Décisions
CA Paris, Pôle 4 - ch. 13, 8 octobre 2024, n° 24/04871
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
ARRET DU 08 OCTOBRE 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/04871 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJCMT
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 15 Février 2024 -Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 21/16018
APPELANTS
Maître [W] [D]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représenté par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111, avocat postulant
Représenté par Me Jean-Victor ANNICCHIARICO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
Maître [R] [O]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111, avocat postulant
Représenté par Me Jean-Victor ANNICCHIARICO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
S.E.L.A.R.L. ETOILE NOTAIRES agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
INTIME
Monsieur [J] [L]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Corinne MATOUK, avocat au barreau de PARIS, toque : G646
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 917 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffière, lors des débats : Mme Victoria RENARD
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 08 octobre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Dans le cadre d'un pacte d'associés, M. [J] [L], associé à MM. [W] [D] et [R] [O], titulaires d'un office notarial dans le cadre d'une Scp, s'était engagé le 9 février 2016 à céder l'intégralité des parts sociales qu'il détenait au profit de la société, de ses associés ou toute autre personne choisie par ces derniers.
Par assemblée générale extraordinaire du 29 juin 2016, les associés ont accepté la demande de retrait de M. [L] et décidé du rachat par la société de ses parts pour un prix de 360 000 euros et leur annulation corrélative.
Le procès verbal de l'assemblée générale ordinaire du 30 juin 2016 mentionnait :
" L'assemblée générale décide qu'aucune rémunération ne sera attribuée à M. [J] [L] à l'exception de la CGS et la CRDS non déductibles payées pour son compte.
La société prendra également en charge l'ensemble des cotisations sociales afférentes à ces rémunérations ainsi que les cotisations facultatives de prévoyance et de retraite complémentaire.
Concernant les frais exposés par M. [L], ils seront remboursés sur justificatifs par la Scp et ceux concernant la période du 1er juillet au 31 décembre 2016 feront l'objet de comptes directement entre les associés lors du départ à la retraite de M. [L] ".
La cession de parts, régularisée sous condition suspensive de la publication au journal officiel de l'arrêté de retrait de M. [L], a été signée le 28 novembre 2016, cet acte contenant une clause de conciliation préalable et une clause compromissoire pour "tout différend qui pourrait s'élever entre le cédant et le cessionnaire au sujet du présent acte".
M. [L] et la Scp [L], [D] et [O] ont rédigé une convention cadre d'honoraires d'apport d'affaires que M. [L] entendait confier à la Scp applicable aux opérations nouvelles initiées depuis le 1er septembre 2016, laquelle n'est ni datée ni signée.
Le 27 avril 2017, l'arrêté d'acceptation du retrait de M. [L] a été publié au journal officiel.
C'est dans ce contexte que, par acte délivré le 20 décembre 2021, la Scp devenue Selarl Etoile Notaires et MM. [D] et [O] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris M. [L], considérant qu'il devait leur rembourser la somme de 74 649,95 euros au titre des cotisations Urssaf, cotisations retraite et frais engagés dans le cadre de l'activité de conseil de M. [L] que la société a réglés pour son compte sans contrepartie et que les associés ont été contraints de lui rembourser pour la période entre la date de cession des parts sociales à la publication de l'arrêté d'acceptation du retrait.
Le 15 février 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :
- déclaré le tribunal judiciaire incompétent au profit de la chambre des notaires,
- condamné in solidum la Selarl Etoile Notaires, M. [D] et M. [R] [O] à verser à M. [L] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum la Selarl Etoile Notaires et MM. [D] et [O] aux dépens,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes.
Par déclaration au greffe du 15 mars 2024, MM. [D] et [O] et la Selarl Etoile Notaires ont interjeté appel de cette décision.
Le 21 mars 2024, MM. [D] et [O] et la Selarl Etoile Notaires ont été autorisés à assigner à jour fixe M. [L] pour qu'il soit statué sur leur appel de cette ordonnance d'incompétence, laquelle assignation a été délivrée le 5 avril suivant.
