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Décisions

CA Orléans, ch. civ., 28 mai 2024, n° 21/03108

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Entreprise Générale du Bâtiment (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collomp

Conseillers :

M. Sousa, Mme Grua

Avocats :

Me de la Ruffie, Me Vinet

CA Orléans n° 21/03108

27 mai 2024

***

FAITS ET PROCÉDURE

La société Entreprise générale du bâtiment (EGB), constructeur de maisons individuelles, a conclu deux contrats de construction le 3 février 2017 et le 6 mai 2017, respectivement pour M. et Mme [R] et M. et Mme [G].

Par contrat du 21 octobre 2017 et du 28 février 2018, la société EGB a confié la réalisation des travaux de maçonnerie en sous traitance à M. [Z]. Un litige est survenu entre le constructeur et le sous-traitant sur la réalisation des travaux de maçonnerie, pour lequel des expertises extra-judiciaires ont été diligentées.

Par acte d'huissier de justice en date du 27 mai 2019, la société EGB a fait assigner M. [Z] devant le tribunal de grande instance de Tours aux fins de résolution des contrats de sous-traitance et d'indemnisation de son préjudice.

Par jugement en date du 4 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Tours a :

- débouté la société EGB de sa demande de constat de la résolution unilatérale des contrats de sous-traitance datés du 21 octobre 2017 et du 28 février 2018 conclus avec l'entreprise de maçonnerie de M. [Z] ;

- débouté la société EGB de sa demande tendant au prononcé de la résolution judiciaire des contrats de sous-traitance du 21 octobre 2017 et du 28 février 2018 conclus avec l'entreprise de maçonnerie de M. [Z] ;

- rejeté l'intégralité des demandes tendant à l'allocation de dommages et intérêts formées par la société EGB ;

- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société EGB aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 7 décembre 2021, la société EGB a interjeté appel de l'intégralité des chefs de ce jugement.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 22 janvier 2024, la société EGB demande à la cour de :

- infirmer l'ensemble du jugement rendu le 4 novembre 2021 ;

- constater la résolution aux torts exclusifs de M. [Z] des marchés de sous-traitance des 27 octobre 2017 et 16 janvier 2018 ;

Subsidiairement,

- prononcer la résolution aux torts exclusifs de M. [Z] des marchés de sous-traitance des 27 octobre 2017 et 16 janvier 2018 ;

- débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner M. [Z] à lui verser la somme de 176 908,61 euros à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2019 sur la somme de 23 149,29 euros HT, et du 1er février 2019 sur la somme de 153 759,32 euros ;

- condamner M. [Z] à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [Z] aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'hypothèques judiciaires, et accorder à la société Saint-Cricq et associés le droit prévu à l'article 699 du code de procédure civile.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 8 février 2024, M. [Z] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- condamner en cause d'appel la société EGB à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et accorder à Me Vinet le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

I- Sur la résolution extra-judiciaire des contrats de sous-traitance

A- Sur le contrat relatif à la construction pour le compte de M. et Mme [R]

