CA Grenoble, ch. com., 10 octobre 2024, n° 23/04297
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Decombard & Barret (SELARL)
Défendeur :
Le Clos Du Canton (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Conseillers :
M. Bruno, Mme Faivre
Avocats :
Me Barret, Me Tidjani
Faits et procédure :
1. Suivant bail en date du 1er janvier 2023, la Sci le Clos du Canton a donné à bail à [G] [U] un local professionnel situé [Adresse 4], moyennant un loyer annuel de base de 22.800 euros hors charges.
2. Les loyers n'étant pas régulièrement réglés, un commandement de payer la somme de 12.542,61 euros visant la clause résolutoire insérée dans le bail liant les parties a été notifié au preneur le 17 juillet 2023. Aucune suite n'a été donnée.
3. Par acte de commissaire de justice du 18 septembre 2023, la Sci le Clos du Canton a fait assigner [G] [U] devant le président du tribunal judiciaire de Grenoble statuant en référé, notamment pour voir :
- constater la résiliation du bail commercial passé par acte sous seing privé le 1er janvier 2023 entre eux et ce par le jeu de la clause résolutoire rappelée dans le commandement signifié le 17 juillet 2023,
- ordonner l'expulsion du preneur et de tous occupants de son chef, avec au besoin l'assistance de la force publique et d'un serrurier ;
- condamner le preneur à titre provisionnel au paiement de la somme de 13.297,46 euros au titre de loyers, charges et indemnités d'occupation impayés, outre une indemnité d'occupation égale à 2.658 euros ;
- condamner le preneur à produire les attestations d'assurances des locaux sous astreinte journalière de 500 euros ;
- ordonner le séquestre du mobilier se trouvant dans les lieux, soit dans l'immeuble soit dans un garde-meubles, aux choix du bailleur et aux frais et risques du preneur.
4. Par ordonnance réputée contradictoire du 7 décembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Grenoble a :
- constaté la résiliation du bail liant les parties au 17 août 2023,
- ordonné l'expulsion de [G] [U] et de toute personne de son chef des lieux loués, avec le concours de la force publique si nécessaire, sans qu'il y ait lieu de prononcer d'astreinte ;
- condamné [G] [U] à verser à titre provisionnel à la Sci le Clos du Canton la somme de 13.297,46 euros au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation suivant compte arrêté au 1er septembre 2023 avec intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2023, outre une indemnité d'occupation égale au montant du loyer à compter de la résiliation du bail jusqu'au départ effectif du preneur ;
- condamné [G] [U] à verser à la Sci le Clos du Canton la somme de 700 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné [G] [U] aux entiers dépens comprenant le coût du commandement.
5. [G] [U] a interjeté appel de cette décision le 19 décembre 2023, en toutes ses dispositions reprises dans sa déclaration d'appel. L'instruction de cette procédure a été clôturée le 6 juin 2024.
Prétentions et moyens de [G] [U] :
6. Selon ses conclusions n°2 remises le 1er mars 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 1714 et suivant, de l'article 1240 du code civil, des articles 834 et suivant du code de procédure civile :
- in limine litis, de juger que le tribunal judiciaire est incompétent pour statuer sur le litige qui oppose l'intimée à la concluante relativement au bail civil ayant pris effet le 1er janvier 2023 en utilisant des textes du code de commerce pour fonder la condamnation ;
- de juger que le tribunal judiciaire aurait dû débouter l'intimée faute d'avoir visé les textes applicable aux litiges relatifs aux baux civils ;
- de débouter l'intimée de l'intégralité de ses prétentions ;
- d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail, a ordonné l'expulsion de la concluante et de toute personne de son chef des lieux loués, avec le concours de la force publique si nécessaire ; en ce qu'elle a condamné la concluante à verser à titre provisionnel à l'intimée la somme de 13.297,46 euros au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation suivant arrêté du 1er septembre 2023 avec intérêts à compter du 17 juillet 2023 ; en ce qu'elle a condamné la concluante à verser à l'intimée la somme de 700 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens ;
- et statuant à nouveau, de juger que l'intimée s'est trompée en utilisant les textes relatifs aux baux commerciaux alors que le bail vise les textes de droit commun ;
- de juger que seul le tribunal judiciaire est compétent et non le tribunal de commerce ;
- de juger que les demandes de l'intimée se heurtent à des contestations sérieuses ;
- de débouter l'intimée de l'intégralité de ses prétentions ;
- en toutes hypothèses, de condamner l'intimée à payer une provision de 3.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée ;
- de condamner l'intimée à payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner l'intimée aux entiers dépens.
7. Concernant la compétence, l'appelante énonce que le propriétaire a fait le choix de faire signer un bail de droit commun, visant les articles 1714 et suivants du code civil, de sorte qu'il ne s'agit pas d'un bail commercial dont la durée est de neuf ans, le bailleur ne s'étant pas placé sous le régime des baux commerciaux. Elle indique que cependant, l'ordonnance entreprise a visé les articles relatifs aux baux commerciaux, et que le bailleur a mêlé la procédure suivie devant le tribunal judiciaire avec une procédure devant le tribunal de commerce, en visant les articles du code de commerce pour fonder ses demandes. Elle soutient qu'est ainsi posée une contestation sérieuse sur l'argumentation développée par l'intimée et reprise dans l'ordonnance, et ainsi que le tribunal judiciaire devait se déclarer incompétent.
8. L'appelante soutient ensuite que la décision déférée est irrégulière, puisqu'elle concerne un bail civil, mais en appliquant les articles du code de commerce, de sorte qu'il existe des contestations sérieuses manifestes.
Prétentions et moyens de la Sci le Clos du Canton :
9. Selon ses conclusions n°2 remises le 4 avril 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 32-1, 54, 56, 648, 751, 753, 834, 835 du code de procédure civile, des articles 1003 et 1004, 1225, 1300 à 1303-4 du code civil :
- à titre principal, de débouter l'appelante de sa demande d'incompétence ;
- de débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté l'absence de règlement des causes du commandement de payer par la débitrice ;
- dès lors, de constater l'acquisition de la clause résolutoire du contrat de bail des locaux par l'effet du commandement de payer la visant en date du 17 juillet 2023, resté infructueux ;
- en conséquence, de constater la résiliation du bail ;
- de condamner l'appelante à régler par provision à la concluante la somme de 13.297,46 euros au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation suivant compte arrêtés au 1er septembre 2023 avec intérêt au taux légal à compter du 17 juillet 2023 outre indemnité d'occupation égale au montant du loyer à compter de la résiliation du bail et jusqu'au départ effectif du preneur ;
- y ajoutant, de juger et ordonner que l'expulsion immédiate de tout occupant du local « [Adresse 4]» se fera avec l'assistance de la force publique avec celle d'un serrurier ;
- d'ordonner la séquestration des meubles et facultés immobilières se trouvant dans les lieux, soit dans l'immeuble, soit dans un garde-meubles, au choix du demandeur et aux frais et risques de la défenderesse ;
- de condamner l'appelante aux entiers dépens de l'instance, lesquels comprendront les frais de commandement et l'ensemble des dépens et frais d'expulsion à venir ;
- de condamner l'appelante à payer à la concluante la somme de 5.000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts ;
- de condamner l'appelante à payer au Trésor Public la somme de 4.000 euros ;
- de condamner l'appelante à régler à la concluante la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
10. Concernant la compétence, l'intimée observe que si l'appelante soulève une incompétence, c'est celle du tribunal de commerce au profit du tribunal judiciaire, de sorte que l'appelante a commis une erreur de lecture de la décision entreprise, ce qui n'est pas admissible en ce qu'elle fonde l'appel et cause un dommage certain au bailleur. Elle précise qu'il n'y a pas ainsi lieu à incompétence, puisque c'est bien le tribunal judiciaire qui a été saisi, alors que si une erreur a été commise concernant l'emploi des articles du code de commerce, ce point est indifférent. Elle ajoute que son action est fondée sur l'article 1225 du code civil, et qu'il n'y a pas ainsi lieu à incompétence ; que la résiliation du bail a été demandé sur le fondement d'un bail civil, et que c'est par erreur que le juge s'est trompé en invoquant le code de commerce, ce qui ne change rien à la décision et ne porte pas préjudice à l'appelante. Elle ajoute que l'appel est manifestement dilatoire et que l'appelante doit ainsi être condamnée à payer une provision à valoir sur les dommages et intérêts de 4.000 euros, outre une amende civile, par application de l'article 32-1 du code de procédure civile.
11. L'intimée ajoute que l'appelante doit être condamnée à justifier de l'attestation d'assurance sous astreinte journalière de 500 euros à compter de l'arrêt à intervenir, comme demandé dans son acte introductif d'instance.
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12. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
1) Concernant en premier lieu la demande de condamnation de madame [U] à justifier d'une assurance :
13. La cour ne peut que constater que dans le dispositif de ses conclusions d'appel, la Sci Le Clos du Canton n'a formulé aucune prétention concernant l'attestation d'assurance, ne formant cette demande que dans le corps de ses conclusions, alors qu'il résulte de l'article 954 du code de procédure civile que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. La cour n'est ainsi pas saisie de cette demande.
2) Concernant la nature du bail et la compétence du tribunal judiciaire:
14. La cour constate que le contrat a été intitulé « bail de droit commun art. 1714 et suivants du code civil ». Il porte sur un local de 280 m², alors que les locaux sont à usage exclusif de carrosserie-peinture. Madame [U] exerce une profession commerciale, le bail indiquant qu'elle est immatriculée au registre du commerce de Grenoble, avec le numéro de cette immatriculation. Le bailleur justifie qu'elle est entrepreneur individuel, dans le commerce de voitures et de véhicules automobiles légers. Le contrat a prévu que les contributions dont le bailleur peut être responsable seront supportées par le preneur. Le bail est en outre soumis à la TVA. Le dépôt de garantie a été fixé à trois mois de loyer hors taxe. Il est interdit au preneur d'utiliser les locaux autrement que selon l'usage prévu dans le bail. Il s'agit ainsi effectivement d'un bail à finalité commerciale.
15. Cependant, ce bail a prévu, à titre dérogatoire, une durée fixée à deux ans. Selon l'article L145-5 du code de commerce, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du chapitre relatif aux baux commerciaux, à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.
16. Il en résulte que le bail litigieux n'est en conséquence pas un bail commercial, sa durée réduite à deux ans, laquelle n'a pas été dépassée puisque l'échéance du contrat est le 31 décembre 2024, le soustrayant au statut des baux commerciaux. Ainsi que développé par l'appelante, il s'agit d'un bail de droit commun, soumis aux dispositions du code civil.
17. Cependant, la cour relève, comme soutenu par l'intimée, que la demande de l'appelante tendant à voir déclarer le premier juge incompétent est dépourvue de sérieux, puisque si madame [U] soutient que le tribunal judiciaire serait incompétent en raison d'un bail de nature civile, telle est cependant sa compétence. D'ailleurs, dans le dispositif de ses conclusions, madame [U] demande de juger que seul le tribunal judiciaire est compétent, alors que c'est effectivement cette juridiction, par l'intermédiaire de son juge des référés, qui a statué.
18. Il en résulte que les demandes formées en raison d'une incompétence de la juridiction de première instance sont mal fondées en tous leurs éléments, et il n'y a pas lieu ainsi à infirmation de l'ordonnance déférée sur ces fondements.
3) Sur le bien fondée de l'ordonnance déférée :
19. La cour constate que l'appelante ne conteste pas ne pas être à jour des loyers et des charges, et n'avoir pas ainsi respecté les termes du bail, prévoyant une clause résolutoire de plein droit en cas de loyers impayés. Elle ne développe aucune contestation sérieuse concernant ces points.
20. Si le juge des référés a fait application des dispositions du code de commerce, et non du code civil puisqu'il s'agit d'un bail dérogatoire ainsi exclu du statut des baux commerciaux, alors que dans son assignation, le bailleur a visé les articles du code civil et non du code de commerce, il n'en demeure pas moins que le premier juge a effectué une exacte appréciation des pièces produites alors par le bailleur, dont le décompte n'est pas contesté, pas plus que l'acquisition des effets de la clause résolutoire suite à la signification du commandement de payer dont il est avéré que madame [U] n'a pas exécuté les causes de sa délivrance en raison de loyers impayés depuis plus de six mois. Il n'existe ainsi aucune contestation sérieuse alors que l'obligation invoquée par le bailleur est fondée dans son principe et dans son montant.
21. En conséquence, substituant les articles 1714 et suivants du code civil aux articles L145-1 et suivants du code de commerce, la cour ne peut que confirmer l'ordonnance déférée en ses dispositions constatant la résiliation du bail, l'expulsion de l'appelante et sa condamnation au paiement de l'arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation.
4) Concernant les demandes du bailleur sollicitant l'assistance de la force publique et d'un serrurier pour procéder à l'expulsion, et le séquestre des meubles de l'appelante :
22. La cour constate que ces demandes ont été présentées lors de l'assignation saisissant le juge des référés, et ce dernier a précisé que l'expulsion de madame [U] sera effectuée avec l'assistance de la force publique si nécessaire, ce qui entend l'assistance éventuelle d'un serrurier. Il n'y a pas ainsi lieu de modifier l'ordonnance déférée sur ce point. Concernant le séquestre des meubles et facultés mobilières se trouvant dans les lieux, il n'a pas été statué sur cette demande. La cour y fera en conséquence droit, étant la conséquence nécessaire de la mesure d'expulsion, afin de réparer cette omission de statuer.
5) Concernant des demandes de l'intimée au titre d'un appel abusif :
23. Au regard des motifs développés plus haut, la cour ne peut que constater que l'appel de madame [U] n'est pas dénué de sérieux ni purement dilatoire même si elle ne conteste pas l'acquisition de la clause résolutoire et le montant des sommes impayées. La demande indemnitaire du bailleur est ainsi entachée d'une contestation sérieuse. Il ne saurait ainsi y avoir lieu à référé sur ce point.
24. Le caractère abusif de l'appel de madame [U] n'étant pas démontré, il n'y a pas lieu de la condamner au paiement d'une amende civile au profit du Trésor Public. Il ne peut pas plus y avoir lieu à référé sur ce point.
25. Succombant en son appel, madame [U] sera condamnée à payer à l'intimée la somme complémentaire de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu les articles 32-1, 75, 954 du code de procédure civile, les articles L.145-1 et suivants du code de commerce, les articles 1714 et suivants du code civil;
Déboute madame [U] de l'intégralité de ses prétentions ;
Confirme l'ordonnance déférée en ses dispositions soumises à la cour ;
y ajoutant,
Ordonne la séquestration des meubles et facultés immobilières de madame [U] se trouvant dans les lieux, soit dans l'immeuble, soit dans un garde-meubles, au choix de la Sci Le Clos du Canton, et aux frais et risques de madame [U] ;
Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la Sci Le Clos du Canton concernant sa demande de provision sur dommages et intérêts et sa demande de condamnation de madame [U] à payer au Trésor Public une amende civile pour appel abusif et dilatoire ;
Condamne madame [U] à payer à la Sci Le Clos du Canton la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne madame [U] aux dépens exposés en cause d'appel ;
SIGNÉ par Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente et par Mme Alice RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.