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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 8 octobre 2024, n° 22/16158

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/16158

8 octobre 2024

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 8 OCTOBRE 2024

(n° / 2024, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/16158 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGM4K

Décision déférée à la Cour : Jugement du 9 septembre 2022 - Tribunal de commerce de PARIS - RG n° 2021016766

APPELANTS

Monsieur [N] [B], en qualité de gérant en exercice de la SARL VALENTIN THIERION,

Né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 10] (82)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 9]

[Localité 7]

S.A.R.L. VALENTIN THIERION, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de REIMS sous le numéro 789 949 294,

Dont le siège social est situé [Adresse 3]

[Localité 6]

Représentés par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334,

Assistés de Me Nathalie CHARPENTIER MAVRINAC, avocat au barreau de PARIS, toque : P0411,

INTIMÉS

Monsieur M. [U] [F]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 4]

[Localité 5]

Non constitué

S.C.P. BTSG, prise en la personne de Maître [C] [R], en qualité de liquidateur de la société VALENTIN THIERION, désignée par jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 avril 2020,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTERRE sous le numéro 434 122 511,

Dont le siège social est situé [Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Charles-Hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029,

Assistée de Me Kristell CATTANI de la SELAS SELAS VALSAMIDIS AMSALLEM JONATH FLAICHER et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : J010,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 mars 2024, en audience publique, devant la cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

Madame Constance LACHEZE, conseillère,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

- rendu par défaut

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

La société à responsabilité limitée Valentin Thièrion était un fabricant de machines viticoles qui employait une cinquantaine de salariés. Elle avait pour dirigeant M. [N] [B] et pour associé majoritaire la société G Groupe X.

Sur déclaration de cessation des paiements du 10 mars 2020 et par jugement du 2 avril 2020, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à son égard, désigné la SCP BTSG² prise en la personne de Me [C] [R] en qualité de liquidateur judiciaire et fixé la date de cessation des paiements au 10 mars 2020.

Par assignation du 30 mars 2021, la SCP BTSG² ès qualités a demandé le report de la date de cessation des paiements au 2 octobre 2018, soit 18 mois avant la date du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, considérant que le passif de la société Valentin Thièrion était plus élevé et plus ancien que celui qui avait été déclaré.

Par jugement du 09 septembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a déclaré la requête recevable et reporté la date de cessation des paiements au 2 octobre 2018.

Le tribunal a en effet considéré que, faute par le débiteur de démontrer qu'il bénéficiait de moratoires, plusieurs créances fournisseurs pour un montant cumulé de 220 188 euros ainsi que les créances sociales et fiscales d'un montant total de 366 870 euros avaient une date d'exigibilité antérieure à la date de cessation de paiements retenue par le jugement d'ouverture, que les avances en compte courant consenties par l'associé majoritaire à hauteur de 2 116 143,60 euros n'avaient fait que maintenir artificiellement en vie la société qui n'avait déjà plus d'activité suffisante pour faire face à son passif exigible dès le mois d'août 2019, que le passif exigible n'a cessé de croître depuis le mois d'octobre 2018 et que la trésorerie positive constatée entre le 31 octobre 2018 et 31 mars 2020 était inférieure au montant des dettes exigibles.

Par déclaration du 15 septembre 2022, M. [B] et la société Valentin Thièrion ont relevé appel de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 06 novembre 2023, M. [N] [B] et la société Valentin Thièrion demandent à la cour :

- d'annuler le jugement pour apparence de motivation de nature à faire peser un doute sur l'impartialité de la juridiction de première instance ;

- à titre subsidiaire et avant dire droit, de convoquer M. [V] [D], gérant du Cabinet ODP auteur du rapport d'expertise comptable sur la datation de l'état de cessation des paiements et l'entendre sur ses explications ;

- à titre subsidiaire, d'infirmer le jugement dans son intégralité ;

- statuant à nouveau, de maintenir l'état de cessation des paiements au 10 mars 2020 et de débouter la SCP BTSG² ès qualités de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- à titre très subsidiaire, d'infirmer le jugement pour défaut de motifs et pour contradiction entre les motifs et le dispositif ;

