CA Caen, 2e ch. civ. et com., 10 octobre 2024, n° 23/02336
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Tim Joh Vic (SCI), SCP Mandateam (ès qual.)
Défendeur :
Bail Actea Immobilier (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Emily
Conseillers :
Mme Courtade, M. Gouarin
Avocats :
Me Delcourt, Me Thomas-Courcel, Me Pajeot, Me Dmitroff, Me Blandin
Par acte authentique reçu le 2 novembre 2005, la société Batiroc normandie, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la SA Bail Actea Immobilier (anciennement dénommée société Nord Europe Lease), a consenti à la SARL Kosak Industrie Services, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la SCI Tim Joh Vic, un crédit-bail immobilier portant sur un immeuble situé dans la commune d'Igoville, zone industrielle '[Adresse 7]", pour une durée de 15 ans à compter du 1er janvier 2006 jusqu'au 31 décembre 2020, moyennant le paiement de loyers trimestriels, le montant du financement accordé par le crédit bailleur s'élevant à 219.400 euros HT.
Par acte authentique reçu le 15 juin 2007 complétant le crédit-bail initial :
- la SARL Kosak Industrie Services a cédé à la SCI Tim Joh Vic tous les droits résultant du contrat de crédit-bail immobilier du 2 novembre 2005,
- la société Batiroc normandie a pris l'engagement de procéder à la construction d'un immeuble à usage professionnel d'une surface de 527 m² au sein de l'ensemble immobilier, objet du premier contrat de crédit-bail, le montant de ces travaux complémentaires financés par le crédit- bailleur s'élevant à la somme de 324.000 euros HT.
Par acte authentique reçu le 28 mai 2014 portant sur un second complément au contrat de crédit-bail initial, la société Nord Europe Lease a consenti au financement de la construction de nouveaux bâtiments au sein de l'ensemble immobilier préexistant, pour un montant maximum de 520.000 euros HT, ce dernier contrat étant conclu pour une durée de 15 ans à compter du 1er novembre 2014, soit jusqu'au 1er novembre 2029. Le terme du contrat initial du 2 novembre 2005 et le terme du complément du 15 juin 2007 ont été prorogés jusqu'à la même date.
Par lettre recommandée reçue le 2 juin 2016, la société Nord Europe Lease a mis en demeure la société Tim Joh Vic de lui payer la somme de 18.462,52 euros au titre de loyers impayés et frais dans le délai d'un mois à peine de résiliation du contrat de crédit-bail.
Par jugement du 21 juillet 2016, le tribunal de commerce d'Évreux, a prononcé le redressement judiciaire de la société Tim Joh Vic, désignant la société Diesbecq-[X], en qualité de mandataire judiciaire.
Par courrier du 2 août 2016, la société Nord Europe Lease a notifié au mandataire judiciaire la résiliation du contrat de crédit-bail immobilier et de ses 2 avenants à effet du 2 juillet 2016.
Par jugement du 27 décembre 2018 le tribunal de commerce d'Evreux a constaté la résiliation judiciaire des trois contrats à effet du 2 juillet 2016.
Par lettre recommandée du 26 septembre 2016, la société Nord Europe Lease a déclaré entre les mains du mandataire judiciaire une créance de 417 163, 78 euros au passif de la procédure collective de la société Tim Joh Vic à titre chirographaire.
Par lettre recommandée reçue le 9 novembre 2016, le mandataire judiciaire a notifié à la société Nord Europe Lease l'inscription de cette créance sur l'état des créances contestées.
Par jugement du 25 janvier 2018, le tribunal de commerce d'Évreux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Tim Joh Vic.
Par ordonnance du 30 janvier 2019, le juge-commissaire a constaté l'existence d'une contestation sérieuse sur cette créance et invité la société Tim Joh Vic, en application des dispositions de l'article R. 624-5 du code de commerce, à saisir la juridiction compétente.
Par actes d'huissier de justice délivrés les 25 et 26 février 2019, la société Tim Joh Vic a fait assigner la société Nord Lease Europe et la société Diesbecq-[X], en sa qualité de mandataire liquidateur, devant le tribunal de grande instance d'Évreux, aux fins notamment de voir prononcer l'annulation du contrat de crédit-bail immobilier et de ses avenants signés par la SCI Tim Joh Vic et de voir condamner la société Bail actea immobilier à lui rembourser l'ensemble des sommes payées en exécution des conventions annulées.
Par jugement du 2 février 2021, le tribunal judiciaire d'Evreux a :
- déclaré la société Tim Joh Vic et la société Diesbecq-[X], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Tim- Joh Vic, irrecevables en leurs demandes ;
- condamné la société Tim Joh Vic et la société Diesbecq-[X], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Tim Joh Vic, à payer in solidum à la société Bail Actea Immobilier la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Tim Joh Vic et la société Diesbecq-[X], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Tim Joh Vic, in solidum, aux entiers dépens de l'instance ;
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire ;
- rejeté toute demande plus ample ou contraire.
Par déclaration reçue le 23 février 2021, les sociétés Tim Joh Vic et Diesbeck-[X] (désormais dénommée la SCP Mandateam) ont relevé appel de cette décision.
Par arrêt du 27 janvier 2022, la cour d'appel de Rouen a :
- annulé le jugement du 2 février 2021 du tribunal judiciaire d'Évreux ;
- déclaré la société Tim Joh Vic et la société Mandateam, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Tim Joh Vic, irrecevables en leurs demandes ;
- condamné in solidum la société Tim Joh Vic et la société Mandateam en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Tim Joh Vic aux dépens de première instance et d'appel ;
- condamné in solidum la société Tim Joh Vic et la société Mandateam en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Tim Joh Vic à payer à la société Bail Actea Immobilier, la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Tim Joh Vic et la société Mandateam, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Tim Joh Vic, ont formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cette décision.
Par arrêt du 4 octobre 2023, la Cour de cassation a :
- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a déclaré la société Tim Joh Vic et la société Mandateam, en sa qualité de liquidateur de la société Tim Joh Vic, irrecevables en leurs demandes, l'arrêt rendu le 27 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
- remis, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Caen ;
- condamné la société Bail actea immobilier aux dépens ;
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la société Bail actea immobilier et l'a condamnée à payer aux sociétés Tim Joh Vic et Mandateam, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Tim Joh Vic, la somme globale de 3.000 euros.
Par déclaration du 6 octobre 2023 adressée au greffe, les sociétés SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam ès qualités ont saisi la cour d'appel de Caen, cour de renvoi.
Par dernières conclusions déposées le 6 décembre 2023, les sociétés Tim Joh Vic et Mandateam, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Tim Joh Vic, demandent à la cour de :
- Juger la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam, représentée par Me [G] [X], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SCI Tim Joh Vic, recevables en leurs demandes,
- Annuler le contrat de crédit-bail immobilier de 2005 et les avenants signés en 2007 et 2014 par la SCI Tim Joh Vic,
- Condamner la société Bail actea immobilier à rembourser à la SCI Tim Joh Vic et à la SCP Mandateam, représentée par Me [G] [X], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SCI Tim Joh Vic, l'ensemble des sommes payées en exécution des conventions annulées,
Subsidiairement,
Sur les sommes déclarées au titre des loyers et charges,
- Condamner la société Bail actea immobilier à communiquer des factures modificatives dans lesquelles les loyers seront régulièrement calculés en tenant compte du fait qu'une année civile a 365 ou 366 jours et non 360,
- Condamner la société Bail actea immobilier à rembourser à la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam, représentée par Me [G] [X], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SCI Tim Joh Vic, la totalité des intérêts surfacturés,
- En l'état, juger que les sommes déclarées au titre de l'arriéré de loyers ne sont pas justifiées,
Sur les sommes déclarées au titre des indemnités de résiliation,
- Juger que les clauses résolutoires n'ont pas été correctement mises en oeuvre,
- Juger que les contrats liant les parties étaient en vigueur à la date du jugement d'ouverture,
- Juger n'y avoir lieu à application des clauses relatives aux indemnités de résiliation.
Très subsidiairement, s'agissant des indemnités de résiliation,
- Juger éteinte la créance déclarée par la société Bail actea immobilier au titre des indemnités de résiliation,
Encore plus subsidiairement, s'agissant des indemnités de résiliation,
- Juger que la société Bail actea immobilier ne justifie pas des sommes réclamées au titre des indemnités de résiliation,
- Juger que les sommes revendiquées au titre des clauses pénales sont manifestement excessives,
- Réduire les clauses pénales à 1 euro,
- Débouter la société Bail actea immobilier de l'ensemble de ses prétentions,
- Condamner la société Bail actea immobilier à payer à la SCI Tim Joh Vic la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société Bail actea immobilier aux dépens de l'instance.
Par dernières conclusions déposées le 5 février 2024, la SA Bail actea immobilier demande à la cour de :
A titre principal,
- Déclarer la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam, représentée par Me [G] [X], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SCI Tim Joh Vic, irrecevables en leurs demandes,
A titre subsidiaire sur la demande de nullité de la convention de crédit-bail immobilier, et de ses deux avenants,
- Juger que la cour n'est saisie que de la demande de nullité de la convention de crédit-bail immobilier, et de ses deux avenants,
- Déclarer irrecevable, en raison de la prescription, la demande de nullité du contrat de crédit-bail immobilier, et de ses deux avenants,
A titre subsidiaire et sur le fond de la demande de nullité,
- Débouter la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam, ès qualités de liquidateur, de leurs demandes de nullité du contrat de crédit-bail immobilier et de ses deux avenants, et de leur demande de condamnation au paiement de la société Bail actea immobilier,
A titre infiniment subsidiaire,
- Juger que, à supposer établi le vice du consentement allégué, la sanction ne peut consister que dans la déchéance de la société Bail actea immobilier de son droit aux intérêts déterminés au regard du préjudice subi par la SCI Tim Joh Vic,
Sur les demandes subsidiaires de la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam, ès qualités de liquidateur, et pour le cas où la cour s'estimerait valablement saisie de ces demandes,
- Débouter la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam, ès qualités de liquidateur, de leurs demandes de condamnation de la société Bail actea immobilier à communiquer les factures modificatives, et tendant à la condamnation de la société Bail actea immobilier à régler la totalité des intérêts surfacturés,
A titre subsidiaire,
- Juger que la différence résultant de la substitution de l'année réelle à l'année lombarde s'imputera sur la créance de la société Bail actea immobilier déclarée à hauteur de 417.163,88 euros, et ce sous réserve de l'admission de la demande au titre des trois conventions, ou de certaines d'entre elles dans les proportions suivantes :
* contrat initial : 1.025,03 euros
* avenant n°1 : 956,16 euros
* avenant n°2 : 369,73 euros
S'agissant de l'indemnité de résiliation,
- Débouter la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam, ès qualités de liquidateur, de leur demande tendant à juger éteinte la créance déclarée par la société Bail actea immobilier à ce titre,
A titre subsidiaire et pour le cas où la cour s'estimerait compétente pour statuer sur l'éventuelle réduction de la clause pénale
- Débouter la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam, ès qualités de liquidateur, de leur demande de fixation de la clause pénale à la somme de 1 euro,
- Fixer le montant des indemnités de résiliation à la somme de 389.433,22 euros conformément à la déclaration de créance de la société Bail actea immobilier, étant précisé qu'en cas de réduction celle-ci ne pourra être fixée à une somme inférieure à 128.366,44 euros,
En tout état de cause,
- Débouter la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam, ès qualités de liquidateur, de leur demande de condamnation d'une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,
- Condamner in solidum la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam, ès qualités de liquidateur, à payer à la société Bail actea immobilier la somme de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles,
- Condamner in solidum la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam, ès qualités de liquidateur, aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel, dont distraction sera faite au profit de Me Simon Mosquet-Leveneur, avocat au Barreau de Caen.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 avril 2024.
Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS
I. Sur les fins de non-recevoir soulevées par la SA Bail Actea Immobilier
En premier lieu, la société Bail actea immobilier soulève l'irrecevabilité des demandes présentées par la SCI Tim Joh Vic pour cause de forclusion en raison de l'absence d'assignation de la SCP Mandateam ès qualités de liquidateur et de mandataire judiciaire dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance du juge-commissaire.
Cette fin de non-recevoir est infondée et doit être rejetée dans la mesure où il résulte des énonciations du jugement et il est reconnu par la société Bail Actea Immobilier dans ses écritures page 7 que par actes d'huissier de justice des 25 et 26 février 2019, la société Tim Joh Vic a fait assigner la société Nord Lease Europe et la société Diesbecq-[X], mandataire judiciaire, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Tim Joh Vic, devant le tribunal de grande instance d'Évreux, soit dans le délai d'un mois à compter de l'ordonnance du juge-commissaire notifiée le 5 février 2019.
En second lieu, la société Bail actea immobilier soulève l'irrecevabilité des demandes tendant au remboursement des sommes payées en exécution des conventions dont l'annulation est réclamée et au remboursement des sommes déclarées au titre des loyers, charges et indemnités de résiliation, au motif que la seule contestation sérieuse dont la juridiction du fond est saisie est celle relative à la validité des contrats souscrits.
Sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées et, après une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi se limitent à l'examen de cette contestation.
En l'espèce, à la lecture de l'ordonnance du juge-commissaire en date du 31 janvier 2019, il apparaît que ce dernier a retenu trois contestations sérieuses ne relevant pas de sa compétence, pour lesquelles il a invité la SCI Tim Joh Vic à saisir la juridiction compétente, ces contestations ayant trait aux modalités de calcul des intérêts sur une année civile ou lombarde, aux modalités des indemnités de résiliation et à la validité des contrats souscrits.
Les pouvoirs du juge compétent, saisi sur renvoi du juge-commissaire, sont ainsi limités à trancher ces trois questions.
Il reviendra ensuite au juge-commissaire de statuer sur les conséquences de la présente décision, à savoir sur le sort de la créance quant à son admission ou son rejet.
Il en résulte que les demandes des appelantes tendant au remboursement des sommes payées en exécution des conventions annulées et de la totalité des 'intérêts surfacturés' au titre des loyers, qui excèdent les pouvoirs de la présente cour, doivent être déclarées irrecevables.
II. Sur la demande de nullité des conventions
Le contrat de crédit-bail immobilier initial et ses 2 avenants fixent les modalités de calcul des loyers lesquels sont variables car déterminés par amortissement des sommes investies par le crédit- bailleur après application d'un taux variable dépendant de l'évolution de deux taux, à savoir le taux EURIBOR à 3 mois, et le taux du livret Codevi devenu livret de développement durable, les contrats indiquant que le calcul est effectué en mode calendaire/bancaire.
L'avenant du 28 mai 2014 précise que le mode calendaire/bancaire est un calcul fondé sur le nombre exact de jours de la période ramené à une année de 360 jours.
Les loyers sont assimilés à un remboursement d'emprunt amortissable.
Les sociétés Tim Joh Vic et Mandateam sollicitent la nullité des 3 conventions sur le fondement des articles 1108 et suivants anciens du code civil au motif que les intérêts ont été calculés sur une année lombarde (360 jours) et non sur une année civile (365 jours), que cette méthode a entraîné une surfacturation artificielle des intérêts et que le montant du loyer constitue pour le crédit-preneur une condition essentielle de son engagement.
La société Bail actea immobilier oppose la prescription de cette demande.
L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
L'action en annulation d'un crédit fondée sur une erreur concernant la stipulation de l'intérêt conventionnel, engagée par un emprunteur qui a obtenu un concours financier pour les besoins de son activité professionnelle, se prescrit par 5 ans à compter de la date de la convention contenant cette stipulation.
En l'espèce, les contrats dont s'agit ont pour finalité le financement de la construction de bâtiments à usage professionnel au profit de la SARL Kosak Industrie Services, aux droits de laquelle est venue la SCI Tim Joh Vic.
Cette dernière a ainsi la qualité de professionnelle.
Le point de départ de la prescription se situe donc au jour de la conclusion du contrat principal de crédit-bail, soit au 2 novembre 2005, le moyen des appelantes selon lequel l'examen de la convention ne permettait pas de connaître le vice affectant les modalités de calcul des intérêts étant inopérant.
En outre, contrairement à ce qu'invoquent la SCI Tim Joh Vic et son liquidateur, le délai de prescription a commencé à courir à compter du contrat d'origine et non de chacun des avenants qui sont venus compléter la convention initiale avec laquelle ils forment un tout indivisible, et qui n'ont pas modifié le mode de calcul des loyers intégrant les intérêts.
Par suite, la demande d'annulation des contrats formée par la SCI Tim Joh Vic pour la première fois dans le cadre de la procédure collective ouverte à son égard le 21 juillet 2016 est prescrite et partant irrecevable.
III. Sur les demandes des appelantes relatives au mode calcul des intérêts
L'article L 442-6 ancien du code de commerce sa version applicable au litige dispose :
'I.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;'
Les appelantes soutiennent que le mode de calcul des intérêts sur 360 jours a pour effet de créer un déséquilibre significatif puisqu'elle a pour conséquence de majorer le taux d'intérêt effectivement appliqué et ce sans que le crédit-preneur n'en soit formellement informé.
La société Bail actea immobilier réplique notamment que le texte susvisé ne lui est pas applicable au motif qu'en sa qualité d'établissement financier, elle relève des dispositions spécifiques du code monétaire et financier, à savoir l'article L 511-4 qui prévoit que les articles L 420-1 à L 420-4 du code de commerce s'appliquent aux établissements de crédit et aux sociétés de financement.
