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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 8 octobre 2024, n° 24/05158

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Green'Market (SARL)

Défendeur :

M.J.S. Partners (SELAS), PCG Gestion (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Lacheze, M. Varichon

Avocats :

Me Laval, Me Volfinger

T. com. Bobigny, du 6 mars 2024, n° 2024…

6 mars 2024

FAITS ET PROCÉDURE:

La SARL Green' Market, créée en 2015, exerce une activité de commerce de détail de fruits et légumes, viandes, épicerie fine, boissons non alcoolisées et activités connexes, dans des locaux commerciaux situés [Adresse 6] (93) pris à bail auprès de la SCI Immoshop le 14 octobre 2015. La société a ultérieurement loué, le 26 août 2019 auprès de M.[E], un box situé au numéro [Adresse 1].

L'immeuble du [Adresse 6] a fait l'objet, le 26 juillet 2021, d'un arrêté municipal de mise en sécurité entrainant une suspension de l'activité commerciale de la société Green' Market.

Sur assignation M.[E], bailleur, représenté par son mandataire la société PCG Gestion, invoquant une créance de 4.369,40 euros, fondée sur une ordonnance de référé du 16 juin 2023, et par jugement du 6 mars 2024, le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Green'Market (RCS de Bobigny n° 814 235 032), fixé provisoirement au 25 septembre 2023 la date de cessation des paiements motivée par la saisie-attribution infructueuse, désigné la SELAS MJS Partners en la personne de Maître [P], ès qualités de liquidateur judiciaire et dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Par deux déclarations des 15 mars et 12 avril 2024, la société Green' Market a relevé appel de ce jugement, en intimant M.[E], la société PCG Gestion, et la SELAS MJS Partners prise en la personne de Maître [P], ès qualités.

Les deux appels ont été joints par ordonnance le 23 avril 2024 sous le numéro 24/05158.

Par ordonnance du 30 mai 2024, le délégataire du premier président de la cour d'appel a arrêté l'exécution provisoire du jugement dont appel.

Dans ses conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 22 avril 2024, la société Green' Market demande à la cour:

- à titre principal, d'annuler le jugement entrepris, en toutes ses dispositions et de débouter les intimés de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- à titre subsidiaire, de le réformer en ce qu'il a ouvert une procédure de liquidation judiciaire immédiate et en toutes ses autres dispositions, statuant à nouveau, débouter les intimés de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- en tout état de cause, condamner in solidum les intimés au paiement d'une indemnité procédurale de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La SELAS MJS Partners prise en la personne de Maître [P], ès qualités, a constitué avocat mais n'a pas conclu.

M.[E] et la société PCG Gestion, auxquels la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelante ont été régulièrement signifiées par actes des 4 et 23 avril 2024 n'ont pas constitué avocat.

Le ministère public a visé le dossier le 29 mars 2024 sans faire valoir d'observations.

SUR CE,

- Sur la demande d'annulation du jugement

Au soutien de sa demande d'annulation du jugement, la société Green Market invoque d'une part, la violation du principe du contradictoire en ce que les premiers juges ont considéré qu'elle avait été régulièrement mise en cause sur la base de procès-verbaux de recherches infructueuses qui n'existeraient pas ou du moins qui n'ont pas été versés aux débats, les procès-verbaux joints à l'assignation n'ayant pas été dressés selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile mais de l'article 656 du même code, d'autre part, le fait que le jugement ne satisfait pas aux exigences minimales de motivation posées par la loi et la jurisprudence.

Il ressort tant des pièces n°4 et 8 de l'appelante que du dossier de première instance versé au dossier de la cour, dont le conseil de l'appelante a pris connaissance à l'audience, que la SARL Green Market a été assignée en liquidation judiciaire par M.[E] pour l'audience du 30 janvier 2024 par acte de commissaire de justice du 29 décembre 2023, délivré [Adresse 6] selon les modalités de l'article 656 du code de procédure civile, que cet acte a le même jour été délivré à son gérant, M.[M] [S], au [Adresse 4] selon les modalités de l'article 656 du code de procédure civile.

Il n'est pas allégué que ces deux adresses, qui sont celles figurant dans les conclusions de l'appelante, sont erronées.

La cour relève en outre que le tribunal a fait convoquer, par deux couriers simples datés du 1er février 2024, la société Green Market et son dirigeant pour l'audience du 27 février 2024 à laquelle l'affaire avait été renvoyée.

Si le tribunal a fait une mauvaise lecture des actes d'assignation délivrés le 29 décembre 2023, en considérant qu'il s'agissait de procès-verbaux de recherches infructueuses ('procès-verbal 659 du code de procédure civile') et que la société et son dirigeant n'étaient plus à l'adresse indiquée, alors que les assignations ont en réalité été délivrées selon les modalités de l'article 656 du code de procédure civile après vérification par le commissaire de justice des adresses des destinataires, il n'en résulte pas pour autant une violation du principe du contradictoire. En effet, le tribunal s'est prononcé après que la société et son dirigeant ont été régulièrement assignés puis avisés de l'audience de renvoi.Ce moyen d'annulation n'est en conséquence pas fondé.

S'agissant du moyen tiré de l'insuffisance de motivation, la cour relève que si le jugement est motivé de façon lapidaire, il n'est toutefois pas dépourvu de toute motivation, le tribunal ayant relevé que la créance invoquée par M.[E] était certaine, liquide et exigible et prouvée par diverses mises en demeure et contraintes, que la société n'était plus à l'adresse indiquée, se trouvait dans l'incapacité de faire face à ce passif exigible avec son actif disponible, qu'il n'existait aucune perspective de redressement et ayant fixé la date de cessation des paiements au 25 septembre 2023 en se référant à une saisie-attribution infructueuse.

Dès lors, le jugement n'encourt pas l'annulation prévue par l'article 455 du code de procédure civile.

Il s'ensuit que la société Green'Market doit être déboutée de sa demande d'annulation du jugement.

- Sur la liquidation judiciaire

Il résulte de l'article L 640-1 du code de commerce que l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire est subordonnée à la caractérisation d'un état de cessation des paiements et à l'impossibilité manifeste de tout redressement.

L'article L 631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements comme l'impossibilité pour le débiteur de faire face au passif exigible avec son actif disponible. Le débiteur qui établit que des réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face à son passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.

La société Green'Market conteste la créance invoquée dans l'assignation de M.[E], au motif que n'ayant pu utiliser le local du fait de l'arrêté municipal de mise en sécurité de l'immeuble, le bail est dépourvu de cause. Elle soutient ne pas être en cessation des paiements et ajoute que les travaux de rénovation sur l'immeuble sont en cours et vont permettre une reprise prochaine de son activité. Elle précise qu'avant l'arrêt temporaire de son activité, elle avait réalisé un chiffre d'affaires de 577.501 euros en 2020 et 533.436 euros en 2019.

Le liquidateur judiciaire n'ayant pas conclu, la cour n'a pas connaissance de l'existence de créances déclarées au passif de la société.

La seule créance invoquée devant les premiers juges est celle de 4.369,40 euros visée dans l'assignation délivrée par M.[E] et fondée sur une ordonnance de référé du 16 juin 2023 ayant condamné la société Green'Market à payer à M.[E], bailleur du box, la somme de 1.060 euros à titre de loyers, charges et indemnités d'occupation dus jusqu'en avril 2023, avec intérêts de droit à compter de l'assignation, des indemnités d'occupation ultérieures équivalentes aux montants des loyers et des charges assorties des augmentations légales, et une somme de 800 euros au titre des frais de commandement et de sommation.

M.[E] n'ayant pas constitué avocat, la cour ne dispose pas de l'ordonnance du 16 juin 2023 sur laquelle est fondée cette créance contestée, mais uniquement de l'assignation qui en rappelle les termes tels qu'exposés ci-dessus.

S'agissant des indemnités d'occupation qui seraient dues postérieurement au mois d'avril 2023, l'assignation renvoie à un décompte du 5 octobre 2023, qui n'est pas davantage produit à hauteur d'appel.

Si la contestation par la société Green'Market de ses obligations au titre du bail conclu avec M.[E] n'apparait pas pertinente en ce qu'elle se fonde sur l'arrêté municipal du 27 juillet 2021, alors que la privation de jouissance résultant de cet arrêté n'a affecté que l'immeuble situé au numéro [Adresse 6] et non le box indépendant situé au numéro 12 de la même rue, appartenant à un bailleur différent, pour autant la cour manque d'élément permettant de documenter avec certitude ce passif exigible.

En tout état de cause, même à supposer que la créance de 1.860 euros (1.060 + 800), qui résulterait de l'ordonnance de référé, constitue du passif exigible, il s'en suivrait un passif exigible très modeste, face auquel M.[E], qui n'a pas communiqué d'éléments à la cour, ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'absence d'actif disponible.

Il s'ensuit que l'état de cessation des paiements n'est pas établi à hauteur d'appel et qu'il n'y a pas lieu d'ouvrir une procédure de liquidation judiciaire.

Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens seront laissés à la charge de M.[E], dont la demande a été rejetée.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Déboute la société Green' Market de sa demande d'annulation du jugement,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu d'ouvrir une procédure de liquidation judiciaire ou de redressement judiciaire à l'égard de la société Green' Market,

Condamne M.[E] aux entiers dépens,

Déboute la société Green'Market de sa demande en paiement d'une indemnité procédurale.