Livv
Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. B, 3 septembre 2024, n° 23/08229

LYON

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Goursaud

Conseillers :

Mme Lemoine, Mme Lecharny

Avocats :

Me Baufume, Me Vatier, Me Rebotier

CA Lyon n° 23/08229

2 septembre 2024

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

Soutenant avoir prêté une somme de 1'200'000 euros à M. [L] [W] le 4 décembre 2014 et n'avoir reçu qu'un remboursement de 90 000 euros malgré l'envoi d'une mise en demeure, M. [R] [K] l'a assigné en paiement par acte d'huissier de justice du 15 mars 2021.

Par un jugement du 19 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Lyon l'a débouté de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné à payer à M. [W] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par déclaration du 31 octobre 2023, M. [K] a relevé appel du jugement.

Au terme de conclusions notifiées le 18 décembre 2023, il demande à la cour d'infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu et de condamner M. [W] au paiement de :

- la somme de 1'301'970,88 euros à titre de provision,

- celle de 10'000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la résistance abusive opposée au remboursement du prêt,

- celle enfin de 15'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

À l'appui de son appel, M. [K] valoir essentiellement que :

- sur demande de M. [W], il lui a consenti à titre personnel un prêt de 1'200'000 euros avec des intérêts au taux contractuel de 2,10 %, remboursable en une seule échéance ;

- l'acte de prêt résulte de la déclaration faite conjointement auprès de l'administration fiscale et le financement a été viré sur un compte personnel ouvert au nom de l'intimé aux Émirats arabes unis ;

- contrairement à ce que soutient ce dernier et à ce qu'a retenu le tribunal, le prêt a été consenti personnellement à M. [W] et non en qualité de mandataire d'une tierce personne;

- en application des articles 1165, 1121 et 1321 anciens du code civil, les prétendues conventions conclues entre M. [W] et M. [P], président de la société Pharma Ival, lui sont inopposables.

Par conclusions notifiées le 8 décembre 2023, M. [W] demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter en conséquence M. [K] l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions,

à titre subsidiaire,

- prononcer la nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels,

- débouter en conséquence M. [K] de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 146'499,88 euros à titre d'intérêts au taux contractuel de 2,10 %, en tout état de cause,

- condamner M. [K] à lui payer la somme de 10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le même aux entiers dépens.

M. [W] fait valoir, à titre principal, que :

- il a agi en qualité de « trustee », c'est-à-dire de mandataire de M. [P], président du groupe Pharma Ival, au sein duquel il travaillait et qui entretenait une relation commerciale avec la société EA Pharma dont M. [K] était le président ;

- M. [K] a accepté de consentir un prêt de 1'200'000 euros à M. [P] pour que ce dernier puisse les mettre en garantie auprès de sa banque pour l'ouverture d'un crédit documentaire permettant l'expédition de produits en stock ; M. [K] ne pouvant prêter directement les fonds à M. [P] ou à une société lui appartenant directement ou indirectement, les intéressés se sont mis d'accord pour que la somme transite par le compte personnel de M. [W] ouvert aux Émirats arabes unis ;

- la preuve de ce mandat résulte des pièces versées aux débats, de la chronologie des événements et du bénéficiaire effectif des fonds, la société Alliance Pharma international FZ-LLC, le libellé de l'adresse de la société correspondant à celui inscrit sur la déclaration de prêt produite par la partie adverse.

À titre subsidiaire, il demande à la cour de prononcer la nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels, faisant observer que l'appelant ne verse aux débats aucune convention de prêt mentionnant le taux d'intérêt allégué.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur la demande en paiement

1.1. Sur la qualité de débiteur de M. [W]

Selon l'article 1892 du code civil, le prêt de consommation est un contrat par lequel l'une des parties livre à l'autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l'usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité.

Pour justifier l'existence du prêt consenti à M. [W], M. [K] verse aux débats une déclaration de contrat de prêt établie le 3 décembre 2014 sur un formulaire Cerfa de la direction générale des finances publiques, qui porte la signature des deux parties et aux termes de laquelle, M. [K], désigné comme « créancier ou porteur ou prêteur » consent à M. [W], désigné comme « débiteur ou émetteur ou emprunteur », un prêt de 1'200'000 euros d'une durée de neuf mois, au taux de 2,10 %, avec un « remboursement en une échéance, avec clause de pénalité d'un montant de 30'000 € en cas de remboursement anticipé avant la période prévue des 9 mois » et un montant annuel des intérêts exigés pour l'année 2015 de 6 300 euros.

Il produit encore le justificatif d'un règlement interbancaire de 90'000 euros intervenu à son profit le 22 septembre 2016 depuis un compte de M. [W], avec la mention suivante : « PARTIAL PAYM BORROW CONT 3122014 », soit en français « PAIEM PARTIEL EMPRUNT CONT 3122014 ».

M. [W] ne conteste pas la réalité du prêt mais affirme qu'il a agi en qualité de mandataire de M. [P], bénéficiaire du prêt, et que c'est en cette qualité de mandataire qu'il a ratifié la déclaration de prêt.

Selon l'article 1984 du code civil, le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.

Et selon l'article 1997 du même code, le mandataire qui a donné à la partie avec laquelle il contracte en cette qualité une suffisante connaissance de ses pouvoirs n'est tenu d'aucune garantie pour ce qui a été fait au-delà, s'il ne s'y est personnellement soumis.

A contrario, le mandataire qui traite en son propre nom avec un tiers devient le débiteur de ce dernier, sauf son recours contre le mandant, à moins qu'il n'établisse que le tiers contractant ne pouvait croire de bonne foi qu'il s'engageait personnellement et qu'il connaissait ou était en mesure de soupçonner l'existence d'un mandant.

En l'espèce, il incombe donc à M. [W] de rapporter la preuve qu'il agissait en qualité de mandataire auprès de M. [K] et que celui-ci connaissait sa qualité de mandataire ou était en mesure de la connaître.

Le premier juge a retenu par de justes motifs que M. [W] rapporte la preuve de l'existence du mandat.

En revanche, il ne démontre pas que M. [K] connaissait sa qualité de mandataire ou était en mesure de la connaître. En effet, la déclaration de prêt est établie à son nom et sous sa signature, sans préciser sa qualité de mandataire. Par ailleurs, le courriel du 27 novembre 2014 par lequel M. [P] donne pour instruction à M. [W] de « signer le CERFA avec [R] », précisant que « tout est réglé entre lui et moi. Il a besoin de ça pour justifier la sortie des fonds auprès de sa banque », n'émane pas de M. [K] qui n'en est pas non plus destinataire, de sorte qu'il ne peut être considéré que ce mail constitue la preuve qu'il connaissait ou était en mesure de connaître l'existence du mandat. En outre, si le récépissé de transfert de fonds versé aux débats par M. [W] (sa pièce 14) mentionne comme bénéficiaire du virement de 1 200 000 euros la société Alliance pharma international FZ-LLC, il n'est pas établi que ce document bancaire était connu de M. [K], observation étant faite qu'à l'inverse, l'avis de virement produit par ce dernier (sa pièce 9) mentionne comme bénéficiaire M. [W] et comme motif du règlement : « prêt à [L] [W] », sans aucune référence à M. [P] ou à la société Alliance pharma international. Enfin, les échanges de courriels intervenus en 2017, évoqués par le premier juge dans sa décision, étant postérieurs de plus de deux ans au prêt, il ne peuvent être pris en compte pour considérer que M. [K] connaissait, à la date du prêt, la qualité de mandataire de M. [W] ou était en mesure de la connaître.

Aussi convient-il, par infirmation du jugement déféré, de considérer que M. [W] a souscrit le prêt en son propre nom et, partant, que M. [K] est fondé à agir en paiement à son encontre.

1.2. Sur la nullité de la stipulation d'intérêts et le montant de la condamnation

Selon l'article 1907, alinéa 2, du code civil, le taux de l'intérêt conventionnel doit être fixé par écrit.

En l'espèce, la déclaration de contrat de prêt établie le 3 décembre 2014 et signée par M. [W], qui constitue un écrit au sens de l'article précité, mentionne, dans la partie intitulée « conditions du prêt », un taux de 2,10 %.

Les conditions de l'article 1907 étant respectées, il n'y a pas lieu de prononcer la nullité de la stipulation d'intérêts.

En conséquence, il convient de faire droit à la demande de M. [K] et de condamner M. [W] à lui payer la somme de 1 301 970,88 euros.

2. Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive

Selon l'article 1231-6 du code civil, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.

En l'espèce, M. [K] ne démontre pas avoir subi un préjudice indépendant de ce retard et ne caractérise pas la mauvaise foi du débiteur.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.

3. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Compte tenu de la solution donnée au litige en appel, le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.

M. [W], partie perdante, est condamné aux dépens de première instance et d'appel, et à payer à M. [K] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement déféré, sauf en celle de ses dispositions déboutant M. [R] [K] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne M. [L] [W] à payer à M. [R] [K] la somme de 1 301 970,88 euros,

Déboute M. [L] [W] de sa demande de nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels,

Condamne M. [L] [W] à payer à M. [R] [K] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [L] [W] aux dépens de première instance et d'appel.