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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-6, 4 octobre 2024, n° 23/09598

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 23/09598

4 octobre 2024

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 04 OCTOBRE 2024

N°2024/ 295

Rôle N° RG 23/09598 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLUY2

S.C.E.A. [Adresse 2]

C/

[K] [Y]

Copie exécutoire délivrée

le :04/10/2024

à :

Me Katia BITTON, avocat au barreau de PARIS

Me Luc ALEMANY, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DRAGUIGNAN en date du 04 Juillet 2023 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 21/00146.

APPELANTE

S.C.E.A. [Adresse 2], [Adresse 2]

représentée par Me Luc ALEMANY de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Cécile DEFAYE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [K] [Y], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Katia BITTON, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Juillet 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre, et Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller.

Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre

Madame Estelle de REVEL, Conseiller

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Octobre 2024..

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Octobre 2024.

Signé par Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

1. Selon contrat à durée indéterminée du 18 janvier 2014, M.[Y] a été embauché en qualité d'ouvrier agricole hautement qualifié statut non-cadre par la société civile d'exploitation agricole (SCEA) [Adresse 2] (la SCEA La Martinette)ayant une activité de viticulture, de dégustation de vin et de visites touristiques du vignoble à [Localité 3] (83).

2. Le 5 février 2021, M.[Y] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 12 février 2021.

3. M.[Y] étant en arrêt de travail pour accident du travail depuis le 14 janvier 2021, une nouvelle convocation lui a été adressée le 4 mars 2021, pour un entretien préalable le 12 mars 2021.

4. M.[Y] étant toujours en arrêt, l'entretien préalable n'a pas été tenu.

5. Le 6 avril 2021, M.[Y] ayant repris le travail, a reçu en main propre une convocation au 12 avril suivant.

6. Le 15 avril 2021, M.[Y] a accepté un contrat de sécurisation professionnelle (CSP).

7. Le 3 mai 2021, la SCEA [Adresse 2] a licencié M.[Y] pour motif économique.

8. Le 19 mai 2021, M.[Y] a sollicité la transmission des critères d'ordre qui l'avaient désigné au titre du licenciement.

9. Le 5 octobre 2021, M.[Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Draguignan en contestation du bien-fondé de son licenciement et en vue d'obtenir diverses indemnités pour non-respect des critères d'ordre de licenciement, irrégularité de la procédure, violation de la priorité de réembauchage et dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

10. Par jugement du 4 juillet 2023, notifié le 7 juillet 2023, le conseil de prud'hommes de Draguignan a:

- jugé le licenciement de M.[Y] comme étant sans cause réelle et sérieuse et condamné la SCEA [Adresse 2] à payer à M.[Y] la somme de 16 500 euros au titre de dommages-intérêts;

- accordé à M.[Y] sa demande de paiement des indemnités compensatrices de préavis de deux mois, soit 4 693,46 euros;

- accordé à M.[Y] sa demande de paiement des indemnités compensatrices de congés payés, soit 469,35 euros;

- débouté M.[Y] de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect des critères d'ordre de licenciement;

- débouté M.[Y] de sa demande de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure (délai entre la convocation et l'entretien préalable);

- débouté M.[Y] de sa demande concernant la violation de la priorité de réembauchage;

- débouté M.[Y] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, absence de mise en place d'un comité social et économique (CSE) et préjudice moral;

- condamné la SCEA [Adresse 2] à payer à M.[Y] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

- débouté la SCEA [Adresse 2] de toutes ses demandes reconventionnelles;

- condamné la SCEA [Adresse 2] aux entiers dépens.

11. Le 19 juillet 2023, la SCEA [Adresse 2] a fait appel de ce jugement.

12. A l'issue de ses dernières conclusions du 30 mai 2024 auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la SCEA [Adresse 2] demande à la cour de:

- réformer le jugement en ce qu'il a déclaré le licenciement de M.[Y] sans cause réelle et sérieuse et l'a condamnée au paiement de l'indemnité de 16 500 euros, accordé à M.[Y] sa demande de paiement des indemnités compensatrices de préavis (deux mois), soit la somme de 4 693,46 euros, accordé à M.[Y] sa demande de paiement des indemnités compensatrices de congés payés sur préavis soit la somme de 469,35 euros, l'a condamnée à payer à M.[Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile; l'a déboutée de toutes ses demandes reconventionnelles, l'a condamnée aux entiers dépens.

