CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 10 octobre 2024, n° 24/03489
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Banque Populaire Rives de Paris (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pruvost
Conseillers :
Mme Distinguin, Mme Lefort
Avocats :
Me Baraniack, Me Buisson
ARRÊT :
- RENDUE PAR DEFAUT
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
Suivant commandement de payer valant saisie immobilière en date du 19 septembre 2022, publié le 7 novembre 2022 au service de la publicité foncière de Bobigny 1, la SA Banque Populaire Rives de [Localité 8] a entrepris une saisie sur les biens immobiliers situés [Adresse 4], à [Localité 7] (91) appartenant à M. [B] [H], pour avoir paiement des sommes de 79.922,42 euros, en vertu d'un acte notarié de prêt du 4 mai 2012 et de 47.396,50 euros au titre d'un acte notarié de prêt du 4 août 2016.
Le 12 décembre 2022, la Banque Populaire Rives de Paris a fait assigner M. [H] à l'audience d'orientation du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de vente forcée.
M. [H] n'ayant été ni présent ni représenté à l'audience d'orientation, l'affaire a été renvoyée à plusieurs reprises par le juge de l'exécution pour signification des conclusions au débiteur, puis en dernier lieu pour que le créancier poursuivant produise un historique complet des comptes de prêt afin d'apprécier l'éventuelle prescription des échéances impayées.
Par jugement réputé contradictoire du 9 janvier 2024, le juge de l'exécution a :
déclaré abusive la clause de déchéance du terme stipulée aux termes des conditions générales du contrat de prêt consenti à M. [H] le 4 mai 2012,
réputé ladite clause non écrite,
déclaré abusive la clause de déchéance du terme stipulée aux termes des conditions générales du contrat de prêt consenti à M. [H] le 4 août 2016,
réputé ladite clause non écrite,
débouté la Banque Populaire Rives de [Localité 8] de ses demandes,
ordonné la mainlevée du commandement de payer valant saisie immobilière en date 19 septembre 2022,
condamné le Crédit Lyonnais [la Banque Populaire Rives de [Localité 8]] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution, se fondant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, l'arrêt de la Cour de cassation en date du 22 mars 2023 et l'article R.632-1 du code de la consommation, a soulevé d'office le moyen tiré du caractère abusif des clauses de déchéance du terme insérées dans les deux contrats de prêt et a considéré que ces clauses réservant le prononcé de la déchéance du terme à la seule discrétion du créancier, sans mise en demeure préalable et sans accorder au débiteur une possibilité d'y remédier dans un délai raisonnable étaient, indépendamment de leur exécution accompagnée d'une mise en demeure, de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur.
En ce qui concerne les mensualités impayées, il a constaté que la Banque Populaire Rives de [Localité 8], bien qu'invitée à produire un historique complet de compte pour chacun des prêts, s'était bornée à fournir des décomptes pour la période du 5 mai 2021 au 17 octobre 2023, ne le mettant pas en mesure d'apprécier la date du premier incident de paiement et, ainsi, l'éventuelle prescription des échéances impayées, de sorte qu'elle ne justifiait pas d'une créance liquide et exigible.
Par déclaration du 22 février 2024, la Banque Populaire Rives de [Localité 8] a fait appel de ce jugement. Puis, par procès-verbal de recherches infructueuses du 6 juin 2024, remis au greffe par voie électronique le 10 juin suivant, elle a fait assigner à jour fixe M. [H], après y avoir été autorisée par ordonnance du 28 février 2024.
Par conclusions du 2 septembre 2024, la Banque Populaire Rives de Paris demande à la cour d'appel de :
- déclarer recevable son appel,
- dire non abusives les clauses de déchéance du terme des contrats de prêt des 4 mai 2012 et 4 août 2016 au regard de l'ensemble des clauses desdits contrats,
- dire valable et fondée la procédure de saisie immobilière initiée à l'encontre de M. [H],
- constater qu'elle dispose d'une créance liquide et exigible,
- en conséquence, infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- fixer sa créance aux sommes de 84.920,06 euros au titre du 4 mai 2012 et 49.414,51 euros au titre du prêt du 4 août 2016, valeur au 13 octobre 2023 selon décomptes joints, outre les intérêts postérieurs jusqu'à parfait paiement, au taux de 4,25% l'an au titre du prêt du 4 mai 2012 et de 2,90% l'an au titre du prêt du 4 août 2016,
à titre subsidiaire,
- fixer le montant de sa créance au montant de toutes les échéances impayées des deux prêts dont le montant s'élevait au 17 octobre 2023 à la somme totale de 27.119,13 euros,
en tout état de cause,
- ordonner la vente forcée des biens saisis,
- renvoyer l'affaire devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de fixation d'une date de vente forcée,
- déterminer les modalités de la vente et fixer les modalités de visite de l'immeuble saisi,
- autoriser une publicité supplémentaire sur internet (LICITOR),
- dire que les dépens consisteront en frais privilégiés de vente.
Elle fait valoir que les clauses de déchéance du terme ne peuvent être analysées seules mais doivent l'être, conformément à l'article L. 212-1 du code de la consommation et aux recommandations du 27 mai 2004 de la Commission des clauses abusives, au regard de l'ensemble des autres clauses du contrat, en particulier de celles relatives à l'obligation de l'emprunteur de régler les échéances à bonne date, à l'attribution de juridiction et à la médiation bancaire ; qu'en l'espèce il y a eu inexécution des obligations de M. [H], qu'elle a adressé à ce dernier des mises en demeure pour régler les échéances impayées lui laissant un délai de fait allant jusqu'à un mois et demi avant de prononcer la déchéance du terme.
En ce qui concerne le montant de sa créance, elle conteste formellement avoir été invitée ou sommée de produire un historique complet de compte faisant apparaître la date des premières échéances impayées et fait valoir qu'en tout état de cause, elle a produit des décomptes remontant à la première échéance impayée, soit à l'échéance de mai 2021 pour le premier prêt, et à l'échéance d'août 2021 pour le second prêt, que le premier juge a écartés sans même les examiner.
Elle ajoute avoir interrompu la prescription des échéances impayées par la délivrance d'un commandement aux fins de saisie-vente du 19 septembre 2022.
M. [H], assigné pour l'audience du 11 septembre 2024 par procès-verbal de recherches infructueuses, n'a pas constitué avocat.
MOTIFS
Sur le caractère abusif des clauses de déchéance du terme
Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Par un arrêt du 22 mars 2023 (n°21-16.044), et dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de justice de l'union européenne issue des arrêts du 26 janvier 2017 et 8 décembre 2022, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a jugé que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, et est donc abusive.
En l'espèce, les contrats, conclus entre la Banque Populaire Rives de [Localité 8], professionnel du crédit, et M. [H], consommateur, comportent les clauses suivantes, relatives à la « Défaillance et exigibilité des sommes dues » :
Pour le prêt du 4 mai 2012 :
« La Banque pourra également, si elle en a convenance, exiger le paiement immédiat de toutes les sommes dues au titre du prêt, tant en principal qu'en intérêts, frais et accessoires huit jours après une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans l'un ou l'autre des cas, le contrat sera alors résilié :
(')
d'une manière générale, en cas de non-respect de la réglementation afférente aux prêts conventionnés, d'inexécution de l'un des engagements contractés par l'emprunteur ou d'inexactitude de ses déclarations».
et
Pour le prêt du 4 août 2016 :
« La totalité des sommes dues en principal, intérêts, commission, frais et tous accessoires au titre du (des) prêt(s) objet(s) d'une même offre deviendra de plein droit immédiatement exigible huit jours après l'envoi d'une mise en demeure restée sans effet et aucun autre déblocage de fonds ne pourra être sollicité par l'emprunteur. »
Il en résulte que, dans les deux cas, le délai de préavis prévu en faveur du consommateur emprunteur est insuffisant pour lui permettre de régulariser sa dette et éviter la résiliation de plein droit. Ainsi, contrairement à ce que soutient l'appelante, compte tenu de l'enjeu et des conséquences considérables de telles clauses pour l'emprunteur qui se voit contraint de rembourser immédiatement la totalité des sommes restant dues au titre du prêt au bon vouloir du prêteur, sans respect d'un délai de préavis d'une durée raisonnable, ces clauses sont de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur. Elles sont donc abusives et doivent être réputées non écrites.
Il importe peu que ces clauses de déchéance du terme s'analysent non pas seules, mais en combinaison avec celles qui stipulent que l'emprunteur s'oblige à régler les échéances à bonne date et qu'à défaut il sera considéré comme défaillant. L'obligation de remboursement des échéances à bonne date incombant à l'emprunteur n'est pas remise en question, et ces clauses n'ont en tout état de cause vocation à s'appliquer qu'en cas de défaillance de l'emprunteur, ce qui ne change rien au fait qu'elles ne doivent pas présenter un caractère abusif.
