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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 8 octobre 2024, n° 22/00403

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Domaines (SCEA)

Défendeur :

Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Poirel

Conseillers :

Mme Vallee, M. Breard

Avocats :

Me Silva, Me Agostini, Me Novion, Me De Reynal, Me Baud, Me Marchiset

TJ Bordeaux, 1re ch., du 23 nov. 2021, n…

23 novembre 2021

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

L'INAO (Institut National de l'Origine et de la Qualité), établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de l'Agriculture, est un acteur important de la mise en place et des procédures de contrôle des signes d'identification de la qualité et de l'origine en France et, à ces fins, a notamment pour mission la protection des signes et des dénominations et la défense des appellations d'origine.

Le CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de [Localité 3]) est un établissement interprofessionnel qui a notamment pour mission de développer, tant en France qu'à l'étranger, par tous moyens appropriés, la réputation et la demande des vins de [Localité 3] à appellation contrôlée et exerce à ces fins un contrôle sur le fichier 'Châteaux' de la fédération des grands vins de [Localité 3].

Dans le domaine vitivinicole, l'appellation d'origine '[Localité 8]', reconnue au niveau européen depuis le 18 septembre 1973 comme AOP (Appellation d'Origine Protégée) est protégée au titre du règlement CE n° 1308/2013 portant organisation commune des marchés et produits agricoles.

La Scea des domaines [X], enregistrée au registre du commerce et des sociétés le 14 octobre 1992 et dont le siège social est situé [Adresse 4] à [Localité 8] (33), exerce l'activité d'exploitation et de gestion de biens vitivinicoles.

La Scea des domaines [X] a notamment déposé à l'INPI et fait enregistrer :

- le 23 novembre 2001 : la marque française semi-figurative 'Château Haut [Localité 8]' désignant en classe 33 des vins d'appellation d'origine contrôlée provenant de l'exploitation exactement dénommée Haut-[Localité 8] (A20), enregistrée sous le n° 3133076.

- le 17 novembre 2009 : la marque française semi-figurative 'Château [Localité 8]' et désignant en classe 33 des vins bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée '[Localité 8]', enregistrée sous le n°3691836.

- le 13 décembre 2017 : la marque française semi-figurative en couleur 'Harmonie de Château [Localité 8]' et désignant en classe 33 des vins bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée '[Localité 8]', enregistrée sous le n°4412483.

Considérant que les dépôts et l'usage de ces marques en lien avec des vins, y compris bénéficiant de l'appellation '[Localité 8]', portent atteinte à l'appellation d'origine '[Localité 8]' laquelle ne peut faire l'objet d'une appropriation et sont donc frauduleux et trompeurs, l'INAO et le CIVB ont par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 octobre 2017, mis en demeure la Scea des domaines [X], principalement, de renoncer ou radier de l'INPI les marques Château Haut [Localité 8], Château [Localité 8] et Harmonie de Château [Localité 8] et de cesser l'utilisation des dénominations ' Château [Localité 8]' et 'Château Haut-[Localité 8]' pour les vins produits par cette société.

La Scea des domaines [X] n'ayant pas déféré à ces demandes, l'INAO et le CIVB ont, par acte d'huissier du 10 juillet 2018, fait assigner la Scea des domaines [X] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de nullité des marques Château Haut [Localité 8], Château [Localité 8] et Harmonie de Château [Localité 8] et subsidiairement, de déchéance.

Par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- rejeté la fin de non recevoir relative à la prescription de l'action diligentée par l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et le Conseil Interprofessionnel du Vin de [Localité 3] (CIVB) à l'encontre de la Scea des Domaines [X],

- dit n'y avoir lieu d'écarter les pièces n° 50, 51, 52 et 53 des demandeurs,

- prononcé la nullité des marques suivantes :

* la marque française semi-figurative 'Château Haut [Localité 8] ' désignant en classe 33 des Vins bénéficiant de l'appellation d'origine provenant de l'exploitation exactement dénommée 'Haut [Localité 8] ' enregistrée sous le numéro n°3133076,

* la marque française semi-figurative 'Château [Localité 8]' désignant en classe 33 des vins bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée '[Localité 8]' enregistrée sous le n°3691836,

* la marque française semi figurative en couleur 'Harmonie DE Château [Localité 8] 'désignant en classe 33 : les vins d'appellation d'origine contrôlée '[Localité 8]'enregistrée sous le n° 4412483,

- dit que la décision une fois définitive sera transmise à l'INPI pour inscription au Registre National des Marques,

- condamné la Scea des Domaines [X] à payer à l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) la somme de 1.000 € de dommages et intérêts,

- condamné la Scea des Domaines [X] à payer au Conseil Interprofessionnel du Vin de [Localité 3] (CIVB) la somme de 1.000 € de dommages et intérêts,

- fait interdiction à la Scea des Domaines [X] de réaliser tout acte d'usage des noms 'Château [Localité 8]' ou Château Haut [Localité 8]' ou 'Harmonie de Château [Localité 8]' quels que soient les éléments associés, notamment pour désigner des vins, de quelque manière que ce soit et à quelque titre que ce soit , dans un délai de 3 mois à compter de la signification du jugement et sous astreinte de 500 € par infraction constatée dans la limite de 500 € par jour pendant 3 ans,

- dit n'y avoir lieu que le tribunal se réserve le droit de liquider l'astreinte prononcée,

- ordonné à la Scea des Domaines [X] de procéder à la radiation des noms de domaine 'https://www.[06].com' et ' https//www.[05].com',

- ordonné la publication dans 2 publications au choix de l'INAO et du CIVB, et aux frais avancés des demandeurs dans la limite de 5.000 € HT pour les 2 publications du communiqué judiciaire suivant :

'Par jugement du 23 novembre 2021 le tribunal judiciaire de Bordeaux a prononcé la nullité des marques françaises semi figuratives 'Château Haut [Localité 8]', 'Château [Localité 8] ' et ' Harmonie de Château [Localité 8]' enregistrées à l'INPI par la Scea Domaines [X] et a notamment fait interdiction à celle-ci, sous astreinte de réaliser tout acte d'usage des noms 'Château [Localité 8]' ou Château Haut [Localité 8]' ou 'Harmonie de Château [Localité 8]' quels que soient les éléments associés, notamment pour désigner des vins, de quelque manière que ce soit et à quelque titre que ce soit, outre sa condamnation au paiement de dommages et intérêts au profit de l'INAO et du CIVB'.