- Statuant à nouveau, il est demandé à la cour, infirmant le jugement contesté sur les chefs de jugement critiqués, de:

- juger que le licenciement de M.[Y] repose sur un motif économique établi, et qu'il est bien fondé,

- débouter M.[Y] de ses demandes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents,

- débouter M.[Y] de sa demande au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- juger qu'il n'y a pas lieu à sa condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,

- condamner M.[Y] à hauteur de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M.[Y] aux entiers dépens,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M.[Y] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect des critères d'ordre de licenciement, débouté de sa demande de dommages et intérêts pour irrégularité de la réponse à la demande des critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, débouté de sa demande de dommages et intérêts pour violation de la priorité de réembauche, débouté de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, absence de mise en place d'un CSE et préjudice moral.

13. LA SCEA La Martinette fait valoir que le licenciement de M.[Y] était uniquement justifié par la réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.

14. Elle soutient qu'elle s'est valablement acquittée de son obligation de reclassement envers M.[Y] en interne, qu'il n'existait aucun poste disponible susceptible de lui être proposé et que M.[Y] ne rapporte pas la preuve du groupe.

15. Elle expose que M.[Y] ayant adhéré à un contrat de sécurisation professionnelle elle n'était pas tenue d'informer l'administration du travail de son licenciement.

16. Elle conteste avoir violé la priorité de réembauchage de M.[Y] au motif qu'il a refusé le contrat à durée déterminée pour effectuer les vendanges qu'elle lui a proposé le 20 juillet 2021 et qu'elle n'a procédé à aucun recrutement après le 5 juillet 2021, date à laquelle il a demandé à solliciter d'une telle priorité.

17. Concernant les dommages-intérêts sollicités par M.[Y] au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et son préjudice moral, elle indique que son ex-salarié ne justifie pas du dommage qu'il y aurait lieu de réparer.

18. Enfin, s'agissant du respect des critères d'ordre, elle indique que faisant suite à la demande formée par M.[Y] le 19 mai 2021, elle lui a communiqué, dans le délai de dix jours prévu par l'article R1233-1 du code du travail, les critères d'ordre qu'elle a mis en 'uvre ayant conduit à sa désignation pour faire l'objet d'un licenciement.

19. A l'issue de ses dernières conclusions du 4 juin 2024 auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, M.[Y] demande à la cour de:

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Draguignan le 4 juillet 2023 en ce qu'il a déclaré son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SCEA [Adresse 2] au paiement de l'indemnité: 16 500 euros, lui a accordé sa demande de paiement des indemnités compensatrices de préavis: 4 693,46 euros, accordé sa demande de paiement des indemnités compensatrices de congés payés sur préavis: 469,35 euros, condamné la SCEA [Adresse 2] à lui payer l'article 700 du code de procédure civile: 2 500 euros et débouté cette dernière de toutes ses demandes reconventionnelles et l'a condamnée aux entiers dépens,

- infirmer partiellement le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Draguignan du 4 juillet 2023 des demandes et sommes non obtenues et plus précisément, en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect des critères d'ordre de licenciement, débouté de sa demande concernant la violation de la priorité de réembauche, débouté de sa demande des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, absence de mise en place d'un CSE et préjudice moral,

- juger l'absence de mise en place du CSE,

- juger qu'en l'absence de représentant du personnel et du procès-verbal de carence, le licenciement doit être automatiquement requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- juger l'absence de toute cause réelle et sérieuse du motif économique du licenciement invoqué par la SCEA [Adresse 2],

- juger de l'exécution déloyale du contrat de travail,

- condamner la SCEA [Adresse 2] à lui payer les sommes suivantes:

- indemnité complémentaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse: 2 600 euros nets,

- dommages et intérêts pour non-respect des critères d'ordre de licenciement: 19 500 euros nets,

- dommages et intérêts pour irrégularité dans la procédure (délai entre le courrier de convocation et l'entretien préalable): 5 000 euros nets,

- violation de la priorité de réembauchage: 15 000 euros nets,

- dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, absence de mise en place d'un CSE et préjudice moral: 20 000 euros nets;

- article 700 du code de procédure civile: 3 500 euros;

- débouter la SCEA [Adresse 2] de l'ensemble de ses demandes;

- ordonner la remise du bulletin de paie, du certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi conformes à la décision à intervenir;

- ordonner l'intérêt au taux légal au jour de la saisine, soit au 1er octobre 2021, sur l'intégralité des condamnations;

- ordonner la capitalisation des intérêts;

- condamner la SCEA [Adresse 2] aux entiers dépens.

20. Pour contester son licenciement pour motif économique, M.[Y] expose que la SCEA La Martinette ne justifie pas du motif économique invoqué à l'appui de son licenciement et lui reproche notamment une production incomplète de ses pièces comptables.

21. En outre grief à la SCEA La Martinette d'avoir manqué à son obligation de reclassement en raison de l'absence de formation ou d'adaptation préalable ainsi que de recherche effective et sérieuse de reclassement tant en interne qu'au sein du groupe auquel elle appartenait.

22. Il affirme en outre que la SCEA La Martinette a procédé à son licenciement sans établir préalablement des critères d'ordre des licenciements et que, compte tenu de son effectif, il appartenait à la SCEA La Martinette de mettre en place un comité social et économique, entraînant ainsi l'irrégularité de la procédure. Par ailleurs qu'il appartenait à la SCEA La Martinette, s'agissant d'un licenciement collectif d'informer préalablement l'autorité administrative.

23. Enfin il indique qu'il avait demandé à solliciter de la priorité de réembauchage et que, faute pour la SCEA La Martinette de verser aux débats son registre du personnel à jour, il ne peut vérifier le respect par l'employeur de cette obligation, justifiant ainsi sa demande en dommages-intérêts.

24. La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 juin 2024. Pour un plus ample exposé de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère expressément à la décision déférée et aux dernières conclusions déposées par les parties.

MOTIVATION

Sur le licenciement pour motif économique:

25. L'article L.1233-3 du code du travail dispose que:

Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment:

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à:

Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés;

Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés;

Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés;

Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus;

2° A des mutations technologiques;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées au présent article, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.

26. La note d'information remise par la SCEA La Martinette à M.[Y] dans le cadre de son entretien préalable à licenciement est rédigée dans les termes suivants: « Nous envisageons de rompre votre contrat de travail pour motif économique. Ce projet de licenciement repose sur les graves difficultés économiques rencontrées par l'entreprise, principalement caractérisée par la crise sanitaire sans précédent provoquée par le coronavirus, à l'état d'urgence sanitaire décrété pour faire face à l'épidémie de COVID 19, et face à une catastrophe sanitaire qui continue à se dégrader. Consécutivement aux deux confinements successifs en 2020 et en 2021 et à la décision gouvernementale de fermer les restaurants, nous avons à ce jour accumulé et ce en dépit du dispositif d'activité partielle mis en place par le gouvernement auquel nous avons eu recours, d'importantes difficultés économiques, directement induites par la crise de Covid-19. Le Chiffre d'Affaires global sur la vente de vins du domaine (lequel représente plus de 90% des recettes) a ainsi baissé de 14% entre 2019 et 2020 alors qu'il était en croissance de +18% entre 2018 et 2019 et +23% entre 2017 et 2018. La part de Chiffre d'affaires perdu sur le secteur Café Hôtels Restaurants en 2020 est passée à -34%. Cette baisse continue en 2021 Nous sommes donc contraints d'envisager une restructuration de l'entreprise pour sauvegarder la compétitivité de cette dernière. Cette réorganisation se manifesterait par la suppression de 2 services : le service sécurité et le service projets agricoles. En effet le service projet agricole dont le coeur des recettes est constitué de la vente des huiles d'olive a accusé une baisse de -30% de la production en 2020 par rapport à 2019. Ceci ajouté au fait que le Chiffre d'Affaires généré en 2020 par ce service représente 11,4% des dépenses. Le service sécurité quant à lui ne génère aucune recette. En 2020, la masse salariale des services sécurité et projets agricoles cumulés représentait 27% de la masse salariale totale de l'entreprise pour à peine 2% des recettes. En raison du motif énoncé ci-dessus, la Direction de la société a pris la décision de supprimer votre emploi ».

27. Il ressort clairement des termes de cette note d'information et de l'argumentation développée par la SCEA La Martinette que le seul motif retenu par la SCEA La Martinette pour procéder à la suppression du poste de travail de M.[Y] réside dans la nécessité de réorganiser l'entreprise pour sauvegarder sa compétitivité.

28. La SCEA La Martinette verse aux débats ses comptes de résultats pour les exercices 2020, 2021 et 2022 qui se résument comme suit:

exercice 2020

exercice 2021

exercice 2022

chiffre d'affaires

986 050 €

879 139 €

1 127 913 €

produits d'exploitation

1 162 088 €

1 142 410 €

1 383 539 €

salaires et traitements

922 488 €

760 115 €

807 431 €

charges sociales

354 857 €

292 070 €

268 937 €

dotations aux amortissements

483 087 €

1 042 321 €

1 148 626 €

charges d'exploitation

3 047 220 €

3 019 033 €

3 219 551 €

résultat d'exploitation

- 1 885 132 €

- 1 876 623 €

- 1 836 011 €

résultat financier

- 191 353 €

- 157 615 €

- 10 795 €

résultat courant avant impôts

- 2 076 485 €

- 2 034 238 €

- 1 846 806 €

résultat exceptionnel

56 228 €

43 130 €

- 42 562 €

bénéfice ou perte

- 2 020 257 €

- 1 991 108 €

- 1 889 368 €

29. Elle produit en outre aux débats:

- Un tableau détaillant mois par mois, pour l'année 2020, le chiffre d'affaires réalisé au titre de la vente de vins,

- la balance du compte « vente huile d'olive domaine » pour l'année 2020 établissant un solde de 16 963,54 euros contre 9 756.18 euros pour l'exercice 2019,

- une attestation de son expert-comptable indiquant que, pour l'année 2019, son chiffre d'affaires relatif à la vente de vins, s'est élevé à 947 124 euros ht et à 778 613 euros ht pour l'année 2020.

30. Il convient de relever que la SCEA La Martinette, malgré l'argumentation expressément soulevée de ce chef par M.[Y], n'a pas versé aux débats l'intégralité de ses liasses fiscales afférentes aux exercices précités, notamment son bilan et ses annexes, qu'il n'est pas possible de vérifier la consistance de certains postes du compte de résultat, notamment les dotations aux amortissements qui ont plus que doublé entre 2020 et les exercices 2021 et 2022, que les pièces versées à l'instance par la SCEA La Martinette ne permettent pas de se convaincre que ces dotations aux amortissements correspondent à des travaux rendus nécessaires afin de prévenir la dégradation de biens immobiliers, que la SCEA La Martinette ne produit pas son compte de résultat pour l'année 2019 et qu'il ne ressort ni de la lettre d'information précitée ni de l'argumentation développée par la SCEA La Martinette dans le cadre de la présente instance que le licenciement de M.[Y] ainsi que des autres salariés était de nature à sauvegarder sa compétitivité. Ainsi, il n'est produit aucune démonstration comptable permettant de chiffrer les conséquences attendues sur la compétitivité de l'entreprise en raison de ces licenciements et de la réorganisation de la société. Il existe en conséquence un doute sur la réalité du motif économique invoqué par la SCEA La Martinette privant le licenciement de M.[Y] de cause réelle et sérieuse.

31. Il est de principe que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue (Cour de cassation, chambre sociale, 13 septembre 2017, n°16-13.578).

32. L'article L.1235-3 du code du travail prévoit que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis et que si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant, calculé en fonction de l'ancienneté du salarié en année complète, est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau qu'il prévoit.

33. Il est de principe que cette indemnité doit être calculée en fonction du salaire brut. Dès lors, M.[Y] ne peut solliciter le paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en net.

34. Compte tenu de son ancienneté et de sa rémunération, soit 2 346,73 euros bruts, le préjudice subi par M.[Y] en raison de son licenciement sera indemnisé en lui allouant la somme de 14 080,38 euros bruts à titre de dommages-intérêts.

35. Il est de principe qu'en l'absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle n'a pas de cause et l'employeur est alors tenu à l'obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées au salarié.

36. En application de l'article L.1234-1, 3° du code du travail, la durée du préavis auquel M.[Y] pouvait prétendre était de deux mois.

37. La SCEA La Martinette ne rapporte pas la preuve du paiement de sommes à M.[Y] au titre du préavis pendant le CSP. Il sera en conséquence fait droit à la demande de M.[Y] de ce chef.

38. Le licenciement de M.[Y] ayant été reconnu dépourvu de cause réelle et sérieuse, il est donc sans objet de se prononcer sur le respect par la SCEA La Martinette des critères d'ordre.

39. En outre, l'indemnité éventuellement due de ce chef ne peut se cumuler avec les dommage-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré, qui a alloué des dommages-intérêts de ce chef à M.[Y] sera donc infirmé.

Sur l'information de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DREETS):

40. L'article 954 du code de procédure civile dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties.

41. En l'espèce, dans le dispositif de ses conclusions, M.[Y] ne formule aucune demande en dommages-intérêts tirée de la violation par la SCEA La Martinette de son obligation d'informer la DREETS préalablement à son licenciement. Il n'y a donc pas lieu à trancher sur le bien fondé des moyens soulevés de ce chef par ce salarié.

Sur le défaut de réponse à la demande d'information sur les critères d'ordre:

42. Il ressort de l'article L.1233-43 code du travail que, en cas de licenciement de dix salariés au plus dans une même période de trente jours, sur demande écrite du salarié, l'employeur indique par écrit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements.

43. L'article R.1233-1 du même code précise que le salarié qui souhaite connaître les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements adresse sa demande à l'employeur, en application des articles L. 1233-17 et L. 1233-43, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, avant l'expiration d'un délai de dix jours à compter de la date à laquelle il quitte effectivement son emploi, que l'employeur fait connaître les critères qu'il a retenus pour fixer l'ordre des licenciements, en application de l'article L. 1233-5, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, dans les dix jours suivant la présentation ou de la remise de la lettre du salarié, que ces délais ne sont pas des délais francs et qu'ils expirent le dernier jour à vingt-quatre heures.

44. Le manquement de l'employeur à son obligation d'indiquer au salarié licencié pour motif économique, qui le demande, les critères d'ordre retenus pour procéder à son licenciement constitue une irrégularité que le juge doit réparer en fonction du préjudice subi par le salarié.

45. En l'espèce, selon lettre recommandée avec accusé de réception du 19 mai 2021 M.[Y] a sollicité de la SCEA La Martinette les critères qu'elle avait retenus pour fixer l'ordre des licenciements. La SCEA La Martinette a répondu à cette demande le 24 mai 2021. Elle s'est ainsi acquittée de l'obligation lui incombant en application de l'article L.1233-43 du code du travail. M.[Y] ne peut donc prétendre à des dommages-intérêts de ce chef.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail, l'absence de mise en place du comité social et économique (CSE) et le préjudice moral:

46. L'article L. 1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

47. Selon l'article L.1233-19 du même code, l'employeur qui procède à un licenciement collectif pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours informe l'autorité administrative du ou des licenciements prononcés.

48. L'article D. 1233-3 code du travail édicte que, en cas de licenciement pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur informe par écrit le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des licenciements prononcés dans les huit jours de l'envoi des lettres de licenciement aux salariés concernés.

49. L'article L.1235-15 du même code énonce qu'est irrégulière toute procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité social et économique n'a pas été mis en place alors qu'elle est assujettie à cette obligation et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi et que le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire brut, sans préjudice des indemnités de licenciement et de préavis.

50. A l'exception du grief tiré de l'absence de mise en place d'un CSE, M.[Y] n'invoque aucun grief précis à l'encontre de la SCEA La Martinette caractéristique d'un manquement de sa part à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail.

51. La SCEA La Martinette reconnait que, compte tenu de ses effectifs, elle aurait dû, à compter de l'année 2020, organiser un scrutin en vue de l'élection des membres du CSE et ne justifie pas d'un procès-verbal de carence.

52. Il est de principe que l'employeur qui met en 'uvre une procédure de licenciement économique, alors qu'il n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel et sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts (Cour de cassation, chambre sociale, 17 octobre 2018, n°17-14.392).

53. Pour le surplus, M.[Y] ne rapporte pas la preuve du préjudice, notamment moral, qu'il aurait subi à raison du défaut de mise en place du CSE et de l'exécution déloyale du contrat de travail qu'il reproche à la SCEA La Martinette .

54. Le préjudice subi par M.[Y] en raison de l'absence de mise en 'uvre par la SCEA La Martinette des diligences nécessaires à la mise en place d'un comité social et économique sera indemnisé en lui allouant la somme de 2 346,73 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur la priorité de réembauchage:

55. Il ressort de l'article L1233-45 du code du travail que le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai et que, dans ce cas, l'employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification.

56. L'article L.1235-13 du même code dispose que, en cas de non-respect de la priorité de réembauche prévue à l'article L. 1233-45, le juge accorde au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.

57. En l'espèce, le 5 mai 2021, M.[Y] a informé la SCEA La Martinette qu'il entendait exercer sa priorité de réembauchage. Il n'a pas donné suite au poste de vendangeur qui lui avait été proposé par la SCEA La Martinette le 20 juillet 2021. En outre, il ressort clairement du registre du personnel versé aux débats par la SCEA La Martinette qu'il n'existait au profit de M.[Y], dans l'année de son licenciement, aucun poste disponible et compatible avec sa qualification. La demande d'indemnité qu'il forme de ce chef s'avère donc infondée.

Sur le surplus des demandes:

58. Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les sommes allouées à M.[Y] à titre indemnitaire devront porter intérêts à compter du présent arrêt concernant les dommages-intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et du jugement du conseil de prud'hommes pour les autres créances indemnitaires alors que les sommes allouées à M.[Y] à titre salarial devront porter à compter de la mise en demeure, soit en l'espèce la convocation de la SCEA La Martinette devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes, soit le 5 octobre 2021.

59. Enfin, la SCEA La Martinette, partie perdante qui sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles, devra payer à M.[Y] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Draguignan du 4 juillet 2023 en ce qu'il a:

- condamné la SCEA La Martinette à payer à M.[Y] la somme de 16 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- débouté M.[Y] de sa demande en dommages-intérêts pour défaut de mise en place d'un comité social et économique,

LE CONFIRME pour le surplus et statuant à nouveau sur les chefs d'infirmation,

CONDAMNE la SCEA La Martinette à payer à M.[Y] les sommes suivantes:

- 14 080,38 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 346,73 euros à titre de dommages-intérêts à raison de l'absence de mise en place d'un comité économique et sociale,

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

ORDONNE la remise par la SCEA La Martinette à M.[Y] d'un bulletin de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conformes aux condamnations qui précèdent,

DIT que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2021,

DIT que les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt pour les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à compter du jugement du conseil de prud'hommes pour les autres créances indemnitaires,

ORDONNE la capitalisation annuelle des intérêts,

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE la SCEA La Martinette aux dépens de la procédure d'appel.

Le Greffier Le Président