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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 10 octobre 2024, n° 24/00403

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Bambou (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vasseur

Conseillers :

Mme De Rocquigny Du Fayel, Mme Igelman

Avocats :

Me Largilliere, Me Yesil, Me Baguet

TJ Pontoise, du 20 déc. 2023, n° 23/0066…

20 décembre 2023

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 16 octobre 2019, M. [R] [P] et Mme [I] [N] épouse [P] ont consenti un bail commercial à M. [T] et M. [O], auxquels la SAS Le Bambou est venue aux droits, sur un local situé [Adresse 1] à [Localité 3] (Val-d'Oise), pour une durée de 9 années et moyennant un loyer mensuel de 993,30 euros hors charges, impôts et taxes, outre 50 euros par mois de provision sur charges payable à terme à échoir au siège du bailleur tous les 5 de chaque mois par virement permanent ou chèque.

La société Le Bambou est spécialisée dans la restauration de type rapide. Elle a une activité de salon de thé, débit de boissons non alcoolisées, traiteur, vente sur place et à emporter, et emploie 6 salariés.

Des loyers sont demeurés impayés.

Par exploit de commissaire de justice du 5 avril 2023, M. et Mme [P] ont fait commandement à la société Le Bambou, visant expressément la clause résolutoire insérée au bail, de payer la somme au principal de 8 082,79 euros à titre de loyers et charges impayés arrêtés au 1er mars 2023, outre 166,79 euros correspondant au coût de l'acte.

Par acte de commissaire de justice délivré le 6 juin 2023, M. et Mme [P] ont fait assigner en référé la société Le Bambou aux fins d'obtenir principalement la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial, l'expulsion de la société et celle de tous occupants de son chef des locaux, sous astreinte, la mise sous séquestre des meubles et objets mobiliers et sa condamnation au paiement des sommes suivantes :1 105,37 euros par mois, à titre d'indemnité d'occupation à compter de la résiliation du bail jusqu'à la libération des lieux et 9 053,72 euros à titre de provision sur la dette locative, terme de mai 2023 inclus.

Par ordonnance contradictoire rendue le 20 décembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Pontoise a :

au principal,

- renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront,

au provisoire,

- constaté la résiliation du bail commercial liant les parties au 6 mai 2023,

- rejeté la demande de délais de paiement avec suspension des effets de la clause résolutoire présentée par la société Le Bambou,

- déclaré en conséquence la société Le Bambou occupant sans droit ni titre des locaux sis [Adresse 1],

- ordonné l'expulsion de ces lieux de la société Le Bambou et de tous occupants de son chef et ce, si besoin est, avec le concours de la force publique et d'un serrurier,

- dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte,

- rappelé que le sort des meubles se trouvant sur les lieux est régi conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 du code des procédures civiles d'exécution,

- fixé à titre provisionnel l'indemnité mensuelle d'occupation due à M. et Mme [P] par la société Le Bambou, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux, à la somme de 1 1105,37 euros,

- condamné la société Le Bambou à payer à M. et Mme [P] la somme provisionnelle de 1 272,16 euros à valoir sur l'indemnité d'occupation du mois de novembre 2023 et le coût du commandement de payer du 5 avril 2023, ainsi que les indemnités d'occupation postérieures,

- rejeté la demande de la société Le Bambou portant sur les quittances de loyers,

- condamné la société Le Bambou à payer à M. et Mme [P] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Le Bambou aux dépens,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires,

- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de plein droit.

Par déclaration reçue au greffe le 16 janvier 2024, la société Le Bambou a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte et rejeté les demandes plus amples ou contraires.

Dans ses dernières conclusions déposées le 26 mars 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Le Bambou demande à la cour, au visa des articles 73, 74, 699, 700 et 835 du code de procédure civile, 1104 et 1343-5 du code civil et L.145-41 du code de commerce, de :

'- déclarer recevable et bien fondé la société Le Bambou en son appel,

- infirmer l'ordonnance rendue le 20 décembre 2023 par le juge des référés près le tribunal judiciaire de Pontoise en ce qu'il a :

« au provisoire,

- constaté la résiliation du bail commercial liant les parties, au 6 mai 2023 ;

- rejeté la demande de délais de paiement avec suspension des effets de la clause résolutoire présentée par la société Le Bambou ;

- déclaré en conséquence la société Le Bambou occupant sans droit ni titre des locaux sis [Adresse 1] ;

- ordonné, l'expulsion de ces lieux de la société Le Bambou et de tous occupants de son chef et ce, si besoin est, avec le concours de la force publique et d'un serrurier ;

- rappelé que le sort des meubles se trouvant sur les lieux est régi conformément aux dispositions des articles L.443-1 et suivants et R.433-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

- fixé à titre provisionnel l'indemnité mensuelle d'occupation due à M. [R] [P] et Mme [I] [N] épouse [P] par la société Le Bambou, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux, à la somme de 1 105,37 euros ;

- condamné la société Le Bambou à payer à M. [R] [P] et Mme [I] [N] épouse [P] la somme provisionnelle de 1 272,16 euros à valoir sur l'indemnité d'occupation du mois de novembre 2023 et le coût du commandement de payer du 5 avril 2023, ainsi que les indemnités d'occupation postérieures ;

- condamné la société Le Bambou à payer à M. [R] [P] et Mme [I] [N] épouse [P] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Le Bambou aux dépens ;

- rappelé que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit »

et, statuant a nouveau :

in limine litis

- annuler le commandement de payer du 5 avril 2023 compte tenu de l'erreur dans le montant et l'imprécision dudit acte ;

- annuler l'assignation du 6 juin 2023 délivrée par M. et Mme [P] à la société Le Bambou ;

à titre principal

- juger qu'il existe des contestations sérieuses quant à l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial du 16 octobre 2019 ;

- dire n'y avoir lieu à référé sur la demande en constatation d'acquisition de la clause résolutoire et les demandes subséquentes de M. et Mme [P] ;

- renvoyer M. et Mme [P] à mieux se pourvoir devant le juge du fond ;

à titre subsidiaire

- octroyer des délais de paiement rétroactifs à la société Le Bambou ;

- suspendre les effets de la clause résolutoire figurant au bail commercial du 16 octobre 2019 ;

- constater que la société Le Bambou s'est acquittée de l'intégralité des causes du commandement de payer du 5 avril 2023 ;

- prononcer la poursuite du bail commercial du 16 octobre 2019 ;

en tout état de cause

- débouter M. et Mme [P] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

- condamner solidairement M. et Mme [P] à verser à la société Le Bambou la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement M. et Mme [P] aux entiers dépens dont distraction au profit de la selarl BTD Avocats.'

M. et Mme [P] ont constitué avocat le 17 mai 2024 mais n'ont pas conclu.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La société Le Bambou sollicite en premier lieu la nullité du commandement de payer du 5 avril 2023 du fait des imprécisions et de l'erreur sur la somme visée.

Ainsi, elle expose que cet acte visait une somme de 8 082,79 euros selon décompte annexé, omettant de prendre en compte le règlement de 4 955,94 euros réalisé le 2 novembre 2022 entre les mains du commissaire de justice instrumentaire, la SAS LBAL, ainsi que cela apparaît sur son relevé bancaire ; que le bailleur a reconnu son erreur et a produit en cours de première instance un nouveau décompte, lequel demeure erroné puisqu'il mentionne un règlement par chèque de 4 638,49 euros, au lieu du règlement de 4 955,94 euros intervenu, soit une différence de 317,45 euros.

Elle souligne qu'au jour du commandement, la dette s'élevait donc en réalité à la somme de 3 126,85 euros et qu'en outre, elle était soldée au jour de l'assignation compte tenu de deux règlements de 2 000 euros intervenus postérieurement au commandement.

Elle prétend qu'au surplus, le décompte annexé au commandement est peu explicite quant aux postes réclamés et peu intelligible dans la mesure où il vise à plusieurs reprises « émission du... » sans précision de ce qu'il s'agit de loyer et/ou de charges, outre une ligne intitulée « augmentation au prorata » dont il n'est pas possible de savoir à quoi elle correspond.

L'appelante sollicite en deuxième lieu la nullité du commandement en raison de la mauvaise foi du bailleur lors de sa délivrance, exposant que d'une part, les bailleurs ont été inflexibles lors de la crise de la Covid 19 et que d'autre part, ils ont fait en sorte de créer une dette artificielle entre les mois de mai et août 2022 en refusant de lui remettre leurs coordonnées bancaires et d'encaisser les chèques alors émis, s'empressant de délivrer un commandement, vainement puisque les causes en ont été aussitôt acquittées.

Elle ajoute que dans la mesure où le commandement litigieux de 2023 omettait de mentionner un virement significatif intervenu 5 mois auparavant, il ne peut être considéré qu'il a été délivré de bonne foi.

Elle attire l'attention de la cour sur le fait que l'initiative des bailleurs est particulièrement opportuniste et a pour unique but de l'expulser afin de profiter de la rénovation complète du local qu'elle a faite à ses frais.

La preneuse conclut en troisième lieu au rejet de la demande d'acquisition de la clause résolutoire entendant démontrer qu'il existe en l'espèce une contestation sérieuse en raison des éléments ci-dessus développés.

A titre subsidiaire, elle demande l'octroi de délais de paiement rétroactifs et la suspension des effets de la clause résolutoire, arguant de sa bonne foi et être à jour de ses obligations locatives.

Sur ce,

Sur l'acquisition de la clause résolutoire

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux.

S'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés, juge de l'évidence, de prononcer la nullité d'un commandement de payer, un tel moyen peut cependant être examiné sur le point de savoir s'il constitue une contestation suffisamment sérieuse sur les effets de cet acte, notamment quant à la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire.

Le commandement de payer doit permettre au débiteur de connaître la nature et le détail des sommes qui lui sont réclamées. Il doit être suffisamment précis pour permettre à son destinataire d'en vérifier le bien-fondé.

Or en l'espèce, il ressort en effet de la pièce de l'appelante n° 22, constituée du décompte rectificatif produit par le bailleur en première instance et arrêté au mois de novembre 2023, que le décompte de la dette locative annexé au commandement de payer du 5 avril 2023 omettait de faire figurer le règlement réalisé par la société Le Bambou le 16 octobre 2022, étant en outre souligné que le montant figurant au décompte rectificatif des bailleurs, à savoir 4 638,49 euros, ne correspond pas à celui débité du compte de la locataire, à savoir 4 955,94 euros.

Si en principe le commandement délivré pour une somme supérieure au montant réel de la dette reste valable pour la partie non contestable de celle-ci, il s'avère qu'au cas présent, outre l'omission ci-dessous évoquée, les mentions de ce commandement sont particulièrement elliptiques.

En effet, l'expression utilisée dans cet acte, à savoir « émission du... », ne permet pas de connaître la nature des sommes réclamées, ni les échéances auxquelles elles se rapportent. Quant à la ligne intitulée « augmentation prorata », sa signification n'est pas davantage limpide.

En conséquence, il convient de retenir que ce décompte, à la fois erroné et imprécis, n'a pas mis en mesure la locataire d'être suffisamment éclairée pour pouvoir en apurer les causes dans le délai imparti, et que cette irrégularité constitue une contestation sérieuse faisant obstacle au constat, en référé, de l'acquisition de la clause résolutoire.

Par voie d'infirmation de l'ordonnance querellée, et sans qu'il y ait dès lors lieu d'examiner le surplus des moyens et arguments de l'appelante, il sera dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de M. et Mme [P].

Sur les demandes accessoires :

La société Le Bambou étant accueillie en son recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Parties perdantes, M. et Mme [P] devront en outre supporter solidairement les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.

L'équité commande en revanche de débouter la société Le Bambou de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Infirme l'ordonnance du 20 décembre 2023,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de M. [R] [P] et Mme [I] [N] épouse [P],

Dit que M. [R] [P] et Mme [I] [N] épouse [P] supporteront solidairement les dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.