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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 8 octobre 2024, n° 24/02807

VERSAILLES

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Asl du Lotissement les (Sté), Immorbihan (SARL)

Défendeur :

Époux W, Selarl (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerlot

Conseillers :

M. Roth, Mme Muller

Avocats :

Me De Broissia, Me Paris, Me Regrettier-Germain, Me Lecarpentier, Me Dontot, Me Pechenard

Versailles, ch. com. 3-2, du 24 avr. 202…

24 avril 2024

EXPOSE DU LITIGE

En 2007, la société France Terre et Aménagement Foncier (FTAMF, ou le lotisseur) est devenue propriétaire d'un terrain à lotir sise à [Localité 9] (56).

Par déclaration à la préfecture du Morbihan du 30 novembre 2015, a été déclarée une association syndicale libre des acquéreurs de lots, l'association syndicale libre Les [Adresse 8] (l'ASL).

Le 20 janvier 2016, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert la liquidation judiciaire de la société FTAMF et désigné la nommé la société [X] [J] en qualité de liquidateur.

Le 14 septembre 2022, le juge-commissaire de ce tribunal a autorisé la cession amiable au profit M. [W] et de Mme [R], son épouse, d'une partie de la parcelle BI [Cadastre 3] dépendant de la liquidation judiciaire.

Le 15 septembre 2023, l'ASL a interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions.

Le 24 avril 2024, par ordonnance contradictoire, sur incident, le conseiller de la mise en état a :

- prononcé la nullité de la déclaration d'appel ;

- condamné l'ASL à payer à la société [X] [J] et M. et Mme [W] la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné l'ASL aux dépens de l'instance.

Par requête du 13 mai 2024, l'ASL a déféré cette ordonnance à la cour. Elle lui demande de l'infirmer en toutes ses dispositions et de déclarer recevable sa déclaration d'appel du 15 septembre 2023.

Par dernières conclusions du 27 juin 2024, la société [X] [J], ès qualités de la société FTAMF, demande à la cour de :

A titre principal,

- Constater que l'ASL n'a pas la capacité à ester en justice ;

Par conséquent,

- Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance d'incident du 24 avril 2024 ;

A titre subsidiaire, en cas d'infirmation,

- Prononcer la nullité de la déclaration d'appel de l'ASL, en ce qu'elle n'a pas la capacité à agir en raison du défaut de pouvoir de sa représentante, Mme [B] ;

A titre infiniment subsidiaire,

- Déclarer irrecevables les demandes formulées par ASL, en ce qu'elle n'a pas la qualité à agir tirée de son absence de qualité de propriétaire, n'ayant pas respecté le formalisme obligatoire contenue dans ses statuts constitutifs ;

A titre plus que subsidiaire,

- Déclarer irrecevables les demandes formulées par l'ASL en ce qu'elle n'a pas la qualité et intérêt à agir tirée de l'absence de droit opposable.

En tout état de cause ;

- Condamner l'ASL au paiement de la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner l'ASL aux entiers dépens de l'instance.

Par dernières conclusions du 28 juin 2024, M et Mme [W] demandent à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance d'incident du 24 avril 2024 ;

Subsidiairement,

- juger nulle la déclaration d'appel et les actes subséquents de signification de conclusions formés par l'ASL, en raison de l'absence de personnalité juridique ;

- déclarer encore nuls les actes d'appel et de procédure subséquents pour défaut de capacité et de pouvoir et par voie de conséquence l'irrecevabilité des demandes formulées par l'ASL ;

Très subsidiairement,

- juger irrecevable les demandes formulées par l'ASL pour défaut de qualité à agir et en l'absence de droit opposable ;

- débouter l'ASL de toutes ses demandes fins et conclusions ;

- condamner l'ASL à leur payer une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner l'ASL aux entiers dépens.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

MOTIFS

Sur le défaut de personnalité morale et de capacité pour ester en justice de l'ASL

Selon l'article 117 du code de procédure civile, le défaut de capacité d'ester en justice constituent une irrégularité de fond de tout acte de procédure.