- dit que les frais de cette publication seront supportés définitivement par la Scea des Domaines [X],

- débouté la Scea des Domaines [X] de ses demandes reconventionnelles et les parties de leurs plus amples et contraires demandes au fond,

- condamné la Scea des Domaines [X] à payer à l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et au Conseil interprofessionnel du vin de [Localité 3] (CIVB) la somme globale de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Scea des Domaines [X] aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la selarl Reynal-Perret, avocat au barreau de Bordeaux,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration électronique en date du 27 janvier 2022, la Scea des domaines [X] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

La Scea des domaines [X], par dernières conclusions en date du 5 juin 2024, demande à la cour de :

Réformer en son entier le jugement entrepris,

- déclarer la demande irrecevable comme prescrite,

- déclarer le CIVB irrecevable à agir faute de qualité et d'intérêt,

- déclarer la demande irrecevable du fait de l'estoppel et de l'exception de chose jugée découlant de la transaction,

- déclarer la demande de l'INAO et du CIVB sans objet du fait de l'inopposabilité à la Scea Domaine [X] de la transformation de l'AOC [Localité 8] en AOP,

À défaut,

- débouter purement et simplement l'INAO et le CIVB de leurs demandes du fait de l'existence de droits antérieurs,

Et de toutes les manières,

- ordonner l'affichage du dispositif de l'arrêt à intervenir pendant un an sur la page d'ouverture du site Internet de l'INAO et du CIVB,

- ordonner la publication d'extraits de l'arrêt à intervenir dans 5 publications de presse françaises et étrangères, aux frais de l'INAO et du CIVB, sans que le coût de chaque insertion dépasse les 5 000 euros.

- les condamner à régler solidairement à l'Appelante la somme de 200 000 euros pour abus de procédure,

- les condamner à régler solidairement à l'Appelante la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'art. 700 du code de procédure civile.

- les condamner aux entiers dépens en application de l'art. 699 du code de procédure civile.

L'INAO et le CIVB, par dernières conclusions en date du 29 mai 2024, demandent à la cour de :

Confirmer le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions à l'exception du quantum des dommages et intérêts prononcés contre la Scea au profit de l'INAO et du CIVB,

Infirmer le jugement sur le quantum des dommages et intérêts alloués à l'INAO et au CIVB,

Et statuant à nouveau sur ce point :

- condamner la Scea des domaines [X] à payer à l'INAO la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts et au CIVB la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- rejeter le surplus des demandes de la Scea des domaines [X], et notamment en procédure abusive, et les en débouter,

- à titre surabondant, prononcer la déchéance des marques françaises n°3691836, n°3133076 et 4412483.

- condamner la Scea Domaines [X] à payer aux intimés la somme globale de 40.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en appel ;

- condamner la Scea Domaines [X] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la selarl Cabinet Reynal-Perret, avocat au barreau de Bordeaux, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 2 juillet 2024.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 18 juin 2024.

En cours de délibéré la cour a sollicité, au visa des dispositions de l'article L 711-4 du code de la propriété intellectuelle, les observations des parties sur la possible confusion créée dans l'esprit du consommateur par le dépôt de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' avec les marques 'Harmonie de [Localité 8]' et 'Harmonie de Fonbadet', et notamment sur la question de l'antériorité de la marque 'Harmonie de [Localité 8]' qui apparaît avoir été déposée le même jour que la marque en litige, et de la marque 'Harmonie de Fonbadet' dont la date de dépôt est inconnue, éléments susceptibles d'avoir une incidence sur la demande en annulation de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]'.

Vu la note en délibéré du conseil de l'INAO et du CIVB en date du 13 septembre 2024,

Vu la note en délibéré de l'appelante du 20 septembre 2024 et récapitulative du 23 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Après avoir déclaré recevable comme n'étant pas prescrite l'action en nullité des marques 'Château Haut [Localité 8]', 'Château [Localité 8]' et 'Harmonie de Château [Localité 8]', le tribunal a fait droit à l'action en nullité des dites marques pour appropriation illicite d'une appelation d'origine et déceptivité, ayant écarté toute preuve du rattachement des crus au terroir.

L'appelante conteste la recevabilité de l'action en nullité comme étant prescrite et sur le fond critique la décision qui ne s'est référée qu'au cadastre pour écarter tout rattachement au terroir [Localité 8] ou Haut [Localité 8], nonobstant les éléments de preuve apportés.

Les intimés concluent à la confirmation et demandent à défaut de faire droit à leur action en déchéance pour usage trompeur des marques en non conformité avec les prescriptions du décret du 4 mai 2012 et de l'appellation 'Château'.

I - Sur la recevabilité de l'action en nullité de marques :

La Scea des domaines [X] conteste la décision entreprise qui a statué sur la recevabilité de l'action en nullité introduite par l'INAO et le CIVB remettant en cause le caractère imprescriptible de l'action en nullité et soulevant le défaut d'intérêt et de qualité à agir du CIVB, l'irrecevabilité de la demande du fait de l'estoppel et de l'exception de chose jugée, ainsi que du fait de l'absence d'objet des demandes dès lors que la transformation de l'AOC [Localité 8] en AOP ne lui est pas opposable.

* sur l'irrecevabilité de l'action en nullité tirée de la prescription :

Le jugement entrepris a déclaré l'action en nullité des marques 'Château Haut [Localité 8]', 'Château [Localité 8]' et 'Harmonie de Château [Localité 8]' recevable comme n'étant prescrite, en application des dispositions de l'article 124-1 de la loi Pacte n° 2019-486 du 22 mai 2019 ayant créé l'article L 714-3-1 du code de la propriété intellectuelle selon lequel l'action en nullité de marque est imprescriptible, dispositions applicables rétroactivement selon la deuxième phrase de l'article L 714-3-1 résultant des dispositions de l'article 124-III de la loi, sauf décision ayant autorité de chose jugée.