- en toutes hypothèses, d'infirmer le jugement en ce qu'il a fixé à tort le report de l'état de cessation des paiements au 2 octobre 2018 ;

- statuant à nouveau très subsidiairement, fixer l'état de cessation des paiements au 31 août 2019 avec prise en compte des avances en compte courant, ou à tout le moins au 28 février 2019 ;

- en tout état de cause, de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Valentin Thièrion la créance de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 au bénéfice de la société Valentin Thièrion, exerçant ses droits propres, la créance de 15 500 euros sur le fondement de l'article 700 au bénéfice de M. [B] agissant en qualité de gérant de la société Valentin Thièrion et la créance correspondant aux dépens de la procédure.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 30 octobre 2023, la SCP BTSG² ès qualités demande à la cour :

- de la juger recevable et bien fondée ;

- de confirmer le jugement ;

- de juger que la société Valentin Thièrion était en cessation des paiements depuis a minima le mois de mai 2017 ;

- en conséquence, de rejeter l'ensemble des demandes de la société Valentin Thièrion ;

- de reporter et fixer l'état de cessation des paiements au 2 octobre 2018 ;

- de condamner M. [B] à payer une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- d'ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure.

M. [F], auquel la déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiées à étude le 13.12.2022, n' a pas constitué avocat.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 9 janvier 2024.

SUR CE,

Sur la demande d'annulation du jugement

M. [B] et la société Valentin Thièrion soutiennent que le tribunal n'a pas véritablement examiné les faits et s'est contenté de retranscrire les conclusions de la SCP BTSG² ès qualités sans analyse de leur pertinence, sans examen des moyens des appelants, faisant ainsi peser un doute légitime sur son impartialité en violation de l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

La SCP BTSG² ès qualités rétorque que conformément aux articles 455 et 458 du code de procédure civile, le tribunal a exposé les prétentions et moyens des parties succinctement et synthétiquement, y a répondu point par point, qu'il a justifié sa position et n'a pas manqué d'impartialité dans sa motivation.

Sur ce,

L'article 455 du code de procédure civile dispose :

« Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé.

Il énonce la décision sous forme de dispositif. »

Selon l'article 458 du même code, ce qui est prescrit au premier alinéa de l'article 455 doit être observé à peine de nullité.

En l'espèce, le jugement comporte un exposé détaillé des faits, une mention succincte de la demande d'ouverture de la liquidation judiciaire et de la position des défendeurs en première instance puis une motivation de trois pages se décomposant en sept points avant d'arriver au dispositif du jugement.

De la motivation du jugement, il ressort que celui-ci est motivé en fait et en droit sur les trois principaux moyens, la recevabilité de l'action, le respect du principe du contradictoire et la date de cessation des paiements. Ce dernier point est étayé en fait en référence au passif afférent aux fournisseurs, aux dettes fiscales et sociales et aux avances en compte courant. Le tribunal procède ensuite à la comparaison entre l'actif disponible et le passif exigible. Aux différents stades de sa motivation, le tribunal s'est fondé sur des éléments précis et circonstanciés.

Toutefois, force est de constater que chacun des différents points de sa motivation est articulé de manière strictement identique à celle des conclusions de première instance de la SCP BTSG² ès qualités, sans aucune autre motivation et le plus souvent sans reformulation desdites conclusions dont des pans entiers ont été purement et simplement recopiés (pièce 16 des appelants).

Il en résulte que le tribunal n'a pas porté sa propre appréciation sur les éléments versés aux débats, faisant sérieusement peser un doute légitime sur son impartialité par l'emploi d'une apparence de motivation justifiant l'annulation du jugement.

En conséquence, il convient de prononcer l'annulation du jugement pour défaut de motivation.

En vertu de l'effet dévolutif de l'appel, dès lors que l'irrégularité cause de nullité n'affecte pas l'acte introductif d'instance et que M. [B] et la société Valentin Thièrion n'ont pas demandé le renvoi du dossier devant le tribunal, la cour demeure tenue de statuer sur le fond de l'affaire.

