CA Grenoble, 1re ch. civ., 18 octobre 2022, n° 20/03876
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Alpes Camping Car (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Clerc
Conseillers :
Mme Blatry, M. Desgouis
Avocats :
Me Guy, Me Millias, Me Pantel
FAITS ET PROCEDURE
Selon bon de commande du 8 avril 2015 et certificat de cession du 11 avril 2015 M. [Z] [A] a fait l'acquisition pour le prix de 19.675 euros TTC d'un véhicule de type camping-car de marque SEA modèle MILLER appartenant à M. [F] [O] qui l'avait confié en dépôt vente à la SARL Alpes Camping Car.
Le bon de commande mentionne que le véhicule a été vendu révisé et que le joint de toiture a été repris.
Le 9 juillet 2016 la toiture du véhicule a été endommagée par une branche d'arbre.
L'expert mandaté par l'assureur de protection juridique de M. [A] (cabinet CECAR Experts) a conclu le 7 novembre 2016 à l'existence d'un défaut d'étanchéité de la toiture antérieur à la vente et a estimé que le véhicule n'était pas économiquement réparable.
Les tentatives de règlement amiable du litige n'ayant pas abouti, M. [A] a obtenu en référé le 25 juillet 2017 l'instauration d'une expertise technique au contradictoire de la société Alpes Camping Car, de M. [O] et de M. [Y] [U] (précédent vendeur du véhicule).
L'expert judiciaire, [E] [B], a déposé son rapport le 25 juin 2018 dont il résulte que le véhicule serait affecté d'un important désordre de carrosserie à l'origine d'infiltrations d'eau déjà présent au moment de la vente entre M. [O] et M. [U].
Par acte d'huissier du 3 mai 2019 M. [A] a fait assigner la société Alpes Camping Car devant le tribunal de grande instance de Gap en paiement de la somme de 34.018,78 euros correspondant au coût des réparations et de celle de 6.932,28 euros au titre de son préjudice de jouissance en se fondant sur la responsabilité contractuelle du garagiste.
La société Alpes Camping Car s'est opposée à l'ensemble de ces demandes au motif qu'il n'aurait pas été démontré que les joints appliqués par elle seraient à l'origine des infiltrations.
Par jugement en date du 9 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Gap a condamné avec exécution provisoire la société Alpes Camping Car à payer à M. [A] la somme de 34.018,78 euros en réparation de son préjudice tout en rejetant la demande en réparation d'un préjudice de jouissance, outre une indemnité de procédure de 1.500 euros, cette société étant condamnée aux dépens et aux frais d'expertise.
Se fondant sur les conclusions de l'expert judiciaire, selon lesquelles les travaux de reprise des joints d'étanchéité réalisés par la société Alpes Camping Car n'ont pas été effectués dans les règles de l'art, et considérant que cette dernière avait manqué à son obligation de conseil en ne prévenant pas l'acquéreur de l'existence d'un défaut d'étanchéité antérieur, le tribunal a retenu la responsabilité contractuelle du réparateur dépositaire du véhicule en vue de sa revente.
Il a retenu l'évaluation des travaux de remise en état proposée par l'expert, mais a considéré que le demandeur ne justifiant pas du point de départ de l'immobilisation du véhicule, ni de la teneur de son préjudice, n'était pas fondé à solliciter la réparation d'un trouble de jouissance.
La société Alpes Camping Car a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 4 décembre 2020 aux termes de laquelle elle critique l'ensemble des chefs du jugement.
Par ordonnance de référé en date du 10 mars 2021 la première présidente de la présente cour a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire formée par la société Alpes Camping Car à défaut pour l'exécution de la décision d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
Par ordonnance juridictionnelle en date du 5 octobre 2021, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement par M. [A] de son incident de radiation de l'affaire.
Vu les conclusions nº2 déposées le 8 janvier 2021 par la société Alpes Camping Car qui demande à la cour, par voie de réformation du jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande en réparation d'un préjudice de jouissance, de débouter M. [A] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens y compris les frais d'expertise.