Pour ce faire, il a retenu que si l'ordonnance de transposition du 13 novembre 2019 qui a abrogé l'article L 714-1, créant l'article L 716-2-6 du code de la propriété intellectuelle reprenant le principe de l'imprescriptibilité des actions en nullité de marque, n'a pas codifié les dispositions transitoires de la loi (article 124- III) prévoyant leur rétroactivité, il ne les a pourtant pas abrogées. Il en a déduit qu'en l'absence de décision de justice ayant autorité de chose jugée, la présente action en nullité n'était pas prescrite comme étant imprescriptible.

L'appelante conteste cette décision faisant valoir au premier chef que si le tribunal a parfaitement analysé l'enchevêtrement du droit antérieur avec les dispositions de la loi Pacte, puis de l'ordonnance du 13 novembre 2019, il a cependant omis que, ni les dispositions de la loi Pacte du 22 mai 2019, ni celles de l'ordonnance du 13 novembre 2019, n'étaient en vigueur au jour de l'acte introductif d'instance du 10 juillet 2018 qui leur est antérieur, de sorte que ne peut s'appliquer à l'espèce que le droit positif alors applicable, c'est à dire la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du code civil.

Elle fait ainsi valoir, d'une part, que les dispositions de l'article L 124-III de la loi Pacte qui prévoyaient une rétroactivité de l'imprescriptibilité nouvelle consacrée à l'article L 714-3-1 du code de la propriété intellectuelle n'avaient vocation à s'appliquer qu'aux actions entreprises à compter de son entrée en vigueur, le 23 mai 2019, et que d'autre part, l'ordonnance de transposition du 13 novembre 2019 n'ayant pas repris la rétroactivité consacrée par la loi Pacte en son nouvel article L 716-2-6, alors même que les dispositions de l'article L 714-3-1 du code civil ont été abrogées par la même ordonnance, cette rétroactivité ne s'appliquait plus aux actions entreprises depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance, de sorte que l'application de la loi Pacte, en ce qu'elle prévoyait une rétroactivité était en tout état de cause strictement encadrée dans le temps, n'étant applicable qu'aux assignations délivrées entre le 23 mai 2019 et le 1er décembre 2019.

En toute hypothèse, elle observe que l'imprescriptibilité nouvelle ne saurait en aucun cas, à défaut de disposition en ce sens, faire obstacle aux dispositions de l'article 2222 du code civil pour s'appliquer aux prescriptions d'ores et déjà acquises au jour de son entrée en vigueur.

Elle conteste enfin l'application à l'espèce de la prescription trentenaire de l'article 2227 du code civil, l'action en nullité pour déceptivité étant une action personnelle et mobilière.

Les intimés demandent la confirmation du jugement qui a retenu que l'ordonnance de transposition du 13 novembre 2019, qui n'a pas recodifié les dispositions transitoires de l'article 124-III de la loi Pacte qui prévoyaient expressément la rétroactivité de l'imprescriptibilité nouvelle, ne les a cependant pas expressément abrogées, de sorte que la rétroactivité qui n'a pour limite qu'une décision définitive exclut l'application de l'article 2222 du code civil.

Ils insistent sur l'exposé des motifs du Sénateur à l'origine de ces dispositions selon lequel il s'agissait de faire disparaître à tout moment un titre occupant illégitimement un espace public, sans affecter toutefois les décisions ayant force de chose jugée, ne créant ainsi aucune rupture dans l'égalité des armes et qu'en tout état de cause, si l'imprescriptibilité devait ne aps s'appliquer à l'espèce, serait en tout état de cause applicable en matière de nullité de marque viticole domaniale attachée au fonds, non la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil mais celle, trentenaire, de l'article 2227, visant les actions réelles immobilières.

Le principe de l'intangibilité du droit implique que seule la loi en vigueur au moment de l'assignation s'applique au litige quand bien même une loi postérieure à celle-ci serait rétroactive, de sorte qu'en aucun cas la loi Pacte n° 2019-486 du 22 mai 2019, qui n'était pas en vigueur au jour de l'assignation du 10 juillet 2018, ne saurait être applicable au présent litige, s'appliquant au contraire le droit ancien, en vigueur à cette date.

Il sera encore rappelé que selon l'article 2 du code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir. Elle n'a pas d'effet rétroactif. Il en résulte que, la rétroactivité constituant une anomalie, seule une disposition expresse de la loi peut prévoir le caractère rétroactif d'une loi et qu'il ne peut être raisonné à la matière implicitement ou 'a contrario'.

En outre, selon l'article 2222 du code civil qui constitue le droit commun applicable sauf disposition expresse contraire : 'la loi qui allonge la durée de prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription d'ores et déjà acquise'.

Or, l'article 124 - I de la loi Pacte n° du 22 mai 2019 a créé l'article L 714-3-1 du code de la propriété intellectuelle selon lequel 'les actions en nullité de marque sont imprescriptibles' là où antérieurement le droit commun de la prescription était applicable, de sorte qu'il n'est pas contesté qu'une telle loi a allongé le délai de prescription.

Ces dispositions n'avaient dès lors pas vocation à s'appliquer a priori à une prescription d'ores et déjà acquise sous l'empire du droit ancien.

En effet, l'article 124-III de la loi pacte a été repris dans la deuxième phrase de l'article L 714-3-1 selon lequel 'L'imprescriptibilité s'applique aux titres en vigueur au jour de la publication de la loi. Elle est sans effet sur les décisions ayant force de chose jugée'.

Il s'en évince que la loi Pacte n'a pas expressément prévu que l'imprescriptibilité s'appliquerait de manière rétroactive à l'hypothèse d'une prescription d'ores et déjà acquise, ce qui, à supposer que l'on puisse raisonner de la sorte, ne se déduit pas de ce qu'elle a pour limite les décisions ayant autorité de chose jugée. En effet, il demeure toujours l'hypothèse où aucune décision de justice ne serait intervenue alors même que pourtant la prescription serait acquise sous l'empire du droit antérieur, de sorte qu'à défaut pour la loi d'avoir prévu expressément l'éviction des dispositions de l'article 2222 dans ce cas, la loi Pacte ne pouvait en aucun cas trouver application rétroactive dans l'hypothèse d'une prescription d'ores et déjà acquise, obligeant en conséquence la cour à s'assurer que la prescription n'était pas antérieurement acquise sous l'empire du droit ancien.

