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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 3 octobre 2024, n° 23/10502

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Selarl MJ Synergie (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chalbos

Conseillers :

Mme Vignon, Mme Martin

Avocats :

Me Ermeneux, Me Bertrand, Me Veleva-Reinaud

CA Aix-en-Provence n° 23/10502

2 octobre 2024

Par acte authentique en date du 15 février 2008, a été constituée entre M. [L] [P] et M. [E] [U] la SARL [P] [U], ayant pour objet social tous travaux agricoles et toute activité annexe.

La société [P] [U] a notamment souscrit auprès de la société Lixxbail le 31 mars 2008 un contrat de crédit-bail portant le numéro 727710B80 ayant pour objet le financement d'une moissonneuse-batteuse de marque New Holland CX 8050 et une cueilleuse de marque Capello représentant un investissement de 192 000 euros HT et le 18 juin 2008 un contrat de crédit-bail numéro 727754B80 portant sur une moissonneuse-batteuse de marque New Holland CS 540 SL sans coupe d'une valeur de 71000 euros HT.

Par ordonnance de référé du 16 avril 2013, le président du tribunal de commerce d'Aubenas saisi par la société Lixxbail a constaté la résiliation de plein droit du contrat de crédit-bail numéro 727710B80 à la date du 2 avril 2012 et condamné à titre provisionnel la société [P] [U] à payer au crédit bailleur la somme de 65 806,75 euros TTC (48853,72 euros au titre du contrat n°727710B80 et 16953,03 euros au titre du contrat n°727754B80) avec intérêts au taux légal à compter du 28 décembre 2012.

Exposé du litige

Par exploit en date du 19 mars 2013, la société [P] [U] a fait assigner M. [U] en responsabilité devant le tribunal de commerce d'Aubenas au motif que le défendeur avait agi à l'encontre de l'intérêt de la société en récupérant le matériel financé par le contrat de crédit-bail numéro 727710B80 sans verser d'indemnité de jouissance à la société, en refusant de restituer ledit matériel et en prélevant à son profit diverses sommes sur le compte de la société, malgré un accord sur les modalités de règlement des sommes dues au titre du contrat de crédit-bail numéro 727754B80.

Le crédit-bailleur a entre temps obtenu, par arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 17 mars 2016, la condamnation de MM [U] et [P] au titre de leur engagement de caution, à lui payer les sommes de 46689, 49 euros, 4164,23 euros et 16 953,03 euros.

La société [P] [U] ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire simplifiée ouverte par jugement du 12 décembre 2017, la SELARL MJ synergie est intervenue volontairement à la procédure restée pendante devant le tribunal de commerce d'Aubenas sur l'action en responsabilité engagée à l'encontre de M. [U].

Par jugement en date du 16 octobre 2018, objet de la présente procédure, le tribunal de commerce d'Aubenas a :

- Rejeté la demande de renvoi de M. [E] [U] ;

- Joint les instances 2013 J 45 et 2015 J 93, en raison des liens de connexité ;

- Donné acte à la société MJ Synergie représentée par Maître [S] [Z], liquidateur judiciaire de la société [P] [U], de son intervention volontaire ;

- Déclaré les demandes de la société [P] [U] à l'encontre de M. [E] [U] recevables et biens fondées ;

- Dit que M. [E] [U], a commis une faute intentionnelle à l'encontre de l'intérêt social de la société [P] [U], en la privant de l'usage de son matériel pendant près de deux années ;

- Dit que M. [E] [U] a commis une faute intentionnelle à l'encontre de l'intérêt social de la société [P] [U], par le prélèvement à son seul profit d'une somme de 27 525euros empêchant ainsi le règlement des loyers dus à la SA Lixxbail alors qu'un accord était intervenu entre elles ;

- Dit que M. [E] [U], a commis une faute intentionnelle à l'encontre de l'intérêt social de la société [P] [U], en ne remettant pas sur le compte de cette sociétés trois chèques émis par un client de celle-ci ;

