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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 5, 9 octobre 2024, n° 24/10234

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Foncière Dantès (SAS)

Défendeur :

Pharmacie (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jariel

Conseillers :

Mme Boutie, Mme Szlamovicz

Avocats :

Me Moisan, Me du Granrut, Me Peyronnet, Me Lallement, Me Job, Me Lahlou

T. com. Paris, du 24 mai 2024, n° 202304…

24 mai 2024

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société Pharmacie [Adresse 4] (la société PDT), exploite une officine de pharmacie dans des locaux situés au [Adresse 3] à [Localité 6] donnés à bail par la société Foncière Dantes (la société FD), propriétaire d'un ensemble immobilier situé à cette même adresse.

La société FD a entrepris de réaliser d'importants travaux de réhabilitation, surélévation, extension et création de deux nouveaux bâtiments.

Un référé préventif a été mis en 'uvre à la requête de la société FD en amont du démarrage des travaux, au contradictoire des avoisinants et des entreprises intervenantes sur ce chantier.

Par ordonnance du 17 octobre 2017, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné une expertise et désigné M. [D] en qualité d'expert.

M. [D] s'est adjoint, en cours d'expertise, un sapiteur financier pour examiner les réclamations financières de la société PDT et un pré-rapport a été déposé le 19 janvier 2023.

Par acte d'huissier du 19 juin 2023, la société PDT a assigné la société FD devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'indemnisation de son préjudice.

Le 13 novembre 2023, l'expert a déposé son rapport définitif.

La société FD a soulevé in limine litis l'incompétence du tribunal de commerce invoquant l'application des dispositions de l'article R. 211-3-26 du code de l'organisation judiciaire qui donne compétence exclusive au tribunal judiciaire pour connaître du litige.

Par jugement du 24 mai 2024, le tribunal de commerce de Paris statué en ces termes :

- dit recevable mais mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société FD ;

- se déclare compétent ;

- renvoie les parties à l'audience collégiale du 6 juin 2024 à 14h00 et enjoint la société FD de communiquer les pièces et conclusions au fond.

- dit que le greffe procédera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé de réception adressée exclusivement aux parties,

- dit qu'en application de l'article 84 du code de procédure civile, la voie de l'appel est ouverte contre la présente décision dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification.

- réserve les dépens et frais irrépétibles.

- réserve les autres demandes.

Par déclaration en date du 11 juin 2024, la société FD a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour la société PDT.

Par requête du même jour, la société FD a sollicité l'autorisation d'assigner la société PDT à jour fixe devant la cour en application de l'article 84 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 25 juin 2024, la société FD a été autorisée à assigner à jour fixe la société PDT devant la cour à l'audience du 10 septembre 2024.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 30 août 2024, la société FD demande à la cour de :

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 24 mai 2024,

Statuant à nouveau,

- Déclarer le tribunal de commerce de Paris incompétent au profit du tribunal judiciaire de Paris,

A titre subsidiaire :

- Ordonner à la société PDT de produire, dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir, et à défaut sous astreinte de 500 euros par jour de retard :

- les montants mensuels de chiffres d'affaires réalisés par la société PDT pour les mois d'avril 2021 à aout 2023 et les justificatifs comptables correspondants (bilans et liasses fiscales),

- les montants annuels de chiffres d'affaires réalisés par la société PDT pour les périodes de septembre 2020 à aout 2021, de septembre 2021 à aout 2022 et de septembre 2022 à aout 2023, ainsi les justificatifs comptables correspondants (bilans et liasses fiscales),

En tout état de cause,

- Condamner la société PDT à payer à la société FD la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouter la société PDT de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Condamner la société PDT aux entiers dépens.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 13 août 2024, la société PDT demande à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 24 mai 2024 en toutes ses dispositions ;

- débouter la société FD l'intégralité de ses demandes ;

- condamner la société FD à verser à la société pharmacie [Adresse 4] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

L'affaire a été appelée à l'audience du 10 septembre 2024, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.

MOTIVATION

Sur l'exception d'incompétence

Moyens des parties

La société FD soutient que la société PDT a initié la procédure à son encontre devant le tribunal de commerce de Paris alors qu'en matière de baux commerciaux, les parties étant liées par un contrat de bail commercial en date du 7 décembre 2011, l'article R. 211-3-26 du code de l'organisation judiciaire donne compétence exclusive au tribunal judiciaire pour connaître du litige.

Elle précise que le litige qui l'oppose la société PDT, qui a la qualité de locataire, à la société FD, qui a celle de bailleresse, n'a pas un fondement délictuel, ce dernier régissant les litiges relatifs aux relations de voisinage mais un fondement contractuel, s'agissant de l'application des dispositions du bail commercial conclu entre les parties, l'existence de ce contrat ayant déjà été invoqué devant le premier juge.

Elle fait valoir qu'aux termes de son assignation, la société PDT a expressément précisé qu'elle était locataire au rez-de-chaussée de l'immeuble situé [Adresse 3] à [Localité 5], objet des travaux de réhabilitation et qu'elle est intervenue en cette qualité aux opérations d'expertise, la réalisation des travaux sur l'immeuble lui-même et non au sein des locaux loués ne faisant pas disparaître sa qualité de locataire.

En outre, la société FD argue que si les parties sont toutes deux des sociétés commerciales, le litige qui les oppose ne relève pas de la compétence du tribunal de commerce prévu par les dispositions de l'article L. 721-3 du code de commerce, l'action de la société PDT portant uniquement sur leurs relations de voisinage et relevant donc de la compétence du tribunal judiciaire.

A titre subsidiaire, au soutien de sa demande de production de pièces, la société FD avance que la société PDT s'est abstenue de produire ses chiffres d'affaires pour la période postérieure à 2021, date de la fin de la réalisation des travaux en dépit des multiples demandes qui lui ont été faites.

En réponse, la société PDT fait valoir que la société FD l'a assignée en référé préventif en qualité de voisin et non en sa qualité de locataire et ne s'est jamais prévalue de l'existence d'un lien contractuel entre les parties durant la réalisation des opérations d'expertise.

Elle précise que les travaux n'ont pas concerné les lieux loués, la société PDT n'étant que voisine de l'opération réalisée et que l'ampleur des travaux réalisés a gravement perturbé l'activité de la pharmacie [Adresse 4], la société FD ayant reconnu sa responsabilité dans les désordres subis en cours d'expertise.

En outre, elle expose qu'alors que les parties sont toutes deux commerçantes, un litige entre commerçant relève de la compétence du tribunal de commerce et ce même si le fondement de l'action est délictuel.

Enfin, la société PDT avance que la demande de communication de pièces est toujours pendante devant le tribunal de commerce de Paris et que la cour ne peut pas évoquer sur cette demande dès lors qu'elle n'entend pas renoncer au double degré de juridiction.

Réponse de la cour

Aux termes des dispositions de l'article R. 211-3-26 du code de l'organisation judiciaire, le tribunal judiciaire a compétence exclusive dans les matières déterminées par les lois et règlements, au nombre desquels figurent les matières suivantes :

1° Baux commerciaux à l'exception des contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, baux professionnels et conventions d'occupation précaire en matière commerciale ; (')

L'article L. 721-3 du code de commerce dispose que les tribunaux de commerce connaissent :

1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement et entre eux ;

2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;

3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes. (')

Pour déterminer la compétence exclusive du tribunal judiciaire en matière de bail commercial, la jurisprudence a posé un critère de distinction en précisant que seuls les litiges portant sur l'application des dispositions relatives au statut des baux commerciaux relèvent de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (3e Civ., 18 mars 1974, pourvoi n° 73-10.144, Bull. 1974, III, n° 130).

Ainsi, il a été précisé que le tribunal judiciaire a une compétence exclusive pour connaître d'un litige qui requiert une appréciation du respect du statut des baux commerciaux (Com., 18 octobre 2016, pourvoi n° 14-27.212, Bull. 2016, IV, n° 132 ; 3e Civ., 11 avril 2019, pourvoi n° 18-16.061, publié au Bulletin).

Au cas d'espèce, il n'est pas contesté que le 7 décembre 2011, un bail commercial a été conclu entre la société FD et la société PDT ayant pour objet un local commercial situé au [Adresse 3] à [Localité 5], en rez-de-chaussée et en façade, l'existence de ce contrat ayant été invoqué par la société FD devant le premier juge.

Alors que la société FD a assigné la société PDT en référé préventif devant le tribunal de grande instance de Paris en 2017 aux fins de voir ordonner une expertise relative aux impacts potentiels des travaux réalisés dans le cadre du projet immobilier d'ampleur qu'elle a initié, s'agissant de la destruction et de la reconstruction d'un hôtel particulier, la société PDT a initié une action aux fins d'indemnisation de son préjudice devant le tribunal de commerce de Paris.

En outre, si le contrat de bail commercial conclu par les parties comporte une clause relative aux obligations du preneur en cas de réalisation de travaux par le bailleur dans l'immeuble loué, la société PDT a engagé une action aux fins d'indemnisation de son préjudice sur un fondement délictuel, invoquant l'existence d'un trouble du voisinage résultant des travaux réalisés par la société FD afférents à l'immeuble dont elle est propriétaire.

Ainsi, la société FD ne justifie pas que la solution du présent litige nécessite l'application des dispositions relatives au statut des baux commerciaux, relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire.

En sens contraire, il relève de la compétence du tribunal de commerce dès lors que, quel que soit son fondement, il oppose deux sociétés commerciales.

En conséquence, il y a lieu de déclarer le tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître du présent litige, la décision entreprise étant confirmée de ce chef.

Sur la demande subsidiaire

Alors que le jugement entrepris ne statue pas dans son dispositif sur cette demande subsidiaire aux fins de communication de pièces formée par la société FD, la cour relève que cette demande constitue une mesure d'administration judiciaire qui ne lui est pas dévolue.

Sur les frais du procès

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En cause d'appel, la société FD, partie succombante, sera condamnée aux entiers dépens et à payer à la société PDT la somme de 2 000 euros, au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Foncière Dantes aux entiers dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Foncière Dantes et la condamne à payer à la société Pharmacie [Adresse 4] la somme de 2 000 euros.

Dit que le présent arrêt sera notifié aux parties par le greffe en lettre recommandée avec accusé de réception.