Et, même à supposer qu'une loi allongeant la durée de la prescription, en ce qu'elle a expressément prévu sa rétroactivité aux titres en vigueur au jour de sa publication, puisse s'appliquer à une assignation qui lui est antérieure et à une prescription d'ores et déjà acquise, le droit applicable à la présente espèce serait celui en vigueur à la date où le juge statue.

Or, qu'il s'agisse de la date à laquelle le tribunal a statué (23 novembre 2021)

ou celle à laquelle la cour statue, le droit en vigueur n'était plus alors celui résultant de la loi pacte mais de l'ordonnance de transposition de la même loi n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, entrée en vigueur le 11 décembre 2019.

En effet, il est constant que cette ordonnance a abrogé l'article L 714-3-1 du code de la propriété intellectuelle qui prévoyait l'imprescriptibilité, créant l'article L 716-2-6 qui a repris l'imprescriptibilité mais, si elle n'a certes pas expressément abrogé les dispositions de la loi Pacte prévoyant sa rétroactivité (article 124-III de la loi) , elle n'a cependant pas repris à cette occasion la deuxième partie de l'article L 714-3-1 prévoyant sa rétroactivité aux titres en vigueur au jour de sa publication sauf hypothèse d'une décision ayant autorité de chose jugée, de sorte qu'à défaut de disposition expresse en ce sens, si l'on admet que l'imprescriptibilité était applicable aux actions introduites avant l'entrée en vigueur de la loi Pacte, la rétroactivité n'était plus applicable à compter de l'entrée en vigueur au 11 décembre 2019 de l'ordonnance du 13 novembre 2019.

En définitive, ainsi que l'observe justement l'appelante, la loi Pacte ayant prévu la rétroactivité de l'imprescriptibilité de l'action en nullité de marque n'a vocation à s'appliquer qu'aux actions introduites entre la publication de la loi Pacte le 23 mai 2019 et celle de l'ordonnance du 13 novembre 2019, le 11 décembre 2019, n'étant en conséquence pas applicable au présent litige.

Dès lors, dans tous les cas, il convient de statuer sur la recevabilité de l'action au regard de la prescription par application du droit antérieur à l'entrée en vigueur de la loi Pacte.

La jurisprudence antérieure, dans le silence de la loi, appliquait aux actions en nullité de marque la prescription quinquennale des actions personnelles ou mobilières de droit commun, prévues par l'article 2224 du code civil, dans sa version résultant de la loi portant réforme de la prescription du 17 juin 2008, selon lequel ces actions 'se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'agir', du moins à compter de son entrée en vigueur le 19 juin 2008.

Les intimés soutiennent que la prescription de l'article 2224 du code civil ne serait toutefois pas applicable en matière de nullité d'une marque domaniale laquelle serait soumise à la prescription de l'article 2227 du code civil dès lors que le litige oppose un actif immobilier, la marque étant attachée au fonds et que l'action en nullité d'une telle marque tend en réalité à éradiquer un droit réel et contester l'appropriation d'une AOP.

Cependant, s'il est constant que la marque domaniale est attachée au domaine viticole dont elle constitue un élément indétachable qui ne peut être transmis indépendamment de la propriété de la terre, il s'agit d'un élément incorporel du fond qui n'en conserve pas moins sa fonction de marque de sorte que l'action en nullité qui la remet en cause ne constitue pas pour autant une action réelle immobilière qui partant serait soumise à la prescription trentenaire de l'article 2227 du code civil, quand bien même le litige tendrait à la défense d'une AOP. C'est donc la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil qui s'est appliquée à compter du 19 juin 2008 à l'action en nullité d'une marque qui constitue une action mobilière ou personnelle, même s'agissant de poursuivre la nullité d'une marque domaniale.

Selon l'article 2224 du code civil, d'application immédiate aux prescriptions non encore acquises à la date de son entrée en vigueur le 19 juin 2008, 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer', imposant dès lors de déterminer, pour faire courir la prescription, la connaissance par le demandeur du dépôt de la marque.

Il faut préciser que l'application immédiate de la réforme de la prescription(dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008) n'a porté que sur le nouveau délai plus court de prescription, immédiatement applicable aux prescriptions en cours non encore acquises au jour de son entrée en vigueur le 19 juin 2008, sans augmenter le délai initial, mais en aucun cas sur le point de départ de la prescription qui est demeuré soumis au droit antérieur pour les prescriptions ayant commencé en courir avant le 19 juin 2008.

Cependant, les parties étant taisantes sur ce point, même à appliquer la définition du point de départ de la prescription résultant de la loi nouvelle, plus favorable aux intimés, il apparaît que l'action en nullité de la marque 'Château Haut-[Localité 8]' qui a commencé à courir antérieurement au 19 juin 2008 et dont le nouveau délai quinquennal s'est appliqué immédiatement, était prescrite au jour de l'assignation du 10 juillet 2018.

En effet, s'agissant de la connaissance des faits lui permettant d'agir, l'INAO insiste lui- même dans un courrier du 9 février 2010 adressé à la Scea, qui concernait certes le dépôt de la marque 'Château [Localité 8]', que dans le cadre de ses missions dont il a été rappelé qu'elles portent sur les signes d'identification de la qualité et de l'origine en France, 'il exerce une veille des marques déposées à l'INPI'.

Il connaissait en conséquence ou aurait dû connaître à compter de la publication de la marque 'Château Haut [Localité 8]' au BOPI, le 28 décembre 2001, les faits lui permettant d'agir, en sorte que son action en nullité de la dite marque exercée le 10 juillet 2018 est prescrite.

Quant à son action en nullité de la marque 'Château [Localité 8]', l'INAO s'était ému, par courrier du 9 février 2010, auprès de Mme [X], du dépôt de la marque 'Château [Localité 8]' portant atteinte à l'AOP éponyme (ses conclusions page 10).

C'est dès lors à bon droit que l'appelante observe que l'INAO connaissait en conséquence à cette date les faits lui permettant d'agir en nullité pour déceptivité et non respect des exigences tenant à la marque domaniale (emploi du mot 'Château') ou pour appropriation illicite d'une AOP, peu important en effet que, sur ces fondements, la Scea n'ait le cas échéant fait usage de celle-ci qu'à compter de 2015, ce qui ne fait pas l'objet d'une demande expresse en nullité ou en déchéance de la part des intimés. Dès lors, l'INAO se devait d'agir au plus tard le 9 février 2015 en sorte que l'action entreprise le 10 juillet 2018 en nullité de la marque 'Château [Localité 8]' est prescrite.