- Jugé que M. [E] [U], est personnellement responsable des dommages causés à la société [P] [U] ;

- Déclaré prescrite et infondée l'action en responsabilité engagée par M. [E] [U] à l'encontre de M. [L] [P], ès-qualités de co-gérant de la société [P] [U] ;

- Dit qu'il n'y a pas lieu à statuer sur le fond sur les griefs reprochés à M. [L] [P] par M. [E] [U], ceux-ci étant frappés de prescription ;

- Débouté M. [E] [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions tant à l'égard de la société [P] [U] que de M. [L] [P] à titre personnel ;

- Condamné M. [E] [U] à payer à la société MJ Synergie représentée par Maître [S] [Z], liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL [P] [U], les sommes de : 50000 euros au titre du contrat de crédit-bail n°727710B80 conclu le 31 mars 2008 et de 20000 euros au titre du solde du prix de cession de la vente anticipée du matériel, objet du contrat de crédit-bail n° 727710B80 conclu le 18 juin 2008, et de 2500 euros au titre des trois chèques non remis sur le compte bancaire de la société [P] [U] ;

- Fait reste de droit à la société MJ Synergie, représentée par Maître [S] [Z] liquidateur judiciaire de la société [P] [U], en condamnant M. [U] à lui verser une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Fait reste de droit à M. [L] [P], en condamnant M. [E] [U], à lui verser une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision, nonobstant appel et sans caution ;

- Condamné M. [E] [U] aux entiers dépens d'instance.

M. [E] [U] a interjeté appel devant la cour d'appel de Nîmes de ce jugement et saisi le premier président de la cour aux fins de suspension de l'exécution provisoire.

Par ordonnance en date du 26 avril 2019, le premier président de la cour d'appel de Nîmes a fait droit à la demande.

Par arrêt en date du 17 décembre 2020, la cour d'appel de Nîmes a :

- Confirmé le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné M. [U] à payer à la société MJ Synergie ès qualités les sommes de 20 000 euros au titre du solde du prix de cession de la vente anticipée du matériel objet du contrat numéro 727710B80, et 2 500 euros au titre des trois chèques non remis sur le compte bancaire de la société [P] [U],

Statuant à nouveau de ces chefs,

- débouté la société MJ Synergie ès qualités de sa demande de dommages intérêts d'un montant de 20 000 euros au titre du solde du prix de cession de la vente anticipée du matériel objet du contrat numéro 727710B80,

- condamné M. [E] [U] à payer à la société MJ Synergie ès qualités la somme de 2 055 euros au titre des 3 chèques non remis sur le compte bancaire de la société [P] [U],

Y ajoutant,

- Dit que M. [E] [U] supportera les dépens d'appel et payera, en application de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 2 000 euros à la société MJ Synergie ès qualités, et la somme de 2 000 euros à M. [L] [P].

Sur la requête en omission de statuer déposée le 26 mars 2021, la cour d'appel de Nîmes a par arrêt du 12 mai 2021, complétant l'arrêt prononcé le 17 décembre 2020, débouté M. [U] de sa demande de délais de paiement.

M. [E] [U] a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de l'arrêt du 17 décembre 2020.

Par arrêt du 1er juin 2023, la Cour de cassation a :

- cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il dit que M. [U] a commis des fautes intentionnelles à l'encontre de l'intérêt social de la société [P] [U] en la privant de l'usage de son matériel pendant près de deux années et en ne remettant pas sur le compte de cette société trois chèques émis par un client de celle-ci, et condamne M. [U] à payer à la société MJ Synergie, liquidateur judiciaire de la société [P] [U], la somme de 50 000 euros au titre du contrat de crédit-bail n° 727710B80, et en ce qu'il condamne M. [U] à payer à la société MJ Synergie, ès qualités, la somme de 2 055 euros au titre des trois chèques non remis sur le compte bancaire de la société [P] [U] et statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

- remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt d'appel et les a renvoyées devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence.