Moyens des parties

L'appelante soutient qu'il résulte du rapport de M. [Y], que la prestation réalisée par M. [Z] est totalement défectueuse, ce que d'ailleurs le défendeur ne conteste pas ; que compte tenu des nombreuses malfaçons et non conformités constatées, l'expert a préconisé la démolition de l'ouvrage ; que devant ces malfaçons importantes, M. et Mme [R] et la société EGB ont convenu de résoudre le contrat de construction de maison individuelle qui les liait par l'intermédiaire d'un protocole d'accord ; qu'aux termes de ce protocole d'accord, il a été évoqué à tort le terme d'annulation du contrat en lieu et place de celui de résolution, cette dernière venant sanctionner la mauvaise exécution de la prestation et dans cette hypothèse, l'existence même du contrat n'est pas contestée ; qu'en dépit de l'utilisation maladroite du terme « annulation », il s'agit d'une résolution du contrat de construction de maison individuelle, décidée et acceptée par l'ensemble des parties compte tenu des défaillances du sous-traitant de la société EGB ; que la résolution du contrat de construction de maison individuelle a provoqué nécessairement la résolution du marché de sous-traitance, comme le rappellent les dispositions du contrat de sous-traitance générale ; que manifestement les premiers juges ont éludé cette question et se sont contentés de faire application des articles 1224 et suivants du code civil ; qu'il est de jurisprudence constante que dans l'hypothèse de contrats liés entre eux dans un rapport hiérarchique (contrat principal / contrat accessoire) ou interdépendant (contrats indivisibles qui concourent à la réalisation d'une même opération), la résolution du contrat principal ou interdépendant entraîne la résolution de l'autre ; que cette jurisprudence a d'ailleurs été consacrée par les nouvelles dispositions de l'article 1186 alinéa 2 du code civil ; qu'en la circonstance, le contrat de sous-traitance est dépendant du contrat de construction de maison individuelle (CCMI) en vertu des règles régissant le droit des obligations, et s'est trouvé résolu de plein droit ; qu'en tout état de cause, M. [Z] a gravement manqué à ses obligations, et elle lui a notifié la résolution du contrat de sous-traitance aux termes d'un courrier recommandé en date du 1er février 2019 distribué à M. [Z] le 8 février 2019.

Le sous-traitant réplique que l'article 1226 du code civil pose les conditions afférentes à la résolution extrajudiciaire ; que la mise en demeure est une condition sine qua none de la résolution par voie de notification et le seul moyen pour le cocontractant d'éviter la mise en demeure est de démontrer l'urgence de la situation, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que concernant le chantier pour les époux [R], force est de constater que la société EGB ne lui a jamais notifié la résolution du contrat ; que le courrier du 1er février 2019 est une mise en demeure de payer les sommes réclamées dans la présente instance, qui ne vaut pas résolution ; que la société EGB justifie de l'existence d'un protocole d'accord régularisé le 3 juillet 2018 entre elle et ses clients, les époux [R], qui fait état de ce que le contrat de construction est annulé sans indemnité ; que dans ces conditions, d'une part, la société EGB ne peut se prévaloir à son encontre de la résolution du contrat de construction, qui en réalité a fait l'objet d'une annulation consensuelle, et d'autre part, et surtout, la résolution du contrat de construction n'est nullement opposable au sous-traitant ; qu'en effet, en vertu du principe de l'effet relatif des contrats, le sous-traitant, bien qu'intéressé par l'opération contractuelle d'origine, n'est qu'un tiers au contrat que le constructeur a régularisé avec le maître d''uvre ; que les contrats de construction et de sous-traitance formaient bien un ensemble contractuel indivisible de sorte que l'article 1186 du code civil est applicable ; que la disparition du contrat de construction a entraîné la caducité du contrat de sous-traitance ; que pour autant caducité et résolution sont deux sanctions qui n'obéissent pas au même régime juridique puisque l'une vient sanctionner l'invalidité du contrat et l'autre l'inexécution du contrat ;  que soit il est considéré que la sanction applicable au contrat est la nullité, et en ce cas, l'annulation du contrat de sous-traitance entraîne l'anéantissement rétroactif de celui-ci et empêche le constructeur de se prévaloir de ce contrat pour espérer voir condamner le sous-traitant à lui verser des indemnités sur son fondement, soit il est considéré que la sanction applicable est une résolution contractuelle, et dans ce cas en l'espèce, la société EGB n'a jamais prononcé cette sanction dans les conditions prévues aux articles 1224 et suivants du code civil ; que la conséquence légalement prévue en cas de disparition d'un contrat, lequel était nécessaire pour l'exécution d'autres contrats, est la caducité de ces derniers et non la résolution de plein droit comme tente de le faire croire la société EGB ; que dès lors le protocole d'accord conclu entre la société EGB et les époux [R] ne lui est pas opposable, aucune résolution de plein droit du contrat de sous-traitance n'est intervenue ; qu'en outre, une résolution de plein droit ne signifie pas que le cocontractant est dispensé de respecter les conditions de mise en 'uvre d'une telle sanction contractuelle ; que c'est à bon droit que les juges de première instance ont relevé l'absence de respect des conditions légales de la résolution unilatérale ne permettant pas de constater comme acquise la résolution.