Quant au CIVB, le jugement dont appel relevait, et l'appelante avec lui, sans être utilement contredit sur ce point, qu'il tirait de ses attributions notamment le contrôle du fichier 'Châteaux' de la fédération des grands vins de France, de sorte qu'il lui appartenait de mettre en place les procédures d'alerte idoines pour l'exercice de ses attributions et qu'il a en conséquence connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'agir à compter de la publication des marques en litige au BOPI, le 28 décembre 2001, pour la marque 'Château Haut [Localité 8]' et, le 24 décembre 2009, pour la marque 'Château [Localité 8] ', de sorte que son action en nullité entreprise le 10 juillet 2018 est prescrite concernant ces deux marques.

Le jugement qui a déclaré recevable l'action en nullité de ces deux marques est en conséquence infirmé.

Au contraire, l'action en nullité de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' déposée le 13 décembre 2017 n'est, eu égard à la date de l'assignation, en aucun cas prescrite, que l'on lui applique le droit antérieur au 23 mai 2019, le droit issu de la loi Pacte ou celui issu de l'ordonnance du 13 novembre 2019.

Le jugement entrepris qui a déclaré recevable comme n'étant pas prescrite l'action en nullité de cette marque est confirmé, obligeant la cour à statuer, avant le bien fondé de l'action en nullité de cette marque, sur les autres fins de non recevoir soulevées par l'appelante.

* Sur l'irrecevabilité de l'action en nullité de la marque viticole 'Harmonie de Château [Localité 8]' tirée du défaut d'intérêt à agir du CIVB :

Il sera liminairement rappelé que les différentes fins de non recevoir soulevées en cause d'appel devant la cour sont bien comme telles recevables et de la compétence de la cour statuant au fond dès lors que, si elles étaient accueillies, elles remettraient en cause ce qu'ont jugé les premiers juges.

L'appelante indique dans ses écritures s'interroger sur l'intérêt à agir du CIVB mais également de l'INAO, alors qu'au dispositif elle ne reprend que le défaut d'intérêt et de qualité à agir du CIVB, ne saisissant en conséquence la cour que de ce dernier chef, mettant en avant l'acquiescement à l'emploi des vocables en litige, puis développe la question de l'acquiescement en deux points tirés de l'estoppel et de l'autorité de chose jugée, qui font l'objet dans ses conclusions d'une demande d'irrecevabilité distincte.

Il convient préalablement de s'interroger sur la qualité à agir du CIVB.

L'appelante soutient que seul un organisme de défense de gestion (ODG) aurait qualité à agir pour la défense d'une appellation d'origine protégée (AOP) à l'exclusion du conseil interprofessionnel des vins de [Localité 3].

Cependant, le conseil interprofessionnel des vins de [Localité 3] dont la mission est de développer en France et à l'internationale par tous moyens appropriés, la réputation et la demande des vins de [Localité 3] à appellation contrôlée et dont il n'est pas contesté qu'il exerce pour ce faire un contrôle sur le fichier 'Châteaux' du ressort de la fédération des grands vins de [Localité 3], a qualité à agir en nullité d'une marque domaniale, relevant de ce fichier.

Le fait que l'ODG de [Localité 8], initialement consultée, ait le cas échéant réglé la facture d'avocat du CIVB, est en soi sans emport sur la qualité à agir du CIVB.

L'appelante apparaît par ailleurs tirer le défaut d'intérêt à agir du CIVB de l'acquiescement.

Elle fait ainsi valoir qu'il résulte de différents écrits émanant du syndicat viticole de [Localité 8], de l'INAO ou de la DREETS que lorsque son auteur, M. [B] [X], a acquis les parcelles constituant le Château [Localité 8] et le Château Haut-[Localité 8], il a reçu leur accord pour faire usage de cette dénomination, l'INAO ayant reconnu explicitement l'antériorité certaine du droit au nom Château [Localité 8] et Château Haut-[Localité 8] par rapport à l'AOC [Localité 8].

Or, elle ne cite aucun écrit qui émanerait du CIVB pour lui contester intérêt à agir.

L'exception d'irrecevabilité de l'action du CIVB pour défaut d'intérêt et de qualité à agir est en conséquence écartée par ajout au jugement entrepris.

* Sur l'irrecevabilité de l'action en nullité de la marque viticole 'Harmonie de Château [Localité 8]' du fait de l'estoppel:

L'appelante soulève également l'irrecevabilité de l'action de l'INAO et du CIVB du fait de l'estoppel en raison d'une attitude contradictoire notamment avec ce même courrier de l'INAO de 1999.

Cependant, d'une part ces courriers ne concernent que l'INAO et d'autre part, les intimés font valoir à bon droit que l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui n'est opposable aux parties qu'en cas de contradiction au cours d'une même instance.

Dès lors, l'estoppel ne saurait être retenue en raison d'un courrier de l'INAO du 18 janvier 1999, bien antérieur à la présente instance.

L'irrecevabilité de la demande sur ce fondement est également rejetée par ajout au jugement entrepris.

* Sur l'irrecevabilité de l'action en nullité de la marque viticole 'Harmonie de Château [Localité 8]' en raison de l'autorité de chose jugée attachée à la transaction:

L'appelante fait encore valoir qu'il doit être vu dans les courriers du Syndicat Viticole de [Localité 8] du 21 avril 1972 et du 18 janvier 1999 une transaction qui partant, en application de l'article 2052 du code civil, interdit toute nouvelle action en justice entre les parties ayant le même objet.

Cependant, les appelants conviennent qu'une transaction qui constitue un contrat suppose nécessairement l'existence de concessions réciproques entre les parties, même quand elle intervient en vue d'éviter un conflit à naître.

Or, l'on peine à distinguer dans les dits courriers, comme dans les conclusions de l'appelante, ce que seraient ces concessions réciproques qui en feraient une transaction définitivement opposable, de sorte que l'appelante ne saurait prospérer en sa demande d'irrecevabilité sur ce fondement, qui sera rejetée par ajout au jugement entrepris.

II - Sur le bien fondé de l'action en nullité de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8] :

L'appelante conclut de manière générale à la réformation du jugement en ce qu'il a fait droit à l'action en nullité des trois marques pour déceptivité et appropriation illicite d'une appellation d'origine faisant valoir, d'une part l'irrégularité de l'AOP [Localité 8] de sorte que la présente action serait dépourvue d'objet et d'autre part, une antériorité de droits remontant au XIX siècle l'autorisant à utiliser le nom de son AOP alors que le vin en litige est incontestablement un [Localité 8].

Les intimés contestent toute caducité de l'AOP [Localité 8], poursuivant la nullité de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' pour les mêmes motifs que ceux mis en avant à l'appui de son action en nullité de la marque 'Château [Localité 8]' et en raison de la confusion créé par les signes avec ceux des marques commerciales 'l'Harmonie de [7]' et

'Harmonie de [Localité 8]'.

* Sur l'irrégularité de l'AOP [Localité 8] :

En défense à l'action en nullité de sa marque vitivinicole, la scea appelante fait valoir devant la cour que l'AOP [Localité 8] ne saurait exister dès lors que, conformément aux dispositions de l'article L 641-10 du code rural, et ainsi que le rappelait la directrice de l'INAO au syndicat viticole de [Localité 8] par courrier du 1er juillet 2009, sa reconnaissance en qualité d'ODG (organisme de défense et de gestion) intervenant pour la défense et la gestion de l'AOP [Localité 8] nécessitait que ses statuts soient approuvés en AGE et déposés en Préfecture ou en mairie, au plus tard avant le 15 octobre 2019 et, contestant que les pièces versées aux débats par les intimés puissent constituer la preuve de l'accomplissement de ces formalités, elle en déduit que l'ODG est devenue caduque à la date du 15 octobre 2019 et que dès lors la l'AOP [Localité 8] n'était plus sujet à protection.

Elle fait ainsi valoir que les documents déposés en mairie ne correspondent pas à une modification des statuts d'un syndicat existant approuvée en AGE comme l'exigeait l'INAO dans son courrier mais à la constitution d'un nouveau syndicat dont il n'est pas justifié que les statuts aient été approuvés en assemblée générale extraordinaire et qu'ils ont été déposés non par le syndicat viticole de [Localité 8] mais par le syndicat agricole et viticole de [Localité 8] qui n'est pas domicilié au même siège, en sorte qu'il n'est pas établi que les formalités nécessaires à la constitution de l'ODG et à la reconnaissance de l'AOP aient été établies.

Il est constant que selon l'article L 641-10 code rural cité par l'appelante, doivent solliciter le bénéfice d'une appellation d'origine protégée les produits agricoles ou alimentaires entrant dans le champ d'application du règlement (UE) n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires ainsi que les produits vitivinicoles entrant dans le champ d'application du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil auxquels une appellation d'origine contrôlée a été reconnue.

Si le produit ne satisfait pas aux conditions posées par les règlements mentionnés à l'alinéa précédent et se voit refuser ou annuler le bénéfice de l'appellation d'origine protégée, il perd celui de l'appellation d'origine contrôlée qui lui a été reconnue.

Cependant, les intimés observent à bon droit que, conformément au courrier de l'INAO, il n'est pas contesté qu'un décret portant reconnaissance de l'AOP [Localité 8] est intervenu le 18 septembre 2019, en conformité avec ces dispositions et dans le délai qui était imparti au syndicat viticole de [Localité 8] par l'INAO pour déposer en mairie ou en préfecture la modification de ses statuts approuvés par une assemblée générale extraordinaire, lui permettant de prétendre à la qualité d'ODG.

Or, la question de savoir si le syndicat viticole de [Localité 8] peut prétendre à la nouvelle qualité d'ODG (organisme de défense et de gestion) est sans conséquence sur celle de la reconnaissance de l'AOP [Localité 8], ainsi que soulevée en défense par l'appelante pour prétendre que l'action en nullité serait en quelque sorte devenue sans objet.

La disparition de l'AOP [Localité 8], à compter du 15 octobre 2009, n'étant non seulement pas établie, mais contredite par les pièces versées aux débats, les intimés ne sauraient en conséquence être déboutés de leur action en nullité de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' sur ce fondement.

* Sur le bien fondé de l'action en nullité :

L'action en nullité engagée par le CIVB et l'INAO est une action en nullité de marque pour appropriation illicite d'une AOP en contrariété avec l'ordre public et en déceptivité dès lors qu'il ne serait pas justifié d'un lien entre la marque et l'exploitation actuelle ou ayant existé de très longue date mais également pour contrariété des marques en litige à l'article 7 du décret du 4 mai 2012 qui réglemente la mention 'Château' qu'il réserve 'aux vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée lorsque les vins sont issus de raisins récoltés sur les parcelles d'une exploitation ainsi dénommée et vinifiés dans cette exploitation'.

Il s'y ajoute le caractère insuffisamment distinctif de la marque ne permettant plus de la distinguer des marques déjà déposées par l'exploitant, pour certaines purement commerciales comme 'l'harmonie de [7]' ou 'Harmonie de [Localité 8]'.

Le tribunal a fait droit à la demande en nullité de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' comme constituant par ajout d'éléments non distinctifs l'appropriation illicite contraire à l'ordre public et déceptive d'une appellation d'origine '[Localité 8]' de nature à induire en erreur le consommateur sur l'origine des vins en les rattachant à l'ancien Château du même nom, le signe Harmonie étant lui même déjà utilisé avec le second vin du Château [7] également exploité par l'appelante générant une confusion entre ces deux vins de la marque. Il s'y ajoute s'agissant de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' un risque de confusion avec les vins enregistrés sous la marque domaniale '[7]', 'l'Harmonie de [7]' et un d'autre vin, 'Harmonie de [Localité 8]'.

Cependant pour ce faire, il avait préalablement écarté, au regard des éléments de la cause, l'existence d'une marque domaniale à défaut pour la scea de faire la démonstration du rattachement de son cru au terroir et nécessairement retenu que le dépôt de la marque 'Château [Localité 8]' constituait l'appropriation illicite d'une AOP.

Or, dès lors que ne peut plus être remise en cause la titularité des droits de l'appelante sur la marque domaniale vitivinicole 'Château [Localité 8]', ni en conséquence le rattachement du cru au terroir et en conséquence le droit à l'emploi du mot 'Château', du fait de la prescription de l'action en nullité des intimés concernant ces deux marques domaniales, l'action en nullité qui ne concerne plus que la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' ne pose plus à la cour que la question de la validité d'une telle marque pour désigner le second cru d'un domaine viticole.

