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Décisions

CJUE, 1re ch., 17 octobre 2024, n° C-16/23

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Question préjudicielle

PARTIES

Demandeur :

FA.RO. di YK & C. Sas

Défendeur :

Agenzia delle Dogane e dei Monopoli

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. von Danwitz

Juges :

M. Arabadjiev, Mme Ziemele (rapporteure)

Avocat général :

M. Campos Sánchez-Bordona

Avocats :

Me Briozzo, Me Celotto, Me Grazzini

CJUE n° C-16/23

16 octobre 2024

LA COUR (première chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 56 ainsi que de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, ainsi que de l’article 15 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FA.RO. di YK & C. Sas, société de droit italien (ci-après « FA.RO. »), à l’Agenzia delle Dogane e dei Monopoli (Agence des douanes et des monopoles, Italie) (ci-après l’« ADM ») au sujet du rejet d’une demande visant à obtenir l’institution d’un nouveau point de vente de produits du tabac manufacturés.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3 Le préambule de la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac (ci-après la « CCLAT »), adoptée par l’Assemblée mondiale de la Santé le 21 mai 2003 à Genève, à laquelle sont parties l’Union européenne et ses États membres, reconnaît que, d’une part, « des données scientifiques ont établi de manière irréfutable que la consommation de tabac et l’exposition à la fumée du tabac sont cause de décès, de maladie et d’incapacité » et, d’autre part, « que les cigarettes et certains autres produits contenant du tabac sont des produits très sophistiqués, qui visent à engendrer et à entretenir la dépendance, qu’un grand nombre des composés qu’ils contiennent et que la fumée qu’ils produisent sont pharmacologiquement actifs, toxiques, mutagènes et cancérigènes, et que la dépendance à l’égard du tabac fait l’objet d’une classification distincte en tant que trouble dans les grandes classifications internationales des maladies ».

4 Les articles 8 à 13 de la CCLAT ont trait aux mesures relatives à la réduction de la demande de tabac. Ils concernent, respectivement, la protection contre l’exposition à la fumée de tabac, la réglementation de la composition des produits du tabac, la réglementation des informations à communiquer sur les produits du tabac, le conditionnement et l’étiquetage des produits du tabac, l’éducation et la sensibilisation du public aux questions ayant trait à la lutte antitabac ainsi que l’interdiction globale de la publicité, de la promotion et du parrainage en faveur du tabac. L’article 14 de cette convention prévoit des mesures visant à réduire la demande en rapport avec la dépendance à l’égard du tabac et à promouvoir le sevrage tabagique, tandis que les articles 15 à 17 de ladite convention, qui ont trait aux mesures relatives à la réduction de l’offre de tabac, concernent, respectivement, le commerce illicite des produits du tabac, la vente aux mineurs et par les mineurs, ainsi que la fourniture d’un appui à des activités de remplacement économiquement viables.

 Le droit de l’Union

5 Les considérants 2, 5, 7, 8 et 66 de la directive 2006/123 énoncent :

« (2) Il est impératif d’avoir un marché des services concurrentiel pour favoriser la croissance économique et la création d’emplois dans l’Union européenne. [...] Un marché libre obligeant les États membres à supprimer les obstacles à la circulation transfrontalière des services, tout en renforçant la transparence et l’information pour les consommateurs, offrirait un plus grand choix et de meilleurs services, à des prix plus bas, aux consommateurs.

[...]

(5) Il convient en conséquence d’éliminer les obstacles à la liberté d’établissement des prestataires dans les États membres et à la libre circulation des services entre États membres et de garantir aux destinataires et aux prestataires la sécurité juridique nécessaire à l’exercice effectif de ces deux libertés fondamentales du traité. [...]

[...]

(7) La présente directive établit un cadre juridique général qui profite à une large variété de services tout en prenant en compte les particularités de chaque type d’activité ou de profession et de leur système de réglementation. [...] La présente directive tient également compte d’autres objectifs d’intérêt général, y compris la protection de l’environnement, la sécurité publique et la santé publique, ainsi que de la nécessité de se conformer au droit du travail.

(8) Les dispositions de la présente directive concernant la liberté d’établissement et la libre circulation des services ne devraient s’appliquer que dans la mesure où les activités en cause sont ouvertes à la concurrence, de manière à ce qu’elles n’obligent pas les États membres à libéraliser les services d’intérêt économique général ou à privatiser des entités publiques proposant de tels services, ni à abolir les monopoles existants pour d’autres activités ou certains services de distribution.

[...]

(66) L’accès à une activité de services ou son exercice sur le territoire d’un État membre ne devrait pas faire l’objet d’un test économique. L’interdiction des tests économiques comme condition préalable à l’octroi d’une autorisation devrait viser les tests économiques en tant que tels, et non les autres exigences objectivement justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général telles que la protection de l’environnement urbain, la politique sociale ou la santé publique. L’interdiction ne devrait pas affecter l’exercice des compétences des autorités chargées de l’application du droit de la concurrence. »

6 L’article 1er, paragraphes 1 à 3, de cette directive dispose :

« 1. La présente directive établit les dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour les services.

2. La présente directive ne traite pas de la libéralisation des services d’intérêt économique général, réservés à des organismes publics ou privés, ni de la privatisation d’organismes publics prestataires de services.

3. La présente directive ne traite pas de l’abolition des monopoles fournissant des services, ni des aides accordées par les États membres qui relèvent des règles communautaires en matière de concurrence.

La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres de définir, conformément au droit communautaire, ce qu’ils entendent par services d’intérêt économique général, la manière dont ces services devraient être organisés et financés conformément aux règles relatives aux aides d’État ou les obligations spécifiques auxquelles ils doivent être soumis. »

7 L’article 2, paragraphes 1 et 2, de ladite directive est libellé en ces termes :

« 1. La présente directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre.

2. La présente directive ne s’applique pas aux activités suivantes :

a) les services d’intérêt général non économiques ;

[...] »

8 L’article 4 de la même directive prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

6) “régime d’autorisation”, toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice ;

7) “exigence”, toute obligation, interdiction, condition ou limite prévue dans les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres ou découlant de la jurisprudence, des pratiques administratives, des règles des ordres professionnels ou des règles collectives d’associations professionnelles ou autres organisations professionnelles adoptées dans l’exercice de leur autonomie juridique ; les normes issues de conventions collectives négociées par les partenaires sociaux ne sont pas en tant que telles, considérées comme des exigences au sens de la présente directive ;

8) “raisons impérieuses d’intérêt général”, des raisons reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour de justice, qui incluent les justifications suivantes : l’ordre public, la sécurité publique, la santé publique, la préservation de l’équilibre financier du système de sécurité sociale, la protection des consommateurs, des destinataires de services et des travailleurs, la loyauté des transactions commerciales, la lutte contre la fraude, la protection de l’environnement et de l’environnement urbain, la santé des animaux, la propriété intellectuelle, la conservation du patrimoine national historique et artistique, des objectifs de politique sociale et des objectifs de politique culturelle ;

[...] »

9 L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/123 dispose :

« Les États membres ne peuvent subordonner l’accès à une activité de service et son exercice à un régime d’autorisation que si les conditions suivantes sont réunies :

a) le régime d’autorisation n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ;

b) la nécessité d’un régime d’autorisation est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c) l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle. »

10 Aux termes de l’article 10, paragraphes 1 et 2, de cette directive :

« 1. Les régimes d’autorisation doivent reposer sur des critères qui encadrent l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire.

2. Les critères visés au paragraphe 1 sont :

a) non discriminatoires ;

b) justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c) proportionnels à cet objectif d’intérêt général ;

d) clairs et non ambigus ;

e) objectifs ;

f)  rendus publics à l’avance ;

g) transparents et accessibles. »

11 L’article 14 de ladite directive prévoit :

« Les États membres ne subordonnent pas l’accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect de l’une des exigences suivantes :

[...]

5) l’application au cas par cas d’un test économique consistant à subordonner l’octroi de l’autorisation à la preuve de l’existence d’un besoin économique ou d’une demande du marché, à évaluer les effets économiques potentiels ou actuels de l’activité ou à évaluer l’adéquation de l’activité avec les objectifs de programmation économique fixés par l’autorité compétente ; cette interdiction ne concerne pas les exigences en matière de programmation qui ne poursuivent pas des objectifs de nature économique mais relèvent de raisons impérieuses d’intérêt général ;

[...] »

12 L’article 15, paragraphes 1 à 4, de la directive 2006/123 dispose :

« 1. Les États membres examinent si leur système juridique prévoit les exigences visées au paragraphe 2 et veillent à ce que ces exigences soient compatibles avec les conditions visées au paragraphe 3. Les États membres adaptent leurs dispositions législatives, réglementaires ou administratives afin de les rendre compatibles avec ces conditions.

2. Les États membres examinent si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect de l’une des exigences non discriminatoires suivantes :

a) les limites quantitatives ou territoriales sous forme, notamment, de limites fixées en fonction de la population ou d’une distance géographique minimum entre prestataires ;

[...]

3. Les États membres vérifient que les exigences visées au paragraphe 2 remplissent les conditions suivantes :

a) non-discrimination : les exigences ne sont pas directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, de l’emplacement de leur siège statutaire ;

b) nécessité : les exigences sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c) proportionnalité : les exigences doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d’atteindre le même résultat.

4. Les paragraphes 1, 2 et 3 ne s’appliquent à la législation dans le domaine des services d’intérêt économique général que dans la mesure où l’application de ces paragraphes ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été confiée. »

 Le droit italien

 La loi no 1293/1957

13 L’article 16 de la legge no 1293 – Organizzazione dei servizi di distribuzione e vendita dei generi di monopolio (loi no 1293 concernant l’organisation des services de distribution et de vente des produits soumis à monopole), du 22 décembre 1957 (GURI no 9, du 13 janvier 1958), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « loi no 1293/1957 »), prévoit :

« La vente au public de produits soumis à monopole s’effectue par le biais de points de vente et de licences.

Les points de vente visés au premier alinéa sont institués par le bureau régional selon les critères et les modalités fixés par décision du directeur général de l’administration autonome des monopoles d’État. »

14 L’article 19 de cette loi dispose :

« Parmi les points de vente de produits soumis à monopole, on distingue :

[...]

b) les points de vente ordinaires ;

c) les points de vente spéciaux.

[...]

Les deuxièmes sont confiés en concession ou en gérance à des particuliers pour une durée n’excédant pas neuf ans.

[...] »

15 Conformément à l’article 21, paragraphe 1, de ladite loi :

« Les points de vente ordinaires sont institués là où et lorsque l’administration le juge utile et approprié dans l’intérêt du service.

Dans les communes dont la population ne dépasse pas 30 000 habitants, les points de vente ordinaires nouvellement institués sont attribués à titre expérimental par concours réservé aux invalides et aux veuves de guerre ainsi qu’aux catégories de personnes y assimilées par la loi et aux personnes décorées pour mérite militaire.

Dans les autres communes et dans les chefs-lieux de province, les points de vente ordinaires sont attribués à titre expérimental par enchère publique.

Le point de vente est attribué au concurrent qui répond aux critères posés dans l’appel d’offres et qui offre la redevance la plus élevée.

La période d’expérimentation mentionnée aux alinéas précédents est de trois ans, à l’issue de laquelle le point de vente, s’il n’est pas supprimé, est classé comme relevant de l’article 25 et peut être attribué grâce à un marché de gré à gré ou directement au titulaire en place. »

16 Il ressort également de la loi no 1293/1957, d’une part, que les points de vente spéciaux sont institués pour répondre à des besoins de service particuliers au sein de lieux spécifiques et, d’autre part, que l’administration peut accorder l’autorisation de vendre des produits soumis à monopole notamment dans les débits de boissons, au moyen d’une licence. Dans ce dernier cas, le titulaire de la licence s’approvisionne auprès du point de vente ordinaire le plus proche.

 Le décret-loi no 98/2011

17 L’article 24, paragraphe 42, du decreto-legge no 98 – Disposizioni urgenti per la stabilizzazione finanziaria (décret-loi no 98 portant mesures urgentes pour la stabilisation financière), du 6 juillet 2011 (GURI no 155, du 6 juillet 2011), converti en loi, avec modifications, par la loi no 111, du 15 juillet 2011 (GURI no 164, du 16 juillet 2011), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « décret-loi no 98/2011 »), dispose :

« Par règlement adopté avant le 31 mars 2013, [...], le ministre de l’Économie et des Finances prévoit des dispositions concernant les modalités d’institution des points de vente ordinaires et spéciaux de produits soumis à monopole, ainsi que la délivrance et le renouvellement de la licence, selon les principes suivants :

a) l’optimisation et la rationalisation du réseau de vente, y compris en définissant des critères destinés à réglementer la localisation des points de vente, afin de concilier, dans le respect de la protection de la concurrence, la nécessité de garantir aux usagers un réseau de vente bien réparti sur l’ensemble du territoire, d’une part, et l’intérêt public primordial que représente la protection de la santé, d’autre part, consistant à prévenir et à contrôler toute situation d’offre de tabac au public non justifiée par la demande effective de produits du tabac ;

b) les points de vente ordinaires ne peuvent être institués qu’à la condition que soient remplies des conditions précises, afférentes à la distance, non inférieure à 200 m, et à la population, le ratio un point de vente pour 1 500 habitants devant être respecté.

c) [...] ;

d) les transferts de points de vente ordinaires ne sont possibles que si les mêmes conditions de distance et, le cas échéant, de population visées au point b) sont applicables ;

e) l’institution de points de vente spéciaux est possible uniquement si l’on constate un besoin objectif et réel de service, qui doit être apprécié en fonction de la localisation effective des autres points de vente déjà existants dans la même zone de référence, ainsi qu’en vertu des exigences visées au point b) ;

f) la délivrance et le renouvellement des licences doivent être appréciés en fonction de leur complémentarité et de l’absence de chevauchement avec les points de vente de produits soumis à monopole, y compris par l’identification et l’application du critère de la distance. »

 Le décret ministériel no 38/2013

18 L’article 2, paragraphes 1 à 3, du decreto ministeriale no 38 – Regolamento recante disciplina della distribuzione e vendita dei prodotti da fumo (décret ministériel no 38 portant règlement sur la distribution et la vente des produits à fumer), du 21 février 2013 (GURI no 89, du 16 avril 2013), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « décret ministériel no 38/2013 »), adopté en application de l’article 24, paragraphe 42, du décret-loi no 98/2011, énonce :

« 1. L’institution des points de vente ordinaires est autorisée lorsque les paramètres visés au présent article sont respectés.

2. La distance minimale du local destiné au nouveau point de vente, par rapport au point de vente le plus proche déjà en activité, est égale ou supérieure :

a) à 300 mètres (m), dans les communes dont la population n’excède pas 30 000 habitants ;

b) à 250 m, dans les communes dont la population est comprise entre 30 001 et 100 000 habitants ;

c) à 200 m, dans les communes dont la population est supérieure à 100 000 habitants.

3. L’institution d’un nouveau point de vente n’est pas autorisée si le ratio d’un point de vente pour 1 500 habitants est déjà atteint dans les communes concernées, sauf dans les communes de moins de 1 500 habitants qui en sont dépourvues, lorsqu’un intérêt réel et concret du service peut être constaté et que le point de vente ordinaire le plus proche déjà en activité dans une autre commune est situé à plus de 600 m. »

19 Selon l’article 3, paragraphes 1 à 6, de ce décret ministériel :

« 1. En vertu de l’article 21 de la loi [no 1293/1957], les points de vente ordinaires sont institués par décision des bureaux compétents de l’[ADM] dans les délais et les lieux déterminés en fonction de l’intérêt du service, en accordant une attention particulière aux zones caractérisées par de nouveaux développements résidentiels et commerciaux, à l’importance spécifique des intersections de route et des principaux lieux urbains de rencontre de la population résidente ou à la présence de bureaux et de structures de production présentant une importance et une fréquentation particulières de nature à rendre évidente l’existence de l’intérêt du service, ainsi qu’aux demandes de transfert parvenues aux bureaux.

2. Aux fins du paragraphe 1, les bureaux compétents adoptent, pour chaque année civile, deux plans semestriels pour l’institution de points de vente ordinaires, en tenant compte, au regard des points de vente déjà existants ainsi que des demandes de transfert reçues entre-temps, de la nécessité pour le réseau de vente des tabacs manufacturés d’être :

a) adapté à l’intérêt du service ;

b) organisé de manière à garantir l’efficience et l’efficacité des contrôles de l’administration visant à la protection des mineurs, de l’ordre public et de la sécurité publique, de la santé publique ainsi que des recettes.

3. Lors de la préparation de chaque plan, les demandes de transfert ainsi que les propositions de nouveaux points de vente parvenues à l’administration au cours du semestre immédiatement précédent sont évaluées. Les propositions visant à instituer de nouveaux points de vente ne créent aucun droit à l’égard de ceux qui les formulent, ni d’obligations pour l’administration.

4. Le bureau compétent établit, avant le 31 mars et avant le 30 septembre, le projet de plan pour l’institution des nouveaux points de vente ordinaires, en veillant à y inclure exclusivement les propositions de nouveaux points de vente pour lesquelles il existe un besoin de service, dans le respect des paramètres visés à l’article 2 et à la lumière de tout autre élément d’enquête utile.

5. Pour chaque projet de plan semestriel, le 30 avril et le 31 octobre au plus tard, le bureau compétent [...] rend public le projet de plan dans une section spécifique du site institutionnel de l’[ADM]. [...].

6. Le bureau compétent, une fois défini le projet de plan au vu de tous les éléments d’enquête obtenus, communique l’ouverture de la procédure d’institution des nouveaux points de vente aux propriétaires des trois points de vente les plus proches situés à une distance inférieure à 600 m du siège du nouveau point de vente, en leur accordant un délai de quinze jours pour présenter d’éventuelles observations. À l’expiration de ce délai, au vu de tous les éléments d’enquête obtenus, le bureau compétent approuve le plan définitif d’institution des nouveaux points de vente et, pour chaque zone désignée comme appropriée pour cette institution, publie l’avis d’attribution en vertu de l’article 21 de la loi [no 1293/1957] [...] ».

20 Conformément à l’article 7 dudit décret ministériel, les licences doivent être justifiées par la nécessité de fournir le service en des lieux et à des horaires où il ne peut pas être fourni par les points de vente ordinaires. La possibilité d’accorder une licence est exclue dans le cas où, auprès du point de vente le plus proche, situé à une distance inférieure à des limites prédéterminées, un distributeur automatique de produits du tabac est installé.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

21 FA.RO. exerce une activité commerciale de restauration et de débit de boissons dans la commune de Finale Ligure (Italie). Elle était titulaire d’une licence l’autorisant à vendre au détail dans son établissement des produits soumis à monopole d’État. Par acte du 19 novembre 2021, l’ADM a entamé une procédure visant à la révocation de cette licence au motif que le point de vente principal auquel celle-ci était rattachée pour son approvisionnement, situé à une distance inférieure à 300 m, avait installé un distributeur automatique de cigarettes, ce qui faisait obstacle au maintien de la licence, conformément à l’article 7 du décret ministériel no 38/2013.

22 FA.RO. a alors introduit une demande visant à obtenir l’institution d’un nouveau point de vente ordinaire dans son établissement, en expliquant que la nécessité de ce point de vente découlait de l’affluence importante de consommateurs.

23 Le 31 mars 2022, l’ADM a adopté la communication n° 6401/RU contenant le projet de plan semestriel pour l’institution des nouveaux points de vente ordinaires sur le territoire ligure, publié le 6 avril 2022. Le point de vente dont l’institution était sollicitée par FA.RO. ne figurait pas dans ce projet de plan semestriel, au motif que les conditions afférentes à la distance et à la démographie, fixées à l’article 2 du décret ministériel no 38/2013, n’étaient pas remplies. En effet, d’une part, le local proposé était situé respectivement à 176 m et à 220 m de deux autres points de vente. D’autre part, il existait déjà, dans la commune de Finale Ligure, 13 points de vente ordinaires et spéciaux en activité, pour une population résidente de 11 358 habitants.

24 FA.RO. a introduit un recours devant le Tribunale amministrativo regionale per la Liguria (tribunal administratif régional pour la Ligurie, Italie), qui est la juridiction de renvoi, en contestant ledit projet de plan semestriel ainsi que le plan définitif, en tant que ceux-ci ne prévoyaient pas l’institution du point de vente dont elle avait demandé l’institution. Cette société a notamment fait valoir que l’institution d’un nouveau point de vente dans son établissement n’entraînerait pas un surdimensionnement de l’offre par rapport à la demande, puisque les utilisateurs réels du service seraient cent fois plus nombreux que la population résidente, du fait de l’afflux massif de visiteurs et de vacanciers pendant les week-ends et la saison touristique. Dans ces conditions, l’ADM n’aurait pas dû appliquer mécaniquement les paramètres définis par la réglementation nationale pertinente, mais aurait dû vérifier le caractère nécessaire et proportionné des restrictions imposées au libre accès au marché des services et laisser inappliqués l’article 24, paragraphe 42, du décret-loi no 98/2011 et l’article 2 du décret ministériel no 38/2013, ceux-ci étant contraires à l’article 15, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/123.

25 La juridiction de renvoi relève que la demande mentionnée au point 22 du présent arrêt a été rejetée en raison du non-respect des critères fixés in abstracto par la réglementation nationale pertinente, sans évaluation des preuves fournies par cette société, selon lesquelles le commerce de produits du tabac dans le point de vente sollicité n’encouragerait pas l’accroissement de la demande mais, au contraire, répondrait à un besoin de service préexistant et important.

26 Or, les conditions afférentes à la distance et à la démographie prévues par ladite réglementation nationale constitueraient des restrictions territoriales et quantitatives au sens de l’article 15, paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/123 et pourraient ne pas être compatibles avec les critères prévus à l’article 15, paragraphe 3, de celle-ci.

27 À cet égard, la juridiction de renvoi indique que la raison impérieuse qui a conduit le législateur national à imposer de telles mesures restrictives est la protection de la santé humaine contre les risques générés par les produits du tabac. Toutefois, il ne semblerait pas que ces restrictions soient véritablement aptes à dissuader ou, du moins, à ne pas encourager la consommation des produits du tabac, en raison notamment de la diffusion toujours plus grande des distributeurs automatiques, pouvant être installés par les titulaires des points de vente autorisés, qui aurait pour effet que les cigarettes seraient en permanence accessibles pour le consommateur. En outre, pour que la réduction du nombre de points de vente sur le territoire puisse avoir un effet dissuasif, il serait nécessaire que les distances minimales entre les bureaux de tabac soient fixées en kilomètres, et non en mètres.

28 La nécessité de critères fondés sur la distance et la démographie ne découlerait pas davantage de la CCLAT. En outre, il ressortirait d’un rapport de l’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (Autorité garante de la concurrence et du marché, Italie), d’une part, que les mesures restrictives en cause au principal visent moins à protéger la santé des citoyens qu’à assurer la rentabilité de l’activité et, d’autre part, que les distances minimales ainsi que toute forme de planification de la structure de l’offre devraient être abolies.

29 En tout état de cause, ces restrictions pourraient s’avérer excessives au regard de l’objectif de protection de la santé à travers un rapport équilibré entre l’offre et la demande, du fait de leur rigidité et du lien avec des données qui sont purement issues de l’enregistrement officiel de la population.

30 Ainsi, selon la juridiction de renvoi, l’ADM devrait être en mesure d’apprécier les éventuelles circonstances objectives établissant que, en dépit du non-respect des conditions afférentes à la distance et à la démographie, l’institution d’un nouveau point de vente ordinaire répondrait aux besoins de service et, par conséquent, ne conduirait pas à un surdimensionnement de l’offre, notamment lorsque, comme c’est le cas en l’occurrence, le cercle des consommateurs est bien plus important que la seule population résidente en raison du niveau élevé de tourisme.

31 Dans ces conditions, le Tribunale amministrativo regionale per la Liguria (tribunal administratif régional pour la Ligurie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)  L’article 15 de la directive [2006/123] ainsi que l’article 49, l’article 56 et l’article 106, paragraphe 2, TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui fixe des restrictions à l’autorisation des points de vente de produits du tabac en fonction d’une distance géographique minimale entre les prestataires et en fonction de la population résidente ?

2) L’article 15 de la directive [2006/123], ainsi que l’article 49, l’article 56 et l’article 106, paragraphe 2, TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui subordonne l’autorisation des points de vente de produits du tabac au respect de paramètres prédéterminés tenant à la distance géographique minimale entre les prestataires et à la population résidente, sans permettre à l’autorité publique compétente d’apprécier d’autres circonstances de fait objectives qui, même si les susdites conditions font défaut, démontrent dans le cas concret l’existence d’un besoin de service ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

32 Le gouvernement espagnol soutient, en substance, que la demande de décision préjudicielle est irrecevable au motif qu’aucune des dispositions dont l’interprétation est demandée n’est applicable à la situation en cause au principal. De son côté, le gouvernement italien, sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, conteste l’applicabilité de la directive 2006/123 à ladite situation en invoquant l’article 2, paragraphes 1 et 2, de cette directive.

33 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 8 mai 2024, Instituto da Segurança Social e.a., C 20/23, EU:C:2024:389, point 24 ainsi que jurisprudence citée).

34 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 8 mai 2024, Instituto da Segurança Social e.a., C 20/23, EU:C:2024:389, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

35 Selon une jurisprudence également constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci respecte scrupuleusement les exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle et figurant de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour (arrêt du 28 novembre 2023, Commune d’Ans, C 148/22, EU:C:2023:924, point 44 et jurisprudence citée).

36 Ainsi, il est notamment indispensable, comme l’énonce l’article 94, sous c), du règlement de procédure, que la décision de renvoi contienne l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal (arrêt du 28 novembre 2023, Commune d’Ans, C 148/22, EU:C:2023:924, point 46 et jurisprudence citée).

37 En l’occurrence, la juridiction de renvoi sollicite de la Cour l’interprétation des articles 49, 56 et de l’article 106, paragraphe 2, TFUE ainsi que de l’article 15 de la directive 2006/123.

38 S’agissant, premièrement, des articles 49 et 56 TFUE, il convient de rappeler que les dispositions du traité FUE en matière de liberté d’établissement, de libre prestation des services et de libre circulation des capitaux ne trouvent, en principe, pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (arrêts du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C 268/15, EU:C:2016:874, point 47 et jurisprudence citée, ainsi que du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C 261/20, EU:C:2022:33, point 50).

39 La Cour, saisie par une juridiction nationale dans le contexte d’une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, ne saurait, sans indication de cette juridiction en ce sens, considérer que la demande d’interprétation préjudicielle portant sur les dispositions du traité FUE relatives aux libertés fondamentales est nécessaire à la solution du litige pendant devant ladite juridiction. En effet, les éléments concrets permettant d’établir un lien entre l’objet ou les circonstances d’un litige, dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur de l’État membre concerné, et les articles 49 et 56 TFUE doivent ressortir de la décision de renvoi (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C 268/15, EU:C:2016:874, point 54, et du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C 261/20, EU:C:2022:33, point 52).

40 Par conséquent, dans une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, il appartient à la juridiction de renvoi d’indiquer à la Cour, conformément à ce qu’exige l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux libertés fondamentales un élément de rattachement qui rend l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C 268/15, EU:C:2016:874, point 55, et du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C 261/20, EU:C:2022:33, point 53).

41 Or, d’une part, il ressort de la décision de renvoi que l’ensemble des éléments caractérisant le litige au principal se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, en l’occurrence la République italienne. D’autre part, cette décision ne contient aucune indication qui laisserait entendre que, en dépit de son caractère purement interne, l’objet de ce litige présente avec les articles 49 et 56 TFUE un élément de rattachement qui en rendrait l’interprétation nécessaire à la solution dudit litige.

42 Par conséquent, les questions préjudicielles sont irrecevables en tant qu’elles visent l’interprétation des articles 49 et 56 TFUE.

43 En ce qui concerne, deuxièmement, l’article 106, paragraphe 2, TFUE, il convient de rappeler, d’une part, que cette disposition prévoit que les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles de concurrence dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie et, d’autre part, qu’elle vise à concilier l’intérêt des États membres à utiliser certaines entreprises en tant qu’instrument de politique économique ou sociale avec l’intérêt de l’Union au respect des règles de concurrence et à la préservation de l’unité du marché intérieur (arrêt du 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK, C 445/19, EU:C:2020:952, point 30 et jurisprudence citée).

44 Or, en se limitant à indiquer que les conditions afférentes à la distance et à la démographie constituent des restrictions affectant les droits et les libertés fondamentaux garantis à l’article 106, paragraphe 2, TFUE, la juridiction de renvoi n’expose pas le lien qu’elle établit entre cette disposition et la réglementation nationale en cause au principal.

45 Dès lors, les questions préjudicielles sont également irrecevables en tant qu’elles visent l’interprétation de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

46 S’agissant, troisièmement, de l’interprétation de la directive 2006/123, la juridiction de renvoi relève que les conditions afférentes à la distance et à la démographie prévues par la réglementation nationale pourraient constituer des restrictions territoriales et quantitatives au sens de l’article 15, paragraphe 2, sous a), de cette directive. Si tel devait être le cas, cette juridiction s’interroge sur la conformité de ces conditions à l’article 15, paragraphe 3, de ladite directive, et fournit à cet égard une analyse desdites conditions au regard de cette dernière disposition. Ainsi, la juridiction de renvoi expose le lien qu’elle établit entre les dispositions de la directive 2006/123 et la réglementation nationale en cause au principal, ainsi que les raisons qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation de cette directive.

47 Par ailleurs, la Cour a jugé à plusieurs reprises, aux termes d’une interprétation littérale, historique, contextuelle et téléologique de la directive 2006/123, que les dispositions du chapitre III de celle-ci, relatif à la liberté d’établissement des prestataires, lequel inclut l’article 15 de cette directive, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’appliquent, notamment, à une situation dont tous les éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre [arrêt du 20 avril 2023, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (Commune de Ginosa), C 348/22, EU:C:2023:301, point 40 et jurisprudence citée].

48 Or, lorsqu’il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, l’objection tirée de l’inapplicabilité de cette disposition à l’affaire au principal ne saurait renverser la présomption de pertinence dont bénéficient les questions posées, et doit être examinée dans le cadre de l’analyse des questions soulevées quant au fond (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2024, Roheline Kogukond e.a., C 234/22, EU:C:2024:211, points 27 et 29 ainsi que jurisprudence citée).

49 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable en tant qu’elle porte sur l’interprétation de la directive 2006/123.

 Sur les questions préjudicielles

50 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15 de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne l’octroi d’une autorisation de points de vente de produits du tabac au respect de conditions afférentes à la distance géographique minimale entre les prestataires et à la démographie, sans possibilité de prise en compte par l’autorité publique compétente, en lieu et place de ces conditions, d’augmentations périodiques du nombre de consommateurs.

 Sur le champ d’application de la directive 2006/123

51 Il convient, à titre liminaire, de déterminer si la directive 2006/123 doit être interprétée en ce sens que la situation en cause au principal relève de son champ d’application, les gouvernements espagnol et italien ayant conclu à l’inapplicabilité de cette directive compte tenu, respectivement, de l’article 1er, paragraphe 3, et de l’article 2, paragraphes 1 et 2, de ladite directive.

52 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu d’interpréter les dispositions de la directive 2006/123 en tenant compte non seulement de leurs termes, mais également du contexte dans lequel celles-ci s’inscrivent et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elles font partie (voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 2021, BEMH et CNCC, C 325/20, EU:C:2021:611, point 18, ainsi que du 12 octobre 2023, INTER CONSULTING, C 726/21, EU:C:2023:764, point 43 et jurisprudence citée).

53 Selon les termes de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2006/123, cette directive ne traite pas de l’abolition des monopoles fournissant des services.

54 Conformément à son considérant 8, les dispositions de ladite directive concernant la liberté d’établissement et la libre circulation des services ne devraient s’appliquer que dans la mesure où les activités en cause sont ouvertes à la concurrence, de manière à ce qu’elles n’obligent pas les États membres, notamment, à abolir les monopoles existants pour d’autres activités ou certains services de distribution.

55 Il ressort ainsi du libellé de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2006/123, lu ensemble avec son considérant 8, que sont exclues du champ d’application de cette directive les situations où la fourniture d’un service est soustraite à la concurrence, une réglementation nationale ayant conféré un monopole pour la fourniture de certains services à un opérateur (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2018, Memoria et Dall’Antonia, C 342/17, EU:C:2018:906, point 41), et où l’application des dispositions de ladite directive aurait pour effet de remettre en cause l’existence de ce monopole.

56 Une telle interprétation de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2006/123 permet de sauvegarder l’effet utile de la dérogation ainsi établie, tout en respectant l’objectif de cette directive qui, ainsi qu’il ressort de son article 1er, paragraphe 1, lu en combinaison, notamment, avec ses considérants 2 et 5, consiste à éliminer les restrictions à la liberté d’établissement des prestataires dans les États membres et à la libre circulation des services entre ces derniers, afin de contribuer à la réalisation d’un marché intérieur libre et concurrentiel (arrêt du 30 janvier 2018, X et Visser, C 360/15 et C 31/16, EU:C:2018:44, point 104 ainsi que jurisprudence citée).

57 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la réglementation en cause au principal réserve la vente au détail des produits du tabac manufacturés à des distributeurs autorisés par la puissance publique au moyen de points de vente ordinaires et spéciaux ainsi que de licences.

58 Il en découle que l’activité de commerce en détail des produits du tabac manufacturés, qui relève de la notion de « service » au sens de l’article 4, point 1, de la directive 2006/123 (voir, par analogie, arrêts du 30 janvier 2018, X et Visser, C 360/15 et C 31/16, EU:C:2018:44, point 91, ainsi que du 26 septembre 2018, Van Gennip e.a., C 137/17, EU:C:2018:771, point 76), n’est pas soustraite à la concurrence ni conférée à un seul opérateur, mais est exercée par des particuliers indépendants. En outre, la réglementation en cause au principal traite de l’accès de différents opérateurs au marché de la distribution en détail des produits du tabac manufacturés.

59 Ainsi que le relève M. l’avocat général au point 47 de ses conclusions, si l’octroi de concessions d’exploitation de points de vente et de licences implique l’exercice de la puissance publique par l’administration italienne, qui autorise les points de vente et accorde les licences, cette circonstance ne signifie pas pour autant que cette administration assure elle-même la vente au détail des produits du tabac manufacturés ni qu’elle s’immisce dans les décisions commerciales des titulaires de tels points de vente et de licences.

60 Par conséquent, une réglementation qui réserve la vente au détail des produits du tabac manufacturés à des distributeurs autorisés par la puissance publique au moyen de points de vente ordinaires et spéciaux ainsi que de licences ne saurait être considérée comme relevant de la notion de « monopole fournissant des services » au sens de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2006/123.

61 S’agissant des arguments du gouvernement italien selon lesquels la directive 2006/123 ne serait pas applicable en raison de son article 2, paragraphes 1 et 2, lu ensemble avec son considérant 8, puisque les distributeurs de produits du tabac manufacturés exerceraient une activité économique d’intérêt général, assurant le fonctionnement du monopole fiscal sur la vente de tabac, il suffit de rappeler que la Cour a déjà jugé que les règles établies par cette directive s’appliquent, en principe, aux services d’intérêt économique général, seuls les services d’intérêt général non économiques étant exclus de leur champ d’application (arrêt du 11 avril 2019, Repsol Butano et DISA Gas, C 473/17 et C 546/17, EU:C:2019:308, point 43).

62 Il convient, dès lors, d’interpréter l’article 1er, paragraphe 3, et l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/123 en ce sens qu’une réglementation qui réserve la vente au détail des produits du tabac manufacturés à des distributeurs autorisés par la puissance publique au moyen de points de vente ordinaires et spéciaux ainsi que de licences relève du champ d’application de cette directive.

 Sur les dispositions pertinentes de la directive 2006/123

63 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêt du 22 février 2024, Direcţia pentru Evidenţa Persoanelor şi Administrarea Bazelor de Date, C 491/21, EU:C:2024:143, point 23 et jurisprudence citée).

64 L’article 15 de la directive 2006/123, dont l’interprétation est demandée par la juridiction de renvoi, figure, avec l’article 14, dans la section 2 du chapitre III de cette directive, relative aux exigences interdites ou soumises à évaluation, alors que la section 1 de ce même chapitre, qui contient les articles 9 à 13 de ladite directive, porte sur les autorisations.

65 À cet égard, l’article 4, point 6, de la directive 2006/123 définit la notion de « régime d’autorisation » comme étant « toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice ».

66 Quant à l’article 4, point 7, de cette directive, il définit la notion d’« exigence » comme étant « toute obligation, interdiction, condition ou limite prévue dans les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres ou découlant de la jurisprudence, des pratiques administratives, des règles des ordres professionnels ou des règles collectives d’associations professionnelles ou autres organisations professionnelles adoptées dans l’exercice de leur autonomie juridique ».

67 La Cour a jugé qu’un « régime d’autorisation », au sens de l’article 4, point 6, de la directive 2006/123, se distingue d’une « exigence », au sens de l’article 4, point 7, de cette directive, en ce qu’il implique une démarche de la part du prestataire de services ainsi qu’un acte formel par lequel les autorités compétentes autorisent l’activité de ce prestataire (arrêt du 22 septembre 2020, Cali Apartments, C 724/18 et C 727/18, EU:C:2020:743, point 49 ainsi que jurisprudence citée).

68 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que le litige en cause au principal porte sur la légalité du refus de l’ADM d’autoriser, dans le plan semestriel pour l’institution des nouveaux points de vente ordinaires sur le territoire ligure, un point de vente dans l’établissement de FA.RO., au motif que les conditions afférentes à la distance et à la démographie, prévues par la réglementation nationale, n’étaient pas remplies.

69 Il ressort également de cette demande de décision préjudicielle que, conformément à la réglementation nationale en cause au principal, afin de pouvoir commercialiser des produits du tabac manufacturés, un prestataire de services doit obtenir en concession ou en gérance un point de vente ordinaire ou spécial, ou une licence, attribués à l’issue d’une procédure prévue par cette réglementation. S’agissant, en particulier, des points de vente ordinaires, leur institution requiert l’adoption d’une décision de l’ADM, en application d’un plan semestriel préalablement établi. Lors de la préparation de ce plan, l’ADM tient compte des demandes d’établissement des nouveaux points de vente ordinaires introduites. Ledit plan inclut des nouveaux points de vente pour lesquels il existe un besoin de service et qui respectent les conditions établies par la réglementation pertinente.

70 Ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 59 à 63 de ses conclusions, afin de pouvoir procéder à la commercialisation des produits du tabac manufacturés, un prestataire de services a donc l’obligation d’effectuer une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel lui permettant d’accéder à cette activité.

71 Or, de telles caractéristiques correspondent à celles du « régime d’autorisation », au sens de l’article 4, point 6, de la directive 2006/123, rappelées au point 67 du présent arrêt. L’organisation de la vente au détail des produits du tabac manufacturés relève donc, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, de la notion de « régime d’autorisation » au sens de cette disposition.

72 S’agissant d’une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle le législateur national charge certaines autorités de mettre en œuvre un régime d’autorisation, au sens de l’article 4, point 6, de la directive 2006/123, en fixant les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance des autorisations prévues par ce régime, il appartient aux juridictions nationales, d’une part, d’apprécier la conformité à l’article 9 de cette directive du recours par le législateur national à un tel dispositif et, d’autre part, de vérifier si les critères énoncés par ce législateur et encadrant l’octroi de ces autorisations ainsi que la mise en œuvre effective de ceux-ci par les autorités dont les mesures sont contestées sont conformes aux exigences prévues à l’article 10 de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2020, Cali Apartments, C 724/18 et C 727/18, EU:C:2020:743, point 59).

73 Or, dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a clairement indiqué qu’elle n’entendait pas remettre en cause la légalité du régime d’autorisation prévu par la réglementation italienne en application de l’article 9 de la directive 2006/123, en excluant ainsi de la portée de ses questions la conformité à cet article du recours par le législateur national à un tel dispositif.

74 Par conséquent, il convient d’interpréter l’article 10 de la directive 2006/123 afin de fournir à la juridiction de renvoi toute indication utile lui permettant d’apprécier la conformité à cette disposition des conditions afférentes à la distance et à la démographie, auxquelles la réglementation nationale subordonne l’institution de nouveaux points de vente ordinaires des produits du tabac manufacturés.

 Sur les conditions afférentes à la distance et à la démographie

75 Les conditions afférentes à la distance et à la démographie, en cause au principal, figurent, d’une part, à l’article 24, paragraphe 42, sous b), du décret-loi n° 98/2011 et, d’autre part, à l’article 2 du décret ministériel n° 38/2013. Selon la première de ces dispositions, la distance entre les points de vente ordinaires ne peut être inférieure à 200 m et un ratio d’un point de vente pour 1 500 habitants doit être respecté. En vertu de la seconde, la distance minimale du local destiné au nouveau point de vente par rapport au point de vente le plus proche déjà en activité doit être égale ou supérieure à 300 m, dans les communes dont la population n’excède pas 30 000 habitants, à 250 m, dans les communes dont la population est comprise entre 30 001 et 100 000 habitants et à 200 m, dans les communes dont la population est supérieure à 100 000 habitants. Cette seconde disposition précise en outre que le ratio d’un point de vente pour 1 500 habitants ne doit pas être respecté dans les communes de moins de 1 500 habitants qui sont dépourvues d’un point de vente, lorsqu’un intérêt réel et concret de service peut être constaté et que le point de vente ordinaire le plus proche déjà en activité dans une autre commune est situé à plus de 600 m.

76 Or, l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2006/123 prévoit que les régimes d’autorisation visés à l’article 9, paragraphe 1, de cette directive doivent reposer sur des critères qui encadrent l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire. Aux termes de l’article 10, paragraphe 2, sous a) à g), de ladite directive, ces critères doivent être non discriminatoires, justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général, proportionnels à cet objectif d’intérêt général, clairs et non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance et, enfin, transparents et accessibles.

77 S’agissant, premièrement, du caractère non discriminatoire de tels critères, exigé à l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/123, il y a lieu de constater que des conditions fondées sur une distance minimale entre les prestataires et sur la démographie n’introduisent pas une distinction tenant à la nationalité du prestataire.

78 Deuxièmement, il importe de vérifier si ces conditions afférentes à la distance et à la démographie sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général, ainsi que l’exige l’article 10, paragraphe 2, sous b), de cette directive.

79 Il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi et le gouvernement italien que les conditions afférentes à la distance et à la démographie en cause au principal ont été adoptées avec pour objectif la protection de la santé humaine contre les risques générés par les produits du tabac manufacturés.

80 À cet égard, il ressort de l’article 24, paragraphe 42, sous a), du décret-loi no 98/2011 que la définition des critères destinés à réglementer la localisation des points de vente des tabacs manufacturés vise à concilier, dans le respect de la protection de la concurrence, la nécessité de garantir aux usagers un réseau de vente bien réparti sur l’ensemble du territoire, d’une part, et l’intérêt public primordial que représente la protection de la santé, d’autre part, consistant à prévenir et à contrôler toute situation d’offre de tabac au public non justifiée par la demande effective de produits du tabac manufacturés. L’article 3, paragraphe 2, sous a) et b), du décret ministériel no 38/2013 prévoit en outre que le réseau de vente des tabacs manufacturés doit être adapté à l’intérêt du service et organisé de manière à garantir l’efficience et l’efficacité des contrôles de l’administration visant à la protection des mineurs, de l’ordre public et de la sécurité publique, de la santé publique ainsi que des recettes.

81 La protection de la santé publique figure, ainsi qu’il ressort de l’article 4, point 8, de la directive 2006/123 ainsi que du considérant 7 de celle-ci, parmi les raisons impérieuses d’intérêt général qui peuvent justifier des restrictions aux libertés de circulation (voir, en ce sens, arrêt du 23 décembre 2015, Hiebler, C 293/14, EU:C:2015:843, point 58 et jurisprudence citée).

82 Partant, il convient de considérer que la protection de la santé humaine contre les risques générés par les produits du tabac manufacturés peut justifier des restrictions à l’ouverture de nouveaux points de vente au détail de ces produits.

83 En revanche, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, des considérations de nature purement économique ne peuvent constituer une raison impérieuse d’intérêt général [voir, en ce sens, arrêts du 15 avril 2010, CIBA, C 96/08, EU:C:2010:185, point 48, ainsi que du 19 septembre 2017, Commission/Irlande (Taxe d’immatriculation), C 552/15, EU:C:2017:698, point 89 et jurisprudence citée].

84 Comme l’a relevé M. l’avocat général au point 67 de ses conclusions, cette jurisprudence constante est reflétée à l’article 14, point 5, de la directive 2006/123 ainsi qu’à son considérant 66. Aux termes de l’article 14, point 5, de cette directive, d’une part, il est interdit d’appliquer au cas par cas un test économique consistant à subordonner l’octroi de l’autorisation à la preuve de l’existence d’un besoin économique ou d’une demande du marché, à évaluer les effets économiques potentiels ou actuels de l’activité ou à évaluer l’adéquation de l’activité avec les objectifs de programmation économique fixés par l’autorité compétente. D’autre part, cette interdiction ne concerne pas les exigences en matière de programmation qui ne poursuivent pas des objectifs de nature économique mais qui relèvent de raisons impérieuses d’intérêt général.

85 Si l’article 14, point 5, de la directive 2006/123 figure à la section 2 du chapitre III de cette directive, relative aux exigences interdites ou soumises à l’évaluation, alors que l’article 10 est situé dans la section 1 de ce même chapitre III, consacrée aux autorisations, un régime d’autorisation ne saurait comporter des exigences interdites, telles que celles énumérées à cette première disposition, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 64 de ses conclusions.

86 Du reste, un tel constat découle du libellé même de l’article 14, point 5, de la directive 2006/123 qui prévoit l’interdiction de subordonner « l’octroi de l’autorisation » à la preuve de l’existence d’un besoin économique ou d’une demande du marché.

87 Or, dans la mesure où l’article 21, paragraphe 1, de la loi n° 1293/1957 ainsi que l’article 3, paragraphe 2, sous a) et b), du décret ministériel no 38/2013 invoquent la nécessité d’adapter le réseau de vente à l’intérêt du service et de garantir les recettes, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si les critères établis par cette réglementation nationale ne conduisent pas à appliquer, au cas par cas, un test économique consistant à subordonner l’institution d’un nouveau point de vente ordinaire à la preuve de l’existence d’un besoin économique ou d’une demande du marché, au sens de l’article 14, point 5, de la directive 2006/123.

88 À cet égard, ainsi qu’il résulte des observations du gouvernement italien, les conditions afférentes à la distance et à la population résidente visent à limiter l’offre à la demande effective, en évitant, d’un côté, la prolifération des points de vente dans les endroits où la demande est déjà satisfaite par les points de vente existants mais, d’un autre côté, un nombre insuffisant de points de vente, qui pourrait avoir pour effet de laisser une partie de la demande insatisfaite et, par voie de conséquence, de favoriser des activités de contrebande.

89 Puisque les critères établis par la réglementation nationale en cause au principal semblent ainsi viser une certaine adéquation entre l’offre et la demande, ils pourraient être qualifiés, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, de test économique interdit au titre de l’article 14, point 5, de la directive 2006/123, s’il s’avère que leur objectif est d’assurer un revenu suffisant aux vendeurs de produits du tabac manufacturés ou de maximiser la perception des prélèvements fiscaux sur les consommateurs de ces produits.

90 En revanche, dans le cas où lesdits critères ne poursuivraient pas un objectif de nature économique et seraient objectivement justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général, telle que la protection de la santé publique, en évitant d’encourager la consommation par une offre accrue et en ayant un effet dissuasif sur la demande, ils ne relèveraient pas de cette interdiction.

91 Troisièmement, il importe de rappeler que le respect du principe de proportionnalité, visé à l’article 10, paragraphe 2, sous c), de la directive 2006/123, implique qu’une mesure soit propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C 391/20, EU:C:2022:638, point 65 ainsi que jurisprudence citée).

92 Afin de déterminer si et dans quelle mesure la réglementation en cause au principal satisfait à ces exigences, la juridiction de renvoi est tenue d’examiner de manière objective, à l’aide de données statistiques ou par d’autres moyens, si les éléments de preuve fournis par les autorités de l’État membre concerné permettent raisonnablement d’estimer que les moyens choisis sont aptes à réaliser les objectifs poursuivis et s’il serait possible d’atteindre ces derniers par des mesures moins restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, CDIL, C 96/22, EU:C:2023:1025, point 43 et jurisprudence citée).

93 Toutefois, la Cour, appelée à fournir à cette juridiction une réponse utile, est compétente pour lui donner des indications tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations écrites qui lui ont été soumises, de nature à permettre à ladite juridiction de statuer (arrêt du 21 décembre 2023, CDIL, C 96/22, EU:C:2023:1025, point 44 et jurisprudence citée).

94 À cet égard, il y a lieu de constater, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 90 de ses conclusions, que la combinaison des conditions afférentes à la distance et à la démographie paraît apte, à la fois à garantir l’approvisionnement en produits du tabac manufacturés sur l’ensemble du territoire et à empêcher que l’offre augmente de manière incontrôlée et entraîne un accroissement de la consommation de tabac.

95 En outre, l’offre contrôlée des produits du tabac manufacturés légaux est de nature à contribuer à réduire le recours à des produits de contrebande qui sont susceptibles de stimuler la consommation en raison des prix inférieurs auxquels ils sont offerts ou de présenter des risques supplémentaires pour la santé des consommateurs dans le cas où ils ne correspondraient pas aux normes applicables aux produits du tabac manufacturés ou mis sur le marché dans les États membres, notamment en ce qui concerne les ingrédients et les émissions de ces produits.

96 Toutefois, afin d’atteindre de façon cohérente et systématique l’objectif de la protection de santé publique invoqué, le mécanisme en cause au principal ne devrait pas avoir pour seul effet de garantir l’accessibilité et la disponibilité des produits du tabac manufacturés, sans produire d’effets dissuasifs sur la demande de ces produits. En outre, l’effet utile de l’application des conditions afférentes à la distance et à la démographie ne devrait pas être remis en cause par d’autres mesures.

97 À cet égard, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, compte tenu des exigences rappelées au point 92 du présent arrêt, si la condition relative à la distance minimale entre les points de vente, telle que prévue par la réglementation nationale, combinée à celle afférente à la démographie, compte tenu des particularités géographiques et démographiques de l’État membre concerné, suffit à dissuader la consommation des produits du tabac manufacturés, sans conduire à l’augmentation de l’offre illégale de ces produits.

98 Il lui appartient également d’apprécier si l’augmentation du nombre de distributeurs automatiques ne remet pas en cause l’effet utile desdites conditions, ainsi que le caractère cohérent et systématique, au sens de la jurisprudence citée au point 91 du présent arrêt, de la réglementation nationale en cause au principal.

99 À cet égard, il importe de relever que le gouvernement italien a fait valoir à l’audience devant la Cour que l’installation des distributeurs automatiques est soumise aux mêmes conditions afférentes à la distance et à la démographie que l’institution des points de vente et peut être effectuée uniquement par des opérateurs qui détiennent une concession d’un point de vente ordinaire ou une licence. Un opérateur ne pourrait installer plus d’un distributeur, à l’intérieur ou à l’extérieur de son établissement, et les opérateurs susceptibles d’obtenir des licences pourraient choisir d’installer un distributeur automatique de tabac, après autorisation administrative, en tant qu’alternative à cette licence.

100 Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, ainsi encadrée, l’installation de distributeurs automatiques constitue un moyen de vente des produits du tabac manufacturés alternatif à la vente au moyen de points de vente ordinaires ou spéciaux ou de licences, devant respecter les mêmes conditions afférentes à la distance et à la démographie, et ne conduit pas à accroître l’offre de ces produits.

101 S’agissant de l’appréciation de la nécessité de la mesure en cause au principal, qu’implique l’examen du critère de proportionnalité visé à l’article 10, paragraphe 2, sous c), de la directive 2006/123, il convient de souligner, tout d’abord, que la santé publique occupe le premier rang parmi les biens et les intérêts protégés par le traité FUE et qu’il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer cette protection ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint, de sorte que ceux-ci disposent d’une marge d’appréciation à cet égard (arrêt du 21 décembre 2023, CDIL, C 96/22, EU:C:2023:1025, point 46 et jurisprudence citée).

102 Ensuite, il y a lieu de tenir compte de la grande nocivité avérée de la consommation de produits du tabac manufacturés, par les effets de ces derniers en matière de dépendance et par la survenance de maladies graves provoquées par des composés pharmacologiquement actifs, toxiques, mutagènes et cancérigènes contenus dans ces produits (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C 547/14, EU:C:2016:325, point 156).

103 Enfin, il n’est pas indispensable que la mesure restrictive édictée par les autorités d’un État membre corresponde à une conception partagée par l’ensemble des États membres en ce qui concerne les modalités de protection du droit fondamental ou de l’intérêt légitime concerné. Au contraire, la nécessité et la proportionnalité des dispositions prises en la matière ne sont pas exclues au seul motif qu’un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté dans un autre État (arrêt du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C 391/20, EU:C:2022:638, point 82 ainsi que jurisprudence citée).

104 À cet égard, compte tenu de la marge d’appréciation rappelée au point 101 du présent arrêt, la circonstance que la CCLAT n’envisage pas, parmi les mesures visant à réduire la consommation de tabac, un régime subordonnant l’autorisation de nouveaux points de vente à des conditions afférentes à la distance et à la démographie ne permet pas de conclure que le régime en cause au principal dépasse ce qui est nécessaire afin d’atteindre cet objectif.

105 Au regard de cette marge d’appréciation, lorsqu’un État membre considère utile d’introduire des mesures visant à contrôler l’offre de produits du tabac manufacturés, cet État membre peut légitimement considérer qu’une augmentation périodique du nombre des consommateurs ne constitue pas un facteur devant être pris en compte.

106 En effet, la prise en compte d’une telle augmentation périodique irait à l’encontre de l’objectif recherché d’une limitation de l’offre visant à dissuader la consommation.

107 Par ailleurs, le gouvernement italien fait valoir que, dans le respect des conditions afférentes à la distance et à la démographie qu’il fixe, le régime d’autorisation en cause au principal prévoit d’accorder une attention particulière, conformément à l’article 3, paragraphes 1 et 2, du décret ministériel n° 38/2013, aux zones caractérisées par de nouveaux développements résidentiels et commerciaux, à l’importance spécifique des intersections de route et des principaux lieux urbains de rencontre de la population résidente ou à la présence de bureaux et de structures de production présentant une importance et une fréquentation particulières. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est effectivement le cas.

108 Quatrièmement, s’agissant des exigences visées à l’article 10, paragraphe 2, sous d) à g), de la directive 2006/123, il convient de rappeler, tout d’abord, que les exigences de clarté et de non-ambiguïté [point d)] renvoient à la nécessité de rendre les conditions d’autorisation aisément compréhensibles par tous en évitant toute ambivalence dans le libellé de celles-ci. Ensuite, l’exigence d’objectivité [point e)] vise à ce que les demandes d’autorisation soient appréciées sur la base de leurs mérites propres, afin de garantir aux parties concernées que leur demande sera traitée avec objectivité et impartialité. Enfin, les exigences de publicité [point f)] ainsi que de transparence et d’accessibilité [point g)] présupposent que toute personne intéressée puisse être informée immédiatement de l’existence d’une réglementation susceptible d’affecter l’accès à l’activité concernée ou l’exercice de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2020, Cali Apartments, C 724/18 et C 727/18, EU:C:2020:743, points 96 et 107 ainsi que jurisprudence citée).

109 Il apparaît, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, que les conditions afférentes à la distance et à la démographie se fondent sur des données objectives, sont connues d’avance et ne sont pas, en principe, susceptibles de donner lieu à des difficultés d’interprétation ou d’application. Dès lors qu’elles doivent être satisfaites pour l’autorisation de tout nouveau point de vente, ces conditions semblent conformes aux exigences rappelées au point précédent du présent arrêt.

110 Cela étant, il résulte du dossier dont dispose la Cour ainsi que des observations soumises lors de l’audience que la circonstance que les conditions afférentes à la distance et à la démographie sont remplies ne garantit pas pour autant la délivrance d’une autorisation pour un nouveau point de vente ordinaire.

111 En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 21, paragraphe 1, de la loi n° 1293/1957, les points de vente ordinaires sont institués à l’endroit et au moment où l’administration le juge « utile et approprié dans l’intérêt du service ». De même, l’article 3, paragraphe 2, sous a), du décret ministériel n° 38/2013 précise que l’adoption des plans semestriels pour l’institution de points de vente ordinaires doit tenir compte de la nécessité pour le réseau de vente des tabacs manufacturés d’être « adapté à l’intérêt du service ».

112 Or, cette condition générale relative à l’« intérêt du service », dont le contenu est illustré à l’article 3, paragraphe 1, du décret ministériel n° 38/2013 par des exemples non limitatifs de certaines de ces caractéristiques et qui s’ajoute aux conditions afférentes à la distance et à la population résidente dont l’administration doit tenir compte, est susceptible de remettre en cause le caractère clair, non ambigu, objectif et transparent des critères encadrant l’exercice du pouvoir d’appréciation de l’administration, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

113 Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que l’article 10, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui subordonne l’octroi d’une autorisation de points de vente de produits du tabac au respect de conditions afférentes à la distance géographique minimale entre les prestataires et à la démographie, sans possibilité de prise en compte par l’autorité publique compétente, en lieu et place de ces conditions, d’augmentations périodiques du nombre de consommateurs, pour autant que lesdites conditions :

– sont objectivement justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général, telle la protection de la santé publique contre les risques générés par les produits du tabac manufacturés ;

– sont de nature à produire des effets dissuasifs sur la demande de produits du tabac manufacturés ;

– s’appliquent également à l’installation des distributeurs automatiques de tabac et,

– appliquées, le cas échéant, avec le critère de l’intérêt du service, respectent le principe de proportionnalité et satisfont aux exigences de clarté, de non-ambiguïté, d’objectivité, de publicité, de transparence et d’accessibilité.

 Sur les dépens

114 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 10, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui subordonne l’octroi d’une autorisation de points de vente de produits du tabac au respect de conditions afférentes à la distance géographique minimale entre les prestataires et à la démographie, sans possibilité de prise en compte par l’autorité publique compétente, en lieu et place de ces conditions, d’augmentations périodiques du nombre de consommateurs, pour autant que lesdites conditions :

– sont objectivement justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général, telle la protection de la santé publique contre les risques générés par les produits du tabac manufacturés ;

– sont de nature à produire des effets dissuasifs sur la demande de produits du tabac manufacturés ;

– s’appliquent également à l’installation des distributeurs automatiques de tabac et,

– appliquées, le cas échéant, avec le critère de l’intérêt du service, respectent le principe de proportionnalité et satisfont aux exigences de clarté, de non-ambiguïté, d’objectivité, de publicité, de transparence et d’accessibilité.