Cependant, l'application des articles L 420-1 à L 420-4 relatifs aux pratiques anticoncurrentielles n'est pas exclusive de l'application de l'article L 442-6 à la SA Bail actea immobilier qui est une société commerciale et a donc la qualité de commerçante.
La SCI Tim Joh Vic et le liquidateur s'abstiennent de chiffrer le surcoût généré par la méthode de calcul des intérêts critiquée.
À l'inverse, l'intimée verse aux débats le recalcul des intérêts sur la base d'une année civile, qui n'est pas utilement remis en cause par les appelantes et qui fait ressortir une surfacturation d'intérêts de 2350,80 € sur l'ensemble de la période contractuelle (pièce n°7), ce qui apparaît dérisoire.
En conséquence, les appelantes échouent à démontrer que la clause relative au calcul des intérêts sur une année lombarde a créé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Il y a donc lieu d'écarter cette contestation et de débouter les appelantes de leurs demandes visant à voir juger non justifiés le mode de calcul des loyers intégrant les intérêts sur la base d'une année bancaire de 360 jours et les sommes déclarées au titre de l'arriéré de loyers, et à obtenir la communication des factures modificatives.
IV. Sur les indemnités de résiliation
1. Sur les modalités de résiliation du contrat de crédit-bail
La SCI Tim Joh Vic et son liquidateur demandent de juger que les clauses résolutoires n'ont pas été correctement mises en 'uvre et qu'en conséquence, les contrats liant les parties étaient en vigueur à la date du jugement d'ouverture de sorte que c'est à tort que les indemnités de résiliation ont été déclarées.
Les deux premières demandes doivent être déclarées irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal de commerce d'Évreux du 27 décembre 2018 qui a constaté la résiliation à effet du 2 juillet 2016 des contrats de crédit-bail immobilier et des avenants en date des 2 novembre 2005, 15 juin 2007 et 28 mai 2014.
Par suite, les appelantes sont déboutées de leur demande subséquente visant à voir juger n'y avoir lieu à application des clauses relatives aux indemnités de résiliation.
2. Sur la méthode de calcul des indemnités de résiliation
La société Bail actea immobilier a déclaré sa créance au titre des indemnités de résiliation à hauteur de 389'433, 22 euros, soit :
- 40.878,44 euros au titre du contrat initial du 2 novembre 2005
- 100.997,34 euros au titre de l'avenant du 15 juin 2007
- 247.557,44 euros au titre de l'avenant du 28 mai 2014
Les deux premiers contrats prévoient qu'en cas de résiliation anticipée, le crédit preneur devra verser une indemnité égale à la moitié des loyers restant dus jusqu'au terme de l'opération.
Le troisième contrat stipule qu'en cas d'inexécution du bail, le crédit-preneur devra, en réparation du préjudice subi par le crédit-bailleur, une indemnité égale à 50% de la valeur résiduelle financière contractuelle de l'investissement.
Les appelantes soutiennent que le décompte des indemnités n'est pas conforme aux stipulations des premiers contrats au motif notamment qu'elles ont été calculées par référence à l'encours financier alors qu'elles auraient dû l'être par rapport aux loyers restant à courir.
Cependant, au vu du détail du calcul des indemnités de résiliation produit par l'intimée (pièce n° 17), il n'apparaît pas que la méthode de calcul appliquée ne respecte pas les termes des contrats ni, en tout état de cause, qu'elle aboutit à un résultat moins favorable à la crédit-preneuse.
Quant au grief tiré de la 'la majoration artificielle du montant des loyers' lié au mode de calcul des intérêts, il a été rejeté plus haut.
Par suite, ce moyen est écarté.
3. Sur la demande de constat de l'extinction de la créance
Les appelantes demandent de juger éteinte la créance déclarée par la société Bail actea immobilier au titre des indemnités de résiliation au motif que l'immeuble, objet du crédit-bail, dont la propriété est retenue par le crédit-bailleur, constitue une sûreté réelle garantissant le règlement des sommes dues par le crédit-preneur, qu'il a été vendu moyennant le prix de 650'000 euros et que dès lors, le prix de vente doit venir en déduction de la créance déclarée.
Cependant, il convient de rappeler que le juge-commissaire doit se placer à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective pour statuer sur l'admission de la créance, sans tenir compte des événements postérieurs susceptibles d'influer sur le montant de celle-ci.
Par ailleurs, l'instance introduite devant la juridiction du fond compétente, sur l'invitation du juge-commissaire qui constate l'existence d'une contestation sérieuse dans le cadre de la procédure de vérification des créances, s'inscrit dans cette même procédure.
En l'espèce, la cession de l'immeuble litigieux est intervenue après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire en date du 21 juillet 2016.
Par suite, la présente cour ne peut, dans le cadre de la vérification des créances, statuer sur la demande visant à voir juger éteinte la créance de la crédit-bailleresse, cette prétention devant être déclarée irrecevable.
4. Sur la réduction de la clause pénale
A titre liminaire, la présente cour, intervenant sur décision de renvoi du juge-commissaire, est compétente pour statuer sur la demande de réduction de la clause pénale qui fait partie intégrante de la contestation relative aux 'modalités des indemnités de résiliation'.
Selon l'article 1152 ancien du code civil, applicable à la cause, lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre.
Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite.
Il est constant que les indemnités de résiliation litigieuses s'analysent comme des clauses pénales.
En l'espèce, le préjudice résultant de la résiliation pour inexécution du crédit-bail est constitué par la perte des loyers que la société Bail actea immobilier aurait dû percevoir jusqu'au terme des trois conventions pour amortir l'investissement réalisé au titre du financement des constructions et retirer un bénéfice de l'opération, soit en principe la somme de 778.866,44 euros.
Toutefois, ce manque à gagner est pour partie compensé par la valeur de l'immeuble, dont la crédit-bailleuse est restée propriétaire jusqu'à sa cession, estimée à 650.000 euros, soit après déduction de cette somme, un solde de 128.366,44 euros.
Contrairement à ce qu'invoque la SCI, le coût de la résiliation du contrat reste en l'espèce inférieur au coût de la poursuite du contrat jusqu'à son terme conformément aux dispositions légales puisque l'indemnité de résiliation déclarée par la société Bail actea immobilier représente la moitié du montant des sommes restant à percevoir.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour considère que la somme due au titre des clauses contractuelles (389.433,22 euros) est manifestement excessive eu égard au préjudice effectivement subi par la société crédit-bailleresse du fait de la résiliation anticipée du contrat de crédit-bail immobilier et de ses avenants.
Par suite, il convient de réduire les indemnités de résiliation à la somme totale de 200.000 euros.
V. Sur les demandes accessoires
La SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de cette dernière succombant sur l'essentiel, sont condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel, à payer à la SA Bail actea immobilier la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et sont déboutées de leur demande formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, dans les limites de l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 4 octobre 2023,
Déclare irrecevables les demandes de la SCI Tim Joh Vic et de la SCP Mandateam ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de cette dernière tendant au remboursement 'des sommes payées en exécution des conventions annulées' et de 'la totalité des intérêts surfacturés';
Déclare irrecevable pour cause de prescription la demande d'annulation du contrat de crédit-bail initial et de ses avenants formée par la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam ès qualités ;
Déclare irrecevables les demandes de la SCI Tim Joh Vic et de la SCP Mandateam ès qualités visant à voir juger que les clauses résolutoires n'ont pas été correctement mises en 'uvre et que les contrats liant les parties étaient en vigueur à la date du jugement d'ouverture ;
Déclare irrecevable la demande de la SCI Tim Joh Vic et de la SCP Mandateam ès qualités visant à voir juger éteinte la créance déclarée par la SA Bail actea immobilier au titre des indemnités de résiliation ;
Déboute la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam ès qualités de leurs demandes visant à voir juger non justifiés le mode de calcul des loyers intégrant les intérêts sur la base d'une année bancaire de 360 jours et les sommes déclarées au titre de l'arriéré de loyers, et à obtenir la communication des factures modificatives ;
Déboute la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam ès qualités de leur demande visant à voir juger n'y avoir lieu à application des clauses relatives aux indemnités de résiliation ;
Dit que la SCI Tim Joh Vic est redevable à l'égard de la SA Bail actea immobilier de la somme totale de 200.000 euros au titre des indemnités de résiliation ;
Condamne in solidum la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de cette dernière à payer à la SA Bail actea immobilier la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam ès qualités de leur demande formée à ce titre ;
Condamne in solidum la SCI Tim Joh Vic et la SCP Mandateam ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de cette dernière aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit des avocats constitués en la cause qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.