Sur la demande avant-dire droit d'audition de M. [V] [D]

M. [B] et la société Valentin Thièrion ne font valoir aucun moyen à l'appui de cette demande qui sera de ce fait rejetée.

Sur la date de cessation des paiements

M. [B] et la société Valentin Thièrion exposent, qu'après avoir repris en 2010 la société qui connaissait des difficultés, M. [B] est parvenu à maintenir une cinquantaine d'emplois pendant dix ans, que l'associé majoritaire a injecté plus de deux millions d'euros depuis 2016 à la suite de quoi le chiffre d'affaires n'a cessé d'augmenter et qu'alors qu'il n'est pas démontré un soutien abusif, l'actionnaire et les gérants successifs se trouvent pénalisés par le report de la date de cessation des paiements et l'action en responsabilité engagée à leur encontre par le liquidateur.

Ils soutiennent que la demande de report de la date d'état de cessation des paiement formée près d'un an après l'ouverture de la procédure de liquidation les place dans un état de déséquilibre manifeste en les privant de l'accès aux pièces utiles à leur défense (éléments comptables, éléments concernant les tentatives de recouvrement de créances des fournisseurs et état des privilèges et nantissements), que le tribunal n'a pas répondu à leur demande de sommation de communiquer, qu'ils n'ont finalement eu accès à la comptabilité 2018-2020 qu'en 2023 à la faveur de la bienveillance du repreneur de la société, que l'examen de ces documents par leur expert-comptable M. [D] montre que la date de cessation des paiements n'est intervenue qu'en février 2020, qu'à cet égard, le jugement déféré comporte une contradiction entre ses motifs et son dispositif, qu'au 2 octobre 2018, la société pouvait faire face à son passif exigible, que le liquidateur ne verse aux débats aucune pièce démontrant le contraire à cette date, que les tableaux réalisés par la SCP BTSG² ès qualités sur la seule base des relevés bancaires sont erronés et incomplets, qu'ils ne comportent pas la valorisation des comptes clients mobilisables au moyen de l'affacturage, qu'il manque aussi une créance exigible incontestée sur le Trésor public de 484 648 euros en 2020 qui constitue une réserve de crédit et non une immobilisation financière, que le liquidateur n'a pas non plus tenu compte des réserves de crédit, que les soldes des comptes bancaires de la société Valentin Thièrion étaient toujours positifs depuis le 31 octobre 2018 jusqu'au 31 janvier 2020, que le compte courant d'associé (en l'occurrence 2.116.143 euros d'avance de trésorerie entre juin 2016 et septembre 2019) qui n'est pas bloqué ou dont le remboursement n'a pas été demandé constitue un actif disponible, que le montant du stock, s'il était en cours de réalisation, devait être inclus dans l'actif disponible, que la baisse de résultat à partir de 2017 n'est pas synonyme de cessation des paiements.

Ils ajoutent que le passif exigible reconstitué par le liquidateur qui ne correspond pas aux « débits » inscrits dans les relevés de compte bancaire, résulte d'éléments comptables auxquels ils n'ont pas eu accès, que le défaut de paiement de quelques factures de fournisseurs ne permet pas de caractériser l'état de cessation des paiements, que le passif ne devient exigible que s'il est effectivement exigé, soit en l'occurrence au 17 janvier 2020, faute de quoi il doit être considéré que la société bénéficie de moratoires ou réserves de crédit, que la liste récapitulative des créances déclarées par les fournisseurs qui ne contient pas de date d'exigibilité de chacune des créances n'est pas probante, que seuls cinq fournisseurs n'ont pas été complètement réglés mais leurs créances n'avaient jamais été exigées, que seule la facture de Joint Barthélémy représentant 0,0001% du chiffre d'affaires n'a pas été réglée en 2017, que l'ordonnance d'injonction de payer à la société TR Equipements est devenue caduque, que M. [B] a multiplié les efforts pour régler la facture de Micronorma, que Pneumax a émis un avoir, que jusqu'à l'ouverture de la liquidation judiciaire, la société a toujours honoré les salaires et charges sociales échues des salariés ainsi que ses dettes fiscales et sociales échues, et enfin, que le tribunal a pris en compte des dettes sociales et fiscales non encore exigibles au jour du jugement d'ouverture alors que le passif social et fiscal rendu exigible par l'ouverture de la liquidation judiciaire ne peut pas être pris en compte pour reporter l'état de cessation des paiements,