La Cour de cassation a énoncé au visa de l'article 455 du code de procédure civile, que la cour d'appel de Nîmes n'avait pas répondu aux conclusions de M. [U] qui faisait valoir qu'il avait démissionné de ses fonctions de gérant de la société [P] [U] le 5 mai 2010 et que sa responsabilité ne pouvait pas être recherchée sur le fondement de l'article L. 223-22 du Code de commerce pour des faits postérieurs à sa démission.

M. [E] [U] a saisi la cour de renvoi par déclaration du 4 août 2023.

Par conclusions déposées et notifiées le 8 avril 2024, M. [E] [U] demande à la cour, vu les articles L. 223-22 et L. 223-23 du code de commerce, ainsi que l'article 1382 du code civil de:

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Aubenas le 16 octobre 2018 en ce qu'il dit que M. [U] a commis des fautes intentionnelles à l'encontre de l'intérêt social de la société [P] [U] en la privant de l'usage de son matériel pendant près de deux années et en ne remettant pas sur le compte de cette société trois chèques émis par un client de celle-ci, et le condamnant à payer à la société MJ Synergie, liquidateur judiciaire de la société [P] [U], la somme de 50 000 euros au titre du contrat de crédit-bail n° 727710B80, et la somme de 2 055 euros au titre des trois chèques non remis sur le compte bancaire de la société [P] [U] et statuant sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile,

- statuant à nouveau, débouter la société MJ Synergie de sa demande de condamnation de M. [U] à lui payer la somme de 50 000 euros au titre du préjudice subi du fait du contrat de crédit-bail n° 727710B80 conclu le 31 mars 2008 ainsi que celle de 2 055 euros au titre du détournement des trois chèques émis par l'entreprise [N],

- subsidiairement, au visa de l'article 223-22, alinéa 2 du code de commerce, fixer à la somme de 25 000 euros la part de M. [U] dans la réparation du préjudice invoqué par le liquidateur au titre du crédit-bail ;

À titre subsidiaire,

- au visa de l'article 1244-1 du code civil, accorder à M. [U] les plus larges délais de grâce,

- débouter la société MJ Synergie de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société MJ Synergie à payer à M. [U] la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions déposées et notifiées le 1er décembre 2023, la société MJ Synergie, ès qualités de mandataire judiciaire de la société [P]-[U], demande à la cour, vu les articles L. 223-22 et L. 223-23 du code de commerce, ainsi que l'article 1382 du code civil de:

- Confirmer le jugement rendu en ce qu'il a dit que M. [U] a commis des fautes intentionnelles à l'encontre de l'intérêt social de la société [P] [U] en la privant de l'usage de son matériel pendant près de deux années et en ne remettant pas sur le compte de cette société trois chèques émis par un client de celle-ci, et le condamnant à payer à la société MJ Synergie, liquidateur judiciaire de la société [P] [U], la somme de 50 000 euros au titre du contrat de crédit-bail n° 727710B80, et la somme de 2 055 euros au titre des trois chèques non remis sur le compte bancaire de la société [P] [U] et statuant sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile ;

- Déclarer irrecevable et si besoin, débouter M. [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions et plus particulièrement, s'agissant d'une part, de ses demandes de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens à l'encontre la société MJ Synergie et d'autre part, de sa demande de délais de paiement sur le fondement de l'article 1244-1 du code civil ;

Y ajoutant,

- condamner M. [U] à payer à la société MJ Synergie, une somme de 5000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner M. [U] aux entiers dépens des procédures d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 mai 2024.

