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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 8 octobre 2024, n° 23/03449

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

AGENCE IMMOBILIERE L'OCCITANE (SARL)

Défendeur :

LABORATOIRE M&L (SAS), INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme POIREL

Conseillers :

Mme VALLEE, M. BREARD

Avocats :

Me TESTU, Me CHARRUYER, Me FONROUGE, Me BLANCHARD

CA Bordeaux n° 23/03449

7 octobre 2024

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Le 23 septembre 2022, la SA laboratoires M&L a présenté une demande en nullité enregistrée sous la référence NL22- 0165 contre la marque complexe L'OCCITANE IMMOBILIER n°17/4387054, déposée le 8 septembre 2017, dont la SARL agence immobilière l'Occitane est titulaire et dont l'enregistrement a été publié au BOPI 2018-10 du 9 mars 2018, ci-dessous reproduite : La demande en nullité porte sur la totalité des services pour lesquels la marque contestée est enregistrée, à savoir :

- Classe 35 : Service de gestion de projets commerciaux dans le cadre de projets de construction ; services de promotion publicitaire et de promotion de vente de biens immobiliers, notamment de biens de caractère et de prestige ; vente au détail de biens de caractère et de prestige ;

- Classe 36 : Estimations immobilières ; gérance de biens immobiliers ; acquisition de biens immobiliers pour le compte de tiers ; agence de logements immobiliers ; agences immobilières ; conseils en matière d'investissements immobiliers ;

courtage de biens immobiliers ; courtage en biens immobiliers ; investissements immobiliers ; placement de fonds dans l'immobilier ; services de conseils en matière d'achat immobilier.

Le demandeur se fonde sur l'atteinte à la renommée de la marque antérieure verbale L'OCCITANE n°1458078, déposée le 18 mars 1988, dont l'enregistrement a été publié dans le BOPI 1988-36 du 9 septembre 1988 et régulièrement renouvelé.

Au cours de la phase d'instruction, des observations ont été échangées.

Par décision [Immatriculation 5] du 19 juin 2023, l'INPI a :

- déclaré la demande en nullité NL22-0165 justifiée ;

- déclarée nulle la marque n°17/4387054.

Par déclaration enregistrée au greffe le 18 juillet 2023, la SARL agence immobilière l'Occitane a formé un recours contre la décision rendue par l'INPI.

La SARL agence immobilière l'Occitane, par dernières conclusions déposées le 18 avril 2024, demande à la cour de : Réformer et Infirmer la décision du Directeur de l'Institut [4] (INPI) du 19 juin 2023 [Immatriculation 5] en ce qu'elle a statué ainsi : * Article 1 : La demande en nullité NL22-0165 est justifiée * Article 2 : La marque n° 17/4387054 est déclarée nulle.

- statuant à nouveau, déclarer irrecevable la demande de la société Laboratoires M&L de nullité de la marque figurative française L'OCCITANE IMMOBILIER n°4387054,

- débouter la société laboratoires M&L de sa demande de nullité de la marque figurative française n°4387054,

- en toutes hypothèses, débouter la société laboratoires M&L de ses moyens, fins, demandes et prétentions,

- condamner la société laboratoires M&L à payer à la société agence immobilière l'Occitane la somme de 7 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamner la société laboratoires M&L aux entiers dépens.

La SA laboratoires M&L, par dernières conclusions déposées le 12 juin 2024, demande à la cour de :

- juger recevable l'action en nullité de la marque n°17/4387054 formée par la société Laboratoires M&L ;

Confirmer la décision de Monsieur le Directeur Général de l'INPI du 19 juin 2023 n°NL22-0165, en ce qu'elle a prononcé la nullité totale de la marque n°17/4387054 ;

- débouter la société Agence Immobilière l'Occitane de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions et rejeter son recours ;

- condamner la société Agence Immobilière l'Occitane à verser à la société Laboratoires M&L la somme de 7 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par courrier transmis au greffe le 27 mai 2024, le directeur général de l'INPI a présenté ses observations dans lesquelles il considère que l'enregistrement de la marque contestée étant intervenu le 9 mars 2018, soit moins de 5ans avant l'entrée en vigueur de la loi PACTE le 24 mai 2019, la demande en nullité ne peut être déclarée irrecevable, étant devenue imprescriptible au sens de l'article L.716-2-6 du code de la propriété intellectuelle et que la société agence immobilière l'Occitane ne peut se prévaloir d'une forclusion par tolérance antérieure à l'enregistrement de sa marque. Sur l'atteinte à la renommée, l'institut considère que la société Laboratoires M&L démontre que sa marque L'OCCITANE a acquis une exceptionnelle renommée et qu'en raison du lien que le public est susceptible d'opérer entre les deux marques, la requérante pourrait bénéficier, sans contrepartie, de l'attractivité de la marque antérieure, de sorte que la marque contestée n°17/4387054 doit être déclarée nulle.

Le 7 juin 2024, le ministère public a indiqué s'en rapporter.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 2 juillet 2024.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 18 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La SARL agence immobilière l'Occitane demande la réformation de la décision arguant de la prescription de l'action en nullité et de son irrecevabilité dès lors que l'usage antérieur du signe l'Occitane a été toléré par l'intimée pendant au moins cinq ans et sollicite subsidiairement le débouté de la demande en nullité de la marque L'OCCITANE IMMOBILIER par elle déposée le 8 septembre 2017, sous le numéro n°17/4387054, en l'absence notamment de tous risques de confusion, les deux marques couvrant des produits et services différents.

I - Sur la recevabilité de la demande en nullité de marque :

La société agence immobilière l'Occitane soulève d'une part la prescription de l'action, d'autre part la forclusion de celle-ci par tolérance.

1°) la prescription de l'action en nullité : La décision du Directeur de l'INPI a écarté toute prescription de l'action en nullité de marque introduite le 23 septembre 2022 par la société Laboratoires M&L, considérant que la prescription n'était pas acquise au regard du droit applicable à la date de l'entrée en vigueur de la loi Pacte qui a rendu l'action imprescriptible, en sorte que l'action serait imprescriptible.

Bien qu'étant en désaccord sur la question de la prescription, les parties s'accordent sur l'application au présent litige du droit antérieur à l'article L 716-2-6 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019- 1169 entrée en vigueur le 11 décembre 2019, qui a instauré l'imprescriptibilité de l'action ou de la demande en nullité de marque, c'est à dire de l'article 2224 du code civil, la SARL agence immobilière l'Occitane considérant cependant que la date d'enregistrement d'une marque se confondant avec sa date de dépôt et qu'ayant déposé sa marque le 8 septembre 2017, l'action en nullité de la société laboratoires M&L introduite le 23 septembre 2022 est prescrite depuis le 8 septembre précédent, tandis que la SA laboratoires M&L se référant à la date d'enregistrement de la marque litigieuse, le 9 mars 2018, conteste toute prescription de l'action à la date de l'entrée en vigueur de la loi Pacte.

L'article L 716-2-6 nouveau du code de la propriété intellectuelle, d'application immédiate au 11 décembre 2019, n'a rendu imprescriptibles que les actions dont la prescription n'était pas encore acquise sous l'empire du droit ancien au jour de l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 13 novembre 2019, prise en application de la loi Pacte, le 11 décembre 2019.

En effet, il n'est pas discuté que selon l'article 2 du code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir et qu'elle n'a pas d'effet rétroactif. Elle ne saurait ainsi remettre en cause une situation définitivement acquise sous l'empire de la loi ancienne.

En ce sens l'article 2222 du code civil prévoit que la loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion déjà acquise. En revanche, elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur.

Dès lors, si l'article L 716-2-6 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°19 -1169 du 13 novembre 2019, selon lequel l'action ou la demande nullité d'une marque n'est soumise à aucun délai de prescription, est applicable aux titres existants au jour de son entrée en vigueur, en l'absence de toute disposition expresse transitoire de l'ordonnance permettant de déroger aux principes instaurés par les articles 2 et 2222 du code civil, l'imprescriptibilité nouvelle qui doit être regardée comme une disposition qui allonge le délai de prescription ne pouvait s'appliquer aux prescriptions d'ores et déjà acquises au jour de son entrée en vigueur. A contrario, elle avait vocation à régir les demandes en nullité afférentes à des situations dont la prescription n'était alors pas acquise.

Or, que l'on retienne comme point de départ de la prescription le jour du dépôt/enregistrement de la marque le 8 septembre 2017, comme le soutient la Sarl l'Occitane immobilier pour estimer prescrite l'action introduite le 23 septembre 2022 ou sa publication, le 9 mars 2018, comme le soutient la SA laboratoires M&L, la prescription n'était de toute façon pas acquise sous l'empire du droit ancien de l'article 2224 du code civil à la date de l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 13 novembre 2019, en sorte que les dispositions nouvelles de l'article L 716-2-6 du code de la propriété intellectuelle avaient vocation à s'appliquer à l'espèce et que la demande en nullité n'était effectivement pas prescrite, comme n'étant plus susceptible de prescription.

Si le Directeur de l'INPI a statué en ce sens, il convient d'ajouter à la décision dont recours la recevabilité de la demande en nullité poursuivie par la société Laboratoires M&L comme n'étant pas prescrite, mention qui fait défaut au dispositif de sa décision.

2° ) la forclusion par tolérance : Le Directeur de l'INPI a écarté toute forclusion de l'action par tolérance ayant retenu que la société agence immobilière l'Occitane ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article L 716-2-8 du code de la propriété intellectuelle qu'à compter de l'enregistrement de sa marque, la tolérance résultant de la connaissance de l'usage effectif de la marque ne pouvant être antérieure à cet enregistrement et qu'en tout état de cause, une connaissance antérieure de l'usage effectif du signe n'est pas démontrée.

La société Agence Immobilière l'Occitane conteste cette décision soutenant subsidiairement que l'action était forclose au jour où elle a été introduite, dès lors que la société laboratoires M&L avait toléré pendant plus de cinq ans l'usage de sa marque.

Elle soutient ainsi que l'action est irrecevable sur le fondement de l'article L 716-2-8 du code de la propriété intellectuelle dès lors qu'elle faisait déjà usage de cette marque depuis 1999, ce qui avait été porté à la connaissance de la société laboratoires M&L dès la réservation de son nom de domaine à la même date, sinon lors de la création de son site internet et que, la société laboratoire M&L, qui est nécessairement très vigilante quant au respect de sa marque de renommée, ne peut prétendre n'avoir découvert les signes distinctifs de la société agence immobilière l'Occitane et son usage que depuis la date de publication de la marque.

La société laboratoires M&L observe que ce moyen qui n'a pas été soulevé devant le directeur de l'INPI ne peut l'être devant la cour.

Il résulte cependant des dispositions de l'article R 411-19 alinéa 2 que les recours exercés à l'encontre des décisions mentionnées au deuxième alinéa du même article L. 411-4, c'est à dire notamment les recours contre les décisions statuant en matière de nullité de marque, sont des recours en réformation qui défèrent à la cour la connaissance de l'entier litige, la cour statuant en fait et en droit.

Dès lors, les parties peuvent soulever devant la cour, saisie comme en l'espèce d'un recours contre une décision ayant statué sur une demande en nullité de marque, tout moyen nouveau développé notamment au soutien de prétentions de nature à faire échec aux prétentions adverses.

Cependant, selon les dispositions de l'article L716-2-8 dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 13 novembre 2019 prise en application de la loi Pacte, entrée en vigueur le 11 décembre 2019, 'Le titulaire d'un droit antérieur qui a toléré pendant une période de cinq années consécutives l'usage d'une marque postérieure enregistrée en connaissance de cet usage n'est plus recevable à demander la nullité de la marque postérieure sur le fondement de l'article L. 711-3, pour les produits ou les services pour lesquels l'usage de la marque a été toléré, à moins que l'enregistrement de celle-ci ait été demandé de mauvaise foi'.

La jurisprudence antérieure à l'entrée en vigueur de ce texte faisait déjà de l'enregistrement de la marque postérieure non seulement une condition mais également le point de départ du délai de forclusion par tolérance.

Il est ainsi constant que la prescription par tolérance suppose établie la connaissance par le propriétaire d'une marque antérieure de l'usage par un tiers de la marque postérieure, après son enregistrement, de sorte que le point de départ d'une telle forclusion ne peut être antérieur à la date d'enregistrement du signe litigieux à titre de marque.

En outre, la société agence immobilière l'Occitane ne justifie pas, ainsi qu'elle l'affirme, que la société laboratoires M&L qui exerçait une surveillance active de sa marque de renommée aurait toléré l'usage de sa marque antérieurement et depuis plus de cinq ans, comme ayant eu connaissance de l'usage par l'appelante dans son nom de domaine, sur son site internet ou sur les réseaux sociaux, des signes distinctifs de sa marque, dès 1999, n'étant nullement établi que l'intimée l'avait contactée par téléphone à propos de son nom de domaine, le fait qu'elle ait dû procéder à une recherche d'antériorité pour vérifier la disponibilité du signe l'Occitane avant de créer son propre nom de domaine n'étant pas de nature à établir cette connaissance par la société laboratoires M&L, pas plus que les rares articles parus notamment dans une presse spécialisée relevant de l'activité de l'appelante, les sept demandes d'opposition introduites par la société Laboratoires M&L entre janvier 2014 et juillet 2022, ne suffisant à établir la mise en place par ses soins d'un système actif de vigilance qui aurait nécessairement dû l'alerter de l'usage antérieur du signe pendant plus de 20 ans par l'agence immobilière l'Occitane.

L'irrecevabilité tirée de la forclusion par tolérance n'est en conséquence pas davantage établie et le directeur de l'Inpi est approuvé d'avoir jugé recevable l'action en nullité de la marque complexe L'OCCITANE IMMOBILIER n°17/4387054, déposée le 8 septembre 2017 et dont l'enregistrement a été publié au BOPI 2018-10 du 9 mars 2018. Néanmoins, il sera ajouté en ce sens au dispositif la recevabilité de l'action en nullité sur ce fondement, à défaut pour la décision déférée d'avoir statué expressément dans son dispositif sur cette forclusion.

Sur le fond :

La société Agence Immobilière l'Occitane demande l'infirmation de la décision du directeur de l'INPI qui a accueilli la demande en nullité de la marque complexe semi figurative l'Occitane pour l'intégralité des produits et services visés en classe 35 et 36 pour atteinte à la marque de renommée l'Occitane dont est titulaire la société laboratoires M&L.

La société appelante conteste cette décision en l'absence de tout risque de confusion apprécié globalement alors que les marques ne sont pas déposées pour les mêmes services et que les marques de renommée n'échappent pas au principe de spécialité, en sorte que la renommée de l'Occitane uniquement consacrée en matière de produits cosmétiques ne se place en facteur aggravant du risque de confusion que lorsque les similitudes des signes en cause et celles des produits et services revendiqués de part et d'autre sont caractérisées. Elle observe ainsi que la marque de renommée n'échappe pas au principe de spécialité.

La société laboratoires M&L fait valoir que la marque L'Occitane bénéficie d'une très forte renommée en France, auprès du grand public, qui est le même public que celui de la marque L'OCCITANE IMMOBILIER, que la renommée constitue un droit antérieur pouvant servir de fondement à une demande en nullité sans que le risque de confusion soit un élément à prendre en compte, le lien ou rapprochement susceptible d'être opéré entre les deux marques étant suffisant pour caractériser une atteinte à une marque de renommée, qu'il existe une grande similitude entre les deux signes dont il se déduit un rapprochement inévitable dans l'esprit du public, et que la marque l'Occitane est parfaitement distinctive pour désigner des produits cosmétiques, caractère encore accru du fait sa connaissance par une partie significative du public, alors que le principe de spécialité n'intervient pas dans la caractérisation d'une atteinte à la marque de renommée.

Selon l'article L 714-3 dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 13 novembre 2019 au 1er décembre 2019, au regard de la date du dépôt de la marque litigieuse, est déclaré nul par décision de justice l'enregistrement d'une marque qui n'est pas conforme aux dispositions des articles L. 711-1 à L. 711-4.

Selon l'article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa version résultant de l'ordonnance du 13 novembre 2019, est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d'un signe identique ou similaire à la marque jouissant d'une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice.

Si ces dispositions ne sauraient être appliquées à la présente espèce au regard du dépôt et de l'enregistrement de la marque litigieuse antérieurement à leur entrée en vigueur, elles constituent cependant la transposition de l'article L 713 - 5 alinéa 1 ancien du code de la propriété intellectuelle dans sa version applicable au présent litige, immédiatement antérieure à l'ordonnance du 13 novembre 2019, selon lequel 'la reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière'.

Il en résultait déjà en conséquence que le principe de spécialité pouvait être écarté en cas d'atteinte à une marque de renommée dès lors que la reproduction ou l'imitation de la marque de renommée pour des services non similaires étaient de nature à porter préjudice ou constituaient une exploitation injustifiée de la marque de renommée.

Si ces dispositions prévoyaient l'engagement de la responsabilité de l'auteur d'une atteinte à une marque de renommée, la jurisprudence prise en application de ces dispositions admettait déjà que puisse être prononcée la nullité d'une marque portant atteinte à une marque de renommée antérieure, en application des articles L 711-4 et L 714-3 du code de la propriété intellectuelle (cass.com 7 juin 2016 n° 14-16.885).

En outre, la jurisprudence de la CJUE n'excluait l'atteinte à la marque de renommée que lorsque les publics concernés étaient totalement distincts, ne pouvant jamais être confrontés (CJUE 27 novembre 2008, arrêt INTEL).

Il résulte de ces dispositions qu'une atteinte à la marque de renommée pouvait déjà être sanctionnée par la nullité, antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 13 novembre 2019, en présence d'une marque identique ou similaire quels que soient les services concernés, dans l'hypothèse où l'usage de la marque postérieure tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de renommée de la marque ou qu'il lui porterait préjudice.

En l'espèce, la renommée de la marque l'Occitane n'est pas véritablement contestée en matière de cosmétiques et les éléments versés aux débats, pour l'essentiel antérieurs au dépôt de la marque litigieuse ou faisant à tout le moins référence à une période antérieure, à savoir les nombreux dossiers de presse entre 2012 et 2015 (pièces 14 et 15 de l'intimée), attestent sa renommée dans la presse nationale où elle bénéficie d'une très forte visibilité en tant qu'elle propose des produits précurseurs, notamment par l'utilisation du beurre de karité et de produits naturels et issus de l'agriculture biologique mais également, par son implication dans les questions sociétales et de développement durable ainsi que du fait d'une présence importante sur les réseaux sociaux comme en en atteste le très grand nombre de personnes suivant la marque sur Facebook, Twitter ou Instagram ou encore, son classement en 2012 comme 4ème enseigne préférée des français tous secteurs confondus (pièce n° 7 de l'intimée).

Il n'est en la matière pas utile de rechercher un possible risque de confusion dans l'esprit du public pertinent mais uniquement si un lien ou rapprochement peut être opéré par le même public.

Le public pertinent est ici, compte tenu de la très large notoriété de la marque l'Occitane au milieu d'enseignes de tous secteurs, pas uniquement un public concerné par les cosmétiques mais un très large public.

Dès lors, loin de viser un public restreint, de niche, le public concerné par la marque L'OCCITANE est le grand public, de la même manière que celui concerné par la marque L'OCCITANE IMMOBILIER, ces deux publics pouvant effectivement tout à fait se chevaucher dès lors que l'utilisateur de produits cosmétiques ou de parfumerie est un consommateur répandu qui peut également se trouver consommateur de services immobiliers que ce soit en qualité de bailleur ou de locataire, d'acheteur ou de vendeur, ce qui recouvre une très grande partie de la population.

S'agissant d'apprécier le lien ou le rapprochement susceptible d'être effectué avec la marque de renommée dans l'esprit du public pertinent, les signes en présence sont ci-dessous reproduits : Il résulte d'une appréciation globale des signes en conflit que la marque litigieuse constitue une marque semi-figurative dont l'élément visuel dominant est le signe L'OCCITANE qui présente une forte similitude avec la marque verbale antérieure, le dessin de l'olivier, qui plus est apposé en ombre, n'étant pas déterminant puisque n'étant pas distinctif pour désigner l'OCCITANE qui renvoie à la Provence et n'étant pas verbalement prononcé. Quant au signe 'immobilier' qui visuellement s'efface dans la marque semi-figurative, il n'a rigoureusement aucune distinctivité pour désigner les services visés par la marque de sorte que l'élément que le public garde en mémoire demeure le signe 'L'OCCITANE'.

Étant en revanche particulièrement distinctif pour désigner des services immobiliers, comme il l'est pour désigner des cosmétiques, le signe L'OCCITANE attire d'autant plus l'attention du même public pertinent qui est ainsi amené inéluctablement à opérer un rapprochement, un lien, entre la marque litigieuse et la marque de cosmétiques.

Il s'en déduit que la marque de renommée l'OCCITANE est protégée de son utilisation, y compris pour des services non similaires.

Il est par ailleurs justifié d'investissements promotionnels très importants entrepris par la société laboratoires M&L qui y consacre depuis 2014 un budget de l'ordre de 8 millions d'euros, en sorte que la société agence immobilière l'Occitane qui n'allègue pas de juste motif à l'utilisation du signe L'Occitane à titre de marque, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque L'Occitane.

En effet, un simple risque de profit est suffisant, celui-ci étant caractérisé ici dès lors qu'il existe un risque, comme en l'espèce, que la marque de renommée, où les caractéristiques auxquelles elle renvoie ou qu'elle projette soient transférées aux produits désignés par la marque postérieure dont la commercialisation serait facilitée du fait de l'association à la marque antérieure de renommée.

La décision du directeur de l'INPI qui a en conséquence prononcé la nullité de la marque complexe L'OCCITANE IMMOBILIER n°17/4387054, déposée le 8 septembre 2017 et dont l'enregistrement a été publié au BOPI 2018-10 du 9 mars 2018 est en conséquence confirmée.

La société Agence immobilière l'Occitane qui succombe en son recours sera équitablement condamnée à payer à la société Laboratoires M&L la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la cour statuant sans dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Déclare recevable l'action en nullité entreprise par la société laboratoires M&L comme n'étant ni prescrite, ni forclose.

Au fond:

Confirme a décision du directeur de l'INPI [Immatriculation 5] du 19 juin 2023 en ce qu'elle a prononcé la nullité totale de la marque 17/4387054.

Condamne la société agence Immobilière l'Occitane à payer à la société laboratoires M&L la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Statue sans dépens.