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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 10 octobre 2024, n° 24/00268

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Enerlis (SAS)

Défendeur :

Idex Energies (SAS), Idex Services (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vasseur

Conseillers :

Mme De Rocquigny Du Fayel, Mme Igelman

Avocats :

Me Zerhat, Me Mze, Me Lafon, Me Contis

T. com. Nanterre, du 29 déc. 2023, n° 20…

29 décembre 2023

EXPOSE DU LITIGE

Les SAS Idex Services et Idex Energies sont des filiales du groupe Idex, premier groupe français dans les services énergétiques qui représente plus d'une centaine d'entreprises.

La société Idex Energies, présidée par M. [K] [N], est spécialisée dans l'exploitation, la maintenance et l'entretien d'installations de chauffage, de conditionnement d'air, de ventilation, d'électricité, de plomberie et de sanitaire.

La société Idex Services regroupe les fonctions supports au service des entités du groupe Idex et a vocation à gérer toutes sociétés en relation avec l'exploitation, la maintenance et l'entretien d'installations de chauffage, conditionnement d'air, ventilation, électricité, plomberie et sanitaire.

La SAS Enerlis, créée en 2013, opérateur de la transition énergétique, articule ses savoir-faire pour concevoir, réaliser et financer les projets de rénovation énergétique et de mobilité durable de clients publics et privés.

La SAS Accenta est spécialisée dans l'optimisation et le stockage énergétique bas carbone des bâtiments et a pour activité principale l'installation et l'exploitation de sa solution de chaufferie basée sur le géostockage (forme de géothermie).

La société Eren Tes est une filiale du groupe Eren, producteur indépendant d'électricité, spécialisée dans les énergies renouvelables, et a pour activité l'économie d'énergie dans le bâtiment.

À partir du mois de mars 2020, le groupe Idex et la société Enerlis, présidée alors par M. [H] [P], ont entamé des discussions en vue d'un éventuel partenariat et notamment d'une entrée d'Idex dans le capital d'Enerlis. Cette tentative de rapprochement n'a pas abouti.

Par acte constitutif en date du 17 septembre 2020, les sociétés Idex Energies, Eren Tes et Accenta ont créé la société Aïden, entreprise dédiée à la transition énergétique et environnementale des actifs immobiliers.

Le 14 février 2022, la société Enerlis a mis en demeure la société Idex Energies de supprimer de ses bases de données et de lui retourner l'ensemble des documents transmis lors du projet d'entrée au capital de la société, et d'adresser une déclaration sur l'honneur attestant ne jamais les avoir communiqués à des sociétés tierces au groupe Idex.

La société Idex Energies n'a jamais donné aucune suite à ce courrier.

Par ailleurs, le 9 novembre 2022, la société Enerlis a conclu avec la société Groupe François Sanchez Consultants (la société FSC), groupe spécialisé dans le conseil en ressources humaines, une convention de conseil dans l'objectif de recruter un directeur des opérations.

Soutenant que le Groupe Idex et Accenta « semblent mener une offensive contre Enerlis, au travers d'un pillage de ses stratégies et moyens » et que, notamment, « le groupe Idex reprenait un bon nombre de documents, concepts, expressions, et stratégies utilisées par la société lors de leurs échanges », par requête du 8 mai 2023, la société Enerlis a sollicité du président du tribunal de commerce de Nanterre d'ordonner 4 mesures d'instruction in futurum nécessaires à l'appréhension et la conservation des preuves susceptibles d'établir le caractère actif et délibéré de l'entreprise de concurrence déloyale mise en 'uvre par les sociétés Idex Services, Idex Energies, Accenta, Groupe Francois Sanchez Consultants, afin de permettre à la société d'initier une action au fond à l'encontre de ces dernières sur le fondement de la concurrence déloyale.

Par ordonnance rendue le 15 mai 2023, le président du tribunal a fait droit à la requête de la société Enerlis en autorisant la saisie aux sièges sociaux des sociétés Idex Services, Idex Energies, Accenta, Groupe Francois Sanchez Consultants, et leur séquestre, des documents et échanges identifiés comme étant susceptibles d'établir la commission d'actes de concurrence déloyale entrepris par ces dernières.

