CA Bordeaux, 4e ch. civ., 10 avril 2024, n° 23/03380
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Ekip' (Selarl) (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Goumilloux, Mme Masson
Avocats :
Me Bressolles, Me Dirou, Me Taste-Denise, Me Mehiri, Me Trassard
EXPOSE DU LITIGE :
Le 21 septembre 2020, Monsieur [S] [N] a confié à la société par actions simplifiée [X] 33, présidée par Monsieur [G] [H], le mandat de vendre son automobile MG Midget Sport immatriculée [Immatriculation 7] au prix de 9.000 euros TTC.
Le 31 août 2021, la société [X] 33 a réservé ce véhicule à Monsieur [V] [M] au prix principal de 7.800 euros, outre divers frais.
Le 9 mars 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire simplifiée de la société [X] 33 et a désigné la société Ekip' en qualité de liquidateur.
Monsieur [M] et Monsieur [N] ont présenté respectivement le 21 avril 2022 et le 13 juin 2022 une demande en revendication du véhicule à la société Ekip' et ont été convoqués à l'audience du juge commissaire de la liquidation judiciaire de la société [X] 33.
Par ordonnance du 15 septembre 2022, le juge commissaire a statué ainsi qu'il suit :
- déboutons Monsieur [V] [M] de toutes ses demandes ;
- ordonnons à la société Ekip' es qualités d'avoir à restituer le véhicule MG Midget Sport immatriculé [Immatriculation 7] et sa carte grise à Monsieur [S] [N].
Le 26 septembre 2022, Monsieur [V] [M] a formé un recours contre l'ordonnance du juge commissaire.
Par jugement réputé contradictoire prononcé le 15 mai 2023, le tribunal de commerce a statué ainsi qu'il suit :
- constate la non-comparution de la société Ekip' en sa qualité de liquidateur de la société [X] 33 ;
- dit le recours contre l'ordonnance recevable en la forme ;
Au fond,
- déboute Monsieur [V] [M] de l'ensemble de ses demandes ;
- confirme l'ordonnance rendue le 15 septembre 2022 par le juge commissaire ;
- dit que le véhicule MG Midget Sport, immatriculé [Immatriculation 7], est la propriété de Monsieur [S] [N] ;
- condamne Monsieur [V] [M] à régler à Monsieur [S] [N] la somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne Monsieur [V] [M] aux dépens de la présente instance.
Monsieur [V] [M] a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 12 juillet 2023 en intimant Monsieur [G] [H], la société Ekip' es qualités et Monsieur [S] [N].
***
Par dernières conclusions notifiées le 22 décembre 2023 par voie électronique et signifiées le 9 janvier 2024 à Monsieur [G] [H], Monsieur [V] [M] demande à la cour de :
- infirmer le jugement dont appel ;
- juger que Monsieur [V] [M] est propriétaire du véhicule MG immatriculé [Immatriculation 7] ;
- condamner la société Ekip' à restituer sans délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard dans le délai d'un mois de la décision à venir, le véhicule objet du litige ;
- condamner solidairement la société Ekip' et Monsieur [N] à payer à Monsieur [V] [M] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Par dernières écritures notifiées le 13 décembre 2023, Monsieur [S] [N] demande à la cour de :
Vu les articles 1134 et 1191 du code civil,
Vu les articles L. 624-9 et suivants du code de commerce,
- confirmer le jugement rendu le 15 mai 2023 ;
En conséquence,
- débouter Monsieur [V] [M] de l'ensemble de ses demandes ;
- déclarer Monsieur [S] [N] recevable et bien fondé en ses demandes ;
- déclarer que le véhicule MG Midget Sport, immatriculé [Immatriculation 7] est la propriété de Monsieur [S] [N] ;
- condamner Monsieur [V] [M] à régler à Monsieur [S] [N] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de la présente instance.
Par dernières conclusions notifiées le 29 janvier 2024, la société Ekip', en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [X], demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondée la société Ekip' ès qualités en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- constater que la société Ekip' ès qualités s'en remet à l'appréciation de la cour quant à l'identification du propriétaire du véhicule ;
- débouter Monsieur [M] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Ekip' ès qualités ;
- condamner Monsieur [M] ou toute autre partie succombante à verser à la société Ekip' ès qualités la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
***
Monsieur [G] [H] n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 février 2024.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1. Les articles 1582 et 1583 du code civil disposent :
« La vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose et l'autre à la payer.
Elle peut être faite par acte authentique ou sous seing privé.
Elle est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.»
L'article 1998 du code civil énonce :
« Le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné.
Il n'est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu'autant qu'il l'a ratifié expressément ou tacitement.»
2. Au visa de ces textes, M. [M] fait grief au jugement déféré d'avoir rejeté sa demande en revendication du véhicule MG immatriculé [Immatriculation 7] et fait valoir que le mandat de vendre le véhicule a fait l'objet d'une prorogation tacite de la part de M. [N] et que la vente de ce véhicule était parfaite ; il ajoute qu'il ne peut lui être opposé une quelconque irrégularité du mandat de vendre donné à la société [X] 33 puisqu'il était fondé à se fier à l'apparence du mandat dont semblait bénéficier la société [X] 33.
3. M. [N] répond que, par application du premier alinéa de l'article 1991 du code civil, le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé et que, en l'espèce, le mandat de vendre donné à la société [X] 33 était à durée déterminée et pour un prix minimum, de sorte que, en faisant signer un bon de réservation à M. [M] alors que le mandat était expiré et de surcroît pour un prix inférieur à celui qui était exigé, la mandataire a outrepassé ses pouvoirs et que la transaction conclue avec l'appelant est nulle.
4. La société Ekip' indique que M. [M] et M. [N] ont l'un et l'autre revendiqué dans les délais légaux la propriété du véhicule litigieux et qu'elle s'en remet à l'appréciation de la cour quant à l'identification du propriétaire de la voiture.
Elle observe par ailleurs que M. [M] tend à sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile alors qu'elle ne peut être condamnée à titre personnel puisqu'elle intervient au procès en qualité de liquidateur judiciaire de la société [X] 33.
Sur ce,
5. Le 21 septembre 2020, M. [N] et la société [X] 33 ont conclu un contrat par lequel le premier confie à la seconde le véhicule MG [Immatriculation 7] dont il est propriétaire, ce aux fins de vente par la société [X] 33 pour un prix de 9.000 euros TTC.
Ce contrat prévoit que la société [X] 33 doit obtenir un accord écrit de son mandant s'il est envisagé une vente à un prix inférieur à celui qui est contractuellement fixé.
Il est également stipulé que le mandat prend fin le 21 novembre 2020 et ne peut être tacitement renouvelé.
Enfin, selon l'article 4 du contrat litigieux, le véhicule remis à la société [X] 33 demeure l'entière propriété de M. [N] jusqu'à l'encaissement complet du prix par la mandataire.
6. Il est établi que, le 31 août 2021, la société [X] 33 a réservé le véhicule MG [Immatriculation 7] à M. [M] en contrepartie d'un paiement partiel de 647,66 euros et qu'il était envisagé la vente de cette automobile au prix de 7.800 euros, outre frais divers.
7. Il est constant en droit que si, en principe, le mandant n'est pas obligé envers les tiers pour ce que le mandataire a fait au-delà du pouvoir qui lui a été donné, il en est autrement lorsqu'il résulte des circonstances que le tiers a pu légitimement croire que le mandataire agissait en vertu d'un mandat et dans les limites de ce mandat.
8. En l'espèce, la société [X] 33, régulièrement enregistrée au Registre du commerce et des sociétés de Bordeaux le 24 mars 2017 pour une activité d'achat, vente et revente de véhicules automobiles neufs et d'occasion, détenait la voiture litigieuse mais également la carte grise de celle-ci.
Ces éléments étaient suffisants pour légitimer la croyance de M. [M] en l'étendue d'un mandat de vendre cette voiture au prix de 7.800 euros outre les frais de mutation -247,66 euros- et le coût des travaux de carrosserie -1.600 euros- soit un prix total de 9.647,66 euros.
L'accord sur la chose et le prix a été concrétisé par le bon de réservation daté du 31 août 2021, qui enregistre le paiement d'un acompte de 647,66 euros par M. [M], lequel a procédé le 15 septembre suivant à un virement bancaire de 7.000 euros.
Il en résulte que M. [N], mandant apparent, est tenu d'exécuter l'engagement contracté par sa mandataire.
9. Dès lors, l'appelant est fondé à soutenir que la vente du véhicule était parfaite avant l'ouverture de la procédure collective, les termes du mandat conclu entre M. [N] ne lui étant pas opposables en vertu du principe de l'effet relatif des contrats.
10. Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement déféré et de faire droit à la demande en revendication présentée par M. [M], propriétaire du véhicule MG [Immatriculation 7], ce sous astreinte puisqu'il est établi que l'intimé a pris possession du véhicule litigieux.
L'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles. M. [N], partie succombante, sera condamné au paiement des dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,
Infirme le jugement prononcé le 15 mai 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Statuant à nouveau,
Condamne Monsieur [S] [N] à remettre à Monsieur [V] [M] le véhicule MG [Immatriculation 7] dans un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt et, passé ce délai, sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard pendant une période de deux mois.
Laisse à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles.
Condamne Monsieur [S] [N] à payer les dépens de l'appel.