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Cass. soc., 9 octobre 2024, n° 22-24.186

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

Cass. soc. n° 22-24.186

9 octobre 2024

SOC.

JL10

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 9 octobre 2024

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1010 F-D

Pourvoi n° U 22-24.186

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 OCTOBRE 2024

1°/ M. [M] [J] [D], domicilié [Adresse 3],

2°/ le syndicat CGT Mayotte, dont le siège est [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° U 22-24.186 contre l'arrêt rendu le 13 septembre 2022 par la chambre d'appel de Mamoudzou de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion (chambre sociale), dans le litige les opposant à la société Mayotte Channel Gateway, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [D] et du syndicat CGT Mayotte, de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de la société Mayotte Channel Gateway, après débats en l'audience publique du 11 septembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou, 13 septembre 2022) et les productions, M. [D] a été engagé en qualité d'agent de sécurité-sûreté au port de [Localité 2], le 1er juin 2010, par la chambre de commerce et d'industrie de Mayotte (la CCIM).

2. La société Mayotte Channel Gateway (la société) s'est vu attribuer une délégation de service public portant sur la gestion du port de [Localité 2], à la suite de laquelle les contrats de travail des salariés de la CCIM, dont celui de M. [D], ont été transférés au sein de la société à compter du 3 septembre 2013.

3. A compter du 23 octobre 2017, un mouvement de grève a eu lieu dans l'entreprise, auquel a participé le salarié.

4. Par lettre du 31 octobre 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 14 novembre 2017. Il a été licencié pour faute grave par lettre du 7 décembre 2017.

5. Soutenant que son licenciement était discriminatoire pour avoir été prononcé en raison de l'exercice de son droit de grève, le salarié a saisi, le 25 avril 2018, le tribunal du travail de demandes tendant notamment, à titre principal à la nullité de son licenciement, à sa réintégration et au paiement d'un rappel de salaires dus jusqu'à la réintégration, subsidiairement à dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et au paiement d'une indemnité à ce titre.

6. Le syndicat CGT Mayotte est intervenu volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger que son licenciement est justifié par une faute grave et de le débouter de sa demande de nullité de son licenciement et de l'ensemble de ses demandes à ce titre, dont sa demande de réintégration et de paiement de ses salaires sur la période allant de son éviction à sa réintégration effective, alors « que lorsqu'un salarié gréviste est licencié et qu'il allègue que son licenciement est intervenu en raison de sa participation au mouvement de grève, il appartient à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à l'exercice normal du droit de grève ; que pour débouter M. [D] de sa demande de nullité de son licenciement, la cour d'appel a relevé, par motifs adoptés, que la concomitance du déclenchement d'une procédure de licenciement avec le début d'un nouveau mouvement de grève interroge et, par motifs propres, que M. [D] ne produisait pas d'autres pièces sur son conteneur et sur un éventuel lien entre son licenciement et le mouvement de grève auquel il participait, de sorte qu'il ne rapportait pas la preuve de la discrimination ; qu'en statuant ainsi, après avoir elle-même constaté que M. [D] était en grève depuis le 27 octobre 2017, qu'il a été convoqué le 31 octobre 2017 à l'entretien préalable et licencié le 5 décembre 2017, la cour d'appel a fait peser l'entière charge de la preuve de la discrimination sur le salarié et violé les articles L. 511-1, L. 032-2 et L. 034-1 du code du travail applicable à Mayotte dans sa version alors en vigueur. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 032-2, L. 032-4, L. 034-1 et L. 511-1 du code du travail alors applicable à Mayotte :

8. Selon le premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire mentionnée à l'article L. 032-1 en raison de l'exercice normal du droit de grève.

9. Selon le deuxième, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions qui précèdent est nul.

10. Selon le troisième, en cas de litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

11. Aux termes du quatrième de ces textes, la grève ne rompt pas le contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. Son exercice ne saurait donner lieu de la part de l'employeur à des mesures discriminatoires en matière de rémunérations et d'avantages sociaux. Tout licenciement prononcé en violation du premier alinéa du présent article est nul de plein droit.

12. Il résulte de ces textes que lorsqu'un salarié établit des faits laissant supposer une discrimination dans la rupture de son contrat de travail en raison de sa participation à un mouvement de grève, il appartient à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à l'exercice normal du droit de grève.

13. Pour débouter le salarié de sa demande de nullité du licenciement et de ses demandes subséquentes, l'arrêt retient que la présence du conteneur litigieux dans le port de [Localité 2], constatée par le commandant de port le 31 octobre 2017, n'est pas contestée par le salarié, que ce dernier ne prouve pas avoir eu l'autorisation de faire entrer et de stocker ce conteneur sur le port, que la facture du mandataire par l'intermédiaire duquel il l'a acquis et payé des taxes ne démontre pas l'autorisation qu'il invoque et qu'il ne produit pas d'autres pièces sur un éventuel lien entre son licenciement et le mouvement de grève auquel il participait. L'arrêt en déduit que le salarié ne rapporte pas la preuve de la discrimination.

14. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'elle avait relevé que la procédure de licenciement avait été engagée le 31 octobre 2017, soit huit jours après que le salarié s'était déclaré en grève, ce dont il résultait que ce dernier établissait des faits laissant supposer une discrimination dans la rupture de son contrat de travail en raison de sa participation à un mouvement de grève, la cour d'appel, qui devait rechercher si l'employeur prouvait que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à l'exercice normal par le salarié de son droit de grève, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation des chefs de dispositif disant que le licenciement du salarié est justifié par une faute grave et le déboutant de sa demande de nullité du licenciement et de l'ensemble de ses demandes à ce titre n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'à payer au salarié et au syndicat des sommes en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement de M. [D] justifié par une faute grave et en ce qu'il déboute M. [D] de sa demande de nullité de son licenciement et de l'ensemble de ses demandes à ce titre, l'arrêt rendu le 13 septembre 2022, entre les parties, par la chambre d'appel de Mamoudzou de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion autrement composée ;

Condamne la société Mayotte Channel Gateway aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Mayotte Channel Gateway et la condamne à payer à M. [D] et au syndicat CGT Mayotte la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre.