CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 10 octobre 2024, n° 22/17985
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
L'auberge du Cyrano (SARL)
Défendeur :
Fela 116 (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Leroy, Mme Girousse
Avocats :
Me Coll, Me Sebban
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 30 août 2002, Mme [S] [M] a donné à bail commercial à M. [D] [Z] des locaux situés [Adresse 4] à [Localité 9] à destination de 'café, restaurant, hôtel meublé'.
Par acte sous seing privé du 14 septembre 2010, Monsieur et Madame [Z] ont cédé le fonds de commerce leur appartenant et le droit au bail afférent à la société L'AUBERGE DU CYRANO ayant pour gérant, M. [Z].
Par acte sous seing privé du 19 septembre 2012, le bail a été renouvelé pour neuf années à compter du 1er septembre 2011 pour se terminer le 31 août 2020.
Par acte authentique du 28 décembre 2016, les consort [M] venus aux droit de la bailleresse décédée, ont vendu à la SCI FELA 116 l'immeuble dont dépendent les locaux en cause.
Saisi par la société L'AUBERGE DU CYRANO aux fins notamment de voir ordonner des travaux dans les locaux, annuler la vente de ces locaux consentie à la SCI FELA et dire que la vente a déjà été réalisée au profit de la locataire, par jugement du 26 novembre 2020, le tribunal judiciaire d'Evry a rejeté les demandes relatives à la vente des locaux et ordonné une expertise. Par arrêt du 17 mai 2023, la cour d'appel a confirmé ce jugement sauf en ce qui concerne les dépens.
L'expert a déposé son rapport le 28 juin 2021.
Parallèlement, par acte extrajudiciaire en date du 25 et 26 février 2020, la SCI FELA 116 a fait signifier à Monsieur [D] [Z], Madame [P] [R] épouse [Z] et la société L'AUBERGE DU CYRANO un congé sans offre de renouvellement pour motifs légitimes et sérieux pour le 31 août 2020.
Contestant ce congé, par acte extrajudiciaire des 24 septembre et 2 octobre 2020, la société L'AUBERGE DU CYRANO a fait assigner la SCI FELA 116 devant le tribunal judiciaire d'Evry aux fins essentielles de voir ordonner le renouvellement du bail, subsidiairement obtenir le paiement d'une indemnité d'éviction.
Par jugement du 1er septembre 2022, le tribunal judiciaire d'Evry a :
- déclaré valable le congé sans offre de renouvellement pour motifs sérieux et légitimes signifié par la SCI FELA 116 à la société L'AUBERGE DU CYRANO selon exploits d'huissier des 25 et 26 février 2020 ;
- dit qu'en conséquence, le bail commercial liant les parties est résilié à compter du 31 août 2020 ;
- ordonné à la société L'AUBERGE DU CYRANO de quitter les lieux sis [Adresse 4] à [Localité 9] dans les 2 mois suivant la notification de la présente décision ;
- dit qu'à défaut de départ volontaire, l'expulsion de la société L'AUBERGE DU CYRANO et de tous occupants de son chef des lieux sis [Adresse 4] à [Localité 9] sera ordonnée, avec si besoin l'assistance de la force publique et d'un serrurier ;
- dit que le sort des meubles et objets se trouvant dans les lieux loués sera régi par les dispositions des articles L. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
- dit qu'à compter du 1er septembre 2020, la société L'AUBERGE DU CYRANO est occupante sans droit ni titre des locaux sis [Adresse 4] à [Localité 9] ;
- condamné la société L'AUBERGE DU CYRANO à payer une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer et des charges contractuellement dus à compter du 1er septembre 2020 et jusqu'à libération effective des lieux caractérisée par la reprise des lieux ou la restitution des clés ;
- condamné la société L'AUBERGE DU CYRANO à payer à la SCI FELA 116 la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société L'AUBERGE DU CYRANO aux dépens ;
- rappelé que le jugement est exécutoire à titre provisoire en application des dispositions de l'article 514 du code de procédure civile ;
- rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties.
Par déclaration d'appel du 19 octobre 2022, la société L'AUBERGE DU CYRANO a interjeté appel total du jugement.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 13 décembre 2023.
MOYENS ET PRETENTIONS
Par conclusions déposées le 18 octobre 2023, la société L'AUBERGE DU CYRANO, appelant, demande à la cour de :
- recevoir la société L'AUBERGE DU CYRANO en ses demandes, fins et conclusions ;
- infirmer le jugement rendu le 1er septembre 2023 par le tribunal judiciaire d'Evry en ce qu'il a:
- déclaré valable le congé sans offre de renouvellement pour motifs sérieux et légitimes signifié par la SCI FELA 116 à la société L'AUBERGE DU CYRANO selon exploits d'huissier des 25 et 26 février 2020 ;
- dit qu'en conséquence, le bail commercial liant les parties est résilié à compter du 31 août 2020 ;
- ordonnée à la société L'AUBERGE DU CYRANO de quitter les lieux sis [Adresse 4] à [Localité 9] dans les 2 mois suivant la notification de la présente décision ;
- dit qu'à défaut de départ volontaire, l'expulsion de la société L'AUBERGE DU CYRANO et de tous occupants de son chef des lieux sis [Adresse 4] à [Localité 9] sera ordonnée, avec si besoin l'assistance de la force publique et d'un serrurier ;
- dit que le sort des meubles et objets se trouvant dans les lieux loués sera régi par les dispositions des articles L. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
- dit qu'à compter du 1er septembre 2020, la société L'AUBERGE DU CYRANO est occupante sans droit ni titre des locaux sis [Adresse 4] à [Localité 9] ;
- condamné la société L'AUBERGE DU CYRANO à payer une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer et des charges contractuellement dus à compter du 1er septembre 2020 et jusqu'à libération effective des lieux caractérisée par la reprise des lieux ou la restitution des clés ;
- condamné la société L'AUBERGE DU CYRANO à payer à la SCI FELA 116 la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société L'AUBERGE DU CYRANO aux dépens ;
- rappelé que la présente décision est exécutoire à titre provisoire en application des dispositions de l'article 514 du code de procédure civile ;
- rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties ;
En conséquence, et statuant à nouveau,
- juger que la société FELA 116 est mal fondée en ses demandes, fins et conclusions ;
A titre principal,
- juger que les motifs invoquées pour ne pas renouveler le bail ne sont ni sérieux ni légitime ;
- suspendre les effets du congé délivré le 25 février 2020 ;
- ordonner le renouvellement du bail ;
- ordonner la réintégration de la société L'AUBERGE DU CYRANO, ainsi que Monsieur [Z] et sa famille, dans les locaux loués ;
A titre subsidiaire,
- juger que les motifs invoqués pour ne pas renouveler le bail ne sont ni sérieux ni légitime ;
- condamner la société FELA 116 au paiement de la somme de 1.010.000 euros au titre de l'indemnité d'éviction, et ce, au bénéfice de la société L'AUBERGE DU CYRANO ;
En tout état de cause,
- assortir les condamnations précitées des intérêts au taux légal à compter de l'exploit d'huissier ;
- ordonner la capitalisation annuelle des intérêts à compter de la date de l'exploit conformément à l'article 1343-2 du code civil ;
- condamner la société FELA 116 à payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société FELA 116 aux entiers dépens de la première instance et ses suites.
Par conclusions déposées le 12 décembre 2023, la SCI FELA 116, intimée, demande à la cour de :
- confirmer la décision entreprise ;
- rejeter les argumentations nouvelles ;
- recevoir la SCI FELA 116 en son appel incident ;
- dire que la domiciliation du fils de Monsieur [Z] constitue un motif légitime de congé sans offre de renouvellement ;
- condamner les appelants au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRÊT
L'article L. 145-14 du code de commerce dispose que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail commercial, qu'il doit toutefois, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le refus de renouvellement.
L'article L. 145-17 du même code dispose que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'aucune indemnité s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant ; que s'il s'agit de l'inexécution d'une obligation, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser, cette mise en demeure effectuée par acte extrajudiciaire devant préciser le motif invoqué et reproduire le premier alinéa de l'article L. 145-17 I. La mise en demeure et le congé peuvent être signifiés dans le même acte, le congé étant délivré pour le cas où l'infraction serait maintenue après l'expiration du délai d'un mois.
C'est au bailleur qui refuse au preneur le droit au renouvellement de son bail commercial sans indemnité de démontrer l'existence d'une faute de ce dernier constitutive d'un motif grave et légitime, c'est à dire d'une gravité telle que le bailleur est en droit de ne pas vouloir poursuivre les relations contractuelles. Un congé dépourvu de motif, insuffisamment motivé ou dont le motif est injustifié n'est pas nul mais a les effets d'un congé avec refus de renouvellement comportant pour le bailleur l'obligation de payer l'indemnité d'éviction.