Les opérations de saisies se sont déroulées le 8 juin 2023 au sein des sièges sociaux des sociétés Idex Services, Idex Energies et Accenta.

Par acte de commissaire de justice délivré le 7 juillet 2023, les sociétés Idex Services et Idex Energies ont fait assigner en référé la société Enerlis aux fins d'obtenir principalement :

- la rétractation des ordonnances rendues le 15 mai 2023 en ce qu'elles ont autorisé la s.e.l.a.r.l. Asperti-Duhamel et la s.c.p. Judicium, commissaires de justice, à procéder aux opérations de recherche et de saisie à l'encontre des sociétés,

- l'annulation de l'ensemble des opérations de recherche et de saisie concernant les sociétés réalisées par la s.e.l.a.r.l. Asperti-Duhamel et la s.c.p. Judicium,

- la restitution aux sociétés de l'ensemble des éléments les concernant placés sous séquestre provisoire par la s.e.l.a.r.l. Asperti-Duhamel et la s.c.p. Judicium,

- la fixation d'un calendrier de procédure afin qu'il soit statué sur la demande d'interdiction de communiquer à la société Enerlis les informations et documents saisis auprès des sociétés qui sont couverts par le secret des affaires et qui sont, en tout état de cause, sans lien avec l'objet du litige,

- la condamnation de la société Enerlis au paiement de la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, pour chacune des deux sociétés.

Par ordonnance contradictoire rendue le 29 décembre 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :

- limité l'examen des demandes des sociétés Idex Services et Idex Energies seulement au regard des mesures qui les concernent,

- rétracté l'ordonnance sur requête n° n° 2023 0 07186 délivrée le 15 mai 2023 à l'encontre des sociétés Idex Services et Idex Energies,

- dit que les mesures d'instruction in futurum ordonnées à l'encontre des sociétés Idex Services et Idex Energies sont devenues caduques,

- ordonné à la selarl Asperti-duhamel et à la scp Judicium, commissaires de justice, de restituer à Idex Energies et Idex Services l'ensemble des éléments les concernant placés sous séquestre provisoire,

- condamné la société Enerlis à payer aux sociétés Idex Services et Idex Energies chacune la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

- condamné la société Enerlis aux dépens de l'instance,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,

- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 57,65 euros, dont TVA 9,61 euros,

- dit que l'ordonnance est mise à disposition au greffe du tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées verbalement lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 8 janvier 2024, la société Enerlis a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a liquidé les dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 28 juin 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Enerlis demande à la cour, au visa des articles 145, 462 du code de procédure civile, L. 153-1 et R. 153-1 du code de commerce, de :

'à titre liminaire,

- rectifier l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Nanterre en date du 29 décembre 2023 ;

- supprimer du dispositif de cette ordonnance la mention « rappelons que l'exécution provisoire est de droit » ;

- dire que la décision rectificative sera mentionnée sur la minute et sur les expéditions de la décision rectifiée ;

- dire que les dépens au titre de cette rectification seront à la charge du Trésor Public.

à titre principal,

- infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Nanterre en date du 29 décembre 2023 en ce qu'elle a :

- rétracté l'ordonnance sur requête n° 2023 0 07186 délivrée le 15 mai 2023 à l'encontre des sas Idex Services et Idex Energies ;

- dit que les mesures d'instruction in futurum ordonnées à l'encontre des sas Idex Services et Idex Energies sont devenues caduques ;

- ordonné à la selarl Asperti-Duhamel et à la scp Judicium, commissaires de justice, de restituer à Idex Energies et Idex Services l'ensemble des éléments les concernant placés sous séquestre provisoire ;

- condamné la sas Enerlis à payer aux sas Idex Services et Idex Energies chacune la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la sas Enerlis aux dépens de l'instance ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 57,65 euros, dont TVA 9,61 euros ;

statuant à nouveau,

- confirmer l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre le 15 mai 2023,

- confirmer l'ensemble des actes réalisés en exécution de l'ordonnance sur requête du 15 mai 2023 et en particulier les procès-verbaux dressés par la selarl Asperti-Duhamel et la scp Judicium, commissaires de justice ;