Elle fait valoir que :
à la date de l'achat par M. [A] le véhicule, qui avait eu trois propriétaires différents, était âgé de 10 ans et avait parcouru 16'649 km, elle n'a jamais été propriétaire du véhicule et ne s'est jamais vu confier une quelconque obligation d'entretien ou de réparation,
le contrat de dépôt-vente conclu entre elle-même et M. [O] n'a mis à sa charge aucune obligation de contrôle de l'état du véhicule, tous désordres éventuels étant à la charge du déposant, en sa qualité de mandataire du propriétaire, elle ne peut se voir opposer les vices rendant la chose impropre à son usage et n'a pas engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de l'acquéreur du seul fait de sa qualité de professionnelle,
il ressort de l'expertise judiciaire que les infiltrations d'eau par le toit ayant endommagé l'infrastructure de la cellule du camping-car proviennent d'un défaut d'étanchéité antérieur aux travaux de reprise des joints qu'elle a réalisés à l'occasion de la transaction entre le précédent propriétaire et M. [O], de sorte que si son intervention n'a pas permis de remédier aux désordres elle n'est pas à l'origine des infiltrations, n'ayant aucune obligation de vérifier l'état du véhicule, dont M.[O] avait attesté de son parfait état de fonctionnement, ni de procéder à une quelconque réparation, elle ne peut être tenue pour responsable des désordres, étant observé que postérieurement à son intervention sur une partie des joints les fuites ont cessé, ainsi
que l'a constaté l'expert judiciaire,
en toute hypothèse M. [A] ne peut sérieusement prétendre obtenir la somme de 34.018,70 euros correspondant au montant des travaux de remise en état évalués par l'expert judiciaire, alors que cette somme correspond à presque deux fois le montant du prix de vente et que le véhicule ayant été déclaré économiquement irréparable il s'agirait pour le vendeur d'une opération particulièrement rentable.
Vu les conclusions déposées le 22 juillet 2021 par M. [A] qui sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Il fait valoir que :
il est de principe que le garagiste, qui effectue une réparation sur un véhicule, est tenu d'une obligation de résultat
au plan contractuel,
il a été expressément stipulé dans le cadre du contrat de dépôt-vente que le joint de toiture a été repris, il résulte de l'expertise judiciaire que les travaux de reprise du joint avant gauche effectués en 2014 par la société Alpes Camping Car n'ont pas été réalisés dans les règles de l'art, puisque les anciens joints défectueux n'ont pas été déposés préalablement, ce qui a laissé perdurer les infiltrations, il importe peu que le défaut d'étanchéité soit antérieur à l'intervention de la société Alpes Camping Car puisqu'il appartenait à cette dernière de remédier définitivement aux désordres, la responsabilité contractuelle de la société Alpes Camping Car est par conséquent engagée dès lors que les infiltrations se sont poursuivies après sa réparation défectueuse, que la société Alpes Camping Car a, en tout état de cause, manqué à son devoir de conseil en ne lui signalant pas la présence d'une poche d'eau résiduelle pouvant conduire à la détérioration irréversible de l'habitacle.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 26 juillet 2022.
MOTIFS
Le défaut d'étanchéité de la toiture du camping-car, qui n'est pas contesté, a clairement été mis en évidence par l'expert judiciaire, lequel a constaté :
un pourrissement de la structure bois sous la toile du pavillon,
la dégradation du mastic d'étanchéité autour du lanterneau,
une trace d'infiltration d'eau au-dessus de la porte du conducteur,
une hygrométrie importante dans la partie avant gauche de la cellule du camping-car en augmentation après un test d'arrosage, la pause non conforme des joints d'étanchéité du toit.
Après avoir rappelé que le gérant de la société Alpes Camping Car lui avait confirmé que des travaux d'étanchéité avaient été réalisés sur le véhicule avant la vente à M. [O], l'expert a considéré :
que le véhicule subit une infiltration d'eau par la toiture depuis plusieurs années, dont l'origine est antérieure à l'acquisition faite par M. [O], avec pour conséquence la destruction de l'infrastructure de l'habitacle (plafond, panneaux latéraux et plancher),
que les travaux de reprise réalisés par la société ALPES CAMPING CAR ne sont pas conformes aux règles de l'art, puisque le remplacement des joints a été réalisé sans dépose préalable des joints défectueux, ce qui n'a pas permis de remédier aux désordres,
que le coût des travaux de remise en état nécessaires s'élève à la somme de 34.018,78 euros TTC.
La défectuosité des travaux de reprise effectués en 2014 n'est pas techniquement contestée par la société Alpes Camping Car qui se borne à soutenir que ces travaux, certes inefficaces, n'ont pas causé les infiltrations dont l'origine est antérieure, étant observé qu'elle ne peut tirer argument du fait que l'expert judiciaire n'a pas constaté de nouvelles venues d'eau à l'occasion de son test d'arrosage, puisque ce dernier a mesuré une augmentation du taux d'humidité dans les éléments de structure après ce test.
Le véhicule appartenant à M. [O] a été acquis le 11 avril 2015 par M. [A] dans le cadre du contrat de dépôt- vente conclu entre le vendeur et la société Alpes Camping Car.
Le contrat de dépôt- vente s'analyse en un contrat de dépôt avec mandat de vendre confié au dépositaire.
La responsabilité éventuelle de la société Alpes Camping Car à l'égard de M. [A] est donc exclusivement celle du mandataire à l'égard du tiers acquéreur, étant rappelé que le mandataire professionnel, qui n'a de lien contractuel qu'avec son mandant, n'engage que sa responsabilité délictuelle à l'égard de l'acquéreur, notamment pour manquement à son devoir général d'information et de conseil.
M. [A] fonde principalement sa demande en réparation sur le manquement de la société Alpes Camping Car à son obligation contractuelle de résultat dans le cadre de sa prestation de reprise des joints.
Or, il résulte des constatations de l'expert judiciaire que cette réparation a été effectuée à l'occasion d'une précédente vente entre M. [U] et M. [O] conclue le 5 novembre 2014 dans le cadre d'un contrat de dépôt-vente distinct du 30 octobre 2014 confié par le vendeur à la même société Alpes Camping Car.
La prestation litigieuse, dont l'expert judiciaire indique qu'elle est défectueuse en ce qu'elle n'a pas permis de mettre fin aux infiltrations ayant une origine antérieure, a donc été effectuée à la demande de M. [U], qui sur ce point apparaît comme le seul cocontractant du réparateur.
L'acquéreur n'est dès lors pas fondé à rechercher la responsabilité contractuelle de la société Alpes Camping Car pour manquement à son obligation de résultat au titre de la prestation de réparation qu'elle a effectuée à la demande d'un précédent propriétaire.
Il ne se prévaut pas, en outre, de ce manquement au plan délictuel en vertu de la règle selon laquelle tout manquement contractuel causant un préjudice à un tiers engage la responsabilité délictuelle de son auteur à l'égard de ce dernier.
Il invoque cependant à bon droit', à titre subsidiaire, la responsabilité de la société Alpes Camping Car en sa qualité de mandataire du vendeur, pour manquement à son obligation de conseil.
Il est en effet de principe que le mandataire professionnel engage sa responsabilité extra-contractuelle à l'égard du tiers même dans l'hypothèse d'un simple manquement à son devoir de conseil.
Il ne peut, certes, être retenu que la société Alpes Camping Car a été informée par le vendeur/déposant de la persistance des infiltrations malgré la reprise d'une partie du joint d'étanchéité en octobre 2014, puisque M.[O] certifie expressément au contrat de dépôt-vente conclu le 1er avril 2015 que le véhicule est en parfait état de fonctionnement (porteur et cellule).
Il est toutefois stipulé au bon de commande régularisé le 8 avril 2015 entre M. [A] et la société Alpes Camping Car que le véhicule est «'vendu révisé porteur cellule et reprise joint toiture'».
Au vu de cette mention expresse, l'acquéreur profane pouvait légitimement considérer que l'intermédiaire professionnel avait vérifié le bon état général du véhicule et lui garantissait qu'il n'était pas affecté d'un vice grave le rendant impropre à son usage.
Il appartenait donc à la société Alpes Camping Car qui n'ignorait rien du défaut d'étanchéité antérieur auquel elle avait tenté de remédier, de procéder aux vérifications nécessaires afin de s'assurer que la cellule était désormais à l'abri de toute infiltration et d'alerter, le cas échéant, l'acquéreur, sur le risque de persistance des désordres.
La société Alpes Camping Car a par conséquent manqué à son obligation d'information et de conseil à l'égard de l'acquéreur, dont il est certain qu'il aurait renoncé à son achat s'il avait été informé du grave défaut d'étanchéité ancien affectant la toiture du véhicule à usage d'habitation.
Si le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit peut conduire dans certaines hypothèses à une indemnisation excédant la valeur vénale du bien endommagé, il n'est nullement établi en l'espèce que sur le marché de l'occasion M. [A] ne serait pas en mesure de trouver un véhicule équivalent exempt de vices pour le prix qu'il a acquitté en 2015.
L'indemnisation du préjudice subi par ce dernier ne saurait ainsi excéder la valeur d'acquisition du véhicule, qui a au demeurant parcouru près de 8000 km entre le 8 avril 2015 et le sinistre survenu le 9 juillet 2016.
La société Alpes Camping Car sera par conséquent condamnée à payer à M. [A] la somme de 19.675 euros à titre de dommages et intérêts.
La demande en réparation d'un préjudice de jouissance n'étant pas maintenue en cause d'appel, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette prétention.
L'équité commande enfin de faire à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimé pour l'instance d'appel.
La société Alpes Camping Car est condamnée aux dépens d'appel, les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens, frais d'expertise et indemnité de procédure étant par ailleurs confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement,
Confirme le jugement déféré en ses dispositions relatives au rejet de l'indemnisation du préjudice de jouissance de M. [Z] [A], aux frais irrépétibles, aux dépens et aux frais d'expertise,
Réforme le jugement déféré pour le surplus, statuant à nouveau en y ajoutant :
Déclare la SARL Alpes Camping Car responsable du préjudice subi par M. [Z] [A] pour manquement à son obligation de conseil et d'information,
Condamne la SARL Alpes Camping Car à payer à M. [Z] [A] la somme de 19.675 euros à titre de dommages et intérêts,
Condamne la SARL Alpes Camping Car à payer à M. [Z] [A] une indemnité de procédure de 1.500 euros pour l'instance d'appel,
Déboute la SARL Alpes Camping Car de sa réclamation présentée en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL Alpes Camping Car aux dépens d'appel.