La SCP BTSG² ès qualités conteste que les appelants se soient trouvés dans une situation de désavantage manifeste et soutient qu'ils n'apportent pas la preuve de leurs allégations, que l'ensemble des pièces en sa possession leur ont été communiquées, et que le rappel du contexte de la reprise de la société Valentin Thièrion en 2010 est inopérant dans le cadre du présent litige.

Elle fait valoir par ailleurs que le rapport [D] ne contredit pas son analyse, que les tableaux qu'il a communiqués ont été réalisés sur la base des déclarations de créance qui n'ont pas été contestées par le dirigeant et des relevés de comptes bancaires, qu'elle a tenu compte de la date d'exigibilité de chaque créance déclarée, qu'il n'est plus possible de contester les créances en dehors de la procédure de vérification, que les allégations des appelants relatives au contexte de la cessation des paiements sont dénuées de toute pertinence quant au présent débat, que les stocks et les « créances clients qui auraient pu être mobilisées » par la société ne font pas partie de l'actif disponible, que la créance de la société sur le Trésor public ne constitue pas une valeur immédiatement recouvrable mais une immobilisation financière dont le liquidateur n'a pas été informé avant la présente instance, que les créances fournisseurs déclarées correspondent à un total cumulé de 220 188,11 euros, que la plus ancienne créance connue était exigible au 31 mai 2017, que de simples délais de paiement résultant du manque de diligence d'un créancier n'ont pas pour effet de rendre les dettes non exigibles, que M. [B] ne justifie pas de l'existence de moratoires, que le liquidateur a procédé à une analyse précise de l'ensemble des créances déclarées au passif pour déterminer mois par mois le montant total du passif exigible, qu'en dépit d'une trésorerie demeurant positive, l'actif disponible ne permettait pas d'y faire face, que les avances en compte courant d'associé réalisées alors que la société était déjà en état de cessation de paiement n'ont fait qu'entretenir artificiellement sa trésorerie, qu'elles revêtent dès lors un caractère anormal et ne constituent donc pas un actif disponible.

Sur ce,

Il résulte des termes de l'article L. 631-1 du code de commerce qu'est en état de cessation des paiements tout débiteur qui est dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible et que le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.

La preuve de l'état de cessation des paiements doit être rapportée par celui qui se prévaut de l'état de cessation des paiements alors que la preuve de l'existence de réserves de crédit ou de moratoires lui permettant de faire face à son passif exigible incombe au débiteur.

La date de cessation des paiements est la date à laquelle l'actif disponible n'a pas permis de faire face durablement au passif exigible.

Ainsi, ne peut être retenue comme date de cessation de paiement une date antérieure à un retour à une situation permettant au débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, même si antérieurement la cessation de paiements préexistait ponctuellement. Il en va de même lorsqu'un moratoire a pour effet de reporter l'exigibilité d'une créance.

Font notamment partie de l'actif disponible les éléments d'actifs figurant au bilan, les liquidités et valeurs immédiatement réalisables, tels la trésorerie disponible (ou trésorerie effective) représentée par l'existant en caisse et les soldes bancaires créditeurs, les effets de commerce échus ou escomptables, les ouvertures de crédit non utilisées.

En l'espèce,

A titre liminaire, il convient d'examiner les différents postes mentionnés par les parties susceptibles d'être imputés à l'actif ou au passif.