- ordonner la mainlevée au profit d'Enerlis du séquestre provisoire des pièces recueillies par les commissaires de justice instrumentaires au cours des opérations de constat effectuées le 8 juin 2023 au regard de la mission restreinte confiée dans l'ordonnance du 15 mai 2023 ;

- ordonner aux commissaires de justice instrumentaires, de procéder à la communication de l'ensemble des pièces recueillies au cours des opérations de constat effectuées le 8 juin 2023 au regard de la mission restreinte confiée dans l'ordonnance du 15 mai 2023 à la société Enerlis, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- ordonner aux commissaires de justice instrumentaires de dresser un procès-verbal de mainlevée du séquestre ;

- condamner les sociétés Idex Services et Idex Energies à payer chacune à la société Enerlis la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la première instance ;

- condamner les sociétés Idex Services et Idex Energies aux entiers dépens de première instance ;

en tout état de cause,

- débouter les sociétés Idex Services et Idex Energies de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner les sociétés Idex Services et Idex Energies à payer chacune à la société Enerlis

la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre

de la procédure d'appel ;

- condamner les sociétés Idex Services et Idex Energies aux entiers dépens d'appel.'

Dans leurs dernières conclusions déposées le 4 avril 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les sociétés Idex Services et Idex Energies demandent à la cour, au visa des articles 145, 493, 496 alinéa 2 et 497 du code de procédure civile, L. 153-1 et suivants et R. 153-1 à' R. 153-8 du code de commerce, de :

'A titre liminaire, sur la demande de rectification d'erreur matérielle :

- prendre note des protestations et réserves des sociétés Idex Services et Idex Energies qui s'en remettent à la sagesse de la cour concernant l'étude de la demande de rectification formulée par la société Enerlis au sujet de la restitution des pièces ;

- juger qu'il n'y a pas lieu de rectifier l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal de commerce de Nanterre le 29 décembre 2023 concernant l'exécution provisoire de droit se rattachant à l'indemnité accordée aux sociétés Idex Services et Idex Energies au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

En conséquence,

- débouter la société Enerlis de sa demande( de rectification au sujet de l'exécution provisoire s'agissant de l'indemnité accordée aux sociétés Idex Services et Idex Energies au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

A titre principal :

- confirmer l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal de commerce de Nanterre le 29 décembre 2023 en toutes ses dispositions ;

Par conséquent :

- débouter la société Enerlis de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions ;

- ordonner à la SELARL Asperti-Duhamel et à la SCP Judicium, commissaires de justice, de restituer aux sociétés Idex Energies et Idex Services l'ensemble des éléments les concernant placés sous séquestre provisoire ;

A titre purement subsidiaire :

- renvoyer l'affaire à une audience qui se tiendra à huis clos et hors la présence de la société Enerlis afin que soient examinées, par la Cour, les pièces saisies et mises sous séquestre ;

- fixer la date à laquelle les sociétés Idex Services et Idex Energies devront communiquer à la Cour d'appel de Versailles, qui pourra seule en prendre connaissance :

o une version confidentielle intégrale des pièces qui sont de nature à porter atteinte au secret des affaires ;

o une version non confidentielle ou un résumé des pièces qui sont de nature à porter atteinte au secret des affaires ;

o un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires ;

En tout état de cause :

- condamner la société Enerlis à payer aux sociétés Idex Services et Idex Energies chacune la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

A titre liminaire, sur la demande de rectification d'erreur matérielle :

L'appelante soutient que le dispositif de l'ordonnance dont appel contient 2 mentions contradictoires, disant n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire d'une part, et rappelant que l'exécution provisoire est de droit d'autre part.

Elle demande à la cour de rectifier l'ordonnance en ce que la raison commande d'écarter l'exécution provisoire.

Les sociétés Idex intimées s'en remettent à la justice sur cette demande mais font toutefois observer qu'en application des dispositions de l'article R. 153-8 du code de commerce, lorsque la décision ne fait pas droit à la demande de communication ou de production de pièces, la suspension de l'exécution provisoire est à la discrétion du juge, tandis qu'en l'espèce, aucun motif ne justifie cette suspension en ce qui concerne la condamnation aux frais irrépétibles.

Sur ce,

Le premier alinéa de l'article 462 du code de procédure civile dispose que les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.

Dans la motivation de l'ordonnance querellée, le juge de la rétractation a consacré un paragraphe à l'exécution provisoire, indiquant qu'il ne pouvait y être fait droit, en visant l'article R. 153-8 du code de commerce.

Si dans le dispositif de cette ordonnance il est mentionné de façon contradictoire qu'il n'y a pas lieu à ordonner l'exécution provisoire d'une part, et que d'autre part l'exécution provisoire est de droit, il s'agit à l'évidence d'une erreur matérielle.

Le premier juge ayant décidé qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la décision, comme cela ressort de sa motivation, il convient de rectifier cette erreur comme il sera dit au dispositif du présent arrêt.

Sur la rétractation :

La société Enerlis, relatant que plusieurs clients communs aux parties, souhaitant préserver leur anonymat, lui avaient confirmé que le groupe Idex présentait des offres contenant de grandes ressemblances avec les siennes, entend démontrer qu'elle soulève des indices suffisants pour justifier la mainlevée du séquestre et qu'elle dispose d'un motif légitime.

Elle s'appuie ainsi sur les indices qui suivent.

1) L'absence de réponse par la société Idex Energies à sa mise en demeure du 14 février 2022 de supprimer de ses bases de données et de lui retourner l'ensemble des documents transmis lors du projet d'entrée au capital d'Enerlis, et d'adresser une déclaration sur l'honneur attestant ne les jamais avoir communiqués à des sociétés tierces au groupe Idex.

Elle souligne que le Business Plan alors communiqué aux sociétés Idex lors de ces discussions contenait des informations financières et que ce document a été complété par des réunions et des échanges d'autres documents entre les dirigeants des sociétés en cause.

Elle verse des courriels dont il ressort qu'elle a fourni une liste exhaustive des bailleurs actuels ou futurs avec qui elle travaille dans la région Nord/Grand Est ; qu'elle a proposé à Idex de participer à plusieurs appels d'offre avec elle et lui a fourni des informations dans ce cadre ; que M. [P] est même allé jusqu'à partager avec M. [N] de nouvelles stratégies de rénovation globale imaginées par Enerlis ; qu'elle a proposé à Idex de partager son abonnement avec la société « News Tank Cities » ; que les parties se sont revues le 9 juillet 2020 pour échanger des informations confidentielles sur leur partenariat.

Elle considère que l'absence de réponse par Idex Energies à la mise en demeure constitue un indice permettant de démontrer que cette intimée se refuse d'attester de la suppression et de la non-transmission à des tiers des éléments en cause et à lui restituer des documents qui sont sa propriété, et donc un indice de la potentielle concurrence déloyale qui en découle.

2) Elle argue ensuite d'indices de parasitisme commis par les sociétés Idex, lesquelles ont repris un certain nombre de ses concepts, expressions et stratégies, comme la notion de « décarbonation des territoires », la stratégie de travaux en échange de droits à certificats d'économies d'énergie (CEE), soulignant qu'elle a été une des premières sociétés à proposer, via la valorisation de CEE, le financement de travaux de rénovation énergétique.

3) L'appelante entend par ailleurs caractériser un débauchage fautif du fait que M. [L] [O], ancien salarié d'Enerlis, a rejoint Idex Services en décembre 2022 alors qu'il était lié par une clause de non-concurrence. Elle soutient que le débauchage d'un seul salarié peut caractériser un indice de débauchage fautif ; que la comparaison des contrats de travail de M. [O] révèle que ses fonctions au sein des différentes sociétés sont bien similaires (assurer la commercialisation des produits et solutions proposées par Idex, tout en étant garant du pilotage, de la prospection et de la finalisation des dossiers et ce, sur toute la France).

Elle ajoute que l'arrivée de ce salarié chez Idex coïncide avec celle des autres salariés chez Accenta, relevant qu'Idex Energies, Eren Tes et Accenta ont créé ensemble la société Aïden, dédiée à la transition énergétique et environnementale des actifs immobiliers ; que les sociétés Idex et Accenta ont eu recours au même chasseur de têtes (la société FSC) pour l'embauche de leurs nouveaux salariés.

