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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 8 octobre 2024, n° 23/00405

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

BETDF-Sud (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Demont

Conseillers :

M. Graffin, M. Vetu

Avocats :

Me Bez, Me Poulain

T. com. Béziers, du 16 janv. 2023, n° 20…

16 janvier 2023

FAITS ET PROCÉDURE :

La S.A.S.U. Betdf-Sud exerce une activité de travaux de construction et de charpente.

Par acte sous seing privé du 17 mai 2021, elle a signé en qualité de mandant avec Mme [G] [E] un contrat d'agent commercial à durée indéterminée pour la commercialisation de prestations d'énergies renouvelables.

Au titre de cet engagement, Mme [G] [E] a prospecté et obtenu des contrats pour la société Betdf-Sud, l'ayant conduit à émettre quatre factures entre le 21 novembre 2021 et le 18 décembre 2021 pour un montant total de 3 884,44 euros hors taxes.

Ces factures n'ont pas été réglées par la société Betdf-Sud.

Le 20 mai 2022, Mme [E] a vainement mis en demeure la société Betdf-Sud de lui régler les factures impayées et de lui transmettre les éléments permettant la facturation d'un autre dossier concernant les époux [U].

Le 17 octobre 2022, la société Betdf-Sud a procédé à une résiliation anticipée du contrat pour faute grave.

Par exploit d'huissier du 14 septembre 2022, Mme [E] a assigné la société Betdf-Sud en paiement.

Par jugement contradictoire du 16 janvier 2023, le tribunal de commerce de Béziers a :

- condamné la société Betdf-Sud à payer à Mme [G] [E] les sommes de :

- 1 733,20 euros correspondant à deux mois de préavis estimés sur la base de sa première année de commissions ;

- 10 399,20 euros à titre d'indemnité compensatrice pour la rupture du contrat d'agent estimée à un an de commissions ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires tenues pour injustes ou mal fondées ;

- et condamné la société Betdf-Sud à payer à madame [G] [E] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par déclaration du 25 janvier 2023, la société Betdf-Sud a relevé appel de ce jugement.

Par ordonnance de référé du 5 avril 2023, la cour d'appel de Montpellier a débouté la société Betdf-Sud de sa demande aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement entrepris.

Par conclusions du 14 mars 2023 la société Betdf-Sud demande à la cour, au visa des articles L. 134-11, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce,

de :

réformer le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;

ordonner la production de tous justificatifs permettant la substitution dans le contrat d'agent commercial, de Mme [G] [E] personne physique, à une société sociale, et notamment, la SAS Energia Domum, assujettie à la TVA ;

ordonner la production de tous justificatifs contractuels, qui prouverait le lien contractuel entre Mme [G] [E] et les époux [U] ;

débouter Mme [G] [E] de l'intégralité de ses demandes ;

condamner Mme [G] [E] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la mise en péril de la société par son action abusive ;

et condamner Mme [G] [E] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions du 12 juin 2023, formant appel incident, Mme [G] [E] demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants, 1224 et 1240 du code civil et des articles L. 134-11 et L. 134-12 du code de commerce, de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Betdf-Sud à lui payer les sommes de 1 733,20 euros correspondant à deux mois de préavis, 10 399,20 euros à titre d'indemnité compensatrice pour la rupture du contrat d'agent, 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

- réformer le jugement attaqué pour le surplus ;

statuant à nouveau

- constater le défaut de paiement fautif des factures émises ;

- constater le défaut de communication d'éléments propres à apprécier le droit à commission de l'agent commercial ;

- ordonner la résiliation judiciaire du contrat d'agent commercial qui lie Mme [G] [E] à la société Betdf-Sud pour inexécution grave des obligations du mandant constituée par le défaut de règlement des factures et la non communication d'éléments propres à apprécier le droit à commission de l'agent commercial ;

- condamner la société Betdf-Sud à lui verser la somme de 4 661,65 euros en règlement des factures n°AV20211122 du 21 novembre 2021, n°AV20211122 du 22 novembre 2021, n°AV20211203 du 3 décembre 2021 et n°AV20211812 du 18 décembre 2021, assorties d'intérêts au taux légal depuis la mise en demeure du 20 mai 2022 avec anatocisme à compter de la date de l'assignation ;

- condamner la société Betdf-Sud à verser à Mme [G] [E] la somme de 10 800 euros en règlement de la commission due de 18 % du montant hors taxes, hors frais de crédit gratuit ou compensé, hors consuel Enedis si revente sur les fonds reçus versés par l'Etat au titre du dossier de M. et Mme [U] ;

- condamner la société Betdf-Sud à lui payer la somme de 3 533,20 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis de l'article l134-11 du code de commerce ;

- condamner la société Betdf-Sud à lui payer la somme de 21 199,20 euros au titre de l'indemnité de cessation de mandat de l'article l134-12 du code de commerce ;

- condamner la société Betdf-Sud à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts en raison des préjudices financier et moral subis du fait de sa résistance abusive et pour rupture abusive et brutale de la relation commerciale ;

- condamner la société Betdf-Sud à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure d'appel ;

en tout état de cause

- et rejeter l'ensemble des demandes émises par la société Betdf-Sud.

Le ministère public, auquel le dossier de l'affaire a été communiqué en date du 26 janvier 2023 et qui a été informé de la date d'audience, n'a pas fait connaître son avis.

Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est datée du 16 août 2024.

MOTIFS :

Sur le paiement des factures de Mme [E]

Mme [E] sollicite le paiement de quatre factures pour un montant total de 4 661,65 euros, dont la société Betdf-Sud ne conteste pas le bien-fondé et sur lesquelles le tribunal a omis de statuer, étant par ailleurs constaté que la circonstance que Mme [E] ait pu libeller certaines de ses autres factures au nom d'une société apparemment créée par elle (la S.A.S. Energia Domum), et non en son nom personnel est sans emport sur ses demandes formulées dans le cadre de la présente instance.

Il sera en conséquence fait droit à la demande de Mme [E], et la société Betdf-Sud sera déboutée de ses demandes formées au titre de la production de pièces relatives à la relation entre Mme [E] et ladite S.A.S. Energia Domum.

Mme [E] sollicite par ailleurs une somme de 10 800 euros correspondant à une facture concernant un dossier [U] pour lequel elle soutient avoir travaillé.

Elle justifie effectivement par les pièces qu'elle produit (copies de SMS fixant des rendez-vous, dossier de rénovation énergétique, échanges de courriels et de SMS avec la société Betdf-Sud au sujet de ce dossier) être effectivement intervenue sur le dossier des époux [U].

Cependant, malgré plusieurs demandes qu'elle a formulées auprès de son mandant, étant rappelé que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir d'information, la société Betdf-Sud, qui conteste l'intervention de Mme [E] sur ce dossier, a refusé de lui communiquer le contrat signé avec les époux [U], de sorte que Mme [E] a établi elle-même au regard des éléments dont elle disposait (un diagnostic de rénovation énergétique notamment) le montant du marché à hauteur de 50 000 euros et donc de sa facture à hauteur de 10 800 euros conformément au taux de commission mentionné sur son contrat d'agent commercial.

Par voie de conséquence, il sera fait droit à la demande de Mme [E], et la société Betdf-Sud sera déboutée de sa demande de production du contrat qu'elle a elle-même signé avec les époux [U] hors la présence de Mme [E].

La société Betdf-Sud sera en conséquence condamnée à payer à Mme [E] au titre de ses factures non réglées la somme de 15 461,65 euros (4 661,65 + 10 800), assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2022, date de la mise en demeure, avec anatocisme.

Sur l'indemnité compensatrice de fin de contrat et l'indemnité de préavis

Selon les dispositions des articles L 134-12 et L 134-13 du code de commerce, « en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi (...) cependant la réparation n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ».

Il résulte de ces textes que la faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et qui rend impossible le maintien du lien contractuel, excluant le bénéfice d'une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agent commercial.

En l'espèce, la société Betdf-Sud a résilié le contrat de Mme [E] le 17 octobre 2022, en faisant état d'une part d'erreurs répétées dans le sous-dimensionnement de machines vendues à des clients, d'autre part d'un comportement agité lors d'une réunion commerciale, et de dernière part de l'absence d'apport d'aucune clientèle nouvelle.

S'agissant des problèmes de sous dimensionnement, la société Betdf-Sud ne rapporte pas la preuve par les pièces qu'elle produit (tarifs applicables, bons de commande établis par Mme [E] avec les clients et ses factures d'agent commercial), que s'il y a pu avoir sur certains dossiers une évolution entre la puissance des pompes à chaleur vendus par cette dernière et ceux réellement installés par la société Betdf-Sud, celle-ci soit effectivement imputable à Mme [E], la société Betdf-Sud ne lui ayant jamais fait de reproches à ce titre avant la lettre de résiliation du 17 octobre 2022 et alors que son agent commercial débutait son activité et était sans expérience.

Par ailleurs, en ce qui concerne le comportement de Mme [E] lors d'une réunion commerciale, il résulte des attestations produites par la société Betdf-Sud que cette réunion a eu lieu le 4 octobre 2021, sans que la société ne fasse non plus aucun reproche à son agent commercial avant la lettre de résiliation, laissant ainsi se poursuivre leurs relations contractuelles pendant un an.

Enfin, la société Betdf-Sud ne rapporte pas non plus la preuve d'une absence d'apport d'une clientèle nouvelle par Mme [E] à qui elle n'avait fixé aucun objectif à ce titre.

La société Betdf-Sud ne démontre donc pas la réalité de fautes d'une gravité rendant impossible le maintien du lien contractuel.

Par voie de conséquence, Mme [E] a droit à une indemnité compensatrice de fin de contrat et à une indemnité de préavis.

Mme [E] aura perçu dans l'exécution de son contrat qui a couvert une période d'une année, en intégrant la facture concernant le dossier des époux [U], des commissions pour un montant de 21 199,20 euros.

Au titre de l'indemnité de préavis prévue à l'article L 134-11 du code de commerce, il sera alloué à Mme [E] la somme de 3 533, 20 euros correspondant à deux mois de commissions.

Au titre de l'indemnité compensatrice de fin de contrat et au regard de la durée d'une année seulement d'exécution de son contrat d'agent commercial, il sera alloué à Mme [E] la somme de 10 000 euros.

Le jugement sera en conséquence réformé.

Mme [E] sera par ailleurs déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive et pour la rupture brutale de la relation commerciale, cette demande étant réparée par l'octroi d'une part de dommages et intérêts moratoires et d'autre part d'une indemnité compensatrice de fin de contrat.

Par ailleurs, la société Betdf-Sud ayant résilié son contrat d'agent commercial le 21 octobre 2022, Mme [E] ne peut qu'être déboutée de sa demande de résiliation judiciaire.

En outre, au regard de la solution du litige, la société Betdf-Sud ne peut également qu'être déboutée de sa demande de dommages-intérêts formée en réparation de son préjudice allégué pour procédure abusive.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné la S.A.S.U. Betdf-Sud à payer à Madame [G] [E] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

Statuant à nouveau,

Condamne la S.A.S.U. Betdf-Sud à payer à Mme [G] [E] les sommes de :

15 461,65 euros au titre des factures demeurées impayées, somme qui sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2022, date de la mise en demeure, avec anatocisme,

3 533, 20 euros au titre de l'indemnité de préavis,

10 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de fin de contrat,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la S.A.S.U. Betdf-Sud aux dépens d'appel,

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la S.A.S.U. Betdf-Sud à payer à Mme [G] [E] la somme de 2 000 euros et rejette les autres demandes.