Le congé délivré les 25 et 26 février 2020 pour le 31 août 2020 vise une sommation du 23 janvier 2020 mais elle n'est pas produite. Dans ses premières écritures d'appelante, la société L'AUBERGE DU CYRANO reprochait à la bailleresse de ne pas avoir délivré la mise en demeure prévue par l'article L. 145-17 susvisé (pièce 23 de l'intimée) mais n'a pas repris ce moyen dans ses dernières écritures récapitulatives.
Il ressort du jugement déféré et des écritures des parties (pièce 23 de l'intimée) que le congé du 25 février 2020 faisait trois reproches à la locataire.
Le reproche relatif à la modification des locaux sans autorisation du bailleur est trop imprécis pour permettre d'apprécier les modifications visées dans le congé et leur gravité. La bailleresse se prévaut du rapport d'expertise judiciaire déposé le 28 juin 2021 selon lequel la locataire aurait modifié la charpente des combles et le plancher du premier étage en supprimant un escalier intérieur fragilisant ainsi la structure du bâtiment. La date de ces modifications prétendues est inconnue selon l'expert et leur imputabilité à la locataire sortante n'est pas établie. Au demeurant, la gravité de l'atteinte reprochée apparaît relative au regard de l'état général des locaux décrit par l'expert nécessitant d'importants travaux de la part de la bailleresse. Ce reproche ne constitue donc pas un motif grave et légitime justifiant la délivrance d'un congé sans indemnité d'éviction.
Le reproche relatif à la domiciliation dans les locaux sans autorisation du bailleur d'une société ayant une activité non autorisée par le contrat de bail n'est justifié par aucune pièce ainsi que l'a déjà relevé le jugement déféré. La locataire fait valoir que le fils de son gérant aurait domicilié très temporairement son activité dans les locaux mais aurait cessé. Dès lors que cette domiciliation non autorisée dont la durée n'est pas établie a cessé, elle ne constitue pas un motif grave et légitime au sens de l'article L. 145-17 précité.
Le reproche relatif au refus manifeste et caractérisé de laisser accéder les entrepreneurs devant réaliser les travaux à la charge du bailleur les empêchant ainsi de les exécuter et ce depuis de nombreuses années, fait l'objet d'une abondante production de pièces par les parties.
La SCI FELA 116 se prévaut d'attestations et de différents courriers adressés par elle ou son mandataire l'agence L'ADRESSE demandant de laisser l'accès aux locaux loués aux entreprises qu'elle a chargées d'y intervenir.
La société L'AUBERGE DU CYRANO objecte dans ses écritures qu'elle ne s'est pas opposée à la réalisation de travaux, qu'elle en a, au contraire, sollicité à de nombreuses reprises, qu'elle a fait réaliser une expertise amiable le 27 novembre 2015 par la société BATI DICET relevant notamment la nécessité pour le bailleur d'effectuer le remplacement complet de la toiture, de rénover la façade arrière, de renforcer le plancher du logement, de l'isoler, de renforcer l'appui des murs du local commercial, qu'elle a demandé la désignation d'un expert pour mettre fin à cette situation au tribunal judiciaire, lequel a ordonné une expertise par jugement du 26 novembre 2020, qu'elle a laissé l'accès aux locaux permettant la réalisation d'un devis et la réparation du plancher haut de la cave.
Il ressort notamment du rapport d'expertise judiciaire déposé le 28 juin 2021 que s'agissant de la cave, 'lors d'approfondissement du sous-sol, il n'a pas été tenu compte de la reprise des fondations, de sorte que le mur repose sur de la terre qui s'affouille, risquant ainsi de déstabiliser le mur de façade', selon l'expert les travaux pour y remédier incombent au propriétaire ; que s'agissant de la charpente présentant ' un pourrissement avancé dû aux infiltrations, à la conception de cet ouvrage bricolé non conforme aux règles de l'art des combles', sa réfection complète est nécessaire ainsi que celle de la couverture, elles sont urgentes au regard du risque d'effondrement et incombent au bailleur selon l'expert, que s'agissant des désordres intérieurs au logement à l'étage, une suppression de l'escalier intérieur le reliant au rez-de-chaussée a entraîné une surcharge du plancher au premier étage et un défaut de portance de la poutre du plancher, imputable au preneur selon l'expert et nécessitant une consolidation de ce plancher, que s'agissant de la façade non ravalée depuis 2002, elle présente notamment d'importants décollements d'enduits, que s'agissant de la présence d'amiante aussi bien à l'intérieur que l'extérieur des locaux, malgré les diagnostics réalisés en 2012 et 2015 le bailleur n'a pas fait diligenter de nouvelle visite en dépit de la dégradation de la façade alors qu'un nouveau diagnostic était pourtant nécessaire.
Il apparaît donc et n'est pas contesté que les locaux loués étaient en très mauvais état et que des travaux urgents devaient être réalisés par la bailleresse.
L'attestation datée du 16 décembre 2020 selon laquelle il n'a pas été possible d'accéder aux locaux loués émanant de M. [V] [I], dont l'état civil et la profession ne sont pas précisés, sans copie de sa pièce d'identité et ne contenant pas les énonciations exigées par l'article 202 du code de procédure civile est dépourvue de force probante, son auteur ne pouvant être identifié. De même, les attestations ne respectant pas non plus les exigences de l'article 202 du code civil, datées respectivement du 27 décembre 2016 et 21 octobre 2020, établies par le précédent propriétaire des locaux et l'agence L'ADRESSE ainsi que la lettre adressée le 15 mai 2018 par cette agence à sa mandante, selon lesquelles les travaux nécessaires à la charge du bailleur n'auraient pu être effectués en raison du refus de la locataire, n'ont pas une valeur probante suffisante pour établir la réalité des faits qui y sont énoncés, s'agissant de documents non conformes aux exigences légales émanant de personnes ayant intérêt à démontrer qu'elles ont effectué les diligences leur incombant pour la réalisation des travaux nécessaires.
Le courriel du 15 mai 2021 adressé par le gérant de la SCI FELA 116 au conseil de la locataire, pour demander l'accès aux locaux afin d'effectuer les travaux de sécurisation de la charpente, de même que les courriers échangés par les parties en 2023 sont inopérants pour démontrer l'existence du motif fondant le congé en cause délivré à la date du 25 février 2020, puisqu'ils sont postérieurs à ce congé.
Les parties produisent les courriers qu'elles ont échangés avant le congé délivré les 25 et 26 février 2020 dans le contexte litigieux résultant de l'état très dégradé des locaux loués, courriers adressés parfois sous la forme recommandé mais aussi par lettres simples ou courriels, dont la réception n'est pas contestée. Il en résulte notamment que :
- par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 octobre 2015, l'avocat de la société L'AUBERGE DU CYRANO a demandé au notaire des consorts [M] de procéder au désamiantage des locaux et d'effectuer les travaux de restauration nécessaires car les locaux s'affaissent, copie en ayant été adressée à M. [M], l'avocat des bailleurs y a notamment répondu le 16 octobre 2015 que ses clients allaient mandater un architecte ;
- par lettre du 3 avril 2016, se prévalant du rapport d'expertise amiable, le gérant de la société L'AUBERGE DU CYRANO a mis en demeure les consorts [M] de lui faire parvenir dans un délai de sept jours une notification officielle de sa décision de réaliser les travaux en respectant différentes conditions notamment d'indemnisation ;
- par lettre du 11 mai 2016, M. [M] a écrit que les travaux de renforcement du plafond de la cave interviendraient dans les prochains jours ;
- par lettre du 24 mai 2016, l'avocat du locataire a écrit à celui des bailleurs, indiquant que les travaux sur site occupé étaient impossibles, que le rapport de BATI DICET avait préconisé d'autres travaux que ceux visés dans le courrier du 11 mai 2015 et qu'il entendait assigner les bailleurs ;
- un an plus tard, par lettre du 23 mai 2017, L'ADRESSE, a écrit à la société L'AUBERGE DU CYRANO l'informant que deux entreprises allaient la 'contacter pour prendre rendez-vous afin d'effectuer des devis pour la réfection de la charpente ainsi que le plafond de la cave ' et la remerciait par avance de se 'rendre disponible afin que les travaux de réfection puissent s'effectuer rapidement' ;
- par lettre du 29 mai 2017, l'avocat de la locataire a écrit à L'ADRESSE, rappelant que son client réclame depuis longtemps des travaux, demandant de préciser la liste de ceux prévus, indiquant que son client rendrait les locaux disponibles vu l'urgence mais souhaiterait être prévenu et que les visites ne soient pas durant les heures de service ;
- par lettre du 7 juin 2017, le gérant de la SCI FELA 116 a écrit à l'avocat de la locataire pour demander que cette dernière laisse visiter les locaux à son mandataire et aux entreprises chargées des travaux, rappelant qu'il s'agit d'une obligation contractuelle pouvant être sanctionnée par la clause résolutoire du bail ;
- par courriel du 21 juillet 2017, L'ADRESSE a indiqué à l'avocat de la locataire que son client serait contacté après le 15 août par les entreprises chargées des travaux, ce dernier a répondu par courriel du même jour que son client était à disposition et qu'il souhaitait être présent lors du rendez-vous ;
- par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 septembre 2017, l'avocat de la locataire a écrit à L'ADRESSE pour signaler que ni lui ni son client n'ont été contactés par l'entreprise, bien que joignables tout l'été, cette dernière a répondu par courriel du 11 septembre 2017 qu'elle aurait adressé un message au locataire pour connaître ses disponibilités ;
- huit mois plus tard par courriel du 2 mai 2018, L'ADRESSE a informé l'avocat de la locataire qu'une entreprise était mandatée pour réaliser des travaux dans l'AUBERGE DU CYRANO,
- par lettre du 15 mai 2018, L'ADRESSE a écrit à l'avocat de la locataire que l'entreprise mandatée aurait pu intervenir le jour-même en toiture et dans la cave sans fermeture du commerce, et lui a demandé de faire connaître les disponibilités de sa cliente ;
- par lettre du 28 mai 2018, le gérant de la SCI FELA 116 a écrit à l'avocat de la locataire rappelant qu'aux termes du bail, cette dernière doit supporter les travaux de la bailleresse sans indemnité, que les travaux à effectuer sont 'des travaux de consolidation et de réfection de la toiture et de la cave', que tout refus à l'exécution de ces travaux justifieraient l'application de la clause résolutoire du bail, lui a demandé de prendre contact avec l'agence pour convenir d'un planning précisant qu'à défaut, il se réservait d'assigner la locataire pour inexécution contractuelle,
- que par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 mai 2018, l'avocat de la société L'AUBERGE DU CYRANO a écrit à l'agence immobilière lui reprochant de l'aviser des travaux la veille pour le lendemain alors que le restaurant est ouvert et la cave accessible par la cuisine, il l'a invité à planifier les travaux directement avec sa cliente et à prévoir l'indemnisation de son client qui loge avec sa famille dans les locaux loués, lettre à laquelle L'ADRESSE a répondu le 29 mai 2018 avoir voulu être 'réactif' compte tenu de l'urgence à réaliser les travaux et avoir transmis le courrier au bailleur et à son avocat ;
- que par lettre du 13 août 2018, l'avocat de la société L'AUBERGE DU CYRANO a écrit à celui de la bailleresse 'je viens vers vous car aucun des travaux prévus n'est à ce jour réalisé' ;
- près de huit mois plus tard, par lettre du 11 avril 2019, L'ADRESSE a écrit à la locataire dans les termes suivants : 'nous revenons vers vous pour vous informer que l'entreprise qui doit réaliser les travaux au sein de vos locaux pourrait intervenir début juin. A cet effet, nous vous remercions de bien vouloir communiquer vos jours de disponibilités pour cette période. Nous vous rappelons que les travaux auraient déjà dû commencer il y a quelques temps mais vous ne donnez jamais accès. Dans l'attente de vous lire (...)' ;
- sept mois plus tard, par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 novembre 2019, L'ADRESSE écrivait à la société L'AUBERGE DU CYRANO : 'nous revenons vers vous , suite à notre courrier du 11 avril 2019, dont nous n'avons pas de retour de votre part, concernant vos disponibilités pour effectuer les travaux. Nous vous rappelons que les travaux auraient dû commencer depuis plusieurs années. Il est impératif de donner vos disponibilités, dans le cas contraire nous seront obligés de prendre d'autres disposition. Par ailleurs et au vu de la situation, vos propriétaires ne pourront être tenus responsable de ne pas effectuer les travaux' ;
- par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 décembre 2019 la société L'AUBERGE DU CYRANO a répondu que les travaux auraient dû être réalisés depuis longtemps, rappelant les termes des expertises amiables, soulignant notamment l'urgence de réparer la charpente et la structure du premier étage, les différentes étapes à respecter pour mettre en oeuvre les travaux, la nécessité de compenser la perte financière si la fermeture du restaurant est nécessaire et de prendre en compte les différents facteurs de danger, indiquant être disponible pour la réalisation de travaux si toutes les conditions posées sont remplies et concluant qu'il convenait désormais de s'adresser à son avocat.
Ainsi il ressort des courriers antérieurs au congé litigieux que tout en les réclamant, la locataire a souvent opposé des difficultés à la réalisation des travaux, demandant la prise en compte de son activité professionnelle et un dédommagement; que malgré la situation particulière résultant du très mauvais état des locaux délivrés impliquant de lourds travaux, la bailleresse et son représentant se sont contentés de rappeler les obligations contractuelles du preneur concernant les travaux du bailleur, sans répondre concrètement aux objections de la locataire relatives à l'organisation de son travail et au logement de son gérant; que la mandataire de la bailleresse n'a pas toujours donné suite à ses courriers annonçant l'intervention prochaine d'une entreprise et la nécessité de donner accès aux locaux, laissant parfois s'écouler plusieurs mois entre chaque courrier, de sorte que le lien de causalité entre le défaut de réalisation des interventions annoncées et l'attitude de la locataire n'est pas démontré.
Enfin, après la lettre recommandée avec accusé de réception du 29 novembre 2019 de l'ADRESSE demandant à la locataire de préciser ses disponibilités pour réaliser les travaux et la réponse de cette dernière, près de trois mois se sont écoulés sans qu'il soit justifié d'une autre demande de la bailleresse avant la délivrance du congé pour motif grave et légitime le 25 et 26 février 2020 mettant fin au bail le 31 août 2020.
Au regard de l'ensemble de ces éléments et de l'attitude respective des parties, l'existence d'un refus manifeste depuis de nombreuses années de laisser accéder aux locaux loués les entreprises adressées par la bailleresse, constitutif d'un motif grave et légitime, n'est pas caractérisée.
L'absence d'un motif suffisamment grave au sens de l'article L. 145-17 du code de commerce de nature à justifier un refus de renouvellement du bail sans offre d'indemnité d'éviction n'entraîne pas la nullité du congé, qui a valablement mis fin au bail, mais a ouvert droit à la locataire au paiement d'une indemnité d'éviction ainsi qu'au droit au maintien dans les lieux prévu par l'article L. 145-28 du code de commerce.
En conséquence, l'appelante sera déboutée de sa demande principale aux fins de voir suspendre les effets du congé, ordonner le renouvellement du bail et ordonner la réintégration de la locataire dans les locaux mais le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a dit que la locataire est occupante sans droit ni titre, a ordonné son expulsion et la séquestration des meubles.
Il sera fait droit à la demande subsidiaire de la société L'AUBERGE DU CYRANO aux fins de se voir accorder une indemnité d'éviction.
Il ressort de l'article L. 145-14 du code de commerce que l'indemnité d'éviction due par le bailleur qui refuse le renouvellement est destinée à permettre au locataire évincé de voir réparer l'entier préjudice résultant du défaut de renouvellement. Elle comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. En l'espèce, il n'est pas contestable que la locataire a subi un préjudice du fait de son éviction des locaux, toutefois, sa demande en paiement d'un montant de 1.010.000 € à ce titre n'est pas justifiée.
La cour ne disposant pas en l'état des éléments suffisants pour fixer l'indemnité d'éviction, il convient avant dire droit sur le montant de l'indemnité d'éviction d'ordonner une expertise dans les termes du dispositif ci-après, aux frais avancés de la locataire qui la sollicite, étant précisé que lors de son évaluation l'expert devra considérer les locaux exploitables, la locataire ne pouvant être pénalisée par les manquements éventuels de la bailleresse à son obligation de délivrance.
L'appelante sollicite l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'une indemnité d'occupation tandis que l'intimée demande sa confirmation. L'indemnité d'occupation de droit commun due en cas d'occupation sans droit ni titre n'est pas due en l'espèce puisque la locataire qui pouvait prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction avait droit au maintien dans les lieux en application de l'article L. 145-28 du code de commerce moyennant l'indemnité d'occupation statutaire prévue par ce texte. Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la locataire au paiement d'une indemnité d'occupation de droit commun.
La cour note qu'elle n'est saisie à ce jour en cause d'appel d'aucune demande de fixation d'une indemnité d'occupation statutaire par l'une ou l'autre des parties et que le jugement, dont il est sollicité confirmation de ce chef par le bailleur, ne s'est prononcé que sur une indemnité d'occupation de droit commun.
Sur les demandes accessoires
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes aux fins de voir 'juger' ou 'dire', lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions visant à confèrer un droit à la partie qui les requiert et ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.
Compte tenu de la solution du litige, le jugement de première instance sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise judiciaire, il sera sursis sur la demande de fixation de l'indemnité d'éviction et sur les demandes relatives aux intérêts, aux dépens et aux frais irrépétibles des procédures de première instance et d'appel.
Les autres demandes seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er septembre 2022 par le tribunal judiciaire d'Evry (RG N° 20/05818) ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le congé avec refus de renouvellement délivré le 25 février 2020 par la SCI FELA 116 à la société L'AUBERGE DU CYRANO a mis fin le 31 août 2020 au contrat de bail commercial portant sur les locaux situés [Adresse 4] à MONTGERON (91 230) ;
Déboute la société L'AUBERGE DU CYRANO de ses demandes principales aux fins de voir suspendre les effets du congé, ordonner le renouvellement du bail et ordonner la réintégration de la locataire et sa famille dans les locaux en cause ;
Dit qu'en l'absence de motifs graves et légitimes, le refus de renouvellement délivré le 25 février 2020 a ouvert droit au profit de la société L'AUBERGE DU CYRANO à une indemnité d'éviction et au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du bail expiré jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction ;
Avant dire droit au fond sur le montant de l'indemnité d'éviction et sur les intérêts s'y rapportant, tous droits et moyens des parties demeurant réservés à cet égard, désigne en qualité d'expert M. [O] [N]
[Adresse 3] [Localité 7]
Tél : [XXXXXXXX01]
Port. : [XXXXXXXX02]
Email : [Courriel 10]
avec mission, les parties ayant été convoquées et dans le respect du principe du contradictoire :
* de se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission ;
* visiter les lieux, les décrire, dresser le cas échéant la liste du personnel employé par la locataire en les considérant réputés exploitables ;
* rechercher, en tenant compte de la nature des activités professionnelles autorisées par le bail, de la situation et de l'état des locaux, tous éléments permettant :
1 ) de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction dans le cas :
- d'une perte de fonds : valeur marchande déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, des frais et droits de mutation afférents à la cession de fonds d'importance identique, de la réparation du trouble commercial,
- de la possibilité d'un transfert de fonds, sans perte conséquente de clientèle, sur un emplacement de qualité équivalente, et, en tout état de cause, le coût d'un tel transfert, comprenant : acquisition d'un titre locatif ayant les mêmes avantages que l'ancien, frais et droits de mutation, frais de déménagement et de réinstallation, réparation du trouble commercial,
2 ) d'apprécier si l'éviction aurait entraîné la perte du fonds ou son transfert, à titre de renseignement, dire si, à son avis, le loyer aurait été ou non plafonné en cas de renouvellement du bail et préciser, en ce cas, le montant du loyer calculé en fonction des indices qui aurait été applicable à la date de la fin du bail,
Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et qu'il déposera l'original de son rapport au greffe de la 3ème chambre du pôle 5 (5-3) de la cour d'appel de Paris avant le 28 juin 2025 ;
Fixe à la somme de 4.000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, somme qui devra être consignée par la SCI L'AUBERGE DU CYRANO de la cour d'appel de Paris, [Adresse 6], [Localité 8] avant le 30 novembre 2024,
Dit que, faute de consignation de la provision dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;
Dit qu'un des magistrats de la chambre sera délégué au contrôle de cette expertise :
Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du 08 janvier pour contrôle du versement de la consignation ;
Renvoie l'affaire pour reprise des débats après dépôt du rapport de l'expert, à l'audience du juge de la mise en état de la 3ème chambre du pôle 5 (5-3) de cette cour à la date qui sera fixée ultérieurement par le juge de la mise en état ;
Sursoit à statuer sur les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de première instance et d'appel ;
Rejette les demandes plus amples ou contraires ;
Réserve les dépens.