MOTIFS :

Il ressort de la lecture de l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er juin 2023 que sont définitives comme n'étant pas atteintes par la cassation les dispositions qui :

Motivation

- déclarent prescrite et infondée l'action en responsabilité engagée par M. [E] [U] à l'encontre de M. [L] [P], ès-qualités de co-gérant de la société [P] [U],

- dit qu'il n'y a pas lieu à statuer sur le fond sur les griefs reprochés à M. [L] [P] par M. [E] [U], ceux-ci étant frappés de prescription,

- déboutent M. [E] [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions tant à l'égard de la société [P] [U] que de M. [L] [P] à titre personnel,

- déboutent la société MJ Synergie ès qualités de sa demande de dommages intérêts d'un montant de 20 000 euros au titre du solde du prix de cession de la vente anticipée du matériel objet du contrat numéro 727710B80,

- déboutent M. [U] de sa demande de délais de paiement.

Aux termes de l'article 13 des statuts de la SARL [P] [U], intitulé 'démission', un gérant peut démissionner sans juste motif sous réserve de notifier sa démission à chacun des associés par lettre recommandée avec demande d'avis de réception plus de six mois avant la clôture de l'exercice social en cours. Sa démission ne prendra effet qu'à la clôture de l'exercice en cours.

L'article 15 des statuts précise que l'exercice social commence le premier avril et se termine le 31 mars de chaque année.

M. [U] a adressé à M. [L] [P] une lettre de démission datée du 5 mai 2010, dont la copie est versée aux débats et rédigée en ces termes :

'M. l'associé, je t'informe de ma démission en tant que co-gérant de la SARL [P]-[U]. Cette démission prendra effet à la clôture de notre dernier bilan lors de l'assemblée générale.'

Il s'évince de ces éléments que M. [U], respectant le préavis prévu par les statuts, a entendu donner sa démission pour la fin de l'exercice en cours, soit le 31 mars 2011.

La circonstance qu'aucune assemblée générale ne se soit tenue à la suite de la clôture de l'exercice pour qu'il soit statué sur l'approbation des comptes et qu'il soit pris acte de cette démission ne saurait avoir pour conséquence d'en différer l'effet indéfiniment, la démission étant un acte de volonté unilatéral qui ne nécessite aucune confirmation par l'assemblée générale.

L'absence de formalité de publicité de cette démission la rend inopposable aux tiers mais est sans incidence dans les rapports entre le gérant démissionnaire et la société qui en a été dûment informée.

La responsabilité de M. [U] peut dont être recherchée sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce pour des faits commis jusqu'au 31 mars 2011.

La SELARL MJ Synergie ne démontre pas que, comme elle l'affirme, M. [U] se serait comporté en gérant de fait de la SARL [P] [U] postérieurement au 31 mars 2011.

La seule circonstance que M. [U] ait transmis, pour encaissement sur le compte de la SARL, trois chèques datés du 15 février 2011 qui lui avaient été remis par un client avant la date d'effet de sa démission est insuffisante à caractériser une volonté de continuer à gérer et diriger la personne morale.

Le fait qu'il soit par ailleurs mentionné en qualité de gérant de la SARL [P] [U] dans un arrêt rendu le 16 février 2017 par la cour d'appel de Grenoble statuant sur un litige opposant ladite SARL à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel

Centre Est, à laquelle sa démission n'était pas opposable, ne permet pas non plus de caractériser l'exercice effectif d'une gestion de fait de M. [U].

La SELARL MJ Synergie n'est en conséquence pas fondée à rechercher la responsabilité de M. [U] en qualité de dirigeant de fait de la SARL [P] [U] pour des faits commis postérieurement au 31 mars 2011 et courant 2012.

Cette absence de qualité de dirigeant de fait ne fait cependant pas obstacle à ce que sa responsabilité délictuelle de droit commun soit recherchée sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil, s'il est établi un fait personnel fautif à l'origine d'un préjudice subi par la société.