4) La société Enerlis soutient que la création de la société Aïden constitue un indice supplémentaire permettant de justifier la mesure accordée ; que depuis la création de cette société en septembre 2020, le groupe Idex et Accenta « semblent » mener une offensive contre Enerlis, au travers du pillage de ses stratégies et moyens ; qu'il est notable que cette société a été créée concomitamment à l'arrêt des négociations entre Idex et Enerlis, alors qu'en outre, c'est à partir de cette création que plusieurs salariés ont quitté Enerlis pour rejoindre Idex Services et Accenta ; qu'il s'agit en tout état de cause d'une « indice permettant de relever la confusion du groupe Idex et d'Accenta à travers un projet commun qui permettrait de justifier leurs actions communes contre Enerlis ».

5) La société Enerlis allègue que l'identité des activités d'Idex Services et d'Idex Energies et la proximité géographique des parties constituent un indice qui vient légitimer les suspicions de concurrence déloyale.

6) L'appelante soutient également que les mesures d'instruction ordonnées ont permis l'identification d'éléments en lien avec les suspicions de concurrence déloyale à l'égard des sociétés Idex au vu du nombre de résultats ressortis des investigations.

L'appelante en déduit qu'il existe bien un motif légitime à la mesure critiquée et demande à la cour d'infirmer l'ordonnance qui a rétracté l'ordonnance sur requête du 15 mars 2023.

Sur la demande subsidiaire des intimées, elle fait valoir qu'elles ne démontrent pas que les documents visés seraient couverts par le secret des affaires.

Elle sollicite en conséquence la mainlevée du séquestre provisoire.

Les sociétés Idex sollicitent au principal la confirmation de l'ordonnance du 29 décembre 2023, soutenant que les indices avancés par la société Enerlis pour prétendre qu'elles seraient à l'origine d'une « désorganisation par débauchage fautif », d'un « détournement de clientèle et de partenaires commerciaux » ou encore d'un « parasitisme » sont de simples allégations dénuées de toute matérialité et sont insusceptibles de rendre crédibles les graves manquements allégués.

Sur le premier indice concernant l'absence de réponse à la mise en demeure du 14 février 2022, elles considèrent qu'Enerlis ne peut tirer aucun élément des pièces qu'elle vise, celles-ci indiquant uniquement que la société Enerlis conservait en 2020 des relations cordiales avec Idex.

Sur l'indice relatif à une prétendue reprise des « concepts », « expressions » et de la « stratégie » d'Enerlis, les intimées font observer que l'appelante se contente d'évoquer des griefs sans prendre la peine de verser aux débats la moindre pièce de nature à prouver leur réalité ; que le terme « décarbonation des territoires » est une expression usuelle, utilisée par tous les acteurs du secteur ; qu'Enerlis n'explique pas quelle serait sa stratégie spécifique en matière de CEE, ni en quoi elle serait originale par rapport aux conditions dans lesquelles tous les acteurs, dont le groupe Idex, valorisent les CEE.

Sur le grief de débauchage fautif, les intimées entendent démontrer que le recrutement d'un seul salarié, M. [O], réalisé en toute légalité, ne peut le caractériser ; que l'appelante ne peut leur faire supporter les griefs reprochés à Accenta et FSC qui ne les concernent pas.

Sur la création de la société Aïden, les intimées répondent qu'il n'en résulte aucun indice de concurrence déloyale, alors qu'Enerlis ne propose pas la solution de géostockage imaginée par Aïden et que si elles se sont rapprochées d'Accenta pour créer cette société, elles n'ont aucun lien capitalistique entre elles.

Elles soulignent que l'appelante ne peut se contenter d'affirmer qu'il « semble » qu'une offensive aurait été menée sans prendre la peine d'exposer les indices sérieux rendant crédibles ces affirmations.

Elles contestent la pertinence de l'indice relatif aux activités concurrentes, faisant observer que le groupe Idex exerce ses activités en France depuis 60 ans, soit bien avant la création d'Enerlis en 2013 ; que le groupe Idex a toujours eu ses activités à [Localité 4], ville dans laquelle de nombreuses sociétés, notamment du secteur, ont leur siège social.