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 4 juin 2024 et déposées au greffe le 5 juin 2024, M. [W] [D], M. [R] [O] et la Selarl Etoile Notaires demandent à la cour de :
- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel, en toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a:
- déclaré le tribunal judiciaire incompétent au profit de la chambre des notaires,
- les a condamnés in solidum à verser à M. [L] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les a condamnés in solidum aux dépens,
statuant à nouveau,
- juger le tribunal judiciaire de Paris compétent pour connaître du différend qui les oppose à M. [L],
- juger leur action recevable,
- condamner M. [L] à leur verser une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [L] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Annicchiarico.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 30 mai 2024, M. [J] [L] demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état,
en conséquence,
- déclarer le tribunal judiciaire incompétent au profit de la chambre des notaires,
en tout état de cause,
- prononcer l'irrecevabilité de l'action de la Selarl Etoile Notaires et MM [D] et [O] faute de respect de la clause préalable de conciliation,
- déclarer le tribunal judiciaire incompétent sur le fondement de la clause compromissoire donnant compétence à une formation arbitrale,
- débouter les appelants de toutes leurs autres demandes,
y ajoutant,
- condamner conjointement et solidairement M. [D], M. [O] et la Selarl Etoile Notaires à lui payer une indemnité de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par message adressé aux parties le 6 juin 2024, jour de l'audience, par le biais du réseau privé virtuel des avocats, la cour a demandé à chacune des parties de lui adresser avant le 10 juillet 2024 une copie de l'assignation du 20 décembre 2021 et des conclusions qu'ils ont adressées au juge de la mise en état, ce qu'elles ont fait.
SUR CE,
Sur l'exception d'incompétence du tribunal judiciaire de Paris profit de la chambre des notaires
Le juge de la mise en état a estimé que le litige portant sur des frais exposés par M. [L] dont la société Etoile Notaires et ses associés sollicitent le remboursement à la suite d'une cession de parts sociales est d'ordre professionnel et relève de la compétence de la chambre des notaires, en application de l'article 4 3° de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945.
M. [D], M. [O] et la Selarl Etoile Notaires soutiennent que :
- M. [L] ne peut se prévaloir de la qualité de notaire au jour de la délivrance de son action alors que l'arrêté d'acceptation de son retrait de ses fonctions a été publié au journal officiel du 27 avril 2017 et la Selarl Etoile Notaires, personne morale, ne peut avoir la qualité de notaire,
- par courriel du 4 juin 2024, la directrice de la déontologie au sein de la chambre des notaires de Paris a confirmé cette analyse,
- le différend est de nature civile et étranger à l'exercice de la fonction de notaire puisqu'il porte sur le remboursement demandé par la Selarl Etoile Notaires de dépenses qui n'ont pas été engagées à l'occasion ou dans le cadre de l'exercice d'une fonction de notaire associé, mais dans le cadre d'une activité d'apporteur d'affaires, strictement personnelle à l'intéressé, notaire démissionnaire, aucun apport de clientèle n'ayant été effectué depuis le 1er septembre 2016.
M. [L] répond que :
- la question posée au tribunal judiciaire est celle de l'appréciation notamment de la clause liant les parties insérée dans le procès verbal de l'assemblée générale du 30 juin 2016 et de l'interprétation de différentes clauses contractuelles qui résultent des actes régularisés entre les parties,
- le litige est d'ordre professionnel puisqu'il porte sur les relations entre les associés de la Selarl Etoile Notaires et leur ancien associé, à la suite de la cession de parts, dans le cadre des relations professionnelles que les parties avaient prévu de maintenir, notamment au regard de la convention d'apporteur d'affaires,
- les charges sociales payées pour son compte portaient sur des revenus perçus antérieurement à la cession.
Selon l'article 4 3°de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, la chambre des notaires a pour attribution de prévenir ou de concilier tous différends d'ordre professionnel entre notaires du département, de trancher, en cas de non-conciliation, ces litiges par des décisions qui seront exécutoires immédiatement.
La procédure de règlement de tous différends d'ordre professionnel entre les notaires, instituée par les textes régissant le statut du notariat et reprise dans les statuts de la Scp, constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent.
