Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-3, 20 mai 2021, n° 20/10358

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Axa France Iard (SA)

Défendeur :

Beraha (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fremont

Conseillers :

Mme Mars, Mme Tanguy

Avocats :

Me Cherfils, Me Ormen, Me Tertian

T. com. Marseille, du 15 oct. 2020, n° 2…

15 octobre 2020

***

La SARL Beraha exploitant un fonds de commerce de restaurant à l'enseigne L'Entrecôte du Port à Marseille a souscrit le 7 février 2014 auprès de la société d'assurance AXA représentée par son agent général Swtaon Recoing Boilletot, un contrat multirisque professionnelle nº1929382504 régi par les Conditions Générales nº 690200K, incluant une garantie « protection financière ».

Suite à l'arrêté publié au Journal Officiel sous le nº0064 le 15 mars 2020 portant « diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus COVID-19 », édictant notamment l'interdiction pour les restaurants et débits de boissons d'accueillir du public du 15 mars 2020 jusqu'au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret nº 2020-423 du 14 avril 2020, la société Beraha a effectué une déclaration de sinistre auprès de la société AXA le 21 août 2020.

Par courrier du 26 août 2020, la société AXA a refusé de garantir le sinistre invoquant le fait que l'extension pertes d'exploitation suite à fermeture administrative ne pouvait pas s'appliquer en raison d'une clause d'exclusion figurant dans le contrat.

La SARL Beraha a ensuite effectué une seconde déclaration de sinistre le 28 septembre 2020 suite une nouvelle fermeture administrative ordonnée du 28 septembre au 4 octobre 2020 à Marseille par Monsieur le Préfet des Bouches du Rhône par arrêté nº 0180 du 27 septembre 2020.

Une troisième déclaration de sinistre a été effectuée le 9 novembre 2020 faisant suite à la nouvelle fermeture administrative ordonnée par décret nº2020-1310 du 29 octobre 2020 à compter du 30 octobre 2020.

Par acte du 17 septembre 2020, sur autorisation d'assigner à jour fixe donnée par le Président du Tribunal de commerce de Marseille par ordonnance du 8 septembre 2020, la SARL Beraha a fait assigner la SA Axa France IARD devant le Tribunal de commerce de Marseille aux fins de voir indemniser ses pertes d'exploitation.

Par jugement en date du 15 octobre 2020 le Tribunal de commerce de Marseille a :

Vu les articles 114,117 et suivants du Code de Procédure Civile,

Déclaré valable l'assignation délivrée le 9 septembre 2020 à la requête de la Société Beraha ;

Vu les articles L. 113-1 du Code des assurances et 1162 du Code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016,

Déclaré réputée non écrite, la clause d'exclusion de garantie dont se prévaut la Société Axa France IARD telle que ci-dessous reproduite :

« SONT EXCLUES LES PERTES D'EXPLOITATION. LORSQUE, A LA DATE DE LA DECISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L'OBJET, SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ETABLISSEMENT ASSURE, D'UNE MESURE DE POUR UNE CAUSE IDENTIQUE »

Condamné la Société Axa France LARD S.A. à payer à la Société BERAHA S.A.R.L. la somme de 92 818€ à titre de provision, au titre des pertes d'exploitation qu'elle a subies lors de la fermeture de son établissement du 15 au 2 juin 2020 et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 21 août 2020, date de la mise en demeure ;

Condamné la Société Axa France IARD à mettre en oeuvre la procédure d'expertise prévue au contrat dans les deux mois de la signification du présent jugement et passé ce délai, sous astreinte provisoire de 500 € par jour de retard pendant un mois ;

Vu les dispositions de l'article 444 du Code de Procédure Civile,

Ordonné la réouverture des débats et renvoyé l'affaire à la plus prochaine audience utile, afin qu'à l'issue de la procédure d'expertise prévue au contrat les parties s'expliquent contradictoirement sur le montant définitif de l'indemnité due à la Société BERAHA au titre des pertes d'exploitation qu'elle a subies lors de la fermeture de son établissement du 15 mars au 2 juin 2020 ;

Seul l'enrôlement emportant saisine du tribunal,

Laissé à la charge de la Société BERAHA S.A.R.L. le paiement des frais de remise au rôle de la présente affaire ;

Dit que le défaut de remise au rôle emporte absence de saisine de notre juridiction ;

Condamné la Société Axa France IARD SA à payer à la Société BERAHA S.A.R.L. la somme de 3.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de Procédure Civile,

Condamné la Société Axa France IARD S.A. aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de procédure Civile, étant précisé que les droits taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 74,18 € TTC ;

Conformément aux dispositions de l'article 514 et suivants du Code de Procédure Civile, dit que le présent jugement est de plein droit, exécutoire à titre provisoire ;

Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.

La SA Axa France IARD a relevé appel de ce jugement le 27 octobre 2020.

Dans ses dernières conclusions en date du 9 mars 2021, la SA Axa France IARD demande à la cour de :

Vu les articles 117 et suivants du Code de procédure civile,

Vu les anciens articles 1134 et 1162, et 1170 et 1192 du Code civil,

Vu les articles L.112-2 et L.113-1 du Code des assurances,

Vu le jugement dont appel,

Il est demandé à la Cour de :

- Juger que le mandat de gérer et indemniser les sinistres confié par Axa France IARD à ses agents généraux n'implique pas celui de la représenter en justice et que ce défaut de pouvoir constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l'assignation délivrée entre les mains de l'agent général ;

- Prononcer la nullité de l'assignation ;

En conséquence :

- Annuler le jugement du 15 octobre 2020 du Tribunal de commerce de Marseille et en tous les cas l'infirmer en toutes ses dispositions critiquées ;

A Titre subsidiaire

- Juger que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce ;

- Juger que la clause d'exclusion respecte le caractère formel exigé par l'article L. 113-1 du Code des assurances et qu'elle n'est pas douteuse ;

- Juger que la clause d'exclusion ne pouvait pas être interprétée en faveur de la société Beraha ;

- Juger que la clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance, qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle d'Axa France IARD de sa substance, qu'elle n'est pas abusive et qu'elle ne rend pas la garantie dérisoire ;

- Juger que la mobilisation de la garantie pour répondre à une mesure générale de police administrative entraînant une fermeture « collective » d'établissements serait contraire avec le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques ;

En conséquence :

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 15 octobre 2020 du Tribunal de commerce de Marseille ;

- Débouter la société Beraha de sa demande de provision formulée à l'encontre d'Axa France IARD et la Condamner à restituer à Axa les sommes perçues au titre de l'exécution du jugement du 15 octobre 2020 ;

Et Statuant à nouveau sur la demande de condamnation au titre du devoir d'information et de conseil

- Juger la société Beraha irrecevable et en tout cas non fondée en l'intégralité de ses demandes fins et conclusions formées à l'encontre de la société Axa France IARD, l'en débouter ;

- Condamner la société Beraha à payer à Axa la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de la SELARL Lexavoué Aix en Provence, représentée par Maître Romain Cherfils, avocat aux offres de droit.

Dans ses dernières conclusions en date du 19 janvier 2021 la SARL Beraha demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 565 et 566 du Code de Procédure Civile ;

Vu les dispositions des articles 1108 et 1143 du Code Civil ;

Vu les dispositions des articles 1169 et 1170 du Code Civil ;

Vu les dispositions des articles L 113-1 et L.112-4 du Code des Assurances ;

Vu les dispositions de l'article 1231-1 du Code Civil ;

Vu le contrat d'assurance souscrit ;

CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Marseille le 15 octobre 2020 en ce qu'il a écarté l'exception de nullité de l'assignation délivrée à la requête de la Société Beraha le 9 septembre 2020 ;

CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Marseille le 15 octobre 2020 en ce qu'il a condamné la Société Axa France IARD à garantir le sinistre perte financière suite à fermeture administrative pour épidémie, subi par la Société Beraha entre le 15 mars 2020 et le 2 juin 2020, après avoir déclaré non écrite et/ou abusive la clause d'exclusion opposée à l'assuré et subsidiairement pour manquement à son devoir d'information et de conseil ;

REFORMER le Jugement sur le préjudice et Condamner la Société Axa France IARD à payer à la Société Beraha :

216.024,53 € HT au titre des pertes d'exploitation du 15 mars au 2 juin 2020, outre intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 26 mai 2020 ;

Y ajoutant sur le fondement des articles 565 et 566 du Code de Procédure Civile :

Condamner la Société Axa France IARD à garantir le sinistre perte financière suite à fermeture administrative pour épidémie, subi par la Société Beraha entre le 28 septembre et le 4 octobre 2020 après avoir déclaré non écrite et/ou abusive la clause d'exclusion opposée à l'assuré et subsidiairement pour manquement à son devoir d'information et de conseil ;

Condamner la Société Axa France IARD à payer à la Société Beraha : 14.212,14 € HT au titre des pertes d'exploitation du 28 septembre et le 4 octobre 2020, outre intérêts de droit à compter de la déclaration de sinistre du 28 septembre 2020 ;

Condamner la Société Axa France IARD à garantir le sinistre perte financière suite à fermeture administrative pour épidémie, subi par la Société Beraha à compter du 30 octobre 2020 jusqu'à réouverture après avoir déclaré non écrite et/ou abusive la clause d'exclusion opposée à l'assuré et subsidiairement pour manquement à son devoir d'information et de conseil ;

Condamner la Société Axa France IARD à payer à la Société Beraha : 170.545,68 € HT avec intérêt de droit à compter du 9 novembre 2020 en garantie des pertes d'exploitation de la période du 30 octobre 2020 au 31 décembre 2020 inclus ;

Réserver ses droits pour la période au-delà du 1er janvier 2021 jusqu'à réouverture.

Subsidiairement sur le préjudice

Confirmer le Jugement rendu en ce qu'il a alloué à la SARL Beraha une provision de 92.818 € HT pour le 1er sinistre du 15 mars au 2 juin 2020 ;

Condamner la Société Axa France IARD à payer à la SARL Beraha une provision complémentaire de 180.000 € ;

Confirmer la décision de première Instance en ce qu'elle a condamné AXA à mettre en oeuvre la procédure d'expertise prévue contractuellement ;

Amplier la mission d'expertise aux périodes de fermetures administratives instaurées par l'arrêté de Monsieur le Préfet des Bouches-du-Rhône du 27 septembre 2020 et le Décret de Monsieur le Premier Ministre nº2020-1310 du 29 octobre 2020 ;

En tout état de cause,

Condamner La Société Axa France IARD à payer 10.000 € à la Société Beraha sur le fondement de l'article 700 du CPC en cause d'appel ;

Condamner La Société Axa France IARD aux dépens de Première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Maître Tertian Jean-Pierre ;

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité de l'assignation délivrée à la SA Axa France IARD et la demande d'annulation du jugement du 15 octobre 2020

La SA Axa France IARD soulève la nullité de l'assignation en ce qu'elle a été délivrée à la personne de l'agent général la société Swaton Recoing Boilletot, qui n'est pas habilitée à représenter la SA Axa France IARD en justice, faisant valoir qu'il s'agit d'une irrégularité de fond affectant l'acte et que la preuve d'un grief n'a pas à être rapportée pour en obtenir la nullité.

Le défaut de pouvoir d'une personne figurant au procès comme représentant une personne morale est une irrégularité de fond prévue par l'article 117 du code de procédure civile et cette exception de nullité fondée sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure doit être accueillie sans que celui qui les invoque ait à justifier un grief.

Le mandat de signer les polices d'assurance, de gérer et indemniser les sinistres confié par l'assureur à un agent général d'assurance n'implique pas par lui-même le pouvoir de représenter l'assureur en justice et le défaut de pouvoir d'une personne figurant au procès comme représentant d'une personne morale constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l'acte. En l'espèce, aucun mandat spécial n'a été confié à la société Swaton Recoing Boilletot pour représenter la société Axa France IARD en justice.

Cependant, en première instance, la SA Axa France IARD est intervenue volontairement à la procédure par conclusions écrites développées oralement à la barre du tribunal au jour de l'audience du 17 septembre 2020, empêchant la nullité de l'acte d'être prononcée, la cause ayant disparu au moment où le tribunal de commerce a statué.

