateur judiciaire la somme de 20 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Vu l'arrêt du 22 mars 2023 (pourvois n°21-25. 793 et 21-25.896) de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation ;
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a :
- autorisé la société EPSI à utiliser son site internet « pour la communication et la commercialisation de produits Shini, dès lors que le caractère passif des ventes pratiquées ne peut être remis en cause »
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que la société Engineering Plastique et services industriels (EPSI) a engagé sa responsabilité pour des fautes de concurrence déloyale à l'égard de la société Mat Plast sur la période 2016 à 2018 ;
Condamne en conséquence la société Engineering Plastique et services industriels (EPSI) à verser à la société Mat Plast prise en la personne de son liquidateur judiciaire la somme de 65 985 euros à titre de dommages-intérêts ;
Déboute la société EPSI de sa demande en restitution de la somme de 119 500,76 euros ;
Rappelle que l'arrêt de cassation constitue un titre exécutoire faisant naître un droit à restitution de la somme versée en exécution de la décision cassée ;
Condamne la société EPSI aux dépens d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société EPSI et la condamne à verser à la société Mat Plast prise en la personne de son liquidateur judiciaire à la somme de 20 000 euros