Réponse de la cour

L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

L'article 1193 du code civil dispose que les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise.

Le 12 septembre 2017, la société EGB a conclu avec M. [Z] une convention générale de sous-traitance, puis lui a confié, dans ce cadre, les travaux de maçonnerie du contrat de construction de maison individuelle conclu avec M. et Mme [R] selon ordre de service en date du 21 octobre 2017.

La société EGB et les maîtres d'ouvrage ont conclu un protocole d'accord le 3 juillet 2018 rédigé en ces termes :

« M. et Mme [R] ont confié à l'entreprise SAS EGB la réalisation de travaux de leur résidence principale selon contrat n° 2751 du 03 février 2017.

Or, il s'est avéré que des malfaçons importantes concernant les travaux de maçonnerie doivent conduire à la démolition des ouvrages en cours de réalisation.

Qu'il s'en est suivi un différend avec M. et Mme [R], malgré la proposition de continuation de l'entreprise SAS EGB, lesquels ne souhaitent plus poursuivre leur construction.

À la suite de quoi les parties se sont rapprochées et ont convenu ce qui suit :

M. et Mme [R] et l'entreprise SAS EGB s'accordent sur l'annulation du contrat précité sans indemnités.

L'entreprise SAS EGB rembourse M. et Mme [R] des sommes dues au titre du contrat soit la somme de 78 673,25 € ainsi que la somme de 2 423,14 € relative à l'assurance dommage ouvrage.

M. et Mme [R] et l'entreprise SAS EGB décident d'un commun accord de mettre fin à la relation contractuelle initiée le 03 février 2017 et que les travaux exécutés soient démolis par l'entreprise EGB.

De plus, l'entreprise EGB s'engage à l'évacuation des gravats et au remblaiement de terres formant ainsi la remise en état du terrain appartenant à M. et Mme [R], ces travaux devant être terminés à la date du 13 juillet 2018.

Le présent protocole vaut transaction aux termes de l'article 2044 du code civil et emporte désistement réciproque d'instance et d'action, et est donc revêtu, conformément à l'article 2052 du même code, de l'autorité de la chose jugée. »

Nonobstant la référence à l'annulation du contrat, il résulte des termes du protocole d'accord conclu entre la société EGB et M. et Mme [R] qu'ils ont entendu procéder à la résolution du contrat, c'est-à-dire à l'effacement rétroactif des obligations découlant du contrat, et non à l'annulation du contrat qui supposerait l'existence d'un vice affectant la formation du contrat auquel le protocole ne fait pas mention.

Si le protocole d'accord n'a d'effet qu'entre les parties contractantes, la résolution du contrat qui en est la conséquence est un fait opposable au sous-traitant.

Il résulte du contrat de sous-traitance conclu entre les parties que le constructeur, « dans le cadre du contrat qu'il a signé avec le maître de l'ouvrage » avait confié l'exécution d'une partie des travaux à M. [Z] en qualité de sous-traitant. Il est également stipulé que :

« Le présent contrat de sous-traitance n'existe et ne s'applique que pour autant que le contrat principal est en application, sauf en ce qui concerne les garanties légales.

Si, pour une raison quelconque, le contrat principal venait à être modi'é, ajourné, résilié ou annulé, le constructeur pourra répercuter au présent contrat de sous-traitance les modi'cations, ajournements, résiliation ou annulation du contrat principal, et ce, pour la partie des travaux restant à exécuter par le sous-traitant, sans que ce dernier puisse s'y opposer ni prétendre à aucune forme d'indemnité. »

Ces stipulations contractuelles instaurent une interdépendance entre le contrat de construction et le contrat de sous-traitance, ce que M. [Z] reconnaît. Il convient en outre de relever que le contrat liant les parties prévoit sa résiliation de plein-droit lorsque le marché principal est résilié que ce soit au tort du constructeur ou sans faute de celui-ci.