Il résulte de l'article 2 de l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires que ces associations sont des personnes morales ; de son article 7, qu'elles se forment par consentement unanime des propriétaires intéressés, constaté par écrit et que les statuts de l'association définissent son nom, son objet, son siège et ses règles de fonctionnement, comportent la liste des immeubles compris dans son périmètre et précisent ses modalités de financement et le mode de recouvrement des cotisations.

Selon l'article 5 de cette ordonnance, ces associations peuvent agir en justice sous réserve de l'accomplissement des formalités de publicité prévues selon le cas aux articles 8, 15 ou 43.

L'article 8 de l'ordonnance dispose :

" La déclaration de l'association syndicale libre est faite à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l'arrondissement où l'association a prévu d'avoir son siège. Deux exemplaires des statuts sont joints à la déclaration. Il est donné récépissé de celle-ci dans un délai de cinq jours.

Un extrait des statuts doit, dans un délai d'un mois à compter de la date de délivrance du récépissé, être publié au Journal officiel. "

Les articles 15 et 43 de l'ordonnance concernent respectivement les associations syndicales autorisées et les associations syndicales constituées d'office.

L'article 4 du décret du 3 mai 2006 pris pour l'application de l'article 8 de l'ordonnance précise en son dernier alinéa :

" L'extrait des statuts qui doit être publié au Journal officiel dans le délai d'un mois à compter de la date de délivrance du récépissé contient la date de la déclaration, le nom, l'objet et le siège de l'association.'

Lorsque l'acte de saisine du juge a été délivré par une association syndicale libre qui n'a pas publié ses statuts constitutifs, l'irrégularité qui résulte de ce défaut de publication, lequel prive l'association de sa personnalité juridique, constitue une irrégularité de fond qui ne peut être couverte (3e civ., 15 avr. 2021, n° 19-18.093, publié).

En l'espèce, le liquidateur soutient que, comme l'a retenu le conseiller de la mise en état, l'ASL n'a pas la capacité à agir, les formalités nécessaires à sa constitution n'ayant pas été réalisées, savoir la publication de ses statuts.

Il fait valoir en second lieu que les statuts de l'ASL établis par le lotisseur en 2005 stipulent que la constitution de l'association est subordonnée à la publication d'un extrait d'acte notarié, qui n'a jamais été réalisé.

La cour retient qu'il n'est pas contesté que l'ASL en cause a été déclarée à la préfecture compétence, qui en a donné récépissé le 30 novembre 2015 ; elle est donc dotée de la personnalité morale.

Il est par ailleurs justifié qu'au Journal officiel du 19 décembre 2015 est paru l'annonce de cette déclaration.

Le texte de cette annonce comporte notamment la dénomination de l'association, son objet et son siège social, ainsi que la date du récépissé de la déclaration donné par la préfecture compétente.

La publication produite est ainsi conforme aux dispositions combinées de l'article 8 de l'ordonnance et à l'article 4 du décret.

Il est suffisamment établi au reste, par la production d'une autre annonce similaire parue au Journal officiel du 3 septembre 2024, que c'est sous cette forme sommaire, qu'est usuellement assurée la publication de l'extrait des statuts d'une association syndicale libre prévue à l'article 8 de l'ordonnance du 1er juillet 2004.

La cour relève en second lieu que, comme le fait observer l'ASL, le document produit par le liquidateur, intitulé " Statuts Association Syndicale ", qui aurait été établi en 2005 par le lotisseur, se présente comme un simple projet. Il est constant que ce document n'est pas celui déposé en préfecture en 2015. Il n'est pas donc établi que l'association syndicale en cause ait été créée en 2005 et que ses statuts soient ceux produits par le liquidateur.

L'ASL en cause a donc la capacité d'ester en justice. Sa déclaration d'appel et les actes subséquents ne sont donc pas entachés de nullité du chef allégué.

Sur le défaut prétendu de pouvoir

Selon l'article 117 du code de procédure civile, constitue une irrégularité de fond le défaut de pouvoir d'une personne figurant au procès comme représentant d'une personne morale.

En l'espèce, la déclaration d'appel du 15 septembre 2023, enregistrée sous le numéro RG 23/06489, a été effectuée par l'ASL, " représentée par sa présidente en exercice, Mme [T] [B] ".

Le liquidateur et les époux [W] font valoir que Mme [B] avait démissionné en octobre 2023.

Mais la démission de Mme [B], présentée à l'ASL par un courrier du 1er octobre 2023, est postérieure à la déclaration d'appel critiquée, dont elle ne peut donc affecter la validité.

De surcroît, dans cette lettre, Mme [B] précise que sa démission deviendra effective à la transmission du dossier au futur syndic ou au mandataire ad hoc désigné par le tribunal et, lors de sa réunion du 27 octobre 2023, l'assemblée générale de l'ASL ne lui a pas conféré d'autre effet dans le temps.

Enfin, cette même assemblée générale a décidé (5e point) du " passage sous syndic ". Il résulte du procès-verbal de cette assemblée générale, comme du procès-verbal de l'assemblée générale du 2 septembre 2024, entérinant la désignation de la société Immorbihan pour un mandat de gestion d'une année, à effet du 1er janvier 2024, enfin du contrat de mandat confié le 1er janvier 2024 à cette société que Mme [B], qui a signé ce contrat au nom de l'ASL, en est demeurée la présidente.

Au reste, le syndicat des copropriétaires en cause reste constitué sous la forme d'une association syndicale libre non soumise aux dispositions de la loi de 1965, ainsi qu'il résulte notamment de la 6e résolution adoptée par son assemblée générale le 2 septembre 2024 ayant affirmé que Mme [B] en demeurait la présidente.

D'où il résulte que l'irrégularité de fond alléguée n'est pas constituée.

Sur la qualité pour agir de l'ASL

Selon l'article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise par une personne dépourvue du droit d'agir.

Le défaut de qualité pour agir est une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile.

En application des articles 907 et 789 du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret du 11 décembre 2019, le conseiller de la mise en état est compétent pour trancher les fins de non-recevoir.

Mais il ne peut connaître des fins de non-recevoir qui, bien que n'ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge (2e Civ., avis, 3 juin 2021, n°21-70.006, publié ; Com., 22 nov. 2023, n° 21-24.839, publié).

De là suit que la cour d'appel, statuant avec les pouvoirs du conseiller de la mise en état sur le déféré d'une de ses ordonnances, ne saurait statuer sur une question de qualité pour agir conditionnant la solution de l'affaire au fond sans porter atteinte à sa compétence exclusive pour connaître du fond, prévue à l'article L. 311-1 du code de l'organisation judiciaire.

En l'espèce, le liquidateur et les époux [W] soutiennent, d'une part, que l'ASL n'a pas accompli les formalités prévues par ses statuts pour devenir propriétaire des parties communes de l'immeuble et se trouve dès lors dépourvue de qualité pour agir, n'étant pas propriétaire de la parcelle BL [Cadastre 3] objet de la cession litigieuse ; d'autre part, que le transfert de la propriété des choses communes d'un lotissement à une ASL n'est opposable aux tiers que s'il a fait l'objet d'un acte publié au service de la publicité foncière ; qu'en l'occurrence, faute d'acte publié, le transfert n'est pas opposable aux époux [W], cessionnaires, de sorte que l'ASL n'a pas qualité pour agir.

La cour relève que statuer sur cette fin de non-recevoir prise de la qualité de propriétaire de l'ASL aurait pour conséquence de remettre en cause la cession décidée par le juge-commissaire, laquelle suppose que la société en liquidation judiciaire soit propriétaire de l'immeuble.

Son examen doit en conséquence être réservé à la cour, statuant au fond.

Sur les demandes accessoires

Les dépens afférents à l'incident seront réservés et suivront ceux de l'instance au fond.

L'équité n'impose pas, à ce stade, l'attribution d'une indemnité de procédure à l'une des parties.

PAR CES MOTIFS,

la cour, statuant contradictoirement, sur déféré,

Rejette la demande d'annulation de la déclaration d'appel ;

Dit recevable l'appel de l'association syndicale libre du lotissement Les [Adresse 8] ;

Réserve la fin de non-recevoir prise du défaut de qualité pour agir de l'intimée ;

Réserve les dépens ;

Rejette le surplus des demandes.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.