Décisions
CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 8 octobre 2024, n° 23/16424
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 8 OCTOBRE 2024
(n° / 2024, 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/16424 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIK7V
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 septembre 2023 -Tribunal de commerce de Paris - RG n° 2022019443
APPELANTES
S.A.R.L. DUPLESSIS, prise en la personne de ses cogérants M. [F] [M], né le [Date naissance 6] 1976 à [Localité 12] (58), demeurant [Adresse 4] (58) et M. [N] [G], né le [Date naissance 5] 1976 à [Localité 11] (93) demeurant [Adresse 2] (21),
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 800 183 808,
Dont le siège social est situé [Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée et assistée de Me Gaël COLLIN de la SELARL COLMAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque C907,
S.E.L.A.F.A. MJA, prise en la personne de Maître [U] [R] en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société DUPLESSIS, nommée à cette fonction par jugement du 14 avril 2021 du tribunal de commerce de Paris,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 440 672 509,
Dont le siège social est situé [Adresse 1]
[Adresse 10]
[Localité 8]
Représentée et assistée de Me Vincent GALLET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1719,
INTIMÉES
S.A.R.L. DUPLESSIS, prise en la personne de ses co-gérants Monsieur [F] [M], demeurant [Adresse 4] et Monsieur [N] [G], demeurant [Adresse 2],
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 800 183 808,
Dont le siège social est situé [Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée et assistée de Me Gaël COLLIN de la SELARL COLMAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque C907,
S.E.L.A.F.A. MJA, prise en la personne de Maître [U] [R], en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société DUPLESSIS, nommée à cette fonction par jugement du 14 avril 2021 du tribunal de commerce de Paris,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 440 672 509,
Dont le siège social est situé [Adresse 1]
[Adresse 10]
[Localité 8]
Représentée par Me Vincent GALLET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1719,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre, et Madame Constance LACHEZE, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Constance LACHEZE, conseillère,
Madame Alexandra PELIER-TETREAU, conseillère.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société à responsabilité limitée Duplessis a été fondée le 4 février 2014 par MM. [F] [M], [Y] [T], [N] [G] et [G] [X] pour exercer l'activité d'organisation de réceptions, d'évènements, avec mise à disposition de prestations de traiteur, plats à emporter, restauration, ainsi que le conseil aux entreprises, essentiellement des réceptions de mariages au château d'[Localité 9] situé à [Localité 13], bien appartenant à la société de droit luxembourgeois IDLC depuis le 15 mai 2003 et mis à sa disposition par l'association Châteaux en vie suivant une convention de mise à disposition du 31 mars 2015.
En novembre 2019, MM. [M] et [G] ont racheté les parts de MM. [T] et [X] et en janvier 2020, sont devenus co-gérants de la société. A compter du 31 janvier 2020, le siège social de la société a été transféré à [Localité 7].
L'entreprise, qui employait en dernier lieu trois salariés, a commencé à connaître des difficultés à partir des périodes de confinement dû à l'épidémie de covid 19. A compter du 22 février 2021, l'accès au château d'[Localité 9] a été interdit à la société Duplessis, ce qui a conduit ses gérants à déposer une déclaration de cessation des paiements le 23 mars 2021.
Par jugement du 14 avril 2021, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l'égard de la société Duplessis, désigné la Selafa MJA prise en la personne de Me [U] [R] en qualité de liquidateur judiciaire et fixé la date de cessation des paiements au 23 mars 2021, date de la déclaration de cessation des paiements. Par jugement du 14 septembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a mis fin à l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée.
Sur requête de la Selafa MJA ès qualités et par ordonnance du 19 octobre 2021, le juge-commissaire a nommé en qualité de technicien le cabinet OCA - M. [D] [Z] aux fins d'analyser la comptabilité de la société Duplessis, de décrire les modalités de son activité et de fournir des éléments relatifs aux responsabilités éventuelles des co-gérants.
Le technicien a rendu son rapport le 7 avril 2022.
Par deux assignations des 31 mars et 12 avril 2022, la société MJA ès qualités a saisi le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir reporter et fixer définitivement la date de cessation des paiements de la société Duplessis à titre principal au 14 octobre 2019, ou à titre subsidiaire, au 30 septembre 2020.
Par jugement rendu le 27 septembre 2023, le tribunal de commerce de Paris a :
déclaré la demande recevable ;
dit que la date de cessation des paiements de la société Duplessis doit être reportée et fixée au 30 septembre 2020 ;
dit que M. [M] et M. [G] seront déboutés de leur demandes, fins et conclusions ;
dit que les dépens du présent jugement liquidés seront employés en frais de liquidation judiciaire.
Le tribunal a notamment considéré que la société ne démontrait pas l'existence de nombreuses prestations précédant le jour de l'évènement, qu'il n'apparaissait pas que les acomptes aient permis de financer la préparation des réceptions de mariage, qu'elle n'apportait aucun élément permettant de contredire la date du 30 septembre 2020 proposée par le cabinet OCA et qu'il faudrait attendre d'autres instances pour éventuellement déterminer une autre date. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur le moyen tiré du nécessaire retraitement de l'actif disponible soulevé par le liquidateur judiciaire.
Par deux déclarations d'appel du 5 octobre 2023, la société Duplessis prise en la personne de ses cogérants MM. [M] et [G] et la Selafa MJA ès qualités ont relevé appel de ce jugement en ce qu'il a fixé la date de cessation des paiements au 30 septembre 2020.
Les instances inscrites au rôle sous les numéros 23/16424 et 23/16426 ont été jointes sous le numéro 23/16424 par ordonnance du 07 novembre 2023.
L'affaire a été fixée en circuit court le 18 janvier 2024.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 8 novembre 2023, la Selafa MJA ès qualités demande à la cour de :
juger que les acomptes versés par les clients constituent une trésorerie artificielle devant être exclue de l'actif disponible de la société Duplessis ;
infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 27 septembre 2023 ;
statuant à nouveau, reporter et fixer définitivement la date de cessation des paiements de la société Duplessis au 14 octobre 2019 ;
dire que le jugement à intervenir fera l'objet des publicités prescrites par l'article R. 631-13 du code de commerce ;
dire M. [M] et M. [G] mal fondés en l'ensemble de leurs demandes et conclusions ;
les en débouter en toutes fins qu'elles comportent ;
dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 23 mai 2024, la société Duplessis prise en la personne de ses cogérants MM. [M] et [G] demande à la cour de :
révoquer l'ordonnance de clôture du 30 avril 2024 ;
par conséquent, prononcer la clôture au jour de l'audience ;
juger qu'elle n'était pas en état de cessation des paiements le 30 septembre 2020 ;
par conséquent, infirmer le jugement du 27 septembre 2023 ;
statuant à nouveau, reporter et fixer définitivement sa date de cessation des paiements au plus tôt au 8 mars 2021 ;
débouter la société MJA de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 avril 2024 révoquée le 11 juin 2024 pour admettre les dernières écritures de la société Duplessis. Une nouvelle ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 11 juin 2024 en vue de l'audience du même jour.
SUR CE,
La Selafa MJA ès qualités expose que la déclaration de cessation des paiements faisait ressortir un passif exigible au 23 mars 2021 de 518 102,65 euros dont 22 496,62 euros de dettes fiscales et/ou sociales, 48 940,53 euros de dettes envers des fournisseurs et 443 952,88 euros de dettes envers des clients et que face à ce passif exigible, il en ressortait un actif disponible de 23 120,99 euros ; que même sans considérer les demandes de restitution d'acomptes des clients, le passif fiscal et social et le passif fournisseurs de la société Duplessis montraient que la cessation des paiements remontait à une date antérieure au 23 mars 2021 ; qu'en l'état de la procédure de vérification du passif, le passif admis s'élève à 548 315,94 euros, dont 22 482,82 euros au titre du passif superprivilégié, 17 314,69 euros au titre du passif privilégié et 508 503,44 euros au titre du passif chirographaire ; qu'outre les créances rejetées pour 413 556,43 euros, quatre créances formant un total de 111 783,32 euros font l'objet d'instances en cours ou sont contestées ; que l'actif réalisé se limite au solde du compte bancaire de la société positif à hauteur de 19 228,23 euros.
Elle soutient qu'elle n'entend pas se prévaloir du rapport du technicien OCA car l'hypothèse excluant la créance des consorts [V] ne permet pas de fonder le report de la date de cessation des paiements à une date antérieure au 28 février 2021 ; que cette hypothèse exclut à juste titre du passif exigible le passif litigieux ; que l'actif disponible doit faire l'objet d'un retraitement afin d'exclure tout financement anormal ayant conduit à dissimuler l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible ; que la société Duplessis a maintenu une trésorerie artificielle et bénéficié d'un financement anormal au moyen des acomptes versés par ses clients pour 444 000 euros (correspondant à 5 000 euros à la réservation puis 30% huit mois avant l'évènement et 30% quatre mois avant l'évènement), sans contrepartie de prestations ; qu'alors que les acomptes devaient être isolés et que par ailleurs la société Duplessis ne disposait pas de fonds propres et souffrait d'une importante sous-capitalisation depuis le début de son activité, les acomptes ont été utilisés pour son activité courante ; que la comptabilisation de ces acomptes était fallacieuse selon le rapport OCA ; que ne bénéficiant que de la mise à disposition de deux pièces à usage de bureaux de la part de l'association Chateaux en vie et non de la part du propriétaire du château, la précarité de l'usage de ce bien en résultant devait la conduire à faire preuve de davantage de prudence ; que la société Duplessis a également pu poursuivre son activité grâce au prêt garanti de l'Etat (PGE) de 130 000 euros dont elle a bénéficié en avril 2020.
La société Duplessis explique qu'en dépit de l'épidémie de covid-19 l'ayant contrainte à reporter les événements, elle n'était pas en état de cessation de paiement le 5 février 2021 selon son expert-comptable la société Fiducial ; que du jour au lendemain, sans aucun préavis ni explication préalable, la société luxembourgeoise IDCL propriétaire du château lui en a interdit l'accès en février 2021 ; qu'elle en a immédiatement informé son expert-comptable lequel lui a indiqué le 17 mars 2021 que son actif réalisable ne lui permettait pas de rembourser les clients et l'a ainsi conduite à déposer le bilan le 23 mars suivant.
Elle fait valoir que le tribunal a, à tort, pris en compte dans le passif exigible les créances des consorts [W] et [V] qui sont des créances contestées ; que les consorts [W] l'ont assignée le 21 décembre 2020 devant le tribunal de commerce d'Orléans en paiement de la somme de 14 327,11 euros au titre de la restitution des acomptes versés pour l'organisation de leur événement, ce qu'elle a contesté dans ses conclusions en défense ; qu'ils ont, par désistement, renoncé à leur prétendue créance ; que les consorts [V] l'ont assignée le 31 mars 2021 devant le tribunal judiciaire de Paris en paiement de la somme de 29 108,14 euros ; que par un jugement du 14 mai 2024 le tribunal judiciaire de Paris a débouté les consorts [V] de l'intégralité de leurs demandes ; que la créance ne peut donc pas être prise en compte dans le passif exigible ; qu'au 8 mars 2021, elle avait un actif disponible à hauteur de 40 312 euros et un passif exigible de 38 547,42 euros. Ainsi elle soutient qu'elle n'était de facto, pas en état de cessation des paiements avant le 8 mars 2021 ; que s'agissant du retraitement de l'actif disponible, elle relève que le rapport du technicien n'estime pas que les acomptes ne constituent pas des réserves de trésorerie faisant partie de l'actif disponible ; que le liquidateur judiciaire, pour affirmer que l'actif est artificiel, s'est basé sur des décisions de la cour de cassation qui n'avaient pas de rapport avec sa situation ; que l'encaissement des acomptes a toujours eu pour contrepartie des prestations liées à l'organisation d'évènements consistant en une organisation minutieuse des détails logistiques et organisationnels comparable à un « wedding planer » ; qu'après versement d'un premier acompte pour bloquer la date, la conclusions de deux avenants subordonnait le versement des deuxième et troisième acomptes ; que concernant les modalités de comptabilisation des acomptes par le cabinet d'expertise-comptable qui accompagnait la société Duplessis, ce dernier enregistrait les acomptes versés par les clients dans le compte 487 « produits constatés d'avance » et non dans le compte 411 « clients », le compte 487 équivalant à un compte de régularisation ; que cette inscription est justifiée dans la mesure où les acomptes étaient versés dans le cadre de la réalisation de prestations de services continus se déroulant depuis la date de signature du contrat, jusqu'au jour de la réalisation définitive de l'événement et que quoiqu'il en soit, cette modalité d'enregistrement n'avait pas d'incidence sur le résultat dégagé.
Sur ce,
Il résulte des termes de l'article L. 631-1 du code de commerce qu'est en état de cessation des paiements tout débiteur qui est dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible et que le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.
La preuve de l'état de cessation des paiements doit être rapportée par celui qui se prévaut de l'état de cessation des paiements alors que la preuve de l'existence de réserves de crédit ou de moratoires lui permettant de faire face à son passif exigible incombe au débiteur.
La date de cessation des paiements est la date à laquelle l'actif disponible n'a pas permis de faire face durablement au passif exigible.
Ainsi, ne peut être retenue comme date de cessation des paiements une date antérieure à un retour à une situation permettant au débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, même si antérieurement la cessation de paiements préexistait. Il en va de même lorsqu'un moratoire a pour effet de reporter l'exigibilité d'une créance.
En l'espèce, il est constant que la société Duplessis dont l'activité se résumait à l'organisation d'évènements festifs au château d'[Localité 9], a connu des difficultés en raison de la pandémie de covid-19 qui l'a contrainte à reporter ou annuler des évènements planifiés puis consécutivement à l'interdiction faite par la société propriétaire IDCL le 22 février 2021 d'accéder au château d'[Localité 9]. En effet, la société Duplessis ne bénéficiait que d'un droit d'accès précaire au château suivant une convention de mise à disposition souscrite le 31 mars 2015 auprès de l'association Château en vie lui conférant la jouissance de deux pièces à usage de bureau de 15 m² sans qu'il ne soit justifié de l'accord du propriétaire en ce sens et non sur la totalité de la surface de celui-ci, étant précisé que par une première convention de mise à disposition du 19 juin 2014, la société IDCL avait mis à la disposition de l'association Château en vie l'ensemble des pièces du château d'une surface approximative de 2 000 m² à l'exception d'un salon privé au 2ème étage.
Il est également constant que les créances contestées n'ont pas à être comptabilisées dans la passif exigible au sens de l'article L. 631-1 du code de commerce. A cet égard il ressort du rapport du Cabinet OCA que pour déterminer la date de cessation des paiements, le technicien procède à un rapprochement entre la réserve de trésorerie et les dettes exigibles et évoque deux hypothèses :
la première, retenue par le tribunal, tenant compte des créances contestées produites par les consorts [W] et [V] au terme de laquelle la société Duplessis apparaît en état de cessation des paiements dès le 30 septembre 2020,
la seconde, sans tenir compte de la créance contestée produite par les consorts [V] pour 29 108 euros mais avec la créance contestée produite par les consorts [W] pour 14 328 euros au terme de laquelle le technicien considère que la créance des consorts [V] serait échue non pas le 31 juillet 2020 mais le 8 mars 2021 et estime que la société Duplessis disposait d'un actif disponible suffisant pour faire face aux dettes échues au plus tard le 28 février 2021.
Or les créances [W] et [V], réclamées au titre de la restitution d'acomptes pour l'organisation de leur évènement, constituent des créances contestées qui, si elles peuvent faire l'objet d'une déclaration de créance, ne sont pas constitutives d'un passif exigible et n'ont pas à être prises en compte pour déterminer l'impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec l'actif disponible au stade de l'ouverture de la procédure collective. La seconde hypothèse du Cabinet OCA susmentionnée ne tenant pas compte de la créance [V] dans la comparaison de l'actif et du passif ne saurait emporter la conviction de la cour en ce qu'elle omet la créance [W]. Aucune des deux hypothèses n'a donc lieu d'être retenue.
Par ailleurs, la Selafa MJA ès qualités se prévaut du rapport OCA en ce qu'il indique que les acomptes reçus par la société Duplessis n'ont pas été comptabilisés conformément à l'article 944-41 du plan comptable général qui prévoit notamment : « Le compte 4191 "Clients - Avances et acomptes reçus sur commandes" enregistre les avances et acomptes reçus par l'entité sur les commandes à livrer, les travaux à exécuter ou les services à rendre. Il est crédité par le débit d'un compte de trésorerie du montant des avances et acomptes reçus des clients. Il est débité, après l'établissement de la facture, du montant de ces avances et acomptes par le crédit du compte 411. »
Le technicien qui constate qu'un schéma d'enregistrement comptable des acomptes erroné a été utilisé de manière générale considère toutefois que « s'il n'a pas d'incidence sur le résultat dégagé par la société Duplessis, le schéma comptable appliqué a eu pour effet de ne pas faire apparaître de dettes d'acomptes contractuellement restituables aux clients pour la porter, pour le montant hors taxes de l'acompte, au compte « produits constatés d'avance », traduisant pour le lecteur des comptes annuels l'existence d'un produit futur et certain », alors que les acomptes étaient restituables.
N'ayant pas d'incidence sur le résultat dégagé par la société Duplessis, cette comptabilisation des acomptes réalisée par le Cabinet Fiducial chargé de la tenue de sa comptabilité est sans emport sur l'existence ou non d'un actif disponible tant que la restitution n'a pas été demandée. Le moyen est donc inopérant.
Reste à déterminer si comme le prétend la Selafa MJA ès qualités, les acomptes versés par les clients en prévision d'un évènement à venir, devenus des créances des clients exigibles par suite de l'ouverture de la liquidation judiciaire, doivent être considérés comme un mode de financement anormal et partant un actif disponible artificiel ayant eu pour effet de retarder la constatation de la cessation des paiements, et doivent donner lieu à un retraitement par déduction de l'actif disponible, étant précisé que ces créances de clients ont été déclarées pour près de 444 000 euros sur la déclaration de cessation des paiements et pour un total 304 601 euros par les créanciers concernés.
La Selafa MJA ès qualités qui se prévaut du défaut de contrepartie de ces acomptes manque toutefois à établir ce fait alors que l'organisation d'évènements d'ampleur doit être anticipée plusieurs mois à l'avance. Au contraire, il résulte des conditions générales et particulières produites par la société Duplessis que celle-ci organisait pour ses clients des évènements festifs, souvent des mariages donnant lieu à un premier acompte permettant de réserver le lieu (le château d'[Localité 9]) à une date donnée et de fixer le cadre de la relation contractuelle. Par la suite, elle percevait un deuxième acompte de 30% huit mois avant l'évènement à l'occasion de la signature d'un avenant définissant les prestations de restauration, d'animation et de décoration puis un troisième acompte de 30% quatre mois avant l'évènement accompagné le cas échéant d'un second avenant d'ajustement des prestations. Les deuxième et troisième acomptes versés avaient pour contrepartie l'organisation de l'évènement, la coordination des différents prestataires, la société Duplessis proposant une carte de restauration, et ainsi que cela ressort de l'inventaire dressé par le commissaire-priseur, la mise à disposition d'écrans de télévision, de matériel de sonorisation, de mobilier, de linge et de vaisselle, la location de matériel, etc., la société Duplessis disposant de trois salariés dédiés à l'activité, outre le recours à un prestataire pour les tâches administratives. Il ressort également du rapport du Cabinet OCA que l'entretien du château et de ses jardins, qui constituaient le cadre des évènements, incombait à la société Duplessis et non à l'association Château en vie qui elle-même se l'était vu confier par la société propriétaire IDCL.
De plus, quand bien même la société Duplessis aurait disposé de davantage de fonds propres, alors que son capital social s'élève à 1 000 euros, cela ne l'aurait pas dispensée d'avoir recours à des financements extérieurs rémunérés afin de pourvoir, plusieurs mois en amont, à l'organisation d'événements festifs impliquant la réunion de nombreux convives (entre 150 et 200 pour les contrats versés aux débats), l'entretien du château et la coordination d'une multitude de prestations, et ce même si les acomptes versés n'ont pas été utilisés par elle pour payer des prestataires tiers. Ainsi, la perception d'acomptes de la part des clients de la société Duplessis, en ce qu'elle est inhérente à l'activité d'organisation de mariages et autres événements d'ampleur se déroulant sur plusieurs mois, ne constitue pas un mode de financement anormal ou artificiel.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il n'y a pas lieu de procéder à la moindre déduction à ce titre sur l'actif disponible.
Il convient en conséquence de rejeter la demande de report de la date de cessation des paiements telle que formulée par le liquidateur judiciaire, d'écarter la date du 28 février 2021 proposée par le technicien qui a inclus à tort au passif exigible la créance [W] et de fixer définitivement la date de cessation des paiements au 23 mars 2021. Le jugement sera infirmé en ce sens.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Rejette la demande de report de la date de cessation des paiements ;
Fixe définitivement la date de cessation des paiements de la société Duplessis au 23 mars 2021 ;
Ordonne l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 8 OCTOBRE 2024
(n° / 2024, 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/16424 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIK7V
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 septembre 2023 -Tribunal de commerce de Paris - RG n° 2022019443
APPELANTES
S.A.R.L. DUPLESSIS, prise en la personne de ses cogérants M. [F] [M], né le [Date naissance 6] 1976 à [Localité 12] (58), demeurant [Adresse 4] (58) et M. [N] [G], né le [Date naissance 5] 1976 à [Localité 11] (93) demeurant [Adresse 2] (21),
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 800 183 808,
Dont le siège social est situé [Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée et assistée de Me Gaël COLLIN de la SELARL COLMAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque C907,
S.E.L.A.F.A. MJA, prise en la personne de Maître [U] [R] en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société DUPLESSIS, nommée à cette fonction par jugement du 14 avril 2021 du tribunal de commerce de Paris,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 440 672 509,
Dont le siège social est situé [Adresse 1]
[Adresse 10]
[Localité 8]
Représentée et assistée de Me Vincent GALLET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1719,
INTIMÉES
S.A.R.L. DUPLESSIS, prise en la personne de ses co-gérants Monsieur [F] [M], demeurant [Adresse 4] et Monsieur [N] [G], demeurant [Adresse 2],
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 800 183 808,
Dont le siège social est situé [Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée et assistée de Me Gaël COLLIN de la SELARL COLMAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque C907,
S.E.L.A.F.A. MJA, prise en la personne de Maître [U] [R], en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société DUPLESSIS, nommée à cette fonction par jugement du 14 avril 2021 du tribunal de commerce de Paris,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 440 672 509,
Dont le siège social est situé [Adresse 1]
[Adresse 10]
[Localité 8]
Représentée par Me Vincent GALLET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1719,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre, et Madame Constance LACHEZE, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Constance LACHEZE, conseillère,
Madame Alexandra PELIER-TETREAU, conseillère.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société à responsabilité limitée Duplessis a été fondée le 4 février 2014 par MM. [F] [M], [Y] [T], [N] [G] et [G] [X] pour exercer l'activité d'organisation de réceptions, d'évènements, avec mise à disposition de prestations de traiteur, plats à emporter, restauration, ainsi que le conseil aux entreprises, essentiellement des réceptions de mariages au château d'[Localité 9] situé à [Localité 13], bien appartenant à la société de droit luxembourgeois IDLC depuis le 15 mai 2003 et mis à sa disposition par l'association Châteaux en vie suivant une convention de mise à disposition du 31 mars 2015.
En novembre 2019, MM. [M] et [G] ont racheté les parts de MM. [T] et [X] et en janvier 2020, sont devenus co-gérants de la société. A compter du 31 janvier 2020, le siège social de la société a été transféré à [Localité 7].
L'entreprise, qui employait en dernier lieu trois salariés, a commencé à connaître des difficultés à partir des périodes de confinement dû à l'épidémie de covid 19. A compter du 22 février 2021, l'accès au château d'[Localité 9] a été interdit à la société Duplessis, ce qui a conduit ses gérants à déposer une déclaration de cessation des paiements le 23 mars 2021.
Par jugement du 14 avril 2021, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l'égard de la société Duplessis, désigné la Selafa MJA prise en la personne de Me [U] [R] en qualité de liquidateur judiciaire et fixé la date de cessation des paiements au 23 mars 2021, date de la déclaration de cessation des paiements. Par jugement du 14 septembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a mis fin à l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée.
Sur requête de la Selafa MJA ès qualités et par ordonnance du 19 octobre 2021, le juge-commissaire a nommé en qualité de technicien le cabinet OCA - M. [D] [Z] aux fins d'analyser la comptabilité de la société Duplessis, de décrire les modalités de son activité et de fournir des éléments relatifs aux responsabilités éventuelles des co-gérants.
Le technicien a rendu son rapport le 7 avril 2022.
Par deux assignations des 31 mars et 12 avril 2022, la société MJA ès qualités a saisi le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir reporter et fixer définitivement la date de cessation des paiements de la société Duplessis à titre principal au 14 octobre 2019, ou à titre subsidiaire, au 30 septembre 2020.
Par jugement rendu le 27 septembre 2023, le tribunal de commerce de Paris a :
déclaré la demande recevable ;
dit que la date de cessation des paiements de la société Duplessis doit être reportée et fixée au 30 septembre 2020 ;
dit que M. [M] et M. [G] seront déboutés de leur demandes, fins et conclusions ;
dit que les dépens du présent jugement liquidés seront employés en frais de liquidation judiciaire.
Le tribunal a notamment considéré que la société ne démontrait pas l'existence de nombreuses prestations précédant le jour de l'évènement, qu'il n'apparaissait pas que les acomptes aient permis de financer la préparation des réceptions de mariage, qu'elle n'apportait aucun élément permettant de contredire la date du 30 septembre 2020 proposée par le cabinet OCA et qu'il faudrait attendre d'autres instances pour éventuellement déterminer une autre date. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur le moyen tiré du nécessaire retraitement de l'actif disponible soulevé par le liquidateur judiciaire.
Par deux déclarations d'appel du 5 octobre 2023, la société Duplessis prise en la personne de ses cogérants MM. [M] et [G] et la Selafa MJA ès qualités ont relevé appel de ce jugement en ce qu'il a fixé la date de cessation des paiements au 30 septembre 2020.
Les instances inscrites au rôle sous les numéros 23/16424 et 23/16426 ont été jointes sous le numéro 23/16424 par ordonnance du 07 novembre 2023.
L'affaire a été fixée en circuit court le 18 janvier 2024.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 8 novembre 2023, la Selafa MJA ès qualités demande à la cour de :
juger que les acomptes versés par les clients constituent une trésorerie artificielle devant être exclue de l'actif disponible de la société Duplessis ;
infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 27 septembre 2023 ;
statuant à nouveau, reporter et fixer définitivement la date de cessation des paiements de la société Duplessis au 14 octobre 2019 ;
dire que le jugement à intervenir fera l'objet des publicités prescrites par l'article R. 631-13 du code de commerce ;
dire M. [M] et M. [G] mal fondés en l'ensemble de leurs demandes et conclusions ;
les en débouter en toutes fins qu'elles comportent ;
dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 23 mai 2024, la société Duplessis prise en la personne de ses cogérants MM. [M] et [G] demande à la cour de :
révoquer l'ordonnance de clôture du 30 avril 2024 ;
par conséquent, prononcer la clôture au jour de l'audience ;
juger qu'elle n'était pas en état de cessation des paiements le 30 septembre 2020 ;
par conséquent, infirmer le jugement du 27 septembre 2023 ;
statuant à nouveau, reporter et fixer définitivement sa date de cessation des paiements au plus tôt au 8 mars 2021 ;
débouter la société MJA de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 avril 2024 révoquée le 11 juin 2024 pour admettre les dernières écritures de la société Duplessis. Une nouvelle ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 11 juin 2024 en vue de l'audience du même jour.
SUR CE,
La Selafa MJA ès qualités expose que la déclaration de cessation des paiements faisait ressortir un passif exigible au 23 mars 2021 de 518 102,65 euros dont 22 496,62 euros de dettes fiscales et/ou sociales, 48 940,53 euros de dettes envers des fournisseurs et 443 952,88 euros de dettes envers des clients et que face à ce passif exigible, il en ressortait un actif disponible de 23 120,99 euros ; que même sans considérer les demandes de restitution d'acomptes des clients, le passif fiscal et social et le passif fournisseurs de la société Duplessis montraient que la cessation des paiements remontait à une date antérieure au 23 mars 2021 ; qu'en l'état de la procédure de vérification du passif, le passif admis s'élève à 548 315,94 euros, dont 22 482,82 euros au titre du passif superprivilégié, 17 314,69 euros au titre du passif privilégié et 508 503,44 euros au titre du passif chirographaire ; qu'outre les créances rejetées pour 413 556,43 euros, quatre créances formant un total de 111 783,32 euros font l'objet d'instances en cours ou sont contestées ; que l'actif réalisé se limite au solde du compte bancaire de la société positif à hauteur de 19 228,23 euros.
Elle soutient qu'elle n'entend pas se prévaloir du rapport du technicien OCA car l'hypothèse excluant la créance des consorts [V] ne permet pas de fonder le report de la date de cessation des paiements à une date antérieure au 28 février 2021 ; que cette hypothèse exclut à juste titre du passif exigible le passif litigieux ; que l'actif disponible doit faire l'objet d'un retraitement afin d'exclure tout financement anormal ayant conduit à dissimuler l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible ; que la société Duplessis a maintenu une trésorerie artificielle et bénéficié d'un financement anormal au moyen des acomptes versés par ses clients pour 444 000 euros (correspondant à 5 000 euros à la réservation puis 30% huit mois avant l'évènement et 30% quatre mois avant l'évènement), sans contrepartie de prestations ; qu'alors que les acomptes devaient être isolés et que par ailleurs la société Duplessis ne disposait pas de fonds propres et souffrait d'une importante sous-capitalisation depuis le début de son activité, les acomptes ont été utilisés pour son activité courante ; que la comptabilisation de ces acomptes était fallacieuse selon le rapport OCA ; que ne bénéficiant que de la mise à disposition de deux pièces à usage de bureaux de la part de l'association Chateaux en vie et non de la part du propriétaire du château, la précarité de l'usage de ce bien en résultant devait la conduire à faire preuve de davantage de prudence ; que la société Duplessis a également pu poursuivre son activité grâce au prêt garanti de l'Etat (PGE) de 130 000 euros dont elle a bénéficié en avril 2020.
La société Duplessis explique qu'en dépit de l'épidémie de covid-19 l'ayant contrainte à reporter les événements, elle n'était pas en état de cessation de paiement le 5 février 2021 selon son expert-comptable la société Fiducial ; que du jour au lendemain, sans aucun préavis ni explication préalable, la société luxembourgeoise IDCL propriétaire du château lui en a interdit l'accès en février 2021 ; qu'elle en a immédiatement informé son expert-comptable lequel lui a indiqué le 17 mars 2021 que son actif réalisable ne lui permettait pas de rembourser les clients et l'a ainsi conduite à déposer le bilan le 23 mars suivant.
Elle fait valoir que le tribunal a, à tort, pris en compte dans le passif exigible les créances des consorts [W] et [V] qui sont des créances contestées ; que les consorts [W] l'ont assignée le 21 décembre 2020 devant le tribunal de commerce d'Orléans en paiement de la somme de 14 327,11 euros au titre de la restitution des acomptes versés pour l'organisation de leur événement, ce qu'elle a contesté dans ses conclusions en défense ; qu'ils ont, par désistement, renoncé à leur prétendue créance ; que les consorts [V] l'ont assignée le 31 mars 2021 devant le tribunal judiciaire de Paris en paiement de la somme de 29 108,14 euros ; que par un jugement du 14 mai 2024 le tribunal judiciaire de Paris a débouté les consorts [V] de l'intégralité de leurs demandes ; que la créance ne peut donc pas être prise en compte dans le passif exigible ; qu'au 8 mars 2021, elle avait un actif disponible à hauteur de 40 312 euros et un passif exigible de 38 547,42 euros. Ainsi elle soutient qu'elle n'était de facto, pas en état de cessation des paiements avant le 8 mars 2021 ; que s'agissant du retraitement de l'actif disponible, elle relève que le rapport du technicien n'estime pas que les acomptes ne constituent pas des réserves de trésorerie faisant partie de l'actif disponible ; que le liquidateur judiciaire, pour affirmer que l'actif est artificiel, s'est basé sur des décisions de la cour de cassation qui n'avaient pas de rapport avec sa situation ; que l'encaissement des acomptes a toujours eu pour contrepartie des prestations liées à l'organisation d'évènements consistant en une organisation minutieuse des détails logistiques et organisationnels comparable à un « wedding planer » ; qu'après versement d'un premier acompte pour bloquer la date, la conclusions de deux avenants subordonnait le versement des deuxième et troisième acomptes ; que concernant les modalités de comptabilisation des acomptes par le cabinet d'expertise-comptable qui accompagnait la société Duplessis, ce dernier enregistrait les acomptes versés par les clients dans le compte 487 « produits constatés d'avance » et non dans le compte 411 « clients », le compte 487 équivalant à un compte de régularisation ; que cette inscription est justifiée dans la mesure où les acomptes étaient versés dans le cadre de la réalisation de prestations de services continus se déroulant depuis la date de signature du contrat, jusqu'au jour de la réalisation définitive de l'événement et que quoiqu'il en soit, cette modalité d'enregistrement n'avait pas d'incidence sur le résultat dégagé.
Sur ce,
Il résulte des termes de l'article L. 631-1 du code de commerce qu'est en état de cessation des paiements tout débiteur qui est dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible et que le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.
La preuve de l'état de cessation des paiements doit être rapportée par celui qui se prévaut de l'état de cessation des paiements alors que la preuve de l'existence de réserves de crédit ou de moratoires lui permettant de faire face à son passif exigible incombe au débiteur.
La date de cessation des paiements est la date à laquelle l'actif disponible n'a pas permis de faire face durablement au passif exigible.
Ainsi, ne peut être retenue comme date de cessation des paiements une date antérieure à un retour à une situation permettant au débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, même si antérieurement la cessation de paiements préexistait. Il en va de même lorsqu'un moratoire a pour effet de reporter l'exigibilité d'une créance.
En l'espèce, il est constant que la société Duplessis dont l'activité se résumait à l'organisation d'évènements festifs au château d'[Localité 9], a connu des difficultés en raison de la pandémie de covid-19 qui l'a contrainte à reporter ou annuler des évènements planifiés puis consécutivement à l'interdiction faite par la société propriétaire IDCL le 22 février 2021 d'accéder au château d'[Localité 9]. En effet, la société Duplessis ne bénéficiait que d'un droit d'accès précaire au château suivant une convention de mise à disposition souscrite le 31 mars 2015 auprès de l'association Château en vie lui conférant la jouissance de deux pièces à usage de bureau de 15 m² sans qu'il ne soit justifié de l'accord du propriétaire en ce sens et non sur la totalité de la surface de celui-ci, étant précisé que par une première convention de mise à disposition du 19 juin 2014, la société IDCL avait mis à la disposition de l'association Château en vie l'ensemble des pièces du château d'une surface approximative de 2 000 m² à l'exception d'un salon privé au 2ème étage.
Il est également constant que les créances contestées n'ont pas à être comptabilisées dans la passif exigible au sens de l'article L. 631-1 du code de commerce. A cet égard il ressort du rapport du Cabinet OCA que pour déterminer la date de cessation des paiements, le technicien procède à un rapprochement entre la réserve de trésorerie et les dettes exigibles et évoque deux hypothèses :
la première, retenue par le tribunal, tenant compte des créances contestées produites par les consorts [W] et [V] au terme de laquelle la société Duplessis apparaît en état de cessation des paiements dès le 30 septembre 2020,
la seconde, sans tenir compte de la créance contestée produite par les consorts [V] pour 29 108 euros mais avec la créance contestée produite par les consorts [W] pour 14 328 euros au terme de laquelle le technicien considère que la créance des consorts [V] serait échue non pas le 31 juillet 2020 mais le 8 mars 2021 et estime que la société Duplessis disposait d'un actif disponible suffisant pour faire face aux dettes échues au plus tard le 28 février 2021.
Or les créances [W] et [V], réclamées au titre de la restitution d'acomptes pour l'organisation de leur évènement, constituent des créances contestées qui, si elles peuvent faire l'objet d'une déclaration de créance, ne sont pas constitutives d'un passif exigible et n'ont pas à être prises en compte pour déterminer l'impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec l'actif disponible au stade de l'ouverture de la procédure collective. La seconde hypothèse du Cabinet OCA susmentionnée ne tenant pas compte de la créance [V] dans la comparaison de l'actif et du passif ne saurait emporter la conviction de la cour en ce qu'elle omet la créance [W]. Aucune des deux hypothèses n'a donc lieu d'être retenue.
Par ailleurs, la Selafa MJA ès qualités se prévaut du rapport OCA en ce qu'il indique que les acomptes reçus par la société Duplessis n'ont pas été comptabilisés conformément à l'article 944-41 du plan comptable général qui prévoit notamment : « Le compte 4191 "Clients - Avances et acomptes reçus sur commandes" enregistre les avances et acomptes reçus par l'entité sur les commandes à livrer, les travaux à exécuter ou les services à rendre. Il est crédité par le débit d'un compte de trésorerie du montant des avances et acomptes reçus des clients. Il est débité, après l'établissement de la facture, du montant de ces avances et acomptes par le crédit du compte 411. »
Le technicien qui constate qu'un schéma d'enregistrement comptable des acomptes erroné a été utilisé de manière générale considère toutefois que « s'il n'a pas d'incidence sur le résultat dégagé par la société Duplessis, le schéma comptable appliqué a eu pour effet de ne pas faire apparaître de dettes d'acomptes contractuellement restituables aux clients pour la porter, pour le montant hors taxes de l'acompte, au compte « produits constatés d'avance », traduisant pour le lecteur des comptes annuels l'existence d'un produit futur et certain », alors que les acomptes étaient restituables.
N'ayant pas d'incidence sur le résultat dégagé par la société Duplessis, cette comptabilisation des acomptes réalisée par le Cabinet Fiducial chargé de la tenue de sa comptabilité est sans emport sur l'existence ou non d'un actif disponible tant que la restitution n'a pas été demandée. Le moyen est donc inopérant.
Reste à déterminer si comme le prétend la Selafa MJA ès qualités, les acomptes versés par les clients en prévision d'un évènement à venir, devenus des créances des clients exigibles par suite de l'ouverture de la liquidation judiciaire, doivent être considérés comme un mode de financement anormal et partant un actif disponible artificiel ayant eu pour effet de retarder la constatation de la cessation des paiements, et doivent donner lieu à un retraitement par déduction de l'actif disponible, étant précisé que ces créances de clients ont été déclarées pour près de 444 000 euros sur la déclaration de cessation des paiements et pour un total 304 601 euros par les créanciers concernés.
La Selafa MJA ès qualités qui se prévaut du défaut de contrepartie de ces acomptes manque toutefois à établir ce fait alors que l'organisation d'évènements d'ampleur doit être anticipée plusieurs mois à l'avance. Au contraire, il résulte des conditions générales et particulières produites par la société Duplessis que celle-ci organisait pour ses clients des évènements festifs, souvent des mariages donnant lieu à un premier acompte permettant de réserver le lieu (le château d'[Localité 9]) à une date donnée et de fixer le cadre de la relation contractuelle. Par la suite, elle percevait un deuxième acompte de 30% huit mois avant l'évènement à l'occasion de la signature d'un avenant définissant les prestations de restauration, d'animation et de décoration puis un troisième acompte de 30% quatre mois avant l'évènement accompagné le cas échéant d'un second avenant d'ajustement des prestations. Les deuxième et troisième acomptes versés avaient pour contrepartie l'organisation de l'évènement, la coordination des différents prestataires, la société Duplessis proposant une carte de restauration, et ainsi que cela ressort de l'inventaire dressé par le commissaire-priseur, la mise à disposition d'écrans de télévision, de matériel de sonorisation, de mobilier, de linge et de vaisselle, la location de matériel, etc., la société Duplessis disposant de trois salariés dédiés à l'activité, outre le recours à un prestataire pour les tâches administratives. Il ressort également du rapport du Cabinet OCA que l'entretien du château et de ses jardins, qui constituaient le cadre des évènements, incombait à la société Duplessis et non à l'association Château en vie qui elle-même se l'était vu confier par la société propriétaire IDCL.
De plus, quand bien même la société Duplessis aurait disposé de davantage de fonds propres, alors que son capital social s'élève à 1 000 euros, cela ne l'aurait pas dispensée d'avoir recours à des financements extérieurs rémunérés afin de pourvoir, plusieurs mois en amont, à l'organisation d'événements festifs impliquant la réunion de nombreux convives (entre 150 et 200 pour les contrats versés aux débats), l'entretien du château et la coordination d'une multitude de prestations, et ce même si les acomptes versés n'ont pas été utilisés par elle pour payer des prestataires tiers. Ainsi, la perception d'acomptes de la part des clients de la société Duplessis, en ce qu'elle est inhérente à l'activité d'organisation de mariages et autres événements d'ampleur se déroulant sur plusieurs mois, ne constitue pas un mode de financement anormal ou artificiel.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il n'y a pas lieu de procéder à la moindre déduction à ce titre sur l'actif disponible.
Il convient en conséquence de rejeter la demande de report de la date de cessation des paiements telle que formulée par le liquidateur judiciaire, d'écarter la date du 28 février 2021 proposée par le technicien qui a inclus à tort au passif exigible la créance [W] et de fixer définitivement la date de cessation des paiements au 23 mars 2021. Le jugement sera infirmé en ce sens.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Rejette la demande de report de la date de cessation des paiements ;
Fixe définitivement la date de cessation des paiements de la société Duplessis au 23 mars 2021 ;
Ordonne l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT