CA Lyon, 1re ch. civ. B, 8 octobre 2024, n° 22/07643
LYON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Gaec de (Sté)
Défendeur :
Jeannet Débit Loire Élevage (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Goursaud
Conseillers :
Mme Lemoine, Mme Lecharny
Avocats :
Me Robert, Me Thinon
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant devis du 25 octobre 2019, accepté le même jour, le groupement agricole d'exploitation en commun de [Adresse 4] (le GAEC) a commandé à la société Jeannet-débit-Loire élevage (la société) la fourniture et la pose d'un système de vidéosurveillance dans les bâtiments de son exploitation d'élevage, le devis précisant que la pose des rails et des gaines est réalisée par le client.
Le GAEC a réglé la facture du 3 décembre 2019 d'un montant total de 15'000 euros TTC.
Se plaignant de l'inefficacité du système, il a fait diligenter une expertise amiable contradictoire le 30 mars 2021 puis a assigné la société devant le tribunal judiciaire de Roanne en résolution de la vente et paiement de dommages-intérêts.
Par un jugement du 30 septembre 2022, le tribunal l'a débouté de ses demandes, a dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamné aux dépens.
Par déclaration du 18 novembre 2022, le GAEC a relevé appel du jugement.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 6 décembre 2022, il demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- prononcer la résolution de la vente intervenue entre les parties suivant facture n° 106628 du 3 décembre 2019,
- condamner la société à lui verser la somme de 15'000 euros en restitution du prix versé,
- condamner la société à lui verser la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts complémentaires,
- débouter la société de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la société à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
À l'appui de son appel, le GAEC fait valoir essentiellement que :
- le vendeur professionnel est débiteur d'une obligation de délivrance et la conformité au contrat ne peut être respectée que si l'installation répond aux attentes et aux besoins spécifiques de l'acquéreur ;
- le vendeur est également débiteur d'une obligation accessoire d'information et de conseil, et il lui incombe de démontrer qu'il s'est acquitté de l'obligation de s'enquérir des besoins de l'acheteur et de l'informer de l'aptitude du matériel proposé à l'emploi qui en est prévu, la qualité de professionnel de l'acquéreur, au sens du code de la consommation, n'étant pas exclusive de l'obligation et du devoir d'information et de conseil du vendeur professionnel ;
- en l'espèce, alors que la société était informée de l'objectif poursuivi par le GAEC, à savoir la surveillance des animaux et plus particulièrement des vaches gravides et des veaux nouvellement nés, elle n'a réalisé aucun diagnostic des risques avant l'établissement du devis et n'a fait aucune préconisation afin que le système soit le plus efficace possible ; au contraire, elle a laissé croire au GAEC que l'installation de la caméra sur un rail allait permette de surveiller l'ensemble du cheptel ; elle a donc commis un manquement à son obligation d'information et conseil, dès lors que l'installation n'est pas adaptée aux besoins et à l'objectif de surveillance du GAEC ;
- il est fondé à solliciter, outre la résolution de la vente, des dommages-intérêts pour la gêne occasionnée depuis l'installation du matériel, liée à l'inefficacité du système.
Par conclusions notifiées le 16 février 2023, la société demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté le GAEC de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens,
- infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :
- débouter le GAEC de l'intégralité de ses demandes,
- condamner le GAEC à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le GAEC à la somme de 2 000 euros sur le même fondement, en cause d'appel,
- condamner le GAEC aux entiers dépens d'appel.
La société fait valoir essentiellement que :
- le GAEC est un professionnel au sens du code de la consommation, qui connaît pertinemment le fonctionnement de ses bâtiments et de ses animaux, et avait la capacité d'estimer si l'emplacement des caméras pouvait convenir et suffire ; c'est en outre lui-même qui a posé les rails sur lesquels les caméras de surveillance ont été installées ;
- elle avait présenté dans un premier temps des solutions avec plusieurs caméras par bâtiment, solutions qui ont été écartées par le GAEC au profit d'une proposition moins onéreuse ; l'expert confirme une impossibilité de surveillance mais uniquement en raison du nombre de caméras et du mouvement des vaches ; or, elle ne saurait être tenue responsable du choix économique de l'acheteur ou du mouvement des vaches ;
- elle a respecté ses engagements contractuels et a délivré un bien conforme au devis signé le 25 octobre 2019 ;
- la demande de dommages-intérêts formulée par le GAEC n'est justifiée ni dans son principe ni dans son quantum.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 septembre 2023.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la demande de résolution du contrat
Selon l'article 1224 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.
1.1. Sur le manquement à l'obligation de délivrance conforme
Il résulte de l'article 1604 du code précité que le vendeur doit délivrer la chose conformément aux stipulations de l'acte de vente et que constitue un manquement à l'obligation de délivrance la livraison d'une chose non conforme aux spécifications convenues par les parties.
La charge de la preuve de la non-conformité incombe à l'acquéreur.
Il appartient aux juges du fond de déterminer in concreto quelles étaient les caractéristiques de la chose en considération desquelles la vente avait été conclue.
En l'espèce, il n'est pas contesté que le matériel de vidéosurveillance vendu et installé par la société est strictement conforme au devis accepté par le GAEC le 25 octobre 2019.
S'agissant de la conformité de l'installation aux attentes et aux besoins spécifiques de l'acquéreur, la cour observe que les parties ne versent aux débats aucune pièce contemporaine de l'époque de la signature du contrat contenant l'expression des besoins du GAEC, ni même une précision sur l'objectif poursuivi par celui-ci.
Si le GAEC soutient dans ses conclusions en appel que le système devait avoir « pour objet de permettre au gérant de surveiller les animaux, plus particulièrement en période de vêlage », il n'établit pas que cette finalité avait été convenue entre les parties, la société indiquant pour sa part dans ses conclusions avoir été contactée par le GAEC « concernant l'installation d'un système de vidéosurveillance sur des bâtiments agricoles ».
Dans ces conditions, le système de vidéosurveillance vendu étant conforme au devis et les trois caméras installées permettant de visualiser les bâtiments de l'exploitation, il convient de considérer que la société n'a pas manqué à son obligation de délivrance conforme.
1.2. Sur le manquement à l'obligation d'information et de conseil
Selon l'article 1615 du code civil, l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel.
Il résulte de ce texte que le contrat de vente met à la charge du vendeur professionnel une obligation d'information et de conseil.
Lorsque la vente porte sur des biens qui revêtent une certaine technicité, le contenu de l'obligation d'information et de conseil pesant sur le vendeur professionnel porte sur les caractéristiques et sur les contraintes techniques de la chose vendue, ainsi que sur l'aptitude de celle-ci à atteindre le but recherché. Pour exécuter convenablement son obligation, le vendeur doit s'informer des besoins de son acheteur.
Toutefois, l'obligation d'information et de conseil du vendeur à l'égard de son client sur l'adaptation du matériel vendu à l'usage auquel il est destiné n'existe à l'égard de l'acheteur professionnel que dans la mesure où sa compétence ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du dispositif en cause (Com. 20 avril 2017, pourvoi n° 15-19.976, et Com., 4 juillet 2018, pourvoi n° 17-21.071).
En outre, lorsque l'acheteur entend faire de la chose un usage spécial, il doit en informer le vendeur.
Le manquement par le vendeur à ses obligations d'information et de conseil peut, pourvu que ce manquement soit d'une gravité suffisante, justifier la résolution de la vente (Com., 22 janvier 2020, pourvoi n° 18-19.37).
En l'espèce, le GAEC reproche à la société un manquement à son obligation d'information et conseil, au motif que l'installation n'est pas adaptée à ses besoins et à son objectif de surveillance.
Ainsi qu'il a été énoncé plus avant, il n'est pas établi que le GAEC avait informé la société de l'usage spécial qu'il entendait faire de l'installation de vidéosurveillance, à savoir la surveillance des animaux en période de vêlage et des veaux nouvellement nés. A l'inverse, la société ne démontre pas non plus s'être enquis des besoins spécifiques de son client.
En outre, si le GAEC dispose de connaissances relatives à la configuration de ses locaux et au déplacement des animaux dans l'enceinte des bâtiments, qui pouvaient lui permettre de se faire une idée de la couverture visuelle susceptible de résulter de l'implantation de trois caméras seulement pour quatre bâtiments, il n'est pas un professionnel de la vidéosurveillance, de sorte que la société restait tenue à son égard d'un devoir de conseil, notamment au regard de l'aptitude de l'installation à atteindre le but recherché. Or, elle ne démontre pas lui avoir délivré les conseils adaptés à ses objectifs, les croquis versés aux débats étant très insuffisants pour établir cette preuve.
Aussi convient-il de retenir que la société a manqué à ses obligations d'information et de conseil.
Pour autant, il ressort du rapport d'expertise versé aux débats que dans les bâtiments 1 et 2, le système permet globalement la surveillance du bétail, sauf dans certaines configurations particulières, lorsque « certaines vaches plus imposantes que d'autres masquent les plus petites » (bâtiment 1) ou, s'agissant de la surveillance des veaux, « si une vache est proche de la case à veaux » (bâtiment 2). Par ailleurs, la cour observe que si l'expert d'assurance affirme que « l'installation telle que conçue et réalisée [dans les bâtiments 3 et 4] ne permet pas [la] surveillance » des « vaches à l'engraissement en hiver et pendant la période de vêlage en été » ni des « brebis pendant la période de vêlage », il n'indique pas les raisons qui feraient obstacle à cette surveillance.
Au vu de ces constatations, la cour retient que le système de vidéosurveillance permet dans l'ensemble d'atteindre l'objectif de surveillance des animaux exprimé par le GAEC, sauf dans certaines configurations particulières, de sorte que le manquement par la société à ses obligations d'information et de conseil ne présente pas une gravité suffisante pour justifier la résolution de la vente.
Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a débouté le GAEC de ses demandes de résolution de la vente et de restitution du prix.
2. Sur la demande de dommages-intérêts
Selon l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
En l'espèce, la cour a jugé que la société a manqué à ses obligations d'information et de conseil, ce dont il est résulté pour le GAEC une gêne dans la surveillance des animaux lorsque ces derniers sont dans des configurations particulières.
Cette gêne constitue un préjudice qui est justement indemnisé par l'allocation d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Par infirmation du jugement sur ce point, la société est donc condamnée à payer cette somme au GAEC.
3. Sur les frais irrépétibles et les dépens
Compte tenu de la solution donnée au litige en cause d'appel, il convient d'infirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.
La société, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer au GAEC la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté le GAEC de [Adresse 4] de ses demandes de résolution de la vente et de restitution du prix,
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société Jeannet-débit-Loire élevage à payer au GAEC de [Adresse 4] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts,
Condamne la société Jeannet-débit-Loire élevage à payer au GAEC de [Adresse 4] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Jeannet-débit-Loire élevage aux dépens de première instance et d'appel.