En conséquence, en application des stipulations contractuelles et de l'interdépendance du contrat de construction et du contrat de sous-traitance, celui-ci a également pris fin par la résolution du contrat principal mais seulement pour la partie restant à exécuter. Il s'ensuit que le contrat de sous-traitance n'est résolu par l'effet de la résolution du contrat de construction mais seulement résilié, en l'absence d'effet rétroactif.

Il s'ensuit que la résolution du contrat de sous-traitance aux torts exclusifs du sous-traitant ne peut être constatée comme l'appelant le sollicite. Il ne résulte d'ailleurs pas des pièces produites que la société EGB ait mis en 'uvre la procédure contractuelle prévue en cas de constatation de malfaçons, prévoyant l'envoi au sous-traitant d'une mise en demeure afin de remédier aux malfaçons dans un délai déterminé.

Il convient donc débouter la société EGB de sa demande de constat de la résolution du contrat de sous-traitance du 21 octobre 2017 aux torts exclusifs de M. [Z], et de confirmer le jugement de ce chef.

B- Sur le contrat relatif à la construction pour le compte de M. et Mme [G]

Moyens des parties

L'appelante soutient que ce chantier a également donné lieu à de nombreuses difficultés, qui ont nécessité une mission d'expertise confiée à M. [Y] qui a confirmé que les travaux de maçonnerie réalisés par le sous-traitant sont à reprendre, notamment en ce qui concerne le dosage du mortier ; que la qualité de la prestation revêt les caractéristiques d'un manquement contractuel grave quasi-dolosif imputable à M. [Z] ; qu'au cours des opérations d'expertise, M. [Z] a d'ailleurs indiqué qu'il ne souhaitait pas refaire les travaux et ce, alors même que l'expert recommandait que l'ensemble des ouvrages réalisés soit démoli ;

que les époux [G] se retrouvaient ainsi dans une impasse face à un chantier à démolir et refaire, un refus catégorique de l'intervenant ayant réalisé les prestations défectueuses de les reprendre, et une incertitude parfaite quant à la survie de la société ; que d'ailleurs, l'entreprise individuelle de M. [Z] a cessé depuis le 31 juillet 2019 ; que dans ces conditions, et compte-tenu de l'urgence de la situation, elle a notifié à M. [Z] à la résolution du contrat aux torts exclusifs du sous-traitant, pourtant débiteur d'une obligation de résultat ;

que les circonstances de l'espèce et l'urgence de la situation l'exonéraient totalement d'avoir à adresser une mise en demeure de reprendre les travaux défaillants avant de résoudre le contrat ; qu'il convient en conséquence, de constater la résolution du contrat de sous-traitance.

Le sous-traitant intimé fait valoir que la société EGB l'a informée selon courrier du 31 janvier 2019 de ce qu'elle procédait à la résolution du contrat de sous-traitance à ses torts exclusifs ; que dans ce cas de figure, la société EGB a été autorisée à poursuivre le chantier dont s'agit, et indique qu'elle a procédé à la démolition de l'ouvrage ; que force est de constater que, en l'espèce, si la société EGB disposait de la possibilité que lui offre l'article 1226 du code civil aux fins de résolution unilatérale du contrat de sous-traitance, elle n'a pas davantage respecté les conditions de mise en 'uvre prévues en omettant de procéder à la mise en demeure préalable ; que la mise en demeure est une condition de forme prévue par le code civil en ce qui concerne la résolution extrajudiciaire et permet au créancier de mettre en demeure le débiteur de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable ; qu'en l'absence de mise en demeure, la résolution du contrat dont se prévaut la demanderesse n'est nullement acquise et ne saurait emporter ses effets ; que pour justifier de la prétendue urgence de la situation, la société EGB n'hésite pas à porter de graves accusations à son encontre, sans démontrer que les désordres allégués sont imputables aux travaux effectués par lui ; que les conditions de la résolution unilatérale ne sont pas remplies, et il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société EGB de sa demande de constat de la résolution unilatérale du contrat de sous-traitance.

Réponse de la cour

L'article 1226 du code civil dispose :

« Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.

La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.

Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent ».

En l'absence d'envoi d'une mise en demeure répondant aux exigences de l'article 1226 du code civil, le créancier de l'obligation ne peut se prévaloir de la résolution du contrat, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (3e Civ., 29 juin 2022, pourvoi n° 21-17.944).