D'une part, le litige est né postérieurement à l'arrêté du 27 avril 2017 publié le 29 avril suivant acceptant le retrait de M. [L] de sa fonction de notaire associé, lequel n'avait plus la qualité de notaire et dans un avis du 4 juin 2024, la directrice de la déontologie au sein de la chambre des notaires de Paris a indiqué qu' 'elle n'apparaissait pas légitime à intervenir dans le cadre d'une conciliation en application des dispositions de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945".
Surtout, le litige porte sur des frais engagés dans le cadre d'une activité d'apporteur d'affaires de M. [L] à compter de septembre 2016 et non plus de notaire.
Le litige ne constitue donc pas un différend d'ordre professionnel entre notaires et ne relève pas de la compétence de la chambre des notaires, en application de l'article 4 3° de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945. Le tribunal judiciaire de Paris saisi est donc compétent et l'ordonnance du juge de la mise en état est infirmée en ce sens.
Sur l'application de la clause de conciliation et de la clause compromissoire insérées dans l'acte de cession de parts sociales du 28 novembre 2016
M. [L], appelant incident, soutient que :
- la phase de conciliation est un préalable obligatoire devant la chambre des notaires au visa de l'article 4 de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945 et de la clause insérée dans l'acte de cession,
- cette clause est opposable à la Scp et à ses deux associés puisque tant le pacte d'associés antérieur à la cession des parts que la convention d'apporteur d'affaires ont été établis en leurs noms,
- ce préalable de conciliation constitue une fin de non-recevoir applicable à tous les litiges,
- l'exception tirée de l'existence d'une clause compromissoire est régie par les dispositions qui gouvernent les exceptions de procédure,
- la clause compromissoire mise en place par les parties s'impose avant toute saisine du tribunal judiciaire.
M. [D], M. [O] et la Selarl Etoile Notaires font valoir que :
- ces clauses ont été insérées dans l'acte de cession pour ' tout différend qui pourrait s'élever entre le cédant et le cessionnaire au sujet du présent acte',
- seule la société notariale est partie à l'acte de cession et les clauses ne sont pas opposables à MM. [D] et [O] et le litige est étranger à l'acte de cession de parts sociales.
L'acte de cession de parts du 28 novembre 2016 prévoit :
- une clause de conciliation aux termes de laquelle 'pour tous différends qui pourraient s'élever entre le cédant et le cessionnaire au sujet du présent acte, les parties s'engagent préalablement à se rapprocher et à tenter de se concilier',
- une clause compromissoire aux termes de laquelle 'en cas d'échec de la procédure de conciliation ci-dessus le ou les différends seront soumis à deux arbitres chacun d'entre eux étant désignés par chaque partie soit spontanément soit dans un délai de quinze jours de l'invitation faite par l'une des parties selon lettre recommandée avec accusé de réception. Le Tribunal arbitral sera complété d'un arbitre choisi par les arbitres désignés'.
Les clauses de conciliation et compromissoire prévues à l'acte de cession de parts se sont pas opposables à MM. [D] et [O] qui n'en sont pas signataires à titre personnel et ne sont pas applicables au litige qui ne porte pas sur cet acte de cession lui-même qui a été exécuté mais sur le procès verbal d'assemblée ordinaire du 30 juin 2016 et la convention cadre d'honoraires d'apport d'affaires.
L'article 4 de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945 est inapplicable puisqu'il ne s'agit pas d'un différend d'ordre professionnel entre notaires.
L'exception d'incompétence du tribunal judiciaire de Paris fondée sur une clause compromissoire comme la fin de non-recevoir doivent être rejetées.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont infirmées.
Les dépens de première instance et d'appel doivent incomber à M. [L], partie perdante, lequel est également condamné à payer aux appelants une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme l'ordonnance en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Rejette les exceptions d'incompétence,
Déclare le tribunal judiciaire de Paris compétent pour statuer,
Rejette la fin de non-recevoir tirée du non respect du préalable de conciliation,
Déclare l'action de la Selarl Etoile Notaires et MM. [W] [D] et [R] [O] recevable,
Condamne M. [J] [L] aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de l'avocat constitué pour les appelants,
Condamne M. [J] [L] à payer à la Selarl Etoile Notaires et MM. [W] [D] et [R] [O] une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
ARRET DU 08 OCTOBRE 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/04871 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJCMT
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 15 Février 2024 -Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 21/16018
APPELANTS
Maître [W] [D]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représenté par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111, avocat postulant
Représenté par Me Jean-Victor ANNICCHIARICO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
Maître [R] [O]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111, avocat postulant
Représenté par Me Jean-Victor ANNICCHIARICO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
S.E.L.A.R.L. ETOILE NOTAIRES agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
INTIME
Monsieur [J] [L]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Corinne MATOUK, avocat au barreau de PARIS, toque : G646
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 917 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffière, lors des débats : Mme Victoria RENARD
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 08 octobre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Dans le cadre d'un pacte d'associés, M. [J] [L], associé à MM. [W] [D] et [R] [O], titulaires d'un office notarial dans le cadre d'une Scp, s'était engagé le 9 février 2016 à céder l'intégralité des parts sociales qu'il détenait au profit de la société, de ses associés ou toute autre personne choisie par ces derniers.
Par assemblée générale extraordinaire du 29 juin 2016, les associés ont accepté la demande de retrait de M. [L] et décidé du rachat par la société de ses parts pour un prix de 360 000 euros et leur annulation corrélative.
Le procès verbal de l'assemblée générale ordinaire du 30 juin 2016 mentionnait :
" L'assemblée générale décide qu'aucune rémunération ne sera attribuée à M. [J] [L] à l'exception de la CGS et la CRDS non déductibles payées pour son compte.
La société prendra également en charge l'ensemble des cotisations sociales afférentes à ces rémunérations ainsi que les cotisations facultatives de prévoyance et de retraite complémentaire.
Concernant les frais exposés par M. [L], ils seront remboursés sur justificatifs par la Scp et ceux concernant la période du 1er juillet au 31 décembre 2016 feront l'objet de comptes directement entre les associés lors du départ à la retraite de M. [L] ".
La cession de parts, régularisée sous condition suspensive de la publication au journal officiel de l'arrêté de retrait de M. [L], a été signée le 28 novembre 2016, cet acte contenant une clause de conciliation préalable et une clause compromissoire pour "tout différend qui pourrait s'élever entre le cédant et le cessionnaire au sujet du présent acte".
M. [L] et la Scp [L], [D] et [O] ont rédigé une convention cadre d'honoraires d'apport d'affaires que M. [L] entendait confier à la Scp applicable aux opérations nouvelles initiées depuis le 1er septembre 2016, laquelle n'est ni datée ni signée.
Le 27 avril 2017, l'arrêté d'acceptation du retrait de M. [L] a été publié au journal officiel.
C'est dans ce contexte que, par acte délivré le 20 décembre 2021, la Scp devenue Selarl Etoile Notaires et MM. [D] et [O] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris M. [L], considérant qu'il devait leur rembourser la somme de 74 649,95 euros au titre des cotisations Urssaf, cotisations retraite et frais engagés dans le cadre de l'activité de conseil de M. [L] que la société a réglés pour son compte sans contrepartie et que les associés ont été contraints de lui rembourser pour la période entre la date de cession des parts sociales à la publication de l'arrêté d'acceptation du retrait.
Le 15 février 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :
- déclaré le tribunal judiciaire incompétent au profit de la chambre des notaires,
- condamné in solidum la Selarl Etoile Notaires, M. [D] et M. [R] [O] à verser à M. [L] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum la Selarl Etoile Notaires et MM. [D] et [O] aux dépens,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes.
Par déclaration au greffe du 15 mars 2024, MM. [D] et [O] et la Selarl Etoile Notaires ont interjeté appel de cette décision.
Le 21 mars 2024, MM. [D] et [O] et la Selarl Etoile Notaires ont été autorisés à assigner à jour fixe M. [L] pour qu'il soit statué sur leur appel de cette ordonnance d'incompétence, laquelle assignation a été délivrée le 5 avril suivant.
