CA Nîmes, 1re ch., 19 septembre 2024, n° 23/01832
NÎMES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
MC Immobilier (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Defarge
Conseillers :
Mme Duprat, Mme Gentilini
Avocats :
Me Tournier Barnier, Me Escalier, Me Sergent
EXPOSÉ DES FAITS DE LA PROCÉDURE ET DES MOYENS DES PARTIES
Par acte sous seing privé du 6 décembre 2017, M. [V] [F] a donné à la société Joos Immobilier exerçant sous l'enseigne Guy Hoquet à [Localité 4] (30) un mandat de vente sans exclusivité portant sur une maison individuelle sur terrain de 1 998 m² sise [Adresse 5] (30) au prix initial de 625 000 euros moyennant une commission de 25 000 euros.
Par avenant signé le 28 avril 2018 entre les mêmes parties, le prix a été porté à 595 000 euros et la rémunération du mandataire à 15 000 euros.
Soutenant que le vendeur avait à son insu vendu le bien à des acquéreurs auxquels elle l'avait fait visiter, la société Joos Immobilier, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société MC Immobilier a par actes des 16 et 31 août 2019 assigné ceux-ci et M. [V] [F], puis, celui-ci étant décédé en cours d'instance, ses héritiers
MM. [H] et [X] [F] devant le tribunal de grande instance de Nîmes qui par jugement du 11 avril 2023 :
- a condamné ceux-ci à lui payer la somme de 7 500 euros au titre de la clause pénale stipulée au mandat de vente non exclusif du 6 décembre 2017,
- a débouté M.et Mme [U] de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts,
- a condamné MM. [H] et [X] [F] aux entiers dépens et à payer à la société Joos Immobilier la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- a rejeté les autres demandes formulées à ce titre
- a débouté les parties du surplus de leurs demandes.
MM. [H] et [X] [F] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 31 mai 2023 en intimant uniquement la société Joos Immobilier aux droits de laquelle vient la société MC Immobilier et au terme de leurs conclusions n°3 régulièrement notifiées le 17 mai 2024 ils demandent à la cour :
Vu les articles 1993 et 1235-1 du code civil,
- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement critiqué,
Et statuant à nouveau
- de débouter la société MC Immobilier de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Subsidiairement
- de réduire le montant de la clause pénale à la somme de 2 000 euros,
- de condamner la société MC Immobilier à payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens distraits au profit de Me Tournier-Barnier sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
Au terme de ses conclusions récapitulatives d'intimée régulièrement notifiées le 5 juin 2024 la société MC Immobilier demande à la cour :
Vu les articles 1103 et 1231-1 du code civil dans sa version postérieurs au 1er octobre 2021
Vu la loi n°70-9, 2 janv. 1970, art. 6, I al.4,
Vu le décret n°72-678 du 20 juillet 1972,
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement de première instance,
- de débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions
- de les condamner à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de les condamner aux entiers dépens.
En application des articles 455 et 954 du code de procédure civile il est expressément référé aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIVATION
Aux termes de l'article 1103 du code civil les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Aux termes des articles 1984, 1989, 1991 al 1, 1992 al 1, 1993 et 1998 du code civil :
Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.
Le contrat ne se forme que par l'acceptation du mandataire.
Le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat : le pouvoir de transiger ne renferme pas celui de compromettre.
Le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
Le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion.
Tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu'il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu'il aurait reçu n'eût point été dû au mandant.
Le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné.
Il n'est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu'autant qu'il l'a ratifié expressément ou tacitement.
Aux termes de l'article 1231-1 du même code le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Pour dire y avoir lieu de faire application de la clause pénale stipulée au mandat de vente, le tribunal a jugé établi que l'agence, dans le cadre de son mandat de vente non exclusif, avait préalablement présenté la propriété de M. [F] aux époux [U] avec lesquels celui-ci a fautivement conclu l'opération de vente directement.
Par mandat de vente initial du 6 décembre 2017, dont l'avenant du 28 avril 2018 stipule que ses dispositions à cet égard restent inchangées, M. [V] [F] a chargé la société Joos Immobilier exerçant sous l'enseigne Guy Hoquet de vendre le bien sis [Adresse 5] au prix de 595 000 euros ramené à 575 000 euros.
En bas de page 1 du mandat initial il est mentionné que 'de convention expresse et à titre de condition essentielle sans laquelle le mandataire n'aurait pas accepté la présente mission, le mandant s'interdit pendant la durée du mandat et pendant une période de (durée non précisée) mois suivant son expiration, de traiter directement ou indirectement avec un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui'.
La durée du mandat résulte d'une condition générale au verso : 'le présent mandat est consenti et accepté sans exclusivité pour une période irrévocable de trois mois à compter de ce jour. Sauf dénonciation, à l'expiration de cette période initiale, il sera prorogé pour une durée maximale de 12 mois supplémentaires au terme de laquelle il prendra automatiquement fin'.
En l'absence de dénonciation alléguée par l'une ou l'autre des parties, ce mandat expirant initialement le 6 mars 2018 a été automatiquement prorogé jusqu'au 6 mars 2019.
Il prévoyait au titre des obligations du mandant :
- de répondre le cas échéant à toute demande de tiers relative à l'étendue du pouvoir du mandataire tel que prévu à l'article 1158 du code civil,
- d'assurer au mandataire les moyens de visite pendant le cours du présent mandat,(...)
Et
'5. CLAUSE PENALE : De convention expresse et à titre de condition essentielle sans laquelle le mandataire n'aurait pas accepté la présente mission, le mandant :
a ' s'engage à signer aux prix, charges et conditions convenues toute promesse de vente ou tout compromis de vente, éventuellement assorti d'une demande de prêt immobilier, avec tout acquéreur présenté par le mandataire.
b ' garde toute liberté de procéder lui-même à la recherche d'un acquéreur.
Toutefois, pendant la durée du mandat, en cas de vente réalisée par lui-même ou par un autre cabinet, il s'engage à en informer immédiatement le mandataire en lui notifiant par lettre recommandée avec accusé de réception, les noms et adresses de l'acquéreur du notaire chargé de l'acte authentique et du cabinet éventuellement intervenu. Cette notification mettra fin au mandat. Elle évitera au mandataire d'engager la vente avec un autre acquéreur et épargnera au mandant les poursuites pouvant être éventuellement exercées par cet acquéreur.
C - s'interdit, pendant la durée du mandat et pendant la période suivant son expiration indiquée au recto, de traiter directement ou indirectement avec un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui.
En cas de non-respect des obligations énoncées ci-avant aux paragraphes a, b, ou c, il s'engage expressément à verser au mandataire en vertu de l'article 1231-5 du code civil, une indemnité compensatrice forfaitaire égale au montant de la rémunération prévue au recto.'
Contrairement à ce qu'elle prétend, il incombe ici à la société MC Immobilier de rapporter la preuve que son mandant M. [V] [F] a violé ses obligations résultant de ce mandat en vendant son bien à M.et Mme [U].
Elle produit à cet effet un bon de visite n°272 intitulé 'reconnaissance d'indications et de visites' daté du 19 mai 2018 par lequel M.et Mme [U] agissant en qualité d'acquéreurs éventuels :
- ont reconnu avoir demandé et reçu à l'instant les noms adresses et conditions de vente de l'affaire 230 : [Adresse 5] [Localité 12] Prix 595 000 euros ,
- se sont engagés à ne communiquer à personne ces renseignements donnés à titre personnel et confidentiel, à informer de leur visite de ce jour toute personne qui pourrait à l'avenir leur présenter le même bien, à s'interdire toute entente avec le vendeur ayant pour conséquence d'évincer (l'agence Guy Hoquet) lors de la vente de cette affaire.