Sur l'imputation des différents postes comptables

Les stocks ne faisant pas partie de l'actif disponible sauf s'ils sont en cours de réalisation, et alors qu'en l'espèce, il n'est pas justifié de leur caractère réalisable à court terme, ils n'avaient pas à être inclus dans l'actif disponible, comme l'indique le liquidateur et l'expert-comptable missionné par M. [B].

Par ailleurs, ne peuvent être admises à l'actif les créances à recouvrer, sauf s'il s'agit de créances à vue dont le recouvrement est aisé (tel un crédit de TVA).

S'agissant des créances en comptes clients, si elles étaient susceptibles d'être mobilisées, force est de constater qu'elles ne l'ont pas été, qu'il n'est pas produit de contrat d'affacturage et que le propre expert-comptable de M. [B] indique qu'il n'a pas décelé dans les écritures comptables de la société d'opérations d'affacturage ou de cession de créance de type « loi Dailly ». Dès lors, les créances clients ne doivent pas être comptabilisées à l'actif disponible de la société Valentin Thièrion contrairement à ce que soutiennent les appelants.

S'agissant de la créance de la société sur le Trésor public, si une créance apparaît dans le détail des comptes annuels de l'exercice 2016 au titre de la TVA et de l'IS, elle n'a pas été mentionnée dans la déclaration de cessation des paiements, ne figure pas dans les liasses fiscales portant sur les exercices 2017 et 2018 annexées à la déclaration de cessation de paiement, ni dans le grand-livre des comptes généraux de 2018, seul versé aux débats (en double). La déclaration de créance du Trésor public mentionne des créances devenues exigibles à compter de la fin de l'année 2019 (cotisation foncière des entreprises pour 10 043 euros, le surplus relevant des impositions au titre de l'année 2020 pour atteindre un total de 312 087 euros. Il s'en déduit à défaut d'autres éléments probants, que la créance alléguée n'était plus d'actualité au jour du jugement d'ouverture, ayant pu être recouvrée entre 2017 et 2020 ou faire l'objet d'une compensation avec les dettes fiscales de la société débitrice. Contrairement à ce qu'indiquent M. [B] et la société Valentin Thièrion, l'expert-comptable [D] n'évoque pas ce point en détail dans son rapport et se limite à procéder à une addition de diverses sommes à ce titre. Il ne ressort pas non plus des échanges de courriels entre le mandataire liquidateur et M. [B] que ce dernier aurait fait part de cette créance. Faute d'être établie, cette créance doit être écartée de l'actif disponible.

Ensuite, les créances fournisseurs doivent être comptabilisées au passif dès lors qu'elles sont certaines, liquides et exigibles, sans qu'il soit nécessaire qu'elles soient effectivement exigées pour figurer au passif exigible contrairement à ce qu'affirme M. [B].

Cependant, le seul fait qu'un débiteur ne paie pas ce qu'il doit à un créancier ne suffit pas à lui seul à caractériser l'état de cessation des paiements qui n'intervient pas dès le premier incident de paiement. Pour chaque créance, il convient d'examiner si le débiteur se trouvait ou non dans l'impossibilité de payer. A cet égard, M. [B] et la société Valentin Thièrion indiquent ne pas avoir réglé cinq de leurs fournisseurs sans pour autant justifier avoir bénéficié de moratoires pour ces règlements. Ces créances doivent ainsi être intégrées au passif exigible comme le soutient le liquidateur, sans pour autant que le premier défaut de paiement de l'une de ces créances suffise à caractériser l'état de cessation des paiements.

Enfin, une avance en compte courant constitue une dette de la société à l'égard de son associé qui peut en demander le remboursement à tout moment. La jurisprudence admet néanmoins qu'une avance en compte courant d'associé qui est bloquée, ou dont le remboursement n'est pas demandé, ne constitue pas un passif exigible.

Sur les avances en compte courant d'associé

La SCP BTSG² ès qualités qui entend démontrer que ces avances n'ont fait qu'entretenir artificiellement la trésorerie de la société Valentin Thièrion et que de ce fait il y aurait lieu de les déduire de l'actif disponible, établit une comparaison mois par mois sur une période de 18 mois en arrière depuis le jugement d'ouverture, dans un premier tableau, entre la différence entre l'actif disponible et le passif exigible tels qu'ils résultent des relevés bancaires et des déclarations de créance (sic) et d'autre part dans un second tableau, cette même différence après déduction d'avances en compte courant intervenues en novembre 2018, mars, juin, août et septembre 2019.