Il est admis la possibilité pour un viticulteur exploitant une marque domaniale de commercialiser un second cru pourvu que la marque soit suffisamment distinctive pour réaliser l'information du consommateur de ce que le vin qu'il achète ne constitue pas le premier cru du domaine, information que réalise ici suffisamment l'adjonction du mot 'Harmonie' à la marque domaniale 'Château [Localité 8]' dont il est suffisamment distinctif, garantissant au consommateur le rattachement du second vin au terroir, sans toutefois constituer une marque commerciale, laquelle s'applique à un vin second qui ne serait plus rattaché au terroir, la marque abandonnant alors toute référence à la domanialité (Château, Clos etc..), pour constituer non un second cru mais une seconde marque.

Au regard de ce qui précède, la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]', ne saurait être en conséquence annulée pour appropriation frauduleuse d'une AOP, ni pour déceptivité, ni pour contravention à l'article 7 du décret du 4 mai 2012.

En revanche, les intimés invoquent, ainsi que l'a retenu le tribunal, le caractère trompeur de la marque en litige et le risque de confusion pour le consommateur avec le second vin 'L'Harmonie de [7]' ou 'Harmonie de [Localité 8]', la marque n'étant pas suffisamment distinctive.

Dans sa note en délibéré l'appelante insiste sur le fait que la marque 'Harmonie de château [Localité 8]' a fait l'objet d'un retrait total du registre de l'INPI le 14 mars 2018 mais cette radiation ne porte que sur la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' déposée le 3 août 2017 sous le numéro '4380995", alors que le présent litige initié par l'INAO et le CIVB tend à l'annulation de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' déposée le 13 décembre 2017 sous le numéro '4412483" est qui est encore à ce jour active.

De même, l'appelante insiste sur le retrait total du registre de l'INPI de la marque 'Harmonie de [Localité 8]', mais ce retrait correspond à la marque déposée le 4 août 2017 sous le numéro '4381384" alors que l'INAO et le CIVB invoquent une marque 'Harmonie de [Localité 8]' qui a été déposée le 15 décembre 2017 sous le numéro '4413467" en classe 33 désignant des vins bénéficiant de l'appellation d'origine protégée '[Localité 8]' et qui elle est toujours active.

C'est dès lors à bon droit que le tribunal a retenu que le terme 'Harmonie' était déjà utilisé en association avec la seconde marque provenant d'une autre exploitation, celle du Château de [7], 'L'Harmonie de [7]' déposée antérieurement, le 23 novembre 2001, mais également avec la marque [Localité 8] 'Harmonie de [Localité 8]' déposée deux jours après la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]', le 15 décembre2017, pour désigner en classe 33 des vins bénéficiant de l'appelation d'origine [Localité 8].

Or, si la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' permet de distinguer le second cru du premier, l'emploi du mot Harmonie en association avec 'Château [Localité 8]', n'est pas suffisamment distinctif pour éviter tout risque de confusion dans l'esprit du consommateur normalement avisé et attentif avec une seconde marque ou second vin 'L'Harmonie de [7]' d'un second domaine 'Château de [7]', antérieure au dépôt la marque en litige, mais également avec le second vin 'Harmonie de [Localité 8]' bénéficiant de l'AOP, dont la marque avait été déposée antérieurement le 4 août 2017 avant d'être retirée le 3 avril 2018, soit postérieurement au dépôt de la marque litigieuse 'Harmonie de Château [Localité 8]' le 13 décembre 2017, de sorte que celle-ci, au jour de son dépôt était également de nature à créer la confusion avec ce second vin, dont la marque était purement commerciale et si cette marque a été finalement retirée postérieurement, le 3 avril 2018, la scea Domaines [X] n'en n'a pas moins déposé à nouveau, le 15 décembre 2017, soit deux jours après le dépôt de la marque litigieuse, la marque semi figurative 'Harmonie de [Localité 8]'.

La marque seconde (par rapport à l'Harmonie de [7]) ou quasi-concomitante (par rapport à la seconde marque Harmonie de [Localité 8]), 'Harmonie de Château [Localité 8]', attachée au second cru du domaine 'Château [Localité 8]' encourt en conséquence la nullité pour absence de distinctivité engendrant un risque de confusion avec les marques 'L'Harmonie de [7]' et 'Harmonie de [Localité 8]' qui sont des marques purement commerciales, n'étant pas rattachées à un château.

Le jugement qui a fait droit à la demande d'annulation de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' et statué sur les mesures d'interdiction et de publication y afférentes est en conséquence confirmé.

III - Sur l'action en déchéance d'une marque domaniale devenue trompeuse :

Les intimés sont peu précis sur la qualification des actions qu'ils intentent (déchéance ou nullité) semblant rattacher une demande de déchéance de marque à un usage de celle-ci contraire aux dispositions du décret du 4 mai 2012 et à un usage devenu trompeur de la marque domaniale laissant croire à un rattachement des marques 'Château Haut [Localité 8]' et 'Château [Localité 8]' avec une exploitation homonyme AOP et les prétendues anciennes exploitations mentionnées dans les guides Féret du 19 ème siècle.

L'action en déchéance, contrairement à l'action en nullité qui remet en cause la validité de la marque au moment de son dépôt, tend à sanctionner un usage qui deviendrait non conforme à un dépôt initialement valide, la marque ayant perdu par son usage ses qualités de marque et ici de marque domaniale, c'est à dire rattachée à un 'château'.

Or, la cour a déclaré prescrite l'action en nullité des deux marques domaniales pour appropriation frauduleuse d'une AOP, pour emploi non conforme du terme 'château' et déceptivité et rappelé qu'en conséquence ne pouvait plus être remise en cause la domanialité de la marque c'est à dire son rattachement au terroir '[Localité 8]' et l'emploi du mot 'château'.

Dès lors, il ne saurait être fait droit à une action en déchéance de la marque pour usage devenu trompeur remettant ici en cause son rattachement au terroir '[Localité 8]' et 'Haut [Localité 8]', qui ne diffère pas de l'action en nullité dont la prescription a été retenue, sans que soit produit aucun élément de nature à caractériser un usage différent de la marque par rapport à son dépôt.

Il ne saurait de même être fait droit à une action en déchéance de marque pour usage non conforme de marques domaniales au décret du 4 mai 2012 qui en son article 7 réserve l'usage du signe 'Château' aux vins bénéficiant d'une appellation d'origine issus de raisins récoltés sur les parcelles d'une exploitation ainsi dénommée et vinifiés dans cette exploitation et, en son article 6, impose des bâtiments et équipements particuliers, l'exploitation bénéficiant d'une cuverie particulière et individualisée ou identifiée au sein d'une cave coopérative dont elle fait partie, sans que soit établi que les conditions d'usage de cette marque, au regard de ces prescriptions, auraient évolué.

De même, ne saurait être accueillie une action en déchéance de marque domaniale pour un usage de la marque se heurtant désormais à la commercialisation par l'exploitant d'un autre vin déjà enregistré sous un nom de château (château [7]) et sans respecter l'obligation de conditionnement de ses vins de manière différenciée, sans que soit rapporteée la preuve que les conditions d'usage de la marque après son dépôt ne seraient plus conformes.

Il appartient à l'INAO et au CIVB qui agissent subsidiairement sur ce fondement de rapporter la preuve que les marques en litige encourraient la déchéance pour usage non conforme aux prescriptions afférentes aux marques domaniales.

Les intimés croient pouvoir tirer de la pièce n° 41 de la scea des Domaines [X], à savoir sa déclaration de conditionnement d'un lot n° 1 dont la quantité serait équivalente à la quantité totale visée dans sa déclaration de récolte, qu'en réalité le conditionnement des vins 'Château [Localité 8]' ne diffère pas du conditionnement de ceux issus de l'exploitation 'Château [7]', déjà commercialisés, dès lors qu'il n'apparaît pas qu'ait été déclaré un conditionnement par lots distincts. Ils soutiennent ainsi que de 2013 à 2016, les exigences de conditionnement séparé entre les deux crus n'étant plus respectées, la scea a encouru la déchéance de ses trois marques.

Cependant, c'est à bon droit que la scea objecte qu'elle a fait l'objet d'un contrôle de la DIRRECTE Nouvelle Aquitaine entre 2016 et 2018, soit postérieurement aux périodes litigieuses, sur saisine de l'INAO, qui n'a constaté aucune anomalie dans l'utilisation du terme 'Château' dans les marque 'Château [Localité 8] ' et 'Château Haut-[Localité 8]' (ses pièces n° 13).

Il en ressort que les conditions d'usage d'une marque domaniale ont été contrôlées, qu'il s'agisse du conditionnement des vins mais également de leur vinification et de la cohabitation de deux domaines au sein d'une même exploitation, lesquelles n'ont pas appelé d'observations de la part de l'organe de contrôle des appellations domaniales, de sorte qu'en l'état des pièces produites, l'action en déchéance visant de manière générale une utilisation devenue trompeuse d'une marque domaniale (château) ne saurait prospérer.

IV - Sur la demande de dommages et intérêts des intimés :

Le tribunal a alloué à l'INAO et au CIVB une somme de 1 000 euros à chacun pour l'indemnisation de l'appropriation frauduleuse d'une AOP portant atteinte à la politique de valorisation des signes de qualité et d'origine que promeut l'INAO et à la réputation des vins de Bordeaux que le CIVB a vocation à développer.

L'appelante ne conclut à la réformation de ce chef que par voie de conséquence

de sa contestation quant à la recevabilité et au bien fondé de l'action.

L'INAO et le CIVB forment appel incident estimant l'indemnisation insuffisante au regard du principe de l'indemnisation selon l'atteinte causée résultant de l'article L 722-6 du code de la propriété intellectuelle, pour solliciter l'octroi d'une somme de 20 000 euros de dommages et intérêts à l'INAO et de 15 000 euros au CIVB.

La demande indemnitaire des intimés est ici formulée de manière forfaitaire.

Seule la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' est finalement annulée comme susceptible d'engendrer un risque de confusion avec le second vin de la marque seconde et avec un autre vin, sans qu'ait été retenue la notion d'appropriation frauduleuse d'une AOP ou de déceptivité, voire d'usage illicite du mot 'Château', de sorte que le tribunal a fait une juste application à l'espèce des dispositions de l'article L 722-6 du code de la propriété intellectuelle et des éléments de la cause en allouant aux intimés, chacun, en réparation d'une atteinte morale aux intérêts dont ils assurent la défense, une somme de 1 000 euros de dommages et intérêts, ce en quoi le jugement entrepris est confirmée.

V - Sur la demande de dommage et intérêts de l'appelante pour procédure abusive :

Au vu de l'issue du présent litige dans lequel chacun prospère et succombe à la fois, sans que transparaisse une intention de nuire ou une légèreté blâmable, aucun abus du droit d'agir en justice ne saurait être reproché à l'INAO ou au CIVB de sorte que le jugement qui a débouté la scea des domaines [X] de sa demandede dommages et intérêts pour procédure abusive est confirmé.

Enfin, pour les mêmes motifs, chacun supportera la charge de ses propres dépens d'appel, les parties étant respectivement déboutées de leurs demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Infirme partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable comme non prescrite l'action en nullité des marques 'Château Haut-[Localité 8]' et 'Château [Localité 8]'.

Statuant à nouveau de ces chefs :

Déclare irrecevable comme prescrite l'action en nullité des marques 'Château Haut-[Localité 8]' et 'Château [Localité 8]'.

Rejette l'exception d'irrecevabilité de l'action du CIVB pour défaut d'intérêt et de qualité à agir en nullité de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]'

Rejette l'exception d'irrecevabilité de l'action en nullité de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' du CIVB et de l'INAO tirée de l'Estoppel.

Rejette l'exception d'irrecevabilité de l'action en nullité de la marque 'Harmonie de Château [Localité 8]' du CIVB et de l'INAO en raison de l'autorité de chose jugée attachée à la transaction,

Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions non contraires au présent arrêt et y ajoutant :

Rejette la demande de l'INAO et du CIVB en déchéance de marque domaniale.

Rejette les demandes respectives des parties sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dit que les parties conservent la charge des dépens par elles exposés à l'occasion du présent recours.