La SELARL MJ Synergie reproche en premier lieu à M. [U] d'avoir pris possession le 16 janvier 2011 d'une moissonneusebatteuse New Holland CX 8050 qu'il n'a restituée qu'en fin d'année 2012 pour qu'il soit procédé à sa vente le 6 décembre 2012 au prix de 113620 euros TTC, privant la SARL [P] [U] de la jouissance de ce matériel et d'une chance de le revendre en 2011 à un meilleur prix, et aggravant la dette de la SARL à l'égard du crédit-bailleur.

M. [U] ne conteste pas avoir pris possession de la moissonneuse CX 8050 et de ses équipements le 16 janvier 2011, date à laquelle il a remis à M. [P] un document rédigé et signé de sa main aux termes duquel il reconnaît avoir 'repris' ces matériels.

M. [U] prétend avoir agi avec l'accord de M. [P] et se réfère aux termes d'un courrier du 8 juin 2011 par lequel ce dernier indiquait à la société Lixxbail que son 'ex-associé' avait récupéré le matériel pour reprendre les loyers du crédit-bail au nom de son entreprise personnelle.

Il ressort cependant des termes du même courrier que la société Lixxbail avait informé M. [P] de ce que M. [U] n'avait effectué aucune démarche en vue du transfert du contrat de crédit-bail à son nom, ce que ce dernier ne dénie pas.

Il apparaît ainsi qu'alors qu'il était encore gérant de droit de la société, M. [U] a sciemment dépossédé la SARL [P] [U] d'un matériel d'exploitation d'une valeur importante sans aucune contrepartie, en s'abstenant d'effectuer toute démarche en vue de la prise en charge des loyers du crédit-bail afférents à ce matériel et en s'abstenant de procéder à sa restitution avant la date d'effet de sa démission au 31 mars 2011.

Ces faits commis pendant la gérance de droit sont à l'origine du préjudice subi par la société, privée de la jouissance du matériel dont elle supportait le coût du crédit-bail, et mise dans l'incapacité de procéder à sa vente dès 2011 afin d'éviter l'aggravation de la dette à l'égard de la société Lixxbail.

M. [U] a ainsi agi à l'encontre de l'intérêt social et a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce, que la société lui ait ou non adressé une mise en demeure de restituer le matériel.

Le fait que la situation préjudiciable se soit poursuivie postérieurement à la date d'effet de la démission de M. [U] est sans incidence sur le régime de responsabilité appliqué, cette situation trouvant son origine dans des faits commis pendant la gérance de droit.

La société Lixxbail, qui s'est prévalue de la résiliation du contrat et a engagé une procédure judiciaire, n'a pu procéder à la revente du véhicule que le 6 décembre 2012 pour le prix de113620 euros TTC, laissant un solde de 48853,72 euros à la charge de la SARL [P] [U], outre les frais et dépens de la procédure de référé.

La dépossession du matériel a privé la SARL [P] [U] d'une chance de vendre la moissonneuse-batteuse dans de meilleures conditions en 2011, et de réduire le solde de la créance de la société Lixxbail.

Il est justifié par la SELARL MJ Synergie d'une manifestation d'intérêt de l'entreprise [J] pour acquérir le matériel début 2011. L'attestation de M. [J] ne mentionne cependant pas le prix qui avait été proposé et aucun élément de preuve ne vient corroborer l'allégation d'une offre à hauteur de 135000 euros HT comme soutenu par l'intimée.

Il est néanmoins certain que la valeur vénale du matériel a nécessairement subi une décote entre 2011 et fin 2012.

L'indemnisation de cette perte de chance sera, dans ces conditions, évaluée à 20000 euros, à laquelle il y a lieu d'ajouter une somme de 15000 euros au titre de l'indemnisation de la perte de jouissance du matériel de janvier 2011 à avril 2012, date de résiliation du contrat de crédit-bail.

Ces chefs de préjudice sont la conséquence directe de la faute de M. [U].