La cour constate que dans le premier tableau de comparaison, l'actif disponible correspond au solde mensuel du compte courant de la société Valentin Thièrion.

La SCP BTSG² ès qualités soutient qu'il convient de retraiter l'actif disponible ainsi défini en soustrayant les avances en compte courant d'associé, ce qui conduit à déterminer l'actif disponible effectif qui ne serait pas artificiellement gonflé par des avances en compte courant de l'actionnaire majoritaire et inférieur au passif exigible.

Sur ce, il est constant que les avances en compte courant d'associés totalisent la somme de 2 116 143, 60 euros et, selon la déclaration de créance de la société G Groupe X, associé majoritaire, les sommes ont été versées depuis 2015 et jusqu'au 3 juillet 2018, outre le 8 janvier 2020 pour 143,60 euros. Si elles constituent sans conteste des créances remboursables théoriquement à tout moment, il n'en demeure pas moins que leur remboursement n'a pas été demandé par l'associé majoritaire et qu'elles sont venues abonder l'actif de la société Valentin Thièrion au même titre qu'un financement. Il n'y a donc pas lieu de venir les déduire de la trésorerie de la société que représentent en l'occurrence les soldes mensuels de ses comptes bancaires.

De surcroît, la société BTSG² ès qualités ne justifie pas que les crédits constatés sur le compte courant de la société Valentin Thièrion proviennent effectivement d'avances en compte courant d'associé alors que pour quatre d'entre elles, elles ont été émises par un organisme de financement et s'apparentent donc à des réserves de crédit devant figurer à l'actif disponible : quatre virements intitulés « GEO FRANCE FINANCE » de 200 000 euros le 5 mars 2019, de 180 000 euros (portant la référence complémentaire Acompte FRE), 170 000 (portant la référence complémentaire Compte) en juin 2019 et de 90 000 euros (portant la référence complémentaire Factures) en septembre 2019, étant précisé que le surplus des prétendues « avances en compte courant d'associé », lesquelles à les supposer établies n'ont pas à être déduites de l'actif disponible (un virement de 90 000 euros intitulé « VIR GROUPE » réalisé le 8 novembre 2018, ainsi que deux virements intitulés « COMPTES » de 60 000 euros en août 2019 et de 130 000 euros le 4 septembre 2019).

Au vu de ces éléments, l'analyse de la SCP BTSG² ès qualités n'est pas fondée.

Il ressort néanmoins du premier tableau de comparaison de la SCP BTSG² ès qualités qu'avant déduction des prétendues avances en compte courant, et malgré des soldes mensuels de compte courant toujours créditeurs en fin de mois, la société Valentin Thièrion ne serait toujours pas parvenue à faire face à son passif exigible tel que calculé par le liquidateur, ce qui conduit, puisque l'actif disponible correspond aux soldes créditeurs des relevés bancaires, à examiner le passif exigible de la société.

Sur le passif exigible

La SCP BTSG² ès qualités indique avoir établi le passif exigible sur la base des déclarations de cessation des paiements, sans pour autant détailler son calcul ni produire l'ensemble des déclarations de créance, alors que le passif chirographaire déclaré de la société Valentin Thièrion s'élève à plus de 4,4 millions d'euros et que les déclarations de créance produites sont manifestement très éloignées de ce montant totalisant 220 188,11 euros et non contestées par M. [B] et la société Valentin Thièrion.

Il sera relevé incidemment que les calculs du mandataire liquidateur diffèrent substantiellement des montants indiqués par M. [D] dont se prévaut M. [B], qui ne sont pas davantage étayés par des détails ou justificatifs exhaustifs, l'expert-comptable M. [D] n'ayant joint en annexe de son rapport que les grands-livres de comptes fournisseurs des années 2018, 2019 et 2020. Ce court rapport de six pages, en ce qu'il fait état de chiffres sans communiquer à la cour suffisamment de pièces justificatives quant au montant de la trésorerie, des réserves de crédit et des créances de la société sur le Trésor public, n'est pas probant.