Sur le résultat des recherches, les intimées relèvent qu'ils ne sauraient servir de base pour la justification d'une mesure d'instruction et qu'il n'est pas anormal que des fichiers aient pu être identifiés par les commissaires de justice puisque Enerlis a été partenaire d'Idex et qu'il est su de tous que M. [O] a été embauché par Idex Services.

Les appelantes en concluent qu'aucun élément ne vient corroborer la thèse « totalement fantaisiste » selon laquelle elles auraient commis des actes de concurrence déloyale.

A titre subsidiaire, si la cour infirmait l'ordonnance entreprise et confirmait celle rendue sur requête le 15 mai 2023, elles demandent d'organiser une procédure destinée à interdire la communication à la société Enerlis des documents et informations qui ne sont pas nécessaires à la solution du litige et qui sont couverts par le secret des affaires, conformément aux articles R. 153-3 et suivants du code de commerce.

Sur ce,

Selon l'article 145 du code de procédure civile, 's'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.

La procédure de rétractation permet de soumettre à la vérification d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées. Le juge, saisi d'une demande de rétractation de l'ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et tenu d'apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s'assurer d'un motif légitime à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

Le juge saisi d'une demande de rétractation statue sur les mérites de la requête en se prononçant donc, au besoin d'office, sur la motivation de la requête ou de l'ordonnance justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, motivation qui doit s'opérer in concreto et ne peut pas consister en une formule de style.

Sur la motivation de la dérogation au principe de la contradiction

Selon l'article 493 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est une décision rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

Au cas présent, le juge des requêtes, reprenant en substance les justifications présentées dans la requête, a relevé dans l'ordonnance du 15 mai 2023 que la voie non-contradictoire apparaissait indispensable dès lors que les données permettant à la requérante d'établir la preuve de l'étendue des actes de concurrence dont elle allègue être victime sont essentiellement constituées d'échanges de courriels ou de documents informatisés qui, par définition, pourraient être aisément supprimés par les sociétés visées par les mesures sollicitées.

Il a ajouté que la jurisprudence retenait de manière constante que caractérise les circonstances justifiant une dérogation au principe de la contradiction le fait que la mission confiée à un mandataire de justice puisse avoir plus de chance de succès si elle est exécutée lorsque la partie adverse n'en est pas avertie.

Eu égard aux soupçons de débauchage de salariés, laissant craindre qu'il ait eu pour conséquence que certains clients et partenaires de la société Enerlis aient été détournés, décrits dans l'ordonnance, il convient de retenir que le risque de dépérissement des preuves des actes de concurrence déloyale dénoncés par la société requérante, et, par voie de conséquence, la nécessité de préserver un effet de surprise pour assurer l'efficacité de la mesure, sont suffisamment caractérisés.

Sur l'existence d'un motif légitime

Il est constant que l'auteur de la demande à une mesure d'instruction in futurum à l'origine non contradictoire n'a pas à rapporter la preuve, ni même un commencement de preuve, du grief invoqué, mais qu'il doit toutefois démontrer l'existence d'éléments précis constituants des indices de violation possible d'une règle de droit permettant d'établir la vraisemblance des faits dont la preuve pourrait s'avérer nécessaire dans le cadre d'un éventuel procès au fond.

Il convient tout d'abord de souligner que sont sans incidence sur l'appréciation des mérites de la requête, les résultats de l'exécution des mesures sollicitées. En conséquence le motif légitime ne peut résulter de la saisie litigieuse et les développements de la société Enerlis, tentant de le caractériser ainsi, doivent être écartés.

Par ailleurs, il ne peut être donné aucun crédit à l'assertion de la société Enerlis selon laquelle plusieurs clients qu'elle aurait en commun avec le groupe Idex lui auraient indiqué que ce dernier présentait des offres ressemblant aux siennes, puisqu'aucun élément n'est versé aux débats pour le confirmer, l'appelante précisant même dans ses conclusions que les clients en question ont souhaité garder l'anonymat dans le cadre de la présente procédure.

