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Décisions

CA Rennes, 4e ch., 12 septembre 2024, n° 23/02012

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Bretic 35 (SAS)

Défendeur :

ERTP Keravis (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Delapierregrosse

Conseillers :

Mme Malardel, M. Belloir

Avocats :

Me Le Rol, Me Duffin

CA Rennes n° 23/02012

11 septembre 2024

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant devis du 2 octobre 2017, la société Bretic 35 a commandé à la société ERTP Keravis des travaux de terrassement pour l'élargissement de la voirie et la mise en oeuvre d'un enrobé à usage de parking et de circulation dans la cour de son entreprise pour un montant global de 29 100 euros TTC.

Les travaux ont été réalisés entre le 19 février et le 19 mars 2018.

Se plaignant de divers désordres, la société Bretic 35 a refusé de régler la facture du 30 mars 2018 et a fait réaliser une expertise amiable.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 novembre 2018, la société ERTP Keravis a mis en demeure la société Bretic 35 de lui régler le solde de sa facture.

Par acte d'huissier en date du 24 janvier 2019, la société ERTP Keravis a fait assigner la société Bretic 35 devant le tribunal de commerce de Rennes en paiement du solde des travaux.

Par jugement du 30 janvier 2020, le tribunal de commerce a fait droit à la demande d'expertise de la société Bretic 35, désigné M. [C] pour y procéder et ordonné un sursis dans l'attente du rapport de l'expert, lequel a été déposé le 19 novembre 2021. L'instance a été reprise à la demande de la société Bretic 35.

Par un jugement en date du 19 janvier 2023, le tribunal de commerce de Rennes a :

- homologué dans son intégralité le rapport d'expertise judiciaire de M. [X] [C] en date du 19 novembre 2019 ;

- donné acte à la société ERTP Keravis de ce qu'elle accepte la demande de résolution du contrat formé par la société Bretic 35 ;

- prononcé la résolution judiciaire du contrat d'entreprise conclu entre les deux sociétés ;

- dit et jugé que la société Bretic 35 est redevable d'une indemnité de dommages-intérêts en valeur à verser à la société ERTP Keravis ;

- fixé l'indemnité forfaitaire de dommages-intérêts à la somme de 7 000 euros ;

- condamné la société Bretic 35 à payer ladite somme à la société ERTP Keravis ;

- jugé que la demande dommages-intérêts à hauteur de la totalité de l'estimation retenue par l'expert pour la reprise totale des travaux, soit la somme de 59 000 euros, aurait pour conséquence de faire supporter à la société ERTP Keravis la totalité des travaux réparatoires ;

- débouté la société Bretic 35 de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 59 000 euros ;

- débouté la société de sa demande au titre de l'indemnité de jouissance pendant la durée des travaux à réaliser ;

- condamné la société ERTP Keravis à verser à la société Bretic 35 la somme de 7 000 euros au titre de dommages-intérêts ;

- ordonné la compensation entre les créances réciproques ;

- condamné la société ERTP Keravis à rembourser à la société Bretic 35 la totalité du montant des honoraires de l'expert judiciaire, soit la somme totale de 9 109,81 euros ;

- condamné la société ERTP Keravis à verser à la société Bretic 35 la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société ERTP Keravis à supporter les entiers dépens de l'instance ;

- débouté la société ERTP Keravis du surplus de ses demandes, fins et conclusions ;

- débouté la société Bretic 35 du surplus de ses demandes, fins et conclusions ;

- liquidé les frais de greffe à la somme de 63,36 euros.

La société Bretic 35 a interjeté appel de cette décision le 29 mars 2023.

L'instruction a été clôturée le 7 mai 2024.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions en date du 1er décembre 2023, au visa des articles 1217 et suivants du code civil, la société Bretic 35 demande à la cour de :

- dire partiellement bien jugé et réformer pour partie ;

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de la société Bretic 35 à l'encontre de la société ERTP Keravis, condamné cette dernière à payer à la société Bretic 35 la somme totale de 7 000 euros et condamné la société Bretic 35 à payer à la société ERTP Keravis la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- confirmer le jugement dont appel pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

- homologuer en son intégralité le rapport d'expertise de M. [C] en date du 19 novembre 2021 ;

- prononcer la résolution judiciaire du contrat d'entreprise primaire à la date de l'assignation soit en date du 23 janvier 2019 avec toutes conséquences de droit ;

- condamner la société ERTP Keravis à payer à la société Bretic 35 :

- la somme de 59 000 euros HT au titre des travaux de reprise, soit le devis retenu par l'expert, soit celui de la société MULTI TP d'un montant de 58 842,30 euros HT arrondis à 59 000 euros HT, en tenant compte du fait qu'il avait été établi, à l'époque, sur une base de prix à la date de juillet 2021 ;

- la somme de 1 500 euros au titre du préjudice de jouissance devant être, à terme, subi par la société Bretic 35, pendant les travaux de reprise qui ont été fixés par l'expert judiciaire à une durée d'une semaine ;

- condamner la société ERTP Keravis à rembourser, en son intégralité, le montant des honoraires de l'expert judiciaire, dont l'avance avait dû être faite par la société Bretic 35, soit la somme totale de 9 109,81 euros ;

- débouter la société ERTP Keravis de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société ERTP Keravis à une indemnité complémentaire de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société ERTP Keravis aux entiers dépens y compris de première instance.

Dans ses dernières conclusions en date du 4 septembre 2023, la société ERTP Keravis demande à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- donné acte à la société ERTP Keravis de ce qu'elle accepte la demande de résolution du contrat formé par la société Bretic 35 ;

- prononcé la résolution judiciaire du contrat d'entreprise conclu entre les deux sociétés ;

- dit et jugé que la société Bretic 35 est redevable d'une indemnité de dommages-intérêts en valeur à verser à la société ERTP Keravis;

- jugé que la demande de dommages-intérêts à hauteur de la totalité de l'estimation retenue par l'expert pour la reprise totale des travaux, soit la somme de 59 000 euros, aurait pour conséquence de faire supporter à la société ERTP Keravis la totalité des travaux réparatoires ;

- débouté la société Bretic 35 de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 59 000 euros ;

- débouté la société de sa demande au titre de l'indemnité de jouissance pendant la durée des travaux à réaliser ;

- débouté la société Bretic 35 du surplus de ses demandes, fins et conclusions ;

- l'infirmer en ce qu'il a :

- homologué dans son intégralité le rapport d'expertise judiciaire de M. [X] [C] en date du 19 novembre 2019 ;

- fixé l'indemnité forfaitaire de dommages-intérêts due par la société Bretic 35 à la somme de 7 000 euros ;

- condamné la société Bretic 35 à payer ladite somme à la société ERTP Keravis ;

- condamné la société ERTP Keravis à verser à la société Bretic 35 la somme de 7 000 euros au titre de dommages-intérêts ;

- ordonné la compensation entre les créances réciproques à hauteur de 7 000 euros ;

- débouté la société ERTP Keravis du surplus de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamné la société ERTP Keravis à rembourser à la société Bretic 35 la totalité du montant des honoraires de l'expert judiciaire, soit la somme de 9 109,81 euros ;

- condamné la société ERTP Keravis à payer à la société Bretic 35 la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Statuant à nouveau,

- ordonner la remise en état des parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant la conclusion du contrat ;

- constater que la société ERTP Keravis n'a jamais été réglée de sa facture n°18030151 d'un montant de 29 100 euros TTC (24 250 euros HT), de sorte qu'il n'y a pas lieu de la condamner à restituer le prix de ses prestations ;

- condamner la société Bretic 35 à restituer à la société ERTP Keravis, en valeur, les prestations de terrassement et de mise en oeuvre d'enrobés dont elle a bénéficié par le versement d'une indemnité de 25 355,74 euros TTC;

- débouter la société Bretic 35 de l'ensemble de ses demandes indemnitaires; En tout état de cause,

- condamner la société Bretic 35 à payer à la société ERTP Keravis la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamner la société Bretic 35 aux entiers dépens.

MOTIFS

C'est à juste titre que l'intimée rappelle que les rapports d'expertise sont un moyen de preuve au soutien des prétentions des parties et ne sont pas des titres susceptibles d'exécution. Il n'y a pas lieu de les homologuer. Le jugement sera ainsi infirmé en ce qu'il a homologué le rapport d'expertise de M. [C].

I. Sur le prononcé de la résolution judiciaire

La société Bretic 35 estime que les désordres de l'enrobé constituent des manquements graves qui ont justifié son refus de payer les travaux puis de solliciter la résolution du contrat.

La société ERTP Keravis approuve la résolution sans évoquer de motifs.

A. Sur la gravité de l'inexécution

Aux termes de l'article 1217 du code civil « la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;

- obtenir une réduction du prix ;

- provoquer la résolution du contrat ;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter. »

L'article 1224 du même code dispose que « la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice. »

Selon l'article 1227 suivant « la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice. »

Il s'évince du deuxième de ces articles que la résolution judiciaire est conditionnée par la gravité de l'inexécution de ses obligations par le débiteur.

En l'espèce, il résulte de l'expertise un défaut de compactage de l'enrobé lié à une température trop basse lors de sa mise en oeuvre, une épaisseur insuffisante réduisant significativement sa durabilité, un joint de reprise visible en face de l'entrée du bâtiment qui présente des arrachements évoluant vers une dégradation prématurée de l'enrobé dans l'environnement du joint, un raccordement trop bas sur le caniveau qui entraine une érosion du bord de l'enrobé et une dégradation prématurée.

M. [C] préconise la reprise de l'ensemble de la surface.

En l'absence de réception des travaux, la société ERTP Keravis était tenue d'une obligation de résultat. Cette dernière reconnait que l'enrobé qu'elle a mise en oeuvre n'est pas pérenne. Il ressort en sus des conclusions de l'expert non critiquées que le non-respect des règles de l'art entraine d'ores et déjà l'érosion du bord de l'enrobé.

Les désordres sont imputables à l'entrepreneur qui a gravement failli à son obligation de résultat puisque l'enrobé doit être entièrement démoli et refait.

La condition de la résolution étant remplie, le jugement est confirmé en ce qu'il a prononcé la résolution du contrat de louage d'ouvrage étant précisé qu'il l'est aux torts de la société ERTP Keravis.

B. Sur la date de la résolution

L'appelante demande que le contrat de louage d'ouvrage soit résolu à compter de l'assignation du 23 janvier 2019.

La société ERTP Keravis considère que la résolution a anéanti le contrat.

L'article 1228 du code civil dispose que « le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.»

Selon l'article 1229 du même code « la résolution met fin au contrat.

La résolution prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l'assignation en justice.

Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation.

Les restitutions ont lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9. »

Le marché de travaux est assimilé à un contrat à exécution successive.

En l'espèce, l'enrobé a été réalisé et utilisé pendant plusieurs années ainsi que le souligne l'intimée. Cette dernière est donc mal fondée à soutenir que les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat et que les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré tout en arguant avoir exécuté des travaux conformes.

En application de l'article 1229 du code civil, la résolution du contrat doit être requalifiée en résiliation, laquelle sera prononcée au jour de l'assignation le 23 janvier 2019.

II. Sur les conséquences de la résiliation

A. Sur la reprise des désordres

L'appelante demande l'indemnisation du préjudice subi en raison des désordres de l'enrobé.

La société ERTP Keravis fait valoir que l'ouvrage est conforme à sa destination, que la société Bretic 35 en dispose depuis cinq années, que seule sa pérennité dans le temps est affectée par les désordres constatés par l'expert.

Il est constant que le créancier qui demande la résolution du contrat renonce à son droit de demander l'exécution de l'obligation et les dommages-intérêts qui lui sont accordés ont pour fonction de réparer le dommage qui subsiste malgré le prononcé de la résolution du contrat.

Le coût de reprise des désordres pour mettre un terme au préjudice subi a été estimé par l'expert à la somme de 58 842,30 euros HT. Si la société ERTP Keravis s'oppose à cette indemnisation arguant que la résolution doit être prononcée ab initio, elle ne critique pas techniquement l'estimation financière de l'expertactualisée à 59 000 euros HT nécessaire à la reprise des désordres.

La société ERTP Keravis sera ainsi condamnée au paiement de cette somme à la société Bretic 35.

B. Sur le solde dû

Le locateur d'ouvrage a droit à la rémunération des travaux réalisés avant la résiliation. La société Bretic 35 ne peut en effet réclamer la reprise des travaux sans régler le montant des travaux commandés sauf à bénéficier d'une double indemnisation, jouissant in fine de l'enrobé commandé lorsqu'il aura été refait à neuf, sans ne rien débourser.

Toutefois, la société ERTP Keravis ne sollicitant que la somme de 25 355,74 euros TTC et la cour ne pouvant lui allouer davantage que ce qu'elle réclame, le montant de l'indemnisation dû par la société Bretic 35 sera limité à cette somme.

III. Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance

La société Bretic 35 demande l'octroi d'une indemnité de 1 500 euros au motif qu'elle ne pourra pas utiliser sa chaussée pendant une semaine durant les travaux de reprise.

La société ERTP Keravis ne critiquant pas le montant de l'indemnité allouée pour la gêne que subira la société Bretic 35 durant les travaux, l'appelante sera condamnée à lui verser cette somme.

IV. Sur la compensation

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé la compensation des créances réciproques sauf à dire qu'elle sera limitée à hauteur de la moins élevée.

V. Sur les autres demandes

Le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné la société ERTP Keravis aux dépens de première instance, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire.

La société ERTP Keravis, qui succombe pour l'essentiel, sera condamnée à payer la somme de 6 000 euros à la société Bretic 35 en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l'appel par voie d'infirmation ainsi qu'aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- prononcé la résolution judiciaire du contrat d'entreprise conclu entre la société ERTP Keravis et la société Bretic 35,

- ordonné la compensation entre les créances réciproques,

- condamné la société ERTP Keravis à supporter les entiers dépens de première instance en ce compris les frais de l'expertise judiciaire,

L'infirme sur le surplus des dispositions soumises à la cour

Statuant à nouveau et y ajoutant

Déboute la société Bretic 35 de sa demande d'homologation de l'expertise judiciaire,

Qualifie la résolution judiciaire de résiliation judiciaire,

Fixe la date du prononcé de la résiliation judiciaire le 23 janvier 2019,

Condamne la société ERTP Keravis à verser à la société Bretic 35 la somme de 59 000 euros HT au titre des travaux de reprise,

Condamne la société ERTP Keravis à verser à la société Bretic 35 la somme de 1 500 euros au titre du préjudice de jouissance,

Condamne la société Bretic 35 à payer la somme de 25 355,74 euros TTC à la société ERTP Keravis au titre des travaux réalisés,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société ERTP Keravis à payer à la société Bretic 35 la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société ERTP Keravis aux dépens d'appel.