Le 12 septembre 2017, la société EGB a conclu avec M. [Z] une convention générale de sous-traitance, puis lui a confié, dans ce cadre, les travaux de maçonnerie du contrat de construction de maison individuelle conclu avec M. et Mme [G] selon ordre de service en date du 28 février 2018.

Par courrier recommandé du 31 janvier 2019 adressé à M. [Z], la société EGB a prononcé la résolution du contrat, et il est établi que ce courrier n'a pas été précédé de l'envoi d'une mise en demeure préalable répondant aux exigences de l'article 1226 du code civil.

La société EGB invoque une situation d'urgence au motif que le rapport d'expertise a conclu à une faible teneur en liant du mortier utilisé et qu'il a mentionné que M. [Z] avait indiqué qu'il ne souhaitait pas reprendre les travaux et qu'il existait une incertitude sur la poursuite d'activité du sous-traitant.

Or, le rapport d'expertise produit est un rapport d'expertise non-judiciaire qui n'est pas corroboré par d'autres pièces versées aux débats. En outre, M. [Y] n'a pas constaté de désordres mais une potentialité de désordres nécessitant soit de réaliser un audit plus complet de la structure et procéder aux travaux de renforcement nécessaires, soit de démolir les ouvrages actuels en conservant les semelles de fondations.

Ce rapport ne permet donc pas à lui-seul d'établir l'existence de malfaçons imputables au maçon et la déclaration de celui-ci mentionnée dans le rapport d'expertise ne rendait nullement vaine l'envoi d'une mise en demeure à M. [Z] afin qu'il remédie aux difficultés relatées par l'expert. Quant aux incertitudes sur l'activité de M. [Z], il n'est produit aucun élément attestant de celle-ci lors du dépôt du rapport d'expertise non-judiciaire du 23 août 2018 ni lors du courrier prononçant la résolution du contrat le 31 janvier 2019.

En conséquence, la société EGB qui ne démontre pas une situation d'urgence la dispensant de l'envoi à son sous-traitant d'une mise en demeure conforme aux exigences de l'article 1226 du code civil, ne peut se prévaloir de la résolution unilatérale du contrat de sous-traitance concernant le contrat de construction de M. et Mme [G].

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société EGB de sa demande de constat de la résolution unilatérale du contrat de sous-traitance daté du 28 février 2018.

II- Sur la résolution judiciaire des contrats de sous-traitance

Moyens des parties

La société EGB soutient que subsidiairement, il y a lieu de prononcer la résolution judiciaire des contrats de sous-traitance aux torts de M. [Z] ; que le tribunal a considéré qu'il ne pouvait se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire ; que néanmoins, plusieurs réunions d'expertises ont été organisées en vue de la rédaction des rapports définitifs, afin de connaître l'étendue exacte des désordres, et M. [Y] est par ailleurs, expert judiciaire près la cour d'appel et a l'habitude de mener des réunions en vue de la rédaction d'un rapport d'expertise judiciaire ; que M. [Z] n'ignore pas qu'il a été convoqué aux réunions organisées par M. [Y], et y a participé ; que ces opérations d'expertise parfaitement contradictoires, ont donné lieu à un rapport notifié à chacune des parties ; que surtout, les expertises amiables étaient très largement corroborées par d'autres éléments de preuve concernant les graves manquements de M. [Z] ; qu'ainsi, s'agissant de la construction pour le compte de M. et Mme [R], plusieurs correspondances ont été adressées à M. [Z] afin de lui rappeler les missions qui lui ont été confiées et de lui faire connaître les désordres qui lui sont imputables ; que surtout, les manquements du sous-traitant sont largement corroborés par la décision formelle des maîtres de l'ouvrage de procéder à la résolution du contrat de construction de maison individuelle ; qu'en outre, le tribunal a omis de prendre en considération les investigations sur site et les essais en laboratoire, réalisés par la société Mageo après une visite sur site le 23 avril 2018, mettant également en exergue les différentes malfaçons imputables à M. [Z] ; qu'il ne fait aucun doute que les manquements invoqués sont imputables à M. [Z] en ce qu'ils sont la conséquence de la qualité de la prestation de ce dernier ; que s'agissant de la construction pour le compte de M. et Mme [G], il convient de préciser que l'article 1554 du code de procédure civile modifié par décret du 11 octobre 2021 portant sur la résolution amiable des différends, prévoit que le rapport amiable a valeur de rapport d'expertise judiciaire ; que cette disposition inscrit dans le marbre la position jurisprudentielle selon laquelle l'expertise amiable, réalisée contradictoirement peut fonder la décision du juge, dès lors qu'elle est corroborée par d'autres éléments ; que le rapport d'expertise est corroboré par un certain nombre d'autres éléments tels que les investigations sur site et des essais en laboratoire qui ont été réalisés par la société Mageo ; qu'en outre, les manquements du sous-traitant sont également corroborés par la mise en demeure adressée par le conseil des époux [G] en date du 8 octobre 2018, lequel rappelle que le chantier a manifestement été abandonné alors que seules les fondations ont été terminées et évoque les insuffisances manifestes du béton composant les fondations ; que les reproches et griefs invoqués par les maîtres de l'ouvrage confirment les manquements imputables à M. [Z].

Le sous-traitant réplique que conformément à l'article 1227 du code civil, la résolution du contrat peut être demandée en justice en cas d'inexécution suffisamment grave du contrat ; qu'il appartient à la société EGB d'apporter la preuve des fautes d'inexécution contractuelle ; que les seules pièces sur lesquelles la société EGB entend fonder l'intégralité de ses prétentions sont les comptes rendus de visite réalisés à sa demande par un expert qui n'ont pas valeur d'expertise amiable ou judiciaire ; qu'il convient de rappeler que si l'expertise officieuse peut valoir à titre de preuve dès lors qu'elle a été soumise à la libre discussion de parties, bien que les opérations d'expertise n'aient pas été réalisées contradictoirement, elle ne doit pas fonder exclusivement la décision du juge ; qu'il importe peu qu'il ait été présent lors de la visite de l'expert, ou qu'il ait été mis en mesure de discuter les termes de ces comptes rendus ; que si la société EGB allègue que des investigations sur site et des essais ont été réalisés et ont fait l'objet d'un rapport d'expertise extra-judiciaire, il n'est pas possible de fonder une décision uniquement sur ces investigations ; que tous les éléments allégués par la société EGB n'ont été établis que dans le seul intérêt de la cause de la demanderesse ; que la société EGB ne démontre pas que les désordres lui sont imputables ; qu'en ce qui concerne le compte-rendu du chantier [R], il sera relevé divers éléments qui auraient nécessité que soit réalisée une expertise judiciaire, puisqu'il est indiqué que plusieurs intervenants se sont succédé sur la maçonnerie ; qu'on ne sait guère quelles malfaçons sont imputables à quels artisans ; que concernant le chantier [G], l'expert avait également proposé une alternative à la démolition de l'ouvrage, mais la société EGB a choisi de recourir à la solution la plus radicale ; qu'au surplus, il ne faut pas oublier que la société EGB avait, pour chacun des chantiers, un conducteur de chantier chargé de l'organisation et du bon déroulement de ces derniers ; que l'expert mandaté par le constructeur n'a pas répondu aux questions nécessaires faisant l'objet d'une mission classique d'expertise en matière de bâtiment, et il est ignoré le chiffrage des préjudices et des remèdes apportés qui sont naturellement calculés par l'expert dans une mesure d'instruction ordonnée par le juge ; que la cour ne pourra donc que confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société EGB de sa demande tendant au prononcé d'une résolution judiciaire des contrats de sous-traitance.

Réponse de la cour

En application des articles 1224 et 1227 du code civil, le juge peut prononcer la résolution judiciaire du contrat en cas d'inexécution suffisamment grave du débiteur défaillant. Il appartient dans ce cas, au demandeur de rapporter la preuve de ce manquement dans l'exécution du contrat.

En l'espèce, la société EGB produit aux débats un rapport de visite de chaque chantier, par M. [Y], qui a conclu à l'existence de malfaçons, établi à la demande du constructeur.

Il convient de rappeler que si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, et ce même si elle l'a été en présence des parties, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (Ch. mixte, 28 septembre 2012, n° 11-18.710 ; 2e Civ., 13 septembre 2018, n° 17-20.099 ; 3e Civ., 14 mai 2020, n° 19-16.278 et 19-16.279).

Les deux rapports relatifs à chacun des deux chantiers, produits par la société EGB, sont des rapports d'expertise non judiciaire, dès lors qu'ils n'ont pas été réalisés sur décision de justice et dans le cadre procédural afférent à l'expertise judiciaire. Il importe donc peu que l'auteur des rapports de visite produits aux débats dispose par ailleurs de la qualité d'expert judiciaire.

La juridiction ne peut donc se fonder exclusivement sur ces rapports d'expertise non judiciaire pour établir l'existence de manquements contractuels de M. [Z], de sorte qu'il y a lieu d'examiner si ces pièces sont corroborées par d'autres éléments versés aux débats.

En premier lieu, la société EGB se prévaut de courriers adressés par elle à M. [Z]. Outre le fait que ces courriers émanent du constructeur qui a intérêt à prouver la faute de son sous-traitant, ils ne constituent nullement une preuve technique des malfaçons alléguées, la société EGB s'étant fondée sur les investigations réalisées par M. [Y] pour établir ces courriers.

En second lieu, s'agissant du chantier pour le compte de M. et Mme [R], la volonté de ceux-ci de procéder à la résolution du contrat de construction n'établit nullement une preuve technique des malfaçons et de la responsabilité de M. [Z]. Ce n'est en effet qu'en raison des constatations réalisées par l'expert non judiciairement désigné, M. [Y], que M. et Mme [R] ont souhaité ne pas poursuivre l'exécution du contrat.

En troisième lieu, la société EGB considère que les rapports d'expertise de M. [Y] sont corroborés par les investigations techniques réalisées par la société Mageo. Il s'avère en effet que dans le cadre de ses investigations, M. [Y] a eu recours à ce tiers pour réaliser des essais sur site et des analyses en laboratoire.

Cependant, les rapports établis par la société Mageo ne sont pas produits aux débats. Seuls les rapports établis par M. [Y] relatent des éléments résultant des investigations de la société Mageo, de sorte que la cour ne dispose d'aucun autre élément que les rapports d'expertise non judiciaire établis par M. [Y] livrant sa propre interprétation et analyse des données fournies par Mageo. Il ne peut donc être considéré que les essais et analyses réalisées par Mageo corroborent les rapports d'expertise non judiciaire sur l'existence de désordres, leur nature et la responsabilité de M. [Z].

Enfin, la société EGB se prévaut des dispositions de l'article 1554 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n°2021-1322 du 11 octobre 2021, prévoyant que le rapport d'expertise a valeur de rapport d'expertise judiciaire, ce texte est relatif à la procédure participative fondée sur une convention signée des parties et assistées de leurs avocats. Or, les rapports d'expertise non judiciaires dont se prévaut la société EGB n'ont pas été réalisés dans le cadre de la procédure participative de sorte que les dispositions de l'article 1554 du code de procédure civile ne sont pas applicables.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société EGB ne rapporte pas la preuve de manquements graves de M. [Z] à ses obligations contractuelles, de sorte qu'elle doit être déboutée de sa demande tendant au prononcé judiciaire de la résolution des contrats de sous-traitance. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

III- Sur les demandes d'indemnisation de la société EGB

Au regard des motifs précédemment exposés, la société EGB ne rapporte pas la preuve d'un manquement contractuel imputable à M. [Z] qui lui aurait causé préjudice, de sorte qu'elle doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes indemnitaires. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

IV- Sur les frais de procédure

Le jugement sera confirmé en ses chefs statuant sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société EGB sera condamnée aux dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Y AJOUTANT :

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Entreprise générale du bâtiment aux dépens d'appel ;

AUTORISE les avocats de la cause à recouvrer directement et à leur profit, contre la partie condamnée aux dépens, ceux dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.