Elle produit aussi des copies de SMS et courriels échangés avec Mme [U] entre le 19 mai 2018 et le 1er juin 2018, le premier ainsi libellé 'je reviens vers vous suite à notre visite', ainsi qu'un courriel adressé le 3 juillet par Mme [Z] [B], assistante commerciale de l'agence, à [Courriel 8] par laquelle elle lui adresse l'offre d'achat concernant la villa à [Localité 9] et [Localité 12] au prix de 570 000 euros et précise 'nous vous informons que votre offre à 570 000 euros est acceptée oralement'.
Elle produit enfin la copie du courrier du 25 juillet 2018 par lequel M.[V] [F] lui indique que son bien a fait l'objet d'un compromis de vente avec M.et Mme [U], que la vente s'est réalisée par l'intermédiaire de l'agence 'Couleurs du Sud' qui lui a présenté ces acquéreurs, et qu'il met fin au mandat.
Le mandat reproduit ci-dessus interdit au mandant, pendant la durée du mandat et pendant sa période de prorogation éventuelle, de traiter directement ou indirectement avec un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui.
Toutefois, il incombe dans ce cas au mandataire qui se prétend évincé de rapporter la preuve
- soit que les acquéreurs lui avaient été présentés,
- soit que le mandant avait eu connaissance du bon de visite.
La seule mention 'nous vous informons que votre offre à 570 000 euros est acceptée oralement' figurant au courriel adressé par l'agence aux acquéreurs potentiels ne constitue pas la preuve que M.et Mme [U] avaient été présentés à M. [F].
Par ailleurs l'agence ne rapporte pas la preuve que le bon de visite du 19 mai 2018 a été porté à sa connaissance par la seule production d'un courriel adressé par M. [G] Joos, son directeur, à M. [V] [F] ainsi libellé ' Etant absent de votre maison vous m'aviez confié les clefs et nous avons toujours pris le soin(s) d'avoir des justificatifs de nos visites et de vous en faire des comptes-rendus. Vous étiez parfaitement informé qu'un 'colonel' était acquéreur de votre villa, qu'il avait visité trois fois votre maison et après avoir fait une proposition verbale n'a plus donné signe de vie pour essayer de nous spolier !'.
Et les ayants-droits de [V] [F] indiquent que celui-ci 'n'a en réalité été informé de la visite des époux [U] que le 27 juillet 2018 soit postérieurement à la signature de la promesse de vente du bien à ceux-ci.', ce que corrobore le courriel du 24 juillet 2018 adressé par M. Joos à M. [F] ainsi libellé 'auriez vous l'amabilité de m'indiquer le nom de votre acquéreur et le prix afin de classer votre dossier. En effet, étant souvent absent de votre domicilie vous ne connaissez pas certain client (sic) qui ont visité votre maison et ainsi vous (pouvez vous) trouver dans une situation ambiguë. Notre volonté étant de vouloir éviter un quelconque quiproquo', auquel M. [F] a répondu par son courrier du 25 juillet précité.
Le jugement doit en conséquence être infirmé et la société MC Immobilier venant aux droits de la société Joos Immobilier, exerçant à l'enseigne Guy Hoquet, être déboutée de toutes ses demandes dirigées à l'encontre de MM. [H] et [X] [F] en leur qualité d'ayants-droits de [V] [F], décédé en cours d'instance.
Succombant, elle devra supporter les dépens de l'entière instance et verser à MM. [H] et [X] [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l' article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Nîmes du 11 avril 2023 (n°RG 18/04164) en toutes ses dispositions soumises à la cour
Statuant à nouveau de ces seuls chefs
Déboute la société MC Immobilier venant aux droits de la société Joos Immobilier, exerçant à l'enseigne Guy Hoquet de toutes ses demandes à l'encontre de MM. [H] et [X] [F], en leur qualité d'ayants-droits de [V] [F], décédé en cours d'instance
Y ajoutant
Condamne la société MC Immobilier venant aux droits de la société Joos Immobilier, exerçant à l'enseigne Guy Hoquet aux dépens de l'entière instance.
La condamne à verser à MM. [H] et [X] [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.