Sur la validité de la clause d'exclusion

Les conditions particulières du contrat nº1929382504 souscrit le 7 février 2014 par la SARL Beraha prévoit en page 8 une garantie spécifique étendue aux pertes d'exploitation subies suite à une fermeture administrative ainsi rédigée :

La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous même

2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication.

Elle est suivie de la clause d'exclusion suivante :

Sont exclues les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.

La SARL Beraha soutient que cette clause d'exclusion est une clause abusive qui doit être réputée non écrite car subordonner l'octroi de la garantie perte financière en cas de fermeture administrative pour épidémie à l'absence de fermeture d'un autre établissement, dans le département, aboutit à totalement dénuer de portée l'obligation principale de l'assureur, d'avoir à garantir un événement aléatoire. Elle demande qu'il en soit prononcé la nullité au visa des articles 1108, 1169, 1170 du code civil et L.113-1 du code des assurances, pour défaut d'aléa, puisque liée à un évènement certain rendant illusoire la garantie principale souscrite, vidant de sa substance l'obligation essentielle et étant dénuée de caractère formel et limité.

L'assureur réplique que cette clause est parfaitement licite car elle est claire, formelle et limitée, en ce que la fermeture d'un autre établissement dans le département pour la même cause ne permet pas de mobiliser la garantie ; cette clause interdit toute interprétation en faveur de l'assuré, à peine de dénaturation.

L'article L. 113-1 du code des assurances prévoit que, sous peine de nullité, la clause d'exclusion contenue dans la police doit être formelle et limitée. Et aux termes des anciens articles 1161 et 1162 du code civil, applicables au contrat, les clauses du contrat doivent s'interpréter les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier, cette interprétation devant se faire dans le doute en faveur de l'assuré.

L'ancien article 1164 du code civil, applicable à la présente instance, définit le contrat aléatoire comme celui dont les effets dépendent soit pour toutes les parties, soit pour l'une ou plusieurs d'entre elles, d'un évènement incertain.

Contrairement à ce que soutient la SA Axa France IARD, il importe peu que le co-contractant soit un restaurateur averti en matière de risques de toxi-infections alimentaires, et il ne peut être reproché à l'assuré, comme le fait l'assureur, de ne pas avoir suffisamment lu son contrat lors de la souscription, de ne pas s'être interrogé sur la proposition formulée ou ne pas avoir posé de questions à l'intermédiaire d'assurance sur les garanties souscrites, alors que la nature et la portée des garanties incluses dans le contrat d'assurance doivent être claires, limitées et compréhensibles pour celui qui contracte, de nature à permettre à l'assuré de connaître l'étendue des garanties incluses dans le contrat d'assurance qu'il a souscrit, et que de surcroît l'assureur ne démontre pas que cette extension de garantie soit réservée comme il le prétend aux seuls professionnels de la restauration.

Les clauses d'exclusion doivent être formelles et limitées, et doivent se référer à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées qui excluent toute interprétation, de façon à permettre à l'assuré de connaître exactement l'étendue de la garantie.

La SA Axa France IARD soutient que l'ambiguïté alléguée par son assurée sur la compréhension du terme 'épidémie' ne saurait affecter le caractère formel de la clause d'exclusion du fait de l'absence de mention de ce terme dans cette clause. Selon l'assureur, le débat sur la notion d'épidémie serait dépourvu de pertinence puisque c'est la fermeture 'collective' qui est exclue et la fermeture 'individuelle' qui est garantie, quelle que soit la nature de l'épidémie. La SA France IARD ajoute qu'il faut retenir une définition au sens le plus large de l'épidémie pour offrir à l'assuré un vaste périmètre de garantie.

La clause d'exclusion qui fait référence à la clause de garantie en ce qu'elle vise une cause identique , ne peut être dissociée de cette dernière, et, même si elle ne figure pas dans la clause d'exclusion, la notion d'épidémie, dont l'ambiguïté est soulevée par l'assuré et qui est employée dans la clause de garantie, affecte nécessairement le caractère formel de cette clause puisqu'elle est un élément constitutif de l'exclusion de garantie dont l'application est revendiquée par l'assureur.

La « cause identique » visée par la clause d'exclusion renvoie au même événement qui a conduit à la décision de fermeture administrative défini par la clause de garantie, à savoir une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication *

Aucune définition n'est donnée dans le contrat des termes « maladie contagieuse », « épidémie » ou « intoxication ».