En outre, il importe peu que la Banque Populaire Rives de [Localité 8] ait de fait adressé à M. [H], le 23 juillet 2021, une mise en demeure préalable de payer la somme de 2504,16 euros dans le délai de huit jours, puis l'ait informé de la déchéance du terme par courrier du 13 septembre 2021, soit postérieur de six semaines environ. D'une part, le délai de huit jours laissé au débiteur pour faire obstacle à la résiliation de plein droit ne constitue pas un délai de préavis d'une durée raisonnable. D'autre part et surtout, le caractère abusif d'une clause s'apprécie in abstracto et non pas en fonction des conditions effectives de sa mise en 'uvre.
Par conséquent, c'est à bon droit, et par des motifs tout à fait pertinents, que le juge de l'exécution a déclaré abusives les clauses de déchéance du terme.
Sur le montant de la créance de la Banque Populaire Rives de [Localité 8]
Il est inexact de dire que le premier juge a écarté, sans les examiner, les décomptes de prêt produits par le créancier poursuivant, l'un pour la période du 5 mai 2021 au 17 octobre 2023, l'autre pour la période du 5 juillet 2021 au 17 octobre 2023, puisque bien au contraire, il a fait grief à la banque de s'abstenir de produire des historiques complets depuis l'origine parce que ces décomptes débutant aux 5 mai et 5 juillet 2021 ne le mettaient pas en mesure de déterminer la date du premier incident de paiement non régularisé alors que les contrats de prêt fondant la saisie avaient été consentis les 4 mai 2012 et 4 août 2016.
Cependant, dès lors que les clauses de déchéance du terme ci-dessus reproduites ont été déclarées abusives et réputées non écrites, la détermination des premiers incidents de paiement non régularisés est sans incidence sur la vérification du caractère exigible des mensualités impayées, dont le recouvrement est poursuivi, soit pour le premier des prêts, les échéances du 5 mai au 5 septembre 2021, et pour le second, les échéances du 5 juillet au 5 septembre 2021, ces échéances étant toutes antérieures de moins de deux ans au commandement de payer valant saisie immobilière du 19 septembre 2022 (étant précisé que la Banque Populaire Rives de [Localité 8] a aussi fait délivrer à M. [H] le même jour un commandement aux fins de saisie-vente).
Par conséquent, c'est à tort que le premier juge a retenu qu'il n'était pas en mesure d'apprécier la recevabilité des demandes du créancier poursuivant relatives aux échéances impayées ni le caractère liquide des créances en résultant.
Il résulte des décomptes produits, que la Banque Populaire Rives de [Localité 8] justifie d'une créance actualisée au 17 octobre 2023, arrêtée comme suit :
au titre du prêt n°08636271, de la somme de 19.105,80 euros, représentant 30 mensualités impayées de 636,86 euros ;
au titre du prêt n°086695364, de la somme de 8013,33 euros, représentant 27 mensualités impayées de 296,79 euros ;
soit une somme totale de 27.119,13 euros.
Par conséquent, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Banque Populaire Rives de [Localité 8] de ses demandes et ordonné la mainlevée du commandement, et, en l'absence de demande de vente amiable, de faire droit à la demande de vente forcée.
Sur les demandes accessoires
Les dépens de première instance et d'appel seront compris dans les frais taxés de vente.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
déclaré abusive la clause de déchéance du terme stipulée aux termes des conditions générales du contrat de prêt consenti à M. [H] le 4 mai 2012,
réputé ladite clause non écrite,
déclaré abusive la clause de déchéance du terme stipulée aux termes des conditions générales du contrat de prêt consenti à M. [H] le 4 août 2016,
réputé ladite clause non écrite,
L'infirme pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
Fixe la créance de la SA Banque Populaire Rives de [Localité 8] à la somme de 27.119,13 euros, arrêtée au 17 octobre 2023,
Ordonne la vente forcée des biens visés au commandement,
Ordonne le renvoi de l'affaire devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de fixation, dans un délai compris entre deux et quatre mois, conformément à l'article R.322-26 alinéa 1er du code des procédures civiles d'exécution, de la date de l'audience à laquelle il sera procédé à la vente forcée des biens et droits immobiliers saisis, sur la mise à prix fixée dans le cahier des conditions de vente,
Désigne la SAS Leroy-Beaulieu Allaire Lavillat, commissaires de justice à [Localité 6], lequel pourra, si besoin est, se faire assister de tous ceux dont l'intervention lui sera nécessaire pour remplir sa mission, avec pour mission de faire visiter le bien dont s'agit aux acquéreurs éventuels ;
Autorise la publicité de la vente forcée sur le site internet LICITOR, outre les formalités de publicité de droit commun prévues aux articles R 322-31 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
Dit que les dépens de première instance et d'appel seront compris dans les frais de vente soumis à la taxe à intervenir par le juge de l'exécution.