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 4 juin 2024 et déposées au greffe le 5 juin 2024, M. [W] [D], M. [R] [O] et la Selarl Etoile Notaires demandent à la cour de :
- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel, en toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a:
- déclaré le tribunal judiciaire incompétent au profit de la chambre des notaires,
- les a condamnés in solidum à verser à M. [L] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les a condamnés in solidum aux dépens,
statuant à nouveau,
- juger le tribunal judiciaire de Paris compétent pour connaître du différend qui les oppose à M. [L],
- juger leur action recevable,
- condamner M. [L] à leur verser une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [L] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Annicchiarico.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 30 mai 2024, M. [J] [L] demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état,
en conséquence,
- déclarer le tribunal judiciaire incompétent au profit de la chambre des notaires,
en tout état de cause,
- prononcer l'irrecevabilité de l'action de la Selarl Etoile Notaires et MM [D] et [O] faute de respect de la clause préalable de conciliation,
- déclarer le tribunal judiciaire incompétent sur le fondement de la clause compromissoire donnant compétence à une formation arbitrale,
- débouter les appelants de toutes leurs autres demandes,
y ajoutant,
- condamner conjointement et solidairement M. [D], M. [O] et la Selarl Etoile Notaires à lui payer une indemnité de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par message adressé aux parties le 6 juin 2024, jour de l'audience, par le biais du réseau privé virtuel des avocats, la cour a demandé à chacune des parties de lui adresser avant le 10 juillet 2024 une copie de l'assignation du 20 décembre 2021 et des conclusions qu'ils ont adressées au juge de la mise en état, ce qu'elles ont fait.
SUR CE,
Sur l'exception d'incompétence du tribunal judiciaire de Paris profit de la chambre des notaires
Le juge de la mise en état a estimé que le litige portant sur des frais exposés par M. [L] dont la société Etoile Notaires et ses associés sollicitent le remboursement à la suite d'une cession de parts sociales est d'ordre professionnel et relève de la compétence de la chambre des notaires, en application de l'article 4 3° de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945.
M. [D], M. [O] et la Selarl Etoile Notaires soutiennent que :
- M. [L] ne peut se prévaloir de la qualité de notaire au jour de la délivrance de son action alors que l'arrêté d'acceptation de son retrait de ses fonctions a été publié au journal officiel du 27 avril 2017 et la Selarl Etoile Notaires, personne morale, ne peut avoir la qualité de notaire,
- par courriel du 4 juin 2024, la directrice de la déontologie au sein de la chambre des notaires de Paris a confirmé cette analyse,
- le différend est de nature civile et étranger à l'exercice de la fonction de notaire puisqu'il porte sur le remboursement demandé par la Selarl Etoile Notaires de dépenses qui n'ont pas été engagées à l'occasion ou dans le cadre de l'exercice d'une fonction de notaire associé, mais dans le cadre d'une activité d'apporteur d'affaires, strictement personnelle à l'intéressé, notaire démissionnaire, aucun apport de clientèle n'ayant été effectué depuis le 1er septembre 2016.
M. [L] répond que :
- la question posée au tribunal judiciaire est celle de l'appréciation notamment de la clause liant les parties insérée dans le procès verbal de l'assemblée générale du 30 juin 2016 et de l'interprétation de différentes clauses contractuelles qui résultent des actes régularisés entre les parties,
- le litige est d'ordre professionnel puisqu'il porte sur les relations entre les associés de la Selarl Etoile Notaires et leur ancien associé, à la suite de la cession de parts, dans le cadre des relations professionnelles que les parties avaient prévu de maintenir, notamment au regard de la convention d'apporteur d'affaires,
- les charges sociales payées pour son compte portaient sur des revenus perçus antérieurement à la cession.
Selon l'article 4 3°de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, la chambre des notaires a pour attribution de prévenir ou de concilier tous différends d'ordre professionnel entre notaires du département, de trancher, en cas de non-conciliation, ces litiges par des décisions qui seront exécutoires immédiatement.
La procédure de règlement de tous différends d'ordre professionnel entre les notaires, instituée par les textes régissant le statut du notariat et reprise dans les statuts de la Scp, constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent.
D'une part, le litige est né postérieurement à l'arrêté du 27 avril 2017 publié le 29 avril suivant acceptant le retrait de M. [L] de sa fonction de notaire associé, lequel n'avait plus la qualité de notaire et dans un avis du 4 juin 2024, la directrice de la déontologie au sein de la chambre des notaires de Paris a indiqué qu' 'elle n'apparaissait pas légitime à intervenir dans le cadre d'une conciliation en application des dispositions de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945".
Surtout, le litige porte sur des frais engagés dans le cadre d'une activité d'apporteur d'affaires de M. [L] à compter de septembre 2016 et non plus de notaire.
Le litige ne constitue donc pas un différend d'ordre professionnel entre notaires et ne relève pas de la compétence de la chambre des notaires, en application de l'article 4 3° de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945. Le tribunal judiciaire de Paris saisi est donc compétent et l'ordonnance du juge de la mise en état est infirmée en ce sens.
Sur l'application de la clause de conciliation et de la clause compromissoire insérées dans l'acte de cession de parts sociales du 28 novembre 2016
M. [L], appelant incident, soutient que :
- la phase de conciliation est un préalable obligatoire devant la chambre des notaires au visa de l'article 4 de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945 et de la clause insérée dans l'acte de cession,
- cette clause est opposable à la Scp et à ses deux associés puisque tant le pacte d'associés antérieur à la cession des parts que la convention d'apporteur d'affaires ont été établis en leurs noms,
- ce préalable de conciliation constitue une fin de non-recevoir applicable à tous les litiges,
- l'exception tirée de l'existence d'une clause compromissoire est régie par les dispositions qui gouvernent les exceptions de procédure,
- la clause compromissoire mise en place par les parties s'impose avant toute saisine du tribunal judiciaire.
M. [D], M. [O] et la Selarl Etoile Notaires font valoir que :
- ces clauses ont été insérées dans l'acte de cession pour ' tout différend qui pourrait s'élever entre le cédant et le cessionnaire au sujet du présent acte',
- seule la société notariale est partie à l'acte de cession et les clauses ne sont pas opposables à MM. [D] et [O] et le litige est étranger à l'acte de cession de parts sociales.
L'acte de cession de parts du 28 novembre 2016 prévoit :
- une clause de conciliation aux termes de laquelle 'pour tous différends qui pourraient s'élever entre le cédant et le cessionnaire au sujet du présent acte, les parties s'engagent préalablement à se rapprocher et à tenter de se concilier',
- une clause compromissoire aux termes de laquelle 'en cas d'échec de la procédure de conciliation ci-dessus le ou les différends seront soumis à deux arbitres chacun d'entre eux étant désignés par chaque partie soit spontanément soit dans un délai de quinze jours de l'invitation faite par l'une des parties selon lettre recommandée avec accusé de réception. Le Tribunal arbitral sera complété d'un arbitre choisi par les arbitres désignés'.
Les clauses de conciliation et compromissoire prévues à l'acte de cession de parts se sont pas opposables à MM. [D] et [O] qui n'en sont pas signataires à titre personnel et ne sont pas applicables au litige qui ne porte pas sur cet acte de cession lui-même qui a été exécuté mais sur le procès verbal d'assemblée ordinaire du 30 juin 2016 et la convention cadre d'honoraires d'apport d'affaires.
L'article 4 de l'ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945 est inapplicable puisqu'il ne s'agit pas d'un différend d'ordre professionnel entre notaires.
L'exception d'incompétence du tribunal judiciaire de Paris fondée sur une clause compromissoire comme la fin de non-recevoir doivent être rejetées.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont infirmées.
Les dépens de première instance et d'appel doivent incomber à M. [L], partie perdante, lequel est également condamné à payer aux appelants une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme l'ordonnance en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Rejette les exceptions d'incompétence,
Déclare le tribunal judiciaire de Paris compétent pour statuer,
Rejette la fin de non-recevoir tirée du non respect du préalable de conciliation,
Déclare l'action de la Selarl Etoile Notaires et MM. [W] [D] et [R] [O] recevable,
Condamne M. [J] [L] aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de l'avocat constitué pour les appelants,
Condamne M. [J] [L] à payer à la Selarl Etoile Notaires et MM. [W] [D] et [R] [O] une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE