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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 10 octobre 2024, n° 24/00046

GRENOBLE

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Boucherie du Marché (SARL)

Défendeur :

Ifri (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Lenuzza, Me Alampi

CA Grenoble n° 24/00046

9 octobre 2024

Faits et procédure :

1. Suivant contrat du 11 mars 2009, la Sci Ifri a consenti à la Sarl Boucherie du Marché un bail commercial concernant un local situé au [Adresse 3] à Fontaine (38), pour une durée de 9 ans moyennant un loyer mensuel de base de 580 euros outre accessoires. Le loyer actuel est de 854,28 euros par mois.

2. La Sarl Boucherie du Marché a fait délivrer à la Sci Ifri, par acte d'huissier en date du 8 février 2018, une demande de renouvellement du bail commercial à son échéance, soit au 28 février 2018.

3. Par ordonnance du 25 juillet 2019, le juge des référés a :

- constaté que la Sarl Boucherie du Marché a payé à la Sci Ifri les sommes dues au titre de l'arriéré des loyers et charges locatives en cours de procédure,

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire à la date du 17 mai 2019,

- ordonné la suspension des effets de la clause résolutoire,

- rejeté les demandes en paiement et d'expulsion de la Sci Ifri.

4. Par ordonnance du 26 août 2021, le juge des référés a débouté la Sci Ifri de sa demande de constat de résiliation du bail et d'expulsion compte tenu du règlement intervenu en cours de procédure.

5. Un commandement de payer la somme de 854,26 euros visant la clause résolutoire insérée dans le bail liant les parties, a été notifié au preneur le 25 avril 2023. Par acte de commissaire de justice du 24 juillet 2023, la Sci Ifri a fait assigner la Sarl Boucherie du Marché devant le président du tribunal judiciaire de Grenoble statuant en référé pour voir :

- constater la résiliation du bail commercial passé par acte sous seing privé le 11 mars 2009 entre eux et ce par le jeu de la clause résolutoire rappelée dans le commandement signifié le 25 avril 2023,

- ordonner l'expulsion du preneur et de tous occupants de son chef, sous astreinte de 200 euros par jour de retard,

- condamner le preneur à titre provisionnel au paiement de la somme de 854,28 euros au titre de loyers, charges et indemnités d'occupation impayés, outre une indemnité d'occupation égale au montant du loyer, et au paiement de la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

6. Par ordonnance du 21 décembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Grenoble a :

- constaté la résiliation du bail liant les parties au 25 mai 2023,

- ordonné l'expulsion de la Sarl Boucherie du Marché et de toute personne de son chef des lieux loués, avec le concours de la force publique si nécessaire, sans qu'il y ait lieu de prononcer d'astreinte ;

- condamné la Sarl Boucherie du Marché à verser à titre provisionnel à la Sci Ifri la somme de 854,28 euros au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation suivant compte arrêté au mois de septembre 2023 avec intérêts au taux légal à compter du 25 avril 2023, outre une indemnité d'occupation égale au montant du loyer à compter de la résiliation du bail jusqu'au départ effectif du preneur ;

- condamné la Sarl Boucherie du Marché à verser à la Sci Ifri la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la Sarl Boucherie du Marché aux entiers dépens comprenant le coût du commandement.

7. La Sarl Boucherie du Marché a interjeté appel de cette décision le 22 décembre 2024, en toutes ses dispositions reprises dans son acte d'appel.

8. L'instruction de cette procédure a été clôturée le 6 juin 2024. Par message électronique du 19 juin 2024, l'appelante a sollicité la réouverture des débats afin que le bailleur puisse mettre en cause le mandataire judiciaire, en raison de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire la concernant.

Prétentions et moyens de la Sarl Boucherie du Marché :

9. Selon ses conclusions remises le 22 février 2024, elle demande à la cour, au visa des articles L.145-41 du code de commerce, des articles 1104 et 1343-5 du code civil :

- de déclarer la concluante recevable et bien fondée en son appel ;

- de constater que le montant de la dette d'un montant de 854,28 euros est déjà soldé ;

- par conséquent, d'infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée ;

- statuant à nouveau, d'ordonner la suspension des effets de la cause résolutoire du bail commercial ;

- de débouter l'intimée de toutes ses demandes ;

- de condamner l'intimée à verser à la concluante la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à la prise en charge des entiers dépens ;

- de statuer ce que de droit sur les dépens.

10. L'appelante soutient que si elle reçu un commandement de payer le 25 avril 2023 pour la somme de 854,28 euros au titre du mois de mars 2023, cependant, réglant de façon régulière le loyer de 854,28 euros par virement automatique au début de chaque mois, elle a pensé en toute bonne foi avoir réglé le mois de mars 2023 et que la régularisation avait été faite par la suite. Elle indique être à jour de ses loyers, en raison d'un virement de 1.708,56 euros le 29 août 2023, en paiement des loyers de mars et juillet 2023, de sorte que l'intégralité de la créance a été soldée au jour de l'ordonnance déférée, et qu'il convient de suspendre les effets de la clause résolutoire.

Prétentions et moyens de la Sci Ifri :

11. Selon ses conclusions remises le 19 mars 2024, elle demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance déféré ;

- de condamner l'appelante à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner l'appelante aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant le coût du commandement.

12. Elle énonce que les loyers sont payés irrégulièrement depuis 2019, ce qui a justifié la délivrance du commandement de payer, dont la cause n'a pas été régularisée dans le délai d'un mois, et qu'il s'agit du quatrième commandement visant la clause résolutoire depuis le 14 mars 2019. Elle ajoute que la veille de l'audience du 30 août 2023, l'appelante a régularisé l'arriéré en payant les loyers de mars et juillet 2023, mais que suite au renvoi de l'affaire au 26 octobre 2023, le loyer de septembre n'a pas été payé, n'étant partiellement réglé que la veille de cette nouvelle audience.

13. L'intimée précise que la mise en 'uvre de la clause résolutoire suppose la preuve d'une faute imputable au preneur, que cette faute soit sanctionnée par la clause résolutoire, que celle-ci puisse être invoquée de bonne foi par le bailleur compte tenu de la nature des faits, que le manquement ait perduré au-delà d'un mois après commandement ou mise en demeure, et que toutes ses conditions sont satisfaites en l'espèce, alors que l'appelante est de mauvaise foi en raison de l'absence de paiement régulier des loyers, qui ne sont pas payés par virements automatiques, mais par virements bancaires lorsque le preneur en donne l'ordre. Elle précise que le bail prévoit un paiement le 1er jour de chaque mois, et que cette stipulation n'est pas respectée.

14. Elle soutient que la jurisprudence considère que la juridiction saisie ne peut refuser de faire droit à la demande de constat de l'acquisition de la clause résolutoire au motif que l'infraction ne constituerait pas un manquement suffisamment grave à l'exécution du bail, et que le seul défaut de paiement des frais de poursuite dans le délai visé par le commandement, alors que les loyers étaient payés, justifie l'acquisition de la clause résolutoire.

15. Elle ajoute qu'elle est une société familiale, remboursant un prêt immobilier, de sorte que les loyers sont sa seule source de revenus, alors que le preneur a déjà bénéficié d'une suspension des effets de la clause résolutoire.

*****

16. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

17. Concernant la révocation de l'ordonnance de clôture et ainsi la réouverture des débats, la cour constate qu'il n'est pas contredit qu'avant la clôture des débats, l'appelante a été placée en redressement judiciaire.

18. Aux termes de l'article L.622-21 I du code de commerce, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :

1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;

2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

19. Ce principe d'arrêt des poursuites tendant au paiement d'une somme d'argent ou en résolution d'un contrat pour non paiement de sommes d'argent, est un principe d'ordre public, qui doit être relevé d'office par le juge.

20. Par ailleurs, s'agissant des instances en cours au jour de l'ouverture de la procédure, l'article L.622-22 du code de commerce dispose que sous réserve des dispositions de l'article L.625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Ces instances sont reprises dès que le créancier a produit à la juridiction saisie une copie de la déclaration de sa créance et qu'il a mis en cause le mandataire judiciaire et l'administrateur, lorsque ce dernier a pour mission d'assister le débiteur, mais elles tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.

21. Cette procédure de fixation de la créance ne doit être suivie que pour les instances au fond. L'article L.622-22 ne s'applique pas aux instances en référé, y compris lorsque l'ouverture de la procédure est intervenue pendant la procédure d'appel (Cass.com.12 juil. 1994, n°91-20.843; Cass. com., 6 oct.2009, n°08-12.416.; Cass.com. 29 septembre 2015, n°14-17.513; Cass. com. 9 juillet.2002, n°99-12.803.; Cass. com.15 mars 2005, n°03-16.450).

22. En application de ces dispositions, l'instance en référé tendant notamment à la condamnation du débiteur au paiement d'une provision n'est pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective du débiteur, de sorte que la cour d'appel, statuant sur l'appel formé par un preneur à bail commercial contre l'ordonnance l'ayant condamné au paiement d'une provision, doit infirmer cette ordonnance et dire n'y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par l'article L.622-21 I susvisé (Cass.com; 19 septembre 2018, n°17-13.210).

23. De même, selon la Cour de cassation, la clause résolutoire d'un bail commercial pour défaut de paiement des loyers et charges n'est définitivement acquise avant l'ouverture de la procédure collective du preneur que si cette acquisition est constatée par une décision de justice passée en force de chose jugée avant la date d'ouverture ; en l'absence d'une telle décision, le bailleur ne peut plus poursuivre l'action tendant à la constatation de la résiliation du bail (3ème Civ. 26 mai 2016, n°15-12 750; Cass. com 12 juillet 2017 n°16.10-167 ).

24. En l'espèce, la Sarl Boucherie du Marché a interjeté appel de l'ordonnance de référé constatant la résiliation du bail, ordonnant son expulsion et la condamnant au paiement d'une provision outre une indemnité d'occupation, avant son placement en redressement judiciaire, et il n'est pas contesté qu'elle en a interjeté appel avant l'ouverture de cette procédure collective. L'ordonnance entreprise n'est ainsi pas passée en force de chose jugée avant l'ouverture du redressement judiciaire.

25. En conséquence, la cour ne peut que rouvrir les débats, afin que les parties s'expliquent sur les effets de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire concernant la société Boucherie du Marché.

26. S'agissant d'une procédure prévue à l'article 905 du code de procédure civile, les parties seront renvoyées à cet effet devant la cour à l'audience qui sera tenue par le conseiller rapporteur le vendredi 20 décembre 2024 à 10h00.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, avant dire droit et par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu l'article L.622-21 du code de commerce, l'article 905 du code de procédure civile';

Rouvre les débats afin que les parties s'expliquent sur les effets de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire concernant la société Boucherie du Marché';

Renvoie en conséquence les parties devant la cour, statuant à conseiller rapporteur lors de l'audience du vendredi 20 décembre 2024 à 10h00';

Réserve l'ensemble des demandes des parties';

SIGNÉ par Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente et par Mme Alice RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.