De même, aucune conclusion probante ne saurait être tirée de l'absence de réponse de la société Idex Energies à sa mise en demeure du 14 février 2022 alors que celle-ci, qui est intervenue presque 2 ans après les discussions des parties sur un éventuel partenariat et ayant donné lieu à des remises de documents de la part de la société Enerlis, contenait des demandes ne reposant sur aucune obligation à laquelle aurait été tenue la société Idex Energies.

S'agissant de prétendus actes de parasitisme, l'appelante se contente ici aussi de formuler des allégations sans apporter le moindre élément pour les étayer. Si elle communique une copie d'écran d'une page du site internet d'Idex mentionnant « Idex, acteur indépendant engagé depuis 60 ans au service de la décarbonation des territoires », elle ne verse en revanche aucun élément susceptible de démontrer qu'elle serait à l'origine et/ou que le concept de « décarbonation des territoires » lui serait propre, ou encore qu'elle execerait une activité spécifique en matière de travaux en échange de droits à CEE, étant rappelé que si le requérant à une mesure d'instruction in futurum n'a pas à rapporter la preuve, ni même un commencement de preuve, du grief invoqué, il doit toutefois rapporter la preuve d'éléments rendant crédibles les griefs avancés.

Sur l'arrivée de M. [O] au sein d'Idex Services, il convient de rappeler que le débauchage des salariés d'une société rivale n'est pas en lui-même fautif. Il devient toutefois déloyal et donc illicite si une faute peut être imputée au nouvel employeur.

Or même à considérer que M. [O] aurait violé la clause de non-concurrence le liant à la société Enerlis, son ancien employeur, celui-ci ne caractérise aucun élément qui pourrait laisser supposer une manoeuvre fautive de la part de la société Idex Services dans le cadre de l'embauche de l'intéressé.

Aucun indice de comportement fautif de la part de la société Idex Services ne saurait résulter de l'arrivée concomitante d'autres anciens salariés de la société Enerlis, au sein de la société Accenta, société tierce, tout comme l'est la société Idex Energies, associée d'Accenta, vis-à-vis de la société Idex Services.

Par ailleurs, il est acquis que M. [O] n'a pas été embauché par la société Idex Services par l'intermédiaire de la société FSC, de sorte que les développements de l'appelante à cet égard sont inopérants.

En ce qui concerne la création de la société Aïden par les sociétés Idex Energies, Accenta et Eren Tes, qui est la résultante de la liberté d'entreprendre, l'assertion de la société Enerlis selon laquelle « le groupe Idex et Accenta semblent mener une offensive contre [elle], au travers d'un pillage de ses stratégies et moyens », est inopérante, aucun élément n'étant produit pour corroborer l'existence d'un éventuel indice d'offensive ou de pillage, ou encore « d'actions communes contre Enerlis ».

En vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, il est tout aussi vain pour l'appelante de faire valoir, sans y relever le moindre indice de déloyauté, que les intimées sont des sociétés qui lui sont concurrentes et qui ont avec elle « une proximité géographique ».

Ainsi, il découle de ce qui précède qu'aucun des éléments invoqués par la société Enerlis constitue un indice suffisant rendant vraisemblable les soupçons de concurrence déloyale.

En conséquence, l'ordonnance querellée qui a rétracté l'ordonnance sur requête prononcée le 15 mai 2023 à l'encontre des sociétés Idex Services et Idex Energies sera confirmée, ainsi que ses dispositions subséquentes.

Sur les demandes accessoires :

L'ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Enerlis ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser aux sociétés Idex Services et Idex Energies la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à leur verser, ensemble, une somme globale de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Ordonne la rectification de l'erreur matérielle figurant au dispositif de l'ordonnance du 29 décembre 2023, RG n° 2023R00910, comme suit : dit que le chef du dispositif figurant en page 16 de l'ordonnance, et rédigé ainsi « Rappelons que l'exécution provisoire est de droit », est supprimé,

Confirme l'ordonnance du 29 décembre 2023,

Y ajoutant,

Dit que la société Enerlis supportera les dépens d'appel,

Condamne la société Enerlis à verser aux sociétés Idex Services et Idex Energies, ensemble, la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.