Pour définir l'événement que constitue une épidémie, l'assureur fait appel à des définitions de l'Organisation Mondiale de la Santé et de Professeurs épidémiologistes et infectiologues, en soutenant que la jurisprudence, pour définir un terme contenu dans un contrat d'assurance, fait application de la définition strictement juridique ou technique d'un terme et non pas de son 'sens-courant'.

L'étymologie du mot provient du grec : épi : sur, qui se superpose à, et dêmos : le peuple, qui signifie « qui circule dans le peuple ». Son analyse sémantique permet d'évoquer un événement qui circule dans une grande étendue de population.

La définition du dictionnaire Larousse est : « Développement et propagation rapide d'une maladie contagieuse, le plus souvent d'origine infectieuse, dans une population ».

Le Petit Robert la définit ainsi : « Apparition et propagation d'une maladie infectieuse contagieuse qui frappe en même temps et en un même endroit un grand nombre de personne ».

La définition du Dictionnaire médical de l'Académie de Médecine, qui rassemble en permanence l'ensemble du vocabulaire médical et permet une diffusion quasi permanente, à un vaste public, de la pensée médicale française, est : « Extension à une population d'une maladie infectieuse à transmission interhumaine ».

La définition du mot population dans le dictionnaire Larousse est un : « ensemble des habitants d'un pays, d'une région, d'une ville, etc. »

Il s'infère, tant de l'éthymologie du terme que des définitions qui en sont données en langue française et en vocabulaire médical, que l'épidémie est une propagation d'une maladie infectieuse à transmission interhumaine (contagieuse) à une population c'est-à-dire à un grand nombre de personnes.

Rechercher d'autres définitions approfondies de l'épidémie auprès de Professeurs épidémiologistes et infectiologues et de l'OMS, comme le fait l'assureur, pour démontrer qu'une épidémie peut se manifester auprès d'un petit nombre de personnes dans un espace donné comme un lieu scolaire, de travail ou de vie, démontre la nécessité d'interpréter le terme épidémie employé dans le contrat et donc de l'absence de caractère formel de la clause litigieuse.

En outre, suite à l'épidémie de Covid-19 la SA Axa France IARD a formalisé un avenant au contrat proposé à ses assurés le 30 septembre 2020 et applicable au 1er janvier 2021, aux termes duquel figure une clause d'exclusion de pertes d'exploitation pour causes d'épidémie, de pandémie et d'épizootie, en définissant clairement ces trois termes, démontrant ainsi que la notion de l'événement d'épidémie n'était pas jusque là suffisamment précise.

Ainsi les risques épidémiques évoqués par la SA Axa France IARD susceptibles de ne toucher qu'un seul établissement au sein d'un département et ainsi mobiliser la garantie, comme la listériose, la salmonellose ou la légionellose, qui ne sont pas des maladies transmissibles interhumaines, à l'inverse de la peste, du choléra ou de la variole, ne rentrent pas dans le cadre de la définition de l'épidémie ci-dessus. D'autres risques épidémiques comme la fièvre typhoïde et la gastro-entérite encore évoqués par l'assureur entrent dans le cadre d'un événement déjà garanti en cas de fermeture de l'établissement pour cause de maladies contagieuses *

Le cas théorique d'un éventuel 'cluster' de l'épidémie Covid-19 isolé et limité à un seul établissement dans un même territoire départemental, évoqué par l'assureur et qui permettrait l'application de la garantie, est purement fictif et n'est pas avéré à ce jour.

Enfin l'assureur n'explicite pas le moyen qu'il soulève selon lequel « la mobilisation de la garantie pour répondre à une mesure générale de police administrative entraînant une fermeture collective d'établissements serait contraire avec le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques », le fait de s'assurer à titre individuel contre un risque défini ne contrevenant pas à l'égalité des citoyens devant l'impôt.

Au regard de l'absence de risque couvert par la garantie perte d'exploitation en cas d'épidémie telle que prévue contractuellement, qui conditionne l'application de la garantie à l'existence d'une épidémie circonscrite à un seul établissement dans un territoire départemental, la clause d'exclusion litigieuse n'apparaît pas limitée ; elle vide de sa substance l'obligation de garantie souscrite par l'assuré.

En conséquence la clause d'exclusion doit être réputée non-écrite en application de l'ancien article 1131 du code civil qui stipule que ' l'obligation sans cause ne peut avoir aucun effet'.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont estimé que la clause d'exclusion litigieuse ne satisfaisait pas aux conditions de l'article L. 113-1 du code des assurances et qu'elle devait être réputée non écrite.

Sur l'indemnisation

En application des conditions particulières du contrat (page 9 ) :

' La garantie intervient pendant la période d'indemnisation c 'est-à-dire la période commençant le jour du sinistre et qui dure tant que les résultats de l 'établissement sont affectés par ledit sinistre, dans la limite de trois mois maximum.

Le montant de la garantie est limité à 300 fois l'indice.

L'assuré conservera à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés '.

En l'espèce, il résulte des explications des parties et des pièces produites :

- que le restaurant de la SARL Beraha a fait l'objet d'une fermeture administrative suite à l'épidémie de Covid-19 pour les périodes suivantes :

du 15 mars 2020 au 2 juin 2020,

du 28 septembre 2020 au 4 octobre 2020,

depuis le 30 octobre 2020,

- que chacune de ces périodes correspond à un sinistre ayant fait l'objet de déclarations,

- qu'en raison de la fermeture de son établissement, l'assurée a subi des pertes d'exploitation dont elle réclame l'indemnisation,

- qu'en produisant différents documents, dont une attestation de son expert comptable du 31 août 2020, elle demande à être indemnisée à hauteur des sommes suivantes :

-première période : 216 024,53€ HT correspondant à 76 jours

-seconde période : 14 212,14€ HT correspondant à 5 jours

-période allant du 30 octobre 2020 au 31 décembre 2020, avec réserve des droits ultérieurs :170 545,68€ HT correspondant à 60 jours, sauf à ce qu'il lui soit alloué :

* pour la première période : une provision de 92 878€,

* pour les autres périodes : une provision complémentaire de 180 000€.

Compte tenu de ces éléments, c'est avec raison et par des motifs pertinents que le premier juge a estimé qu'il convenait, pour la première période, de Condamner l'assureur à mettre en oeuvre la procédure d'expertise prévue au contrat, et, dans l'attente, d'allouer à l'assurée une provision de 92 878€.

Pour les autres périodes, et pour les mêmes motifs, il convient de Condamner également l'assureur à mettre en oeuvre la procédure d'expertise prévue au contrat, et, compte tenu de l'attestation de l'expert-comptable de l'assurée versée et des périodes considérées, de le Condamner à payer à l'assurée une provision complémentaire de 79 430 €, la dite somme portant intérêts au taux légal à compter de la présente décision par laquelle la cour a fixé son montant.

Sur les autres demandes

Il sera alloué à la SARL Beraha la somme de 7000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme qui lui a été allouée en première instance lui restant acquise.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Dit qu'en vertu du contrat d'assurance souscrit le 7 février 2014 la SA Axa France IARD doit garantir la SARL Beraha des pertes exploitation subies à la suite à des fermetures administratives ordonnées en raison de l'épidémie de Covid-19, pour les périodes suivantes :

- du 28 septembre au 4 octobre 2020,

- à compter du 30 octobre 2020 et dans les limites contractuelles,

Condamne la SA Axa France IARD à payer à la SARL Beraha une provision complémentaire de 79 430€ à valoir sur l'indemnisation des pertes d'exploitation subies lors de la fermeture de son établissement pour les périodes suivantes :

- du 28 septembre 2020 au 4 octobre 2020,

- du 30 octobre 2020 au 31 décembre 2020,

Dit que la dite somme portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne, pour les périodes précitées, la SA Axa France IARD à mettre en oeuvre la procédure d'expertise prévue au contrat dans les deux mois de la signification du présent arrêt, et passé ce délai, sous astreinte provisoire de 500 € par jour de retard pendant un mois,

Renvoie la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Marseille pour la suite de la procédure,

Condamne la SA Axa France IARD à payer à la SARL Beraha la somme de 7000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SA Axa France IARD aux dépens d'appel et fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Jean-Pierre Tertian.