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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 1, 19 septembre 2024, n° 22/00953

DOUAI

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Cleodis (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poupet

Conseillers :

M. Vitse, Mme Miller

Avocats :

Me Debacker, Me Mas

TJ Valenciennes, du 6 janv. 2022, n° 20/…

6 janvier 2022

****

Suivant acte sous seing privé du 21 janvier 2016, la SCP d'avocats [X] [R]-[Z] [R]-Florence Mas-[E] [L]-[J] [Y] (la SCP d'avocats) a conclu avec la SAS Cleodis un contrat de location de matériels informatiques n° 1601058-S00617 pour une durée de trente-six mois à compter du premier jour du mois suivant la livraison de matériel, le tout moyennant un loyer mensuel de 998 euros hors taxe.

Le 17 février 2016, un 'procès-verbal de livraison avec cession du matériel et du contrat de location' a été établi entre la société Cleodis et la SCP d'avocats pour constater la délivrance d'un certain nombre d'équipements informatiques, de logiciels et l'exécution d'une prestation d''installation et paramétrage du site'.

Par acte sous seing-privé signé les 3 et 11 mars 2016 établi au verso de ce procès-verbal, la société Cleodis a cédé la propriété du matériel loué et les droits résultant du contrat de location conclu à la SA BNP Paribas Lease Group (la société BNP Paribas) avec prise d'effet au 1er mars 2016.

Arguant d'un défaut de paiement des loyers dus par la SCP d'avocats malgré plusieurs tentatives de recouvrement, la société Cleodis a fait assigner cette dernière par acte du 19 juin 2020 devant le tribunal judiciaire de Valenciennes aux fins, notamment, d'obtenir la résiliation du contrat de location litigieux et sa condamnation au paiement de l'arriéré de loyers.

Par jugement du 6 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Valenciennes a :

- déclaré irrecevables les demandes de la SAS Cleodis tendant à voir prononcer la résiliation du contrat de location et à voir condamner la SCP d'avocats à lui payer un arriéré de loyers et des indemnités au titre de l'article D. 441-5 du code de commerce ;

- débouté la SCP d'avocats de sa demande de dommages et intérêts ;

- condamné la société Cleodis, outre aux dépens, dont distraction au profit de Me Mas, à verser à la SCP d'avocats la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Cleodis a interjeté appel de ce jugement et, aux termes de ses dernières conclusions remises le 23 mai 2022, demande à la cour, au visa de l'ancien article 1134 et du nouvel article 1103 du code civil, et de l'article D. 441-5 du code de commerce, de réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et, par conséquent, de :

- juger qu'elle subroge la société BNP Paribas Lease Group dans l'ensemble des droits qu'elle détient contre l'intimée ;

- prononcer la résiliation du contrat de location litigieux ;

- condamner l'intimée à lui restituer le matériel loué sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- condamner cette dernière à lui verser les sommes suivantes :

- 14 371, 20 euros arrêtée ce jour, à parfaire jusqu'au prononcé de la décision ;

- 480 euros au titre de l'article D. 441-5 du code de commerce ;

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 20 juillet 2022, la SCP d'avocats demande à la cour de :

*A titre principal, au visa de l'article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l'article 122 du code de procédure civile, confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts,

*A titre subsidiaire, à défaut de confirmation du chef du jugement ayant déclaré irrecevables les demandes de la SAS Cleodis, au visa des articles 1131 et 1134 du code civil dans leur version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

- prononcer la nullité du contrat de location litigieux pour absence de cause et/ou défaut de pouvoirs du contractant ;

- prononcer la nullité subséquente de la cession du contrat de location régularisée les 3 et 11 mars 2016, avec prise d'effet au 1er mars 2016 ;

- condamner la SAS Cleodis à lui verser la somme de 38 144 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2016, date de prise d'effet de la cession ;

* A titre infiniment subsidiaire, fixer le terme du contrat litigieux au 29 février 2016, sans faculté de tacite reconduction ;

* En tout état de cause, au visa des articles 1134 et 1147 du code civil dans leur version antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts et, statuant à nouveau :

- condamner l'appelante à lui payer la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, et pour procédure vexatoire et abusive ;

- débouter celle-ci de l'ensemble de ses demandes ;

- la condamner, outre aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Mas, à lui verser la somme de 6 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour le détail de l'argumentation des parties, il sera référé à leurs écritures précitées, par application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 16 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de préciser que, compte tenu de la date de conclusion du contrat litigieux, les dispositions du code civil applicables sont celles antérieures à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Sur la fin de non-recevoir

La société Cleodis, qui sollicite l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle l'a déclarée irrecevable à agir pour défaut de qualité et d'intérêt, soutient qu'en vertu des termes du contrat de cession de matériel et de contrat de location conclu avec la société BNP Paribas, elle est subrogée dans les droits de celle-ci pour le recouvrement de sa créance de loyers impayés

La SCP d'avocats soutient, quant à elle, que la société appelante, à la suite de la cession opérée au bénéfice de la société BNP Paribas, est désormais dépourvue de toute qualité et de tout intérêt à agir.

Sur ce,

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

A cet égard, il résulte des articles 31 et 32 du même code que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ; qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

Selon les articles 1689 et 1690, alinéa 1er du code civil, dans le transport d'une créance, d'un droit ou d'une action sur un tiers, la délivrance s'opère entre le cédant et le cessionnaire par la remise du titre. Le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur.

Le transport de créance, également appelé cession de créance, est un mode conventionnel de transmission des créances par lequel un créancier, appelé cédant, transmet tout ou partie de la créance qu'il détient sur un débiteur, appelé cédé, à son cocontractant, le cessionnaire.

La créance, objet de la cession, sort donc du patrimoine du cédant, qui perd alors la qualité de créancier, pour entrer dans celui du cessionnaire devenu, à la suite de l'accomplissement des formalités prescrites par l'alinéa 1er de l'article 1690 précité, titulaire de celle-ci et, par conséquent, du droit d'en exiger le paiement par le débiteur.

Le débiteur cédé n'étant pas partie au contrat de cession, son consentement n'est pas requis.

La cession de créance est à distinguer de la cession de contrat, ou novation par substitution de créancier, régie par les articles 1271 et suivants du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016.

Selon l'article 1134 dudit code, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Cependant, en vertu des articles 1156 et 1161 du même code, on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes. Par ailleurs, toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier.

En l'espèce, il résulte des conditions particulières du contrat conclu entre la SAS Cleodis, désignée comme 'le loueur', et la SCP d'avocats, désignée comme étant 'le locataire', qu'il porte sur la location, pendant une durée de trente-six mois, de différents équipements informatiques et logiciels, ainsi que sur la fourniture d'une prestation d'installation et paramétrage sur site.

Aucun contrat de maintenance n'a été conclu entre les parties.

L'article 9, alinéa 2 des conditions générales du contrat de location stipule que : 'Le locataire reconnaît que le loueur l'a tenu informé de l'éventualité d'une cession, d'un nantissement ou d'une délégation des équipements ou des créances au profit du cessionnaire de son choix pour une durée n'excédant pas la période initiale de location. Le cessionnaire sera alors lié par les termes et conditions du contrat, ce que le locataire accepte dès à présent et sans réserve. En cas d'acceptation par le cessionnaire, celui-ci se substitue alors à Cleodis sachant que l'obligation du cessionnaire se limite à laisser au locataire la libre disposition des équipements, les autres obligations restant à la charge de Cleodis. Le locataire a l'obligation de payer au cessionnaire les loyers ainsi que la somme éventuellement due au titre du contrat, sans pouvoir opposer au cessionnaire une compensation ou exception qu'il pourrait faire valoir vis-à-vis de Cleodis'.

Le procès-verbal de livraison du 17 février 2016, signé du loueur et du locataire au-dessus de la mention dactylographiée 'pour acceptation des conditions de cession au verso', comporte à son verso un acte intitulé 'Cession du matériel et du contrat de location n° 1601058-S00617", mentionnant que le nombre de loyers cédés est de 36 et que la cession prend effet le 1er mars 2016.

Aux termes de cet acte de cession, le loueur déclare 'transférer au cessionnaire [en l'occurrence, la société BNP Paribas lease group mentionnée en haut du contrat], qui l'accepte, la propriété du matériel et céder les droits résultant du contrat conclu avec le locataire, avec toutes les garanties de fait et de droit. A la date de la cession, le loueur subroge le cessionnaire dans tous les droits et actions qu'il détient contre le locataire en vertu dudit contrat. Conformément aux conditions générales du contrat de location, le locataire ayant pris connaissance de la cession y consent, sans restriction ni réserve. Le locataire reconnaît donc comme bailleur le cessionnaire et s'engage notamment à lui verser directement ou à son ordre la totalité des loyers en principal, intérêts et accessoires prévus aux conditions particulières'.

Bien que l'intitulé de ce document mentionne la cession du matériel et du contrat de location, il résulte de ses autres dispositions que la cession ne porte que sur 36 loyers, à savoir la durée initiale du contrat de location telle que mentionnée dans les conditions particulières et générales de celui-ci, cette période initiale démarrant au 1er mars 2016 pour se terminer au 28 février 2019.

Ainsi, si les conditions générales du contrat de location prévoient en leur article 14 la possibilité d'une reconduction tacite du contrat pour une durée d'un an à défaut pour l'une des parties d'avoir notifié à l'autre, par lettre recommandée avec accusé de réception envoyée avec un préavis de six mois, son intention de ne pas reconduire le contrat, l'acte de cession ne porte que sur la période initiale de location.

D'ailleurs, il résulte du dernier alinéa de l'article 9 des conditions générales du contrat de location déjà mentionné que 'la cession des équipements et des créances de loyer ne porte pas novation du contrat et Cleodis se substituera au cessionnaire au terme de la période initiale de location. Tout autre accord contractuel intervenu entre Cleodis et le locataire n'est pas opposable au cessionnaire.'

La cession intervenue entre la société Cleodis et la société BNP Paribas s'analyse donc en une cession de créance portant sur les 36 loyers de la période initiale de location et non comme une cession de contrat, nonobstant le titre trompeur du document.

Or, le litige entre la société Cleodis, loueur, et la SCP d'avocats, locataire, est survenu à l'expiration de la période initiale de location, dès lors que le locataire a refusé de payer les loyers postérieurs et a souhaité restituer le matériel, ne s'estimant pas tenu par une éventuelle reconduction tacite qui serait intervenue à compter du 1er mars 2019.

Il résulte de ce qui précède que si le contrat de cession intervenu entre la société Cleodis, cédantes, et la société BNP Paribas, cessionnaire, emportait subrogation de la seconde dans les droits de la première, c'est uniquement pour le recouvrement des loyers objet de la cession, à savoir pour les loyers antérieurs au 29 février 2019.

Les loyers postérieurs n'ayant pas fait l'objet d'une cession de créance, la société Cleodis, loueur, a bien qualité et intérêt à agir pour leur recouvrement et pour solliciter la résiliation du contrat de location.

La décision entreprise sera en conséquence infirmée en ce qu'elle a déclaré la société Cleodis irrecevable à agir, celle-ci étant en conséquence déclarée recevable en son action.

Sur le fond

Sur la demande de nullité du contrat

La SCP d'avocats sollicite que soit prononcée la nullité du contrat de location n°1601058-S00617 régularisé le 21 janvier 2016 pour absence de cause (a) et / ou défaut de pouvoirs du contractant (b).

a) Sur le défaut de cause

La SCP d'avocats soutient que la cession du matériel et du contrat intervenue a privé la société Cleodis de sa qualité de propriétaire, que celle-ci s'est dès lors trouvée dans l'impossibilité juridique d'assurer la mise à disposition du matériel et que, par voie de conséquence, son obligation au paiement des loyers a été totalement privée de cause puisque contractée sans aucune contrepartie. Elle ajoute que quand bien même Cleodis justifierait de l'exécution d'autres obligations, ce qui n'est pas le cas, c'est la mise à disposition du matériel et des logiciels qui se trouve être l'obligation essentielle du contrat de location.

La société Cleodis soutient que l'articulation des contrats de location et de cession a eu pour effet de transférer dans un premier temps au cessionnaire, la société BNP Paribas, la propriété du matériel loué, et de subroger le cédant, à savoir elle-même, dans les droits et actions du cessionnaire, lequel n'a toujours eu que la simple qualité de financeur de l'opération et n'a jamais eu vocation à prodiguer conseils et assistance technique, contrairement à la société Cleodis.

Sur ce

Aux termes de l'article 1108 du code civil, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de  l'ordonnance du 10 février 2016, quatre conditions sont essentiellespour la validité d'une convention :

- Le consentement de la partie qui s'oblige ;

- Sa capacité de contracter ;

- Un objet certain qui forme la matière de l'engagement ;

- Une cause licite dans l'obligation.

L'article 1131 du même code dispose que l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet.

En l'espèce, l'obligation de la SCP d'avocats de payer des loyers à la société Cleodis, stipulée dans le contrat de location conclu entre les parties, a pour cause l'obligation de la société Cleodis de mettre à sa disposition divers équipements informatiques et logiciels ainsi que d'exécuter une prestation d'installation et de paramétrage sur site, cette dernière obligation étant à exécution instantanée et ne correspondant pas à un contrat de maintenance.

Aux termes du procès-verbal de livraison signé des deux parties le 17 février 2016, il est acquis que les équipements et logiciels visés par le contrat ont été livrés et la prestation d'installation et de paramétrage sur site réalisée.

En vertu de ce procès-verbal et des termes du contrat de location, le locataire a par ailleurs accepté par anticipation les termes du contrat de cession à intervenir, figurant au verso du procès-verbal de livraison.

Suivant contrat signé les 3 et 11 mars 2016, intitulé 'cession du matériel et du contrat de location', portant sur la cession de 36 loyers et prenant effet à compter du 1er mars 2016, la société Cleodis a déclaré 'transférer au cessionnaire, qui l'accepte, la propriété du matériel et céder les droits résultant du contrat de location conclu avec le locataire, avec toutes les garanties de fait et de droit', ajoutant qu''à la date de la cession, le loueur subroge le cessionnaire dans tous les droits et actions qu'elle détient contre le locataire en vertu dudit contrat'.

Le contrat de cession stipule par ailleurs que 'conformément aux conditions générales du contrat de location, le locataire ayant pris connaissance de la cession y consent, sans restriction ni réserve. Le locataire reconnaît donc comme bailleur le cessionnaire et s'engage notamment à lui verser directement ou à son ordre la totalité des loyers en principal, intérêts et accessoires prévus aux conditions particulières.'

L'obligation de la SCP d'avocats de payer des loyers pour la mise à sa disposition des équipements informatiques et logiciels n'a donc pas été privée de cause par la cession du matériel et de la créance de loyers intervenue, la société BNP Paribas, devenue propriétaire des équipements et logiciels par l'effet de la cession, étant tenue de les mettre à disposition de la locataire en contrepartie du paiement des loyers par celle-ci pendant la durée initiale du contrat de location, à savoir 36 mois.

b) Sur le défaut de qualité du signataire

La SCP d'avocats soutient que le contrat de location est nul pour avoir été signé par Me [J] [Y] en sa qualité d'associée de la SCP alors qu'elle n'était pas gérante de celle-ci et n'avait pas le pouvoir de l'engager. Elle soutient que la théorie de la gestion d'affaires ne saurait être valablement appliquée dès lors que le tampon de la SCP apposé sur le contrat ne mentionne par le nom de Me [Y], que les précédents contrats signés entre les parties avaient été tous signés par des personnes dont le nom figurait expressément sur le tampon, ce qui aurait dû inciter la société Cleodis à davantage de prudence et à vérifier les pouvoirs de Me [Y], ce d'autant qu'elle est un contractant professionnel.