Les agissements déloyaux reprochés par ce dernier à M. [P], concernant la facturation d'une location de matériels par M. [P] à la société en 2009 ou l'achat de matériels par M. [P] à la société, sans qu'il soit démontré ni même allégué que ces opérations à titre onéreux aient été conclues pour un prix anormal, ne peuvent être invoqués, faute de lien de causalité suffisant, comme circonstance partiellement exonératoire par M. [U].

M. [U] sera en conséquence condamné à payer à la SELARL MJ Synergie une somme de 35000 euros en indemnisation du préjudice résultant de la prise de possession de la moissonneuse-batteuse et de la cueilleuse faisant l'objet du contrat de crédit-bail numéro 727710B80, le jugement étant réformé sur le seul montant de l'indemnisation allouée.

La SELARL MJ Synergie reproche en second lieu à M. [U] d'avoir détourné trois chèques d'un montant de 685 euros chacun émis par l'entreprise [N] [H] à l'ordre de la SARL [P] [U].

M. [U] ne conteste pas que l'entreprise [N], cliente de la SARL [P] [U], lui avait remis six chèques datés du 15 février 2011, d'un montant de 685 euros chacun, à encaisser de manière échelonnée.

Il est constant que sur ces six chèques, trois ont effectivement été remis à l'encaissement sur le compte de la SARL [P] [U].

S'agissant des trois autres chèques, M. [U] affirme les avoir restitués à l'entreprise [N].

Cette allégation est confirmée par un courrier rédigé le 5 avril 2013 par M. [H] [N], qui atteste sur l'honneur que M. [E] [U] a retourné trois chèques provenant de son exploitation d'un montant total de 2055 euros et qui n'avaient pas été encaissés. M. [N] précise avoir pris contact avec M. [P] pour régulariser la facture par virement à la SARL [P] [U].

En l'état de ces déclarations, la SELARL MJ Synergie qui ne justifie pas que la SARL [P] [U] aurait rencontré une difficulté pour recouvrer ce solde de 2055 euros, ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du préjudice allégué.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné M. [E] [U] à payer à la société MJ Synergie la somme de 2500 euros au titre des trois chèques non remis sur le compte bancaire de la société [P] [U].

La portée limitée de la cassation rend M. [U] irrecevable en sa demande de délais de paiement, rejeté par l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 12 mai 2021.

M. [U], dont la responsabilité est finalement retenue et qui succombe partiellement sera condamné aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles comme il sera dit au dispositif.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Confirme, dans les limites de sa saisine, le jugement rendu le 16 octobre 2018 par le tribunal de commerce d'Aubenas en ce qu'il a :

- dit que M. [E] [U], a commis une faute intentionnelle à l'encontre de l'intérêt social de la société [P] [U], en la privant de l'usage de son matériel pendant près de deux années et en ne remettant pas sur le compte de cette société trois chèques émis par un client de celle-ci ;

- jugé que M. [E] [U], est personnellement responsable des dommages causés à la société [P] [U] ;

- condamné M. [U] à verser à la société MJ Synergie représentée par Maître [S] [Z], liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL [P] [U], une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [E] [U] aux entiers dépens d'instance,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [E] [U] à payer à la société MJ Synergie représentée par Maître [S] [Z], liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL [P] [U], les sommes de 50000 au titre du contrat de crédit-bail n°727710B80 conclu le 31 mars 2008 et de 2500 euros au titre des trois chèques non remis sur le compte bancaire de la société [P] [U] ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Condamne M. [E] [U] à payer à la SELARL MJ Synergie ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL [P] [U] la somme de 35000 euros en réparation du préjudice résultant de la prise de possession et de la non-restitution du matériel objet du contrat de crédit bail n°727710B80 du 31 mars 2008,

Déboute la SELARL MJ Synergie de sa demande de dommages et intérêts d'un montant de 2 055 euros au titre des trois chèques non remis sur le compte bancaire de la société [P] [U],

Déclare M. [E] [U] irrecevable en sa demande de délais de paiement,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne M. [E] [U] à payer à la SELARL MJ Synergie ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL [P] [U] la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.