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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 10 octobre 2024, n° 24/06325

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Au Bon Pain (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mollat

Conseillers :

Mme Pelier-Tetreau, Mme Tabourot

Avocats :

Me Caillaboux-Rouquet, Me Gresy, Me Moreau, Me Teichmann

T. com. Sens, du 19 mars 2024, n° 2024P0…

19 mars 2024

Exposé des faits et de la procédure

La société Au Bon Pain, Société par Actions Simplifiée à associé unique au capital de 1 000 euros, a pour objet « la boulangerie, pâtisserie, confiserie, chocolats, glace, vente de boissons à emporter, traiteur, sandwiches ». Elle a été constituée le 10 juillet 2020 par M. [Z] [O], associé unique et président désigné aux termes des statuts.

Le siège social ayant été fixé au [Adresse 2], siège social de la SAS La Fournée de Villeneuve - Société par Actions Simplifiée au capital de 1 000 euros, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Sens sous le numéro 849 397 104, dont M. [Z] [O] est également l'associé unique et le président, la SAS Au Bon Pain a été immatriculée dès le 20 juillet 2020 au Registre du Commerce et des Sociétés de Sens sous le numéro 885 280 156.

Par acte du 3 novembre 2020, la SAS Au Bon Pain a acquis le fonds de commerce de la boulangerie, pâtisserie, confiserie, chocolats, glace, vente de boissons à emporter, traiteur, sandwiches exploité à [Localité 9], [Adresse 5].

Aux termes des décisions extraordinaires prises le 3 novembre 2020, le siège social de la SAS Au Bon Pain a été transféré au [Adresse 5].

La SAS Au Bon Pain n'a pas procédé au dépôt de ses comptes clos le 31 décembre 2021 (tel que prévu aux statuts), ni ceux clos le 31 décembre 2022.

La SAS Au Bon Pain a fait l'objet de deux ordonnances d'injonction de payer rendues par le président du tribunal de commerce de Sens des 9 novembre 2023 et 16 novembre 2023 pour un montant total de 3 802 euros.

Dans ce contexte, le juge chargé de la prévention a convoqué la SAS Au Bon Pain par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 novembre 2023 afin d'envisager les moyens d'anticipation qui permettraient de remédier durablement à ses difficultés.

La lettre recommandée avec accusé de réception est revenue avec la mention « destinataire inconnu à l'adresse ».

Un procès-verbal de carence a été établi et a été notifié à la SAS Au Bon Pain par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 janvier 2024.

La lettre recommandée avec accusé de réception est revenue une nouvelle fois avec la mention « destinataire inconnu à l'adresse ».

Ces éléments laissant présumer un état de cessation des paiements, le procureur de la République du tribunal judiciaire de Sens a déposé le 5 mars 2024 une requête aux fins d'ouverture d'une procédure collective.

Par ordonnance rendue le 6 mars 2024, le président du tribunal de commerce de Sens a ordonné la convocation de la SAS Au Bon Pain au siège social connu, soit au [Adresse 5], pour une audience en chambre du conseil devant se tenir le 19 mars 2024.

Lors de cette audience, toujours en l'absence de la SAS Au Bon Pain, il a été constaté que cette dernière avait fait procéder tardivement à la formalité de changement de siège social à effet rétroactif du 1er février 2024 dans le ressort du tribunal de commerce de Créteil.

En effet, il est apparu que la SAS Au Bon Pain avait acquis depuis le 22 avril 2022 un fonds de commerce de boulangerie, pâtisserie, confiserie, chocolats, glace, vente de boissons à emporter, traiteur, sandwiches exploité sis [Adresse 4].

Or ce n'est qu'aux termes des décisions extraordinaires prises le 1er février 2024, que le siège social de la SAS Au Bon Pain a été transféré du [Adresse 5] au [Adresse 4], avec un effet rétroactif au « 3 novembre 2020 ».

Constatant à la date du 19 mars 2024 l'absence de toute activité au siège social connu, le tribunal de commerce de Sens a ouvert une procédure de liquation judiciaire à l'égard de la SAS Au Bon Pain et a fixé la date de cessation des paiements au 16 novembre 2023, et désigné Mme [G] [V], en qualité de juge commissaire et la SELARL [N] [E], prise en la personne de Me [N] [E] en qualité de liquidateur judiciaire.

Par déclaration au greffe de la cour du 27 mars 2024, la SAS Au Bon Pain a interjeté appel du jugement.

Par ordonnance du 25 juin 2024, le magistrat délégué du premier président a ordonné la suspension de l'exécution provisoire attachée audit jugement, estimant que le moyen pris de ce que tout redressement n'est pas manifestement impossible apparaissait sérieux.

*****

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 septembre 2024, la SAS Au Bon Pain demande à la cour, au visa de l'article L. 661-1 du code de commerce et des articles 514-3 et suivants du code de procédure civile, de :

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 19 mars 2024 par le tribunal de commerce de Sens ;

- Déclarer in bonis la SAS Au Bon Pain ;

- Laisser à la société Au Bon Pain la charge des dépens d'appel.

*****

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 septembre 2024, la SELARL [N] [E], prise en la personne de Me [E], en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Au Bon Pain, demande à la cour, au visa de l'article L. 631-15 du code de commerce de :

- Infirmer le jugement rendu le 19 mars 2024 par le tribunal de commerce de Sens ;

- Juger que la SAS Au Bon Pain est en situation manifeste de cessation des paiements ;

- Ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS Au Bon Pain ;

- Fixer la période d'observation à une durée de six mois à compter de ce jour ;

- Renvoyer le dossier devant le tribunal de commerce de Sens pour la désignation des organes de la procédure et la poursuite des opérations ;

- Juger que les frais avancés par la SELARL [N] [E], prise en la personne de Me [N] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Au Bon Pain depuis le 19 mars 2024, date de sa nomination par le tribunal de commerce de Sens, ainsi que les honoraires de la SELARL [N] [E], prise en la personne de Me [N] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Au Bon Pain, resteront à la charge de la SAS Au Bon Pain, et seront compris en frais privilégiés de procédure ;

- Condamner la SAS Au Bon Pain à verser à la SELARL [N] [E], prise en la personne de Me [N] [E], ès qualités, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la SAS Au Bon Pain au paiement des entiers dépens recouverts conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

*****

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'existence de perspectives réelles de redressement

La société Au Bon Pain, poursuivant l'infirmation du jugement de ce chef, soutient qu'elle qu'elle est in bonis aux motifs que le fonds de commerce est effectivement exploité [Adresse 4], qu'elle emploie actuellement sept salariés, qu'elle est régulièrement assurée, qu'elle s'acquitte de ses loyers, qu'elle tient régulièrement ses comptes et produit son bilan 2023, laissant apparaître un bénéfice de 43 450 euros, et un résultat fiscal avant imputation des déficits antérieurs de 52 267 euros, de sorte qu'il n'y a pas lieu de voir prononcer une mesure de liquidation judiciaire. Elle invoque en outre simultanément l'erreur de transmission des éléments d'information entre les greffes des registres du commerce de Créteil et de Sens, qui ont conduit le tribunal à prononcer une liquidation par défaut et que hormis les deux injonctions de payer, également prononcées par défaut, dont elle s'est acquittée, l'examen de l'état certifié des inscriptions ne révèle l'existence d'aucune inscription. Elle ajoute que le cabinet comptable atteste que pour l'exercice 2023, elle a réalisé un chiffre d'affaires de 380 110 euros et un résultat fiscal bénéficiaire de 19 831 euros, que le liquidateur a établi une liste des créances chirographaires qui s'élèveraient à un total cumulé de 13 681,37 euros, que l'URSSAF a déclaré une somme de 33 435,11 euros qui est totalement contestée. Elle soutient qu'il n'est dû au maximum que 1 800 euros, les autres créances étant réglées. Quant à l'URSSAF, elle expose que partie de ses créances ont été réglées pour les sommes de 1 360,11 euros, 1 942 euros et 3 355 euros, le solde apparaissant se rapporter à des cotisations estimées pour le salaire d'un gérant, alors qu'en tant que SAS, son président n'est pas salarié.

La SELARL [N] [E], ès qualités de liquidateur, sollicite la conversion de la liquidation prononcée à l'égard de la société Au Bon Pain en une procédure de redressement, compte tenu de l'état manifeste de cessation des paiements. Elle ajoute que la société Au Bon Pain n'est pas sans activité, qu'elle exploite actuellement un fonds de commerce à [Localité 8], auquel sont attachés sept salariés, mais que, toutefois, la débitrice ne communique aucun prévisionnel d'activité, ni aucune situation comptable validée par un expert-comptable et qu'à l'examen de la liste des créances déclarées, le total du passif s'élève à la somme de 47 116,48 euros. Elle ajoute qu'aucun compte n'a encore été déposé, que les attestations établies les 15 avril 2024 et 6 septembre 2024 ainsi que les comptes clos au 31 décembre 2023 émanent du cabinet Dété qui n'est pas expert-comptable et, enfin, que la créance de l'URSSAF n'apparaît pas avoir été soldée. Elle conclut que la SAS Au Bon Pain ne démontre pas qu'à ce jour elle est en mesure de faire face à son passif.

Sur ce,

Selon l'article L. 640-1 du code de commerce, il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.

En outre, aux termes de l'article L. 631-1 du même code, la cessation des paiements est définie comme l'impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

En l'espèce, il résulte des éléments communiqués dans le cadre de la présente procédure d'appel que la SAS Au Bon Pain exploite effectivement son fonds de commerce de boulangerie, et pâtisserie à [Localité 8] [Adresse 4], auquel sont attachés 7 salariés.

Il est observé que si la SAS Au Bon Pain n'a pas eu connaissance des divers actes de la procédure en raison d'une modification de son siège social, qu'elle n'a pas elle-même régularisée auprès des greffes compétents, cette situation n'est imputable qu'à elle-même.

Il apparaît en outre que la SAS Au Bon Pain ne communique aucun prévisionnel d'activité, ni aucune situation comptable validée par un expert-comptable, pour les trois derniers exercices clos.

Par ailleurs, à l'examen de la liste des créances déclarées, le total du passif s'élève à la somme de 47 116,48 euros se répartissant de la façon suivante :

- créanciers chirographaires : 13 681,37 euros ;

- créanciers privilégiés : 33 435,11 euros.

Les éléments produits par la SAS Au Bon Pain au soutien d'une prétendue situation in bonis sont inopérants en ce qu'ils se rapportent à l'ancien siège social de la SAS Au Bon Pain, et ce d'autant qu'il y a bien une inscription de nantissement de fonds de commerce à hauteur de 30 654 euros et en ce que la présence de salariés et le paiement des loyers ne sont pas non plus des éléments pertinents pour apprécier la situation financière et comptable actuelle de la SAS Au Bon Pain.

Il est également relevé que les comptes communiqués ont été établis par un prestataire de services et conseil aux entreprises non inscrit à l'ordre des experts-comptables, alors que les grands livres et les comptes détaillés pour 2023 font défaut.

En tout état de cause, il ressort de la lecture du bilan clos le 31 décembre 2023, certes non validé par un expert-comptable, que la SAS Au Bon Pain ne dispose d'aucun actif disponible, qu'il existe un compte 'autres créances' de 109 176 euros (représentant quasiment la moitié du chiffre d'affaires) pour lequel aucune précision n'est apportée et qui ne peut, sauf élément nouveau, être considéré comme un actif disponible et, enfin, qu'au passif, il existe des dettes fournisseurs pour 5 170 euros ainsi que des dettes fiscales et/ou sociales pour 45 372 euros.

Le liquidateur souligne sur ce dernier point que l'URSSAF n'a pas déposé de déclaration rectificative concernant sa créance, et qu'il en va de même pour la société Engie, de sorte que la cour considère ces créances comme non acquittées et donc dues, contrairement à ce que la débitrice prétend.

En présence d'une telle carence probatoire, la cour ne saurait considérer que la SAS Au Bon Pain démontre qu'elle n'est pas en cessation des paiements, et qu'elle peut faire face à son passif exigible.

Enfin, au regard d'une part des comptes clos au 31 décembre 2023, certes non établis par un expert-comptable, qui témoignent d'un total de produits d'exploitation HT de 231 640 euros, pour des charges d'exploitation de 179 374 euros HT, laissant apparaître un bénéfice de 43 450 euros, et un résultat fiscal avant imputation des déficits antérieurs de 52 267 euros et au regard, d'autre part, de l'attestation de ce prestataire établie le 6 septembre 2024 indiquant un chiffre d'affaires du premier semestre 2024 à hauteur de 224 310 euros, la cour considère que les perspectives de redressement ne sont pas manifestement impossibles, ce que le liquidateur reconnaît.

Aussi convient-il de prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS Au Bon Pain et de renvoyer l'affaire devant tribunal de commerce de Sens pour la désignation des organes de la procédure, nonobstant l'application des articles L. 621-4 et R. 621-11 du code de commerce, et la poursuite des opérations.

Sur les frais du procès

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens.

Les dépens d'appel seront également passés en frais privilégiés de procédure collective.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en ses dispositions frappées d'appel ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Ouvre un redressement judiciaire en lieu et place de la liquidation judiciaire ;

Renvoie l'affaire devant le tribunal de commerce pour la désignation des organes de la procédure, nonobstant l'application des articles L. 621-4 et R. 621-11 du code de commerce, et la poursuite des opérations ;

Dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de procédure collective.