La société Cleodis ne répond pas sur ce point.

Vu l'article 1108 précité,

Aux termes de l'article 1998 du code civil, le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné. Il n'est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu'autant qu'il l'a ratifié expressément ou tacitement.

Si, en application de l'article 1998 précité, le mandant n'est, en principe, pas obligé envers les tiers pour ce que le mandataire a fait au-delà du pouvoir qui lui a été donné, il en est autrement lorsqu'il résulte des circonstances que le tiers a pu légitimement croire qu'il agissait en vertu de ce mandat et dans les limites de celui-ci (1 Civ., 30 mars 1965, Bull. n 232).

L'assemblée plénière de la Cour de cassation a affirmé le principe selon lequel "Le mandant peut être engagé sur le fondement d'un mandat apparent, même en l'absence d'une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l'étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs" (Cass., Ass. Plen., 13 décembre 1962, Bull. n 2).

Les circonstances de fait qui ont conduit le tiers à se tromper sont appréciées par les juges du fond, mais la Cour de cassation contrôle la légitimité de la croyance au pouvoir du prétendu mandataire qui repose sur des circonstances objectives résultant notamment de la normalité de l'acte par rapport à l'activité du supposé mandataire, des circonstances dans lesquelles il a été conclu ou encore des qualités respectives des parties (Cass., Com., 6 juin 1989, n 86-11.968, Bull n 179 ; Com., 7 janvier 1992, n° 89-21.605, Bull n 6 ; 1 Civ., 26 novembre 2014, n 13-20.533).

En l'espèce, il résulte des pièces versées au débat que la SCP [X] [R] - [Z] [R] - Florence Mas - [E] Collinet [R] - [J] [Y] a successivement signé avec la société

Cleodis un total de sept contrats de location de matériel et de logiciel informatique :

- un contrat n° 0906036-S00617 conclu le 20 juillet 2009, pour une durée de 39 mois ;

- un avenant n° 1104028 signé le 12 mai 2011 ;

- un contrat n°1111039-S00617 conclu le 9 décembre 2011, pour une durée de 39 mois ;

- un contrat n° 1206019-S00617 conclu le 27 juin 2012, pour une durée de 39 mois ;

- un contrat n° 1301030-S00617 conclu le 6 avril 2013, pour une durée de 36 mois et un avenant à ce contrat le 21 octobre 2013 ;

- un contrat n°1301030-S00617 conclu le 6 avril 2013, pour une durée de 36 mois et un avenant à ce contrat le 21 octobre 2013 ;

- un contrat n° 1403003-S00617 conclu le 20 mars 2014, pour une durée de 39 mois ;

- et enfin, un dernier contrat n°1601058-S00617, objet du litige, conclu le 21 janvier 2016, pour une durée de 36 mois.

Si les précédents contrats ont été signés par Maîtres [G] [B], [Z] [R] ou [E] [L], dont les noms figurent effectivement sur le tampon de la SCP apposé sur les contrats, ce qui n'est pas le cas pour Maître [J] [Y], il s'avère néanmoins que celle-ci a signé le contrat litigieux en mentionnant sa qualité d'avocat associé et que, compte tenu de la relation d'affaires ancienne et de confiance entre les parties et de la profession juridique de son interlocuteur, la société Cleodis a pu croire, légitimement, que celle-ci avait le pouvoir de signer le contrat au nom de la SCP.

Par ailleurs, en acceptant la livraison des équipements et logiciels objets du contrat de location, leur installation et paramétrage sur site, puis en payant les loyers dus en contrepartie de leur mise à disposition pendant la durée initiale du contrat, la SCP d'avocats a ratifié tacitement le contrat.

Il convient en conséquence de la débouter de sa demande tendant à la nullité du contrat.

Sur la validité de la reconduction tacite du contrat

La SCP d'avocats soutient que le contrat de location litigieux n'a pu valablement être reconduit par voie tacite dès lors, d'une part, que le contrat de cession de celui-ci ne mentionnait qu'une durée de trente-six mois, sans mentionner de tacite reconduction et que les dispositions de l'article 9 relatif à la cession doivent prévaloir sur celles de l'article 14 mentionnant la restitution des équipements et la possibilité d'une tacite reconduction et, d'autre part, que les conditions particulières et générales du contrat se contredisant sur la durée du contrat, il convient de faire prévaloir les conditions particulières qui mentionnent une durée de trente-six mois sans indication de tacite reconduction, sur les conditions générales qui ne mentionnent la tacite reconduction que dans leur article 14 relatif à la restitution des équipements, en contradiction avec leur article 5 relatif à la date d'effet et de durée de location qui précise que la durée de location est fixée par les conditions particulières.

La société Cleodis revendique la tacite reconduction du contrat dès lors que la locataire ne lui a pas fait savoir, dans les conditions prévues à l'article 14 des conditions générales du contrat de location, son intention de ne pas reconduire celui-ci.

Sur ce

Aux termes de l'article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Les articles 1156 et 1161 du même code disposent qu'on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes ; que toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier.

En l'espèce, il résulte de l'article 2 des conditions particulières du contrat de location conclu entre les parties que 'la durée de la location est fixée à 36 mois'. Il n'est fait aucune mention de la possibilité d'une reconduction tacite du contrat.

Par ailleurs, l'article 5 des conditions générales du contrat - dont il convient de relever au demeurant qu'elles ne sont pas paraphées par les parties et qu'il n'y est pas fait référence dans les conditions particulières signées de celles-ci - intitulé 'date d'effet et durée de location', stipule :

'§1. La période initiale de location prévue aux conditions particulières prend effet au plus tard le premier jour du mois ou du trimestre civils suivant celui au cours duquel s'effectue la livraison de la totalité des équipements dans les locaux désignés par le locataire constatée par le procès-verbal de livraison.

§2. La durée de la location est fixée par les conditions particulières en nombre entier de mois ou de trimestres, ceci sans préjudice de l'application de l'article 6.

Elle ne peut en aucun cas être réduite par la seule volonté du locataire.'

Même si le terme 'période initiale de location' figurant au §1 peut interpeller, il n'est fait mention à aucun moment, dans cet article pourtant dédié à la durée du contrat, de la possibilité d'une tacite reconduction de celui-ci et la mention que 'la durée de la location est fixée par les conditions particulières' est sans ambiguïté, étant précisé en outre que la référence à l'article 6 ne renvoie pas à la possibilité d'une reconduction tacite.

Ce n'est qu'à l'article 14-1 des conditions générales du contrat, intitulé 'restitution des équipements' qu'il est mentionné que :

'Au-delà de la durée initiale prévue aux conditions particulières, sauf pour l'une des parties à notifier à l'autre par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un préavis de six mois, son intention de ne pas reconduire le contrat, ce dernier est prolongé par tacite reconduction par périodes d'un an minimum aux mêmes conditions et sur la base du dernier loyer, sous réserve qu'il ait respecté l'intégralité de ses obligations contractuelles.'

Cet article, dont l'intitulé trompeur ne permet pas de comprendre qu'il comporte une clause relative à la reconduction tacite du contrat, alors même qu'il est situé sur une page différente de l'article 5 précité qui n'y renvoie pas, est en contradiction manifeste avec les articles 2 des conditions particulières et 5 des conditions générales, pourtant spécifiquement consacrés à la durée du contrat.

Compte tenu de cette contradiction, il convient d'interpréter le contrat en ce que seuls les articles 2 et 5 précités, relatifs à la durée du contrat, sont applicables, sans possibilité de tacite reconduction et que, dès lors, le contrat a pris fin à son terme le 28 février 2019.

Par conséquent, il convient de débouter la société Cleodis de ses demandes tendant à la résiliation du contrat conclu entre les parties et à la condamnation de la SCP d'avocats à lui payer la somme de 14 371,20 euros correspondant à des loyers postérieurs à la résiliation du bail.

Enfin, dès lors que la SCP d'avocats a mis en demeure la Sarl Cleodis à deux reprises, par courrier du 31 mai 2019 dont son mandataire, la société Cap recouvrement a accusé réception par courrier en réponse non daté, puis par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 juillet 2019 adressé à Cap recouvrement, d'avoir à lui communiquer le lieu de restitution du matériel, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de condamnation de la SCP d'avocats à restituer le matériel sous astreinte, l'obligation de restitution qui découle du terme du contrat pouvant être exécutée volontairement.

Sur l'application de l'article D.441-5 du code de commerce

La société Cleodis étant déboutée de sa demande principale en résiliation de contrat et en paiement, il convient de la débouter de sa demande d'indemnité forfaitaire de recouvrement sur le fondement de l'article D.441-5 du code de commerce.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts de la SCP [R]

La SCP [R] sollicite le versement de dommages et intérêts pour l'indemnisation de son préjudice moral découlant de l'abus subi tant dans le cadre de sa relation contractuelle avec la société Cleodis que dans le cadre de la procédure judiciaire.

Celle-ci ne citant aucun texte au soutien de sa demande, la cour est tenue de qualifier juridiquement la demande en application de l'article 12 du code de procédure civile.

* S'agissant du premier chef de préjudice évoqué, celui-ci découle manifestement de l'application conjointe des articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à la réforme du droit des contrats.

Cependant, l'abus subi dans le cadre de la relation contractuelle litigieuse n'est pas caractérisé alors que la SCP d'avocats possédait les compétences nécessaires pour procéder à un examen critique du contrat dont une lecture normalement attentive lui aurait immédiatement révélé les contradictions qu'elle dénonce.

* S'agissant du deuxième chef de préjudice invoqué, il découle de l'application des articles 1240 du code civil et 32-1 du code de procédure civile dont il résulte qu'une partie ne peut engager sa responsabilité pour avoir exercé une action en justice ou s'être défendue que si l'exercice de son droit a dégénéré en abus.

L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'étant pas, en soi, constitutive d'une faute, l'abus ne peut se déduire du seul rejet des prétentions par le tribunal.

En l'espèce, la SCP d'avocats ne démontre pas qu'en interjetant appel d'une décision lui faisant grief, la société Cleodis ait abusé de son droit d'ester en justice.

Il y a lieu, par conséquent, de confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a débouté la SCP [R] de sa demande de dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice moral.

Sur les autres demandes

Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et frais irrépétibles.

La société Cleodis, qui succombe en son appel, sera tenue au entiers dépens de celui-ci, ainsi qu'à payer à la SCP d'avocats la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera enfin déboutée de sa demande formulée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la SAS Cleodis tendant à obtenir la résiliation du contrat de location conclu avec la SCP [X] [R] - [Z] [R] - Florence Mas - [E] [L] - [J] [Y] et à condamner cette dernière à lui payer un arriéré de loyers et des indemnités au titre de de l'article D. 441-5 du code de commerce,

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur la disposition infirmée,

Déclare recevable la SAS Cleodis en ses demandes formées à l'encontre de la SCP [X] [R] - [Z] [R] - Florence Mas - [E] [L] - [J] [Y] ;

Y ajoutant,

Constate que le contrat de location conclu le 21 janvier 2016 entre la SAS Cleodis et la SCP [X] [R] - [Z] [R] - Florence Mas - [E] [L] - [J] [Y] a pris fin le 28 février 2019 sans tacite reconduction ;

Déboute en conséquence la SAS Cleodis de sa demande tendant à obtenir la résiliation dudit contrat ;

Déboute la SAS Cleodis de sa demande en paiement de loyers pour la période postérieure au 28 février 2019 ;

Déboute la SAS Cleodis de sa demande sur le fondement de l'article D.441-5 du code de commerce ;

Déboute la SCP [X] [R] - [Z] [R] - Florence Mas - [E] [L] - [J] [Y] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts ;

Condamne la SAS Cleodis aux dépens ;

La condamne à verser à la SCP [X] [R]-[Z] [R]-Florence Mas-[E] [L]-[J] [Y] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

La déboute de sa propre demande formée au même titre.