CA Montpellier, 3e ch. civ., 10 octobre 2024, n° 20/01003
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Longhi Façade (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sainati
Conseillers :
M. Carlier, M. Durand
Avocats :
Me Vila, Me Salvignol, Me Fulachier
EXPOSE DU LITIGE :
Madame [I] a engagé la SASU Longhi Façade pour réaliser des travaux pour un montant de 13 970 euros selon un devis du 18 janvier 2018.
En raison de frais de reprises de travaux mal exécutés et de travaux non réalisés mais facturés, Madame [I] a mis en demeure le 8 août 2018 la SASU Longhi Façade de lui rembourser l'acompte qu'elle a versé le 25 janvier 2018.
Le 4 décembre 2018, la SASU Longhi Façade a mis en demeure Madame [I] de régler le reste du montant de la facture initiale.
Le 12 mars 2019, la SASU Longhi Façade a assigné Madame [I] devant le tribunal de Montpellier. Madame [I] a conclut in limine litis à l'incompétence du tribunal d'instance.
Ces procédures ont été jointes.
Par jugement du 31 décembre 2019, le tribunal d'instance de Montpellier :
- Rejette l'exception d'incompétence
- Condamne Madame [I] à verser à la SASU Longhi façade la somme de 312,09 euros au titre du contrat d'entreprise conclu entre les parties
- Déboute Madame [I] de ses demandes de dommages et intérêts
- Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamne la SASU Longhi Façade aux entiers dépens
- Rejette la demande au titre du droit proportionnel
- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement
- Rejette toutes autres demandes
Par déclaration d'appel remise au greffe le 18 février 2020, Madame [I] a interjeté appel du jugement susvisé
Par déclaration d'appel enregistrée le 27 février 2020, la SASU Longui façade a interjeté appel du jugement susvisé.
Par ordonnance du 17 septembre 2020, les procédures ont été jointes.
Par conclusions remises au greffe le 14 février 2023, Madame [I] demande à la cour de :
In limine litis,
- Juger recevable et bien fondée l'exception d'incompétence soulevée devant le tribunal d'instance de Montpellier ;
Y ajoutant
- Débouter la SASU Longhi Façade de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Accueillir Madame [I] en ses demandes ;
- Confirmer le jugement par le tribunal d'instance de Montpellier le 31 décembre 2020 (sic) en ce qu'il a jugé le rapport d'expertise recevable et donc opposable à la SASU Longhi Façade ;
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :
o Rejeté l'exception d'incompétence
o Condamné Madame [I] à verser à la SASU la somme de 312,09 euros
o Débouté Madame [I] de ses demandes de dommages et intérêts
o Rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Statuant à nouveau :
A titre principal :
- Adopter le rapport d'expertise privé ;
- Juger que la responsabilité de la société Longhi est engagée pour non-conformité et inexécution contractuelle ;
- Juger que la responsabilité de la société Longhi est engagée pour non-conformité aux règles de l'art ;
- Juger que la responsabilité contractuelle, de la société longhi est engagée du chef des désordres relevés par Monsieur l'expert ;
Par conséquent :
- Juger la Société Longhi Façade irrecevable en ses demandes comme étant infondées ;
- Condamner la société SASU Longhi façade au paiement de :
o 1 440 euros au titre des frais d'expertise ;
o 324,09 euros au titre des frais d'huissier ;
o 15 405,50 euros TTC au titre des frais de reprise des postes afférents aux lots de la SASU Longhi Façade ;
o 3 500 euros au titre des frais engagés par Madame [I] de par la résistance de la SASU Longhi Façade à revenir sur le chantier et à procéder aux reprises ;
o 3 500 euros au titre du préjudice moral du fait de l'état de la maison depuis mars 2018, et de la présente procédure ;
o 4 500 euros au titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de perte de temps ;
- Juger, qu'il y a lieu à compensation entre la somme restante due à SASU Longhi Façade avec la somme correspondant aux préjudices subis par Madame [I] (reprises des désordres et malfaçons ressortant du marché de SASU Longhi Façade) ;
En tout état de cause :
- Condamner la SASU Longhi Façade au paiement de 5 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la SASU Longhi Façade au paiement des entiers dépens d'appel et de première instance.
Par conclusions enregistrées au greffe le 6 février 2023, La SASU Longhi Façade demande à la cour de :
- Réformer la décision dont appel ;
- Juger inopposable le rapport d'expertise privée comme non contradictoire ;
- Juger inapplicable l'article 1222 du code civil à défaut de mise en demeure préalable ;
- Condamner Madame [I] à payer la somme de 9 354,50 euros ;
- Déclarer irrecevable la demande d'indemnisation du prétendu préjudice de perte de temps ;
- Débouter Madame [I] de l'ensemble de ses demandes ;
- Juger n'y avoir lieu à compensation à l'absence de créance de Madame [I] sur la société Longhi Façade ;
- Condamner Madame [I] à la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS DE l'ARRÊT :
Sur l'exception d'incompétence :
Aux termes de l'article 38 du code de procédure civile 'Lorsqu'une demande incidente est supérieure au taux de sa compétence, le juge, si une partie soulève l'incompétence, peut soit ne statuer que sur la demande initiale, soit renvoyer les parties à se pourvoir pour le tout devant la juridiction compétente. Toutefois, lorsqu'une demande reconventionnelle en dommages-intérêts est fondée exclusivement sur la demande initiale, le juge en connaît à quelque somme qu'elle s'élève'.
En l'espèce, les demandes reconventionnelles formées par Madame [I] devant le premier juge tendaient principalement à obtenir condamnation de la société Longhi Façade au titre des frais de reprise qu'elle avait dû engager en raison des malfaçons et non-façons qu'elle imputait à ce professionnel et accessoirement au titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices immatériels, préjudice de jouissance et préjudice moral, outre le remboursement de ses frais d'huissier, d'expertise et de procédure.
Or, la demande reconventionnelle qui vise, comme en l'espèce, à l'obtention du paiement de réparations de désordres imputés au demandeur, ne se limite pas à une demande de dommages et intérêts, fondée exclusivement sur la demande initiale et ne peut donc constituer une demande de dommages et intérêts.
Le tribunal d'instance étant donc bien incompétent alors même que le seul montant des frais de reprise des travaux s'élevait à 18 494 euros, montant supérieur à la valeur de 10 000 euros au delà de laquelle le tribunal d'instance ne peut connaître de toutes les actions personnelles et mobilières, conformément à l'article L 221-4 du code de l'organisation judiciaire.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Il convient cependant de rappeler qu'il résulte des dispositions de l'article 90 du code de procédure civile que lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente.
En l'espèce, la cour est bien la juridiction d'appel de la juridiction compétente, à savoir le tribunal judiciaire et est donc compétente pour statuer sur le fond du litige.
Sur le fond :
En l'espèce, Madame [I] se plaint d'une part de désordres et de malfaçons, d'autre part de travaux non réalisés.
S'agissant des désordres et malfaçons, Madame [I] a fait réaliser le 23 mars 2018 un constat d'huissier, avant la reprise par elle des désordres et l'intervention de l'expert amiable.
L'huissier a constaté :
'Entrée jardin : présence d'une tranchée à gauche en arrivant sans lit de sable et sans fourreau au niveau du tuyau d'eau installé dans cette tranchée. Le cable électrique ne serait pas posé. Monsieur [W] me fait remarquer que la première partie de la tranchée est déjà recouverte de terre.
Intérieur : (...) Il y aurait également un problème d'isolation dans la mesure où le mur situé sur la gauche à l'entrée de la maison se trouve immédiatement derrière le vantail de la baie une fois ouverte.
Ce mur n'est couvert d'aucune isolation, il est en béton brut et l'épaisseur de l'isolation à poser ne devrait plus permettre d'ouvrir correctement la baie.
A l'autre extrémité de la pièce :
La baie vitrée qui se trouve à l'opposé de l'entrée serait mal posée au niveau de la planéité du sol.
Je constate la présence de trois rails de ciment façonnés devant cette baie. Ils auraient été créer ainsi pour que le sol finisse en pente douce parce que la fenêtre aurait été posée de façon trop basse par rapport au sol.D'après Monsieur [G], il faufrait donc la reposer en cassant le placo plâtre l'entourant, avancer la baie vitrée et créer une pente extérieure pour évacuer l'eau de pluie de façon à obtenir un sol plat et non en pente douce.
Au milieu de la pièce environ l'habillage en placo plâtre de la poutre qui maintient la mezzanine est déformé. La première poutre de la mezzanine a été sciée au niveau de la trémie : elle doit accueillir l'escalier.
Elle est fixée par suspension sur des fers plats ancrés sur une poutre. Monsieur [W] fait remarquer la dangerosité d'un tel dispositif.
Plusieurs carrotages ont été pratiqués dans les parois en placo plâtre recevant l'extrémité des poutres afin de constater de quelle façon celles-ci sont fixées derrière ses parois. Elles s'appuient sur un sabot métallique maintenu par seulement deux tirefonds.
Future salle de bains :
Monsieur [J] [V] précise que les alimentations en PER desservant la salle de bains ont été posées sans précaution particulière.
Après avoir pratiqué une ouverture dans la paroi, Monsieur [G] me fait constater que ces alimentations ne sont protégés par aucune gaine et passent anormalement dans les trous tranchants de l'ossature supportant les placo plâtre.
Monsieur [W] soulève le problème du peu d'accessibilité à ces gaines.
WC :
Les normes d'habillage de wc suspendu imposent la présence de deux plaques au niveau de la paroi contre laquelle ont est assis afin d'éviter cassure et fissure en raison de la pression exercée. Je constate qu'une plaque a été posée'.
Il résulte en conséquence de ce constat que l'huissier, en présence des entreprises chargées de reprendre les travaux, la SAS Les Compagnons de la Reconstruction et la SARL PJ Plâtrerie, a constaté l'existence d'un certain nombre de malfaçons, imputables à la société Longhi Façade, et ce avant même la reprise des travaux par lesdites entreprises et l'intervention de l'expert amiable.
S'agissant des travaux non réalisés, l'expert amiable, dans son rapport du 12 juin 2018, après avoir souligné l'absence de plans d'ensemble et de plans d'exécution des travaux, l'absence de descriptif et de coordination des travaux, relève plusieurs discordances par rapport à la facture du 16 mars 2018 de la SASU Longhi Façades :
- 10 poutres en bois facturés alors que seulement 7 poutres ont été nécessaires et placées ;
- 20 m² de placo facturés alors que la surface sous le plafond rampant est de 7,72 m² ;
- 20 m² de dalles Kronodal facturés alors que la surface est de 15,13 m² ;
- 90 m² de placo double peau facturés pour la pièce du bas alors que la surface est de 61,11 m² ;
- non réalisation de la peinture du joint de placo de la pièce du bas ;
- non réalisation d'un raccord coudé et d'un raccord droit de plomberie ;
- non réalisation des écoulements au réseau extérieur avec pose d'un siphon.
Les constatations de l'expert amiable sont confirmées par celle de l'huissier qui relève qu'au fil des devis des 8 novembre 2017, 18 janvier 2018 et 16 mars 2018, les mesures changent concernant le placo, le plancher et les poutres.
Le rapport d'expertise amiable, qui a été soumis à la libre discussion des parties et qui est en outre corroboré par les constatations de l'huissier assisté des professionnels devant reprendre les travaux, est donc opposable à la société Longhi Façade.
Cette dernière, au vu du constat d'huissier et du rapport d'expertise amiable, engage donc sa responsabilité contractuelle à l'égard de Madame [I].
L'expert amiable évalue le montant des travaux non réalisés à la somme de 5 101,90 euros.
S'agissant du montant des reprises des malfaçons et des travaux non réalisés, il convient au préalable de rappeler que contrairement à ce que soutient la société Longhi Façade, celui qui oppose l'exception d'inexécution prévue par l'article 1219 du code civil n'est pas tenu à une mise en demeure préalable, étant en outre relevé que Madame [I] a bien adressé à la société Longhi Façade une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 août 2018, même si le courrier est revenu pour défaut d'accès ou d'adressage.
En l'espèce, Madame [I] à fait appel à deux entreprises du bâtiment pour réaliser des travaux d'amélioration et d'agencement de son logement :
- L'entreprise Longhi Façade pour les travaux de maçonnerie, plâtrerie, plomberie, peinture ;
- l'entreprise Renova Habitation pour les travaux de menuiseries extérieures ;
Force est de constater que le devis de reprise des travaux CDR d'un montant de 17 534 euros TTC correspond bien à tous les postes relevant des lots attribués à l'entreprise Longhi Façade, étant notamment relevé que la dépose de la baie coulissante et la dépose menuiserie porte à galandage sont dues à un problème de planéité du sol à l'entrée de la maison imputable à l'entreprise Longhi Façade, la fourniture et la pose de la menuiserie à galandage à hauteur de 1 540 euros TTC n'étant en revanche pas prévues dans son devis.
Il convient donc de déduire de la somme de 15 405,50 euros TTC sollicitée par Madame [I] la somme de 1 540 euros TTC, soit une somme de 13 865,50, à laquelle vient s'ajouter le coût de l'étude de renforcement du plancher à hauteur de 960 euros, soit une somme totale de 14 825,50 euros TTC.
L'expert amiable ayant évalué le solde restant dû par Madame [I] à hauteur de 4 275,59 euros TTC, il sera ordonné la compensation entre cette somme et celle due par la société Longhi Façade au titre de la reprise des travaux.
La société Longhi Façade sera donc condamnée à payer à Madame [I] la somme de 10 549,91 euros au titre des frais de reprise des postes afférents aux lots de la SASU Longhi Façade.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
S'agissant du préjudice de jouissance, la cour, aux termes de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Or, en l'espèce, force est de constater que le dispositif des dernières conclusions de Madame [I] n'énonce aucune prétention relative à l'indemnisation de son préjudice de jouissance.
La cour ne statuera donc pas sur ce point.
Par ailleurs, le préjudice moral dont elle fait état et qui résulterait de l'état de la maison n'est étayé par aucun élément, cette demande étant en conséquence rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.
S'agissant du préjudice pour la perte de temps invoqué par Madame [I], il convient de constater que cette demande ne figure pas dans ses conclusions remises au greffe le 18 mai 2020 et n'a été présentée que dans le cadre des conclusions remises au greffe le 9 février 2022.
Or, aux termes de l'article 910-4 du code de procédure civile alinéa 1 'A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond.L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures'.
Par conséquent, la demande formée au titre du préjudice de perte de temps sera déclarée irrecevable.
Madame [I] justifie par les pièces qu'elle verse au dossier, avoir engagé les frais suivants :
- 1 440 euros au titre des frais d'expertise amiable ;
- 324,09 euros au titre des frais d'huissier ;
Madame [I] sera en revanche déboutée de sa demande à hauteur de 3 500 euros au titre des frais qu'elle a dû engager en raison de la résistance de la société Longhi Façade à revenir sur le chantier et à procéder aux reprises, cette demande faisant double emploi avec celles formées au titre du remboursement des frais d'huissier, des frais d'expertise amiable et de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande de Madame [I] au titre de son préjudice moral et en ce qu'il a condamné la SASU Longhi Façade aux entiers dépens ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la cour est la juridiction d'appel de la juriction compétente, à savoir le tribunal judiciaire et est donc compétente pour statuer sur le fond du litige ;
Condamne la société Longhi Façade à payer, après compensation, à Madame [N] [I] la somme de 10 549, 91 euros au titre des frais de reprise des postes afférents aux lots de la SASU Longhi Façade ;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande formée au titre du préjudice de jouissance ;
Condamne la société Longhi Façade à payer à Madame [N] [I] :
- 1 440 euros au titre des frais d'expertise amiable ;
- 324,09 euros au titre des frais d'huissier ;
Déboute Madame [I] de sa demande à hauteur de 3 500 euros au titre des frais qu'elle a dû engager en raison de la résistance de la société Longhi Façade à revenir sur le chantier et à procéder aux reprises ;
Déclare irrecevable la demande formée au titre du préjudice de perte de temps ;
Condamne la société Longhi Façade à payer à Madame [N] [I] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour ses frais engagés en première instance et en appel ;
Condamne la société Longhi Façade aux entiers dépens d'appel.