Les déclarations de créance produites par le mandataire liquidateur concernent les cinq fournisseurs impayés évoqués ci-dessus par M. [B] et la débitrice, à savoir les sociétés Micronorma, TR Equipements, Pneumax, Lavoix et Le Joint Barthélémy.

Il ressort de ces déclarations de créance que l'essentiel de ce passif est devenu exigible à une date qui n'était pas antérieure au second semestre de l'année 2019, à l'exception des créances suivantes :

- la créance de la société Le Joint Barthélémy : 776,16 euros exigibles le 31 mai 2017, 322,98 euros exigibles le 30 juin 2018 et 767,44 euros exigibles le 31 août 2018 ;

- la créance de la société TR Equipements : 29 820 euros exigibles au 21 septembre 2018 après paiements partiels intervenus avant cette date ;

- la créance de la société Lavoix : 2 100 euros exigibles le 16 novembre 2018.

Compte tenu des montants relativement modestes de ces créances, les impayés les concernant ne sauraient s'analyser en une impossibilité de faire face à ce passif et ne prouvent donc pas l'état de cessation des paiements. En outre, l'examen des soldes de relevés bancaires, versés aux débats uniquement à partir d'octobre 2018, permet de considérer, avec un solde de créditeur de 45 249,20 euros au 31 octobre 2018 et de 169 744,07 euros au 30 novembre 2018 que la société Valentin Thièrion pouvait faire face aux reliquats impayés des années 2017 et 2018.

S'agissant des autres créances, devenues exigibles à compter du 30 juin 2019, elles sont les suivantes :

- la créance de la société Micronorma :

* 1348 euros + 47 535 euros exigibles au 30 juin 2019,

* 17 000 euros, exigibles au 22 septembre 2019,

* 480 euros exigibles au 5 octobre 2019,

* 74 900 euros exigibles au 18 décembre 2019,

* 20 650 euros et 28 100 euros exigibles au jour du jugement d'ouverture du fait de l'ouverture de la liquidation judiciaire, la créance étant établie sur la base des bons de commande, récents, les factures n'étant pas établies ;

- la créance de la société Pneumax : 45 146,94 euros après déduction d'un avoir de 26 851,20 euros exigibles à partir du 1er juillet 2019 ;

- la créance de la société Lavoix : créance restant due de 2 100 euros (initialement exigible le 16 novembre 2018) et nouvellement exigible pour 5 165 euros le 23 octobre 2019 soit un total de 7 265,70 euros.

Il se déduit de l'étude des relevés bancaires que la société Valentin Thièrion n'était pas dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible, pour les mois de juin à novembre 2019 avec des soldes créditeurs de 362 612,37 euros, 155 310,26 euros, 93 360,52 euros, 205 557,30 euros, 159 487,78 euros et 68 650,82 euros.

Seul le solde de décembre 2019 de 72 722,81 euros ne permet pas de faire face au paiement de la créance de 74 900 euros de la société Micronorma, mais, alors que le permet le solde positif de janvier 2020 de 108 054,77 euros, et que le solde de février 2020 demeure positif à 29 285,13 euros, la date de cessation des paiements ne peut être fixée à une date antérieure au 10 mars 2020.

La demande de report de la date de cessation des paiements doit donc être rejetée.

Sur les demandes accessoires

Les dépens seront employés en frais privilégiées de la procédure collective.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement et par arrêt rendu par défaut,

Annule le jugement rendu le 9 septembre 2022 par le tribunal de commerce de Paris ;

Déboute M. [N] [B] et la société Valentin Thièrion de leur demande avant-dire droit d'audition de M. [V] [D] ;

Déboute la SCP BTSG² ès qualités de sa demande de report de la date de cessation des paiements ;

Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT