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Décisions

CA Caen, 2e ch. civ., 10 octobre 2024, n° 23/02366

CAEN

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Emily

Conseillers :

Mme Courtade, M. Gouarin

Avocats :

Me Marc Reynaud, Me Gaël Balavoine, Me Claire Brouiller, Me Noël Prado

TJ Lisieux, du 21 sept. 2023, n° 23/0006…

21 septembre 2023

M. [K] [V] a exploité une officine de pharmacie située au [Adresse 8] à [Localité 17] jusqu'au 15 avril 1994, date à laquelle il a cédé son officine à l'une de ses filles, Mme [S] [V] épouse [A], pour la somme de 937.561 euros.

Par acte authentique du même jour, M. [K] [V] et son épouse Mme [MO] [I] ont consenti à Mme [A] un bail commercial portant sur les locaux de la pharmacie.

Mme [S] [A] a poursuivi l'exploitation de l'officine et a procédé à différents travaux d'aménagement des locaux donnés à bail durant l'année 2003.

Par acte authentique du 2 octobre 2008, M. et Mme [K] [V] ont consenti au renouvellement du bail commercial avec effet rétroactif au 1er avril 2003 et ce pour une période de 9 ans expirant au 31 mars 2012. Un nouveau renouvellement jusqu'au 31 mars 2021 a été consenti par acte du 23 novembre 2012.

Par acte notarié du 22 octobre 2019, Mme [V] épouse [A] a cédé l'officine de pharmacie à M. [G] [N] et Mme [J] [R] sous conditions suspensives, moyennant le prix de 2.070.000 euros.

M. [K] [V] et Mme [MO] [I] épouse [V] sont intervenus à l'acte en qualité de bailleurs en vue d'accepter expressément cette cession.

M. et Mme [V] ont fait dresser un procès-verbal de constat d'état des lieux d'entrée par huissier de justice le 26 février 2020, en présence de M. [N] et Mme [R].

Par courrier du 2 mars 2020, les époux [V] ont reproché aux acquéreurs d'avoir supprimé un escalier et réalisé des travaux sans leur autorisation, ce en violation des stipulations du bail, et indiqué qu'ils envisageaient de leur délivrer une sommation avec rappel de la clause résolutoire insérée au bail en demandant la remise en leur état antérieur des locaux donnés à bail.

Par acte notarié du 4 mars 2020, la cession du fonds de commerce d'officine de pharmacie a été actée, après réalisation des conditions suspensives, au profit de la SELAS Pharmacie de [Localité 17] qui s'est substituée à M. [N] et Mme [R].

Par acte d'huissier du 19 mai 2020, M. [K] [V] et son épouse ont fait délivrer une sommation avec rappel de la clause résolutoire à la SELAS Pharmacie de [Localité 17].

Le 1er juillet 2020, le conseil de la SELAS Pharmacie de [Localité 17] a contesté la sommation qui avait été délivrée, en soutenant que les bailleurs avaient donné leur accord au précédent preneur pour la réalisation des travaux litigieux.

Aucune suite n'a été donnée à cette sommation.

Par acte d'huissier du 14 décembre 2021, la Pharmacie de [Localité 17] a formé une demande de renouvellement du bail commercial.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 février 2022, la SELAS Pharmacie de [Localité 17] s'est plainte auprès de M. [K] [V] de fuites permanentes et de trous dans la toiture et les murs du bâtiment et a vainement sollicité en urgence l'intervention d'un couvreur et d'un maçon.

Par acte de commissaire de justice du 16 février 2023, la SELAS Pharmacie de Villers sur Mer a assigné M. et Mme [V] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lisieux pour obtenir une mesure d'expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile aux fins de définir les travaux incombant au bailleur et de chiffrer son préjudice de jouissance.

En 2023, la SELAS Pharmacie a effectué des travaux d'aménagement dans l'officine.

En vertu de deux ordonnances rendues à la requête des époux [V], Me [Z], huissier de justice, a dressé deux procès-verbaux de constat de l'état des lieux en date des 20 mars et 10 mai 2023.

Par acte de commissaire de justice du 31 mars 2023, M. et Mme [V] ont fait délivrer à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] une sommation visant la clause résolutoire insérée au bail sur le fondement de l'article L 145-41 du code de commerce, demandant la remise en l'état antérieur aux travaux réalisés par cette dernière dans le mois de l'acte, sous peine d'user de la clause résolutoire.

Par acte signifié à M. et Mme [V] le 28 avril 2023, la SELAS Pharmacie de [Localité 17] a formé opposition cette sommation.

Le même jour, dans le cadre de la procédure de référé, la SELAS Pharmacie a notifié des conclusions avec opposition à ladite sommation.

Par acte de commissaire de justice du 23 mai 2023, la SELAS Pharmacie de Villers sur Mer a assigné Mme [S] [V] épouse [A] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lisieux afin de lui rendre l'expertise opposable et obtenir sa garantie.

Par ordonnance du 21 septembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lisieux a :

- ordonné la jonction du dossier RG n°23-162 avec le dossier RG n°23-65 ;

Sur le fond,

- renvoyé les parties à se pourvoir ;

- ordonné une mesure d'expertise et désigné M. [T] [L], [Adresse 7], tél : [XXXXXXXX01], fax [XXXXXXXX02], mail : [Courriel 11], avec pour mission, en pouvant s'adjoindre un sapiteur au besoin :

* se rendre sur place [Adresse 8] à [Localité 17] ;

* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission ;

* décrire l'immeuble donné à bail à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] et donner son avis sur son état de conservation ;

* établir à compter du 15 avril 1994, l'historique des travaux exécutés tant par le bailleur que par les locataires commerciaux successifs dans les locaux donnés à bail en les décrivant et en rappelant le nom de leur commanditaire ;

* décrire plus précisément les travaux ayant été réalisés depuis le 20 février 2020, date du constat d'entrée dans les lieux de la SELAS Pharmacie de [Localité 17] et dire s'il y a eu des démolitions, percement de murs ou de cloisons ou changement de destination des lieux loués ;

* déterminer les travaux rendus nécessaires sur l'immeuble au titre des réparations mentionnées à l'article 606 du code civil et à l'article 145-35 du code de commerce ainsi que de ceux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou à la mise en conformité du bien loué (partie commerciale et partie habitation) ;

* chiffrer le coût de ces différents travaux ;

concernant la partie d'habitation de comparer les lieux entre l'état d'entrée dans les lieux le 27 avril 1994, si possible à la date d'entrée dans les lieux de la SELAS Pharmacie de [Localité 17] et à la date d'expertise, d'indiquer si ceux-ci étaient déjà vétustes lors de l'entrée dans les lieux et d'indiquer si des travaux d'entretien ont été réalisés par le preneur actuel et antérieurement par Mme [A] ou par les propriétaires ;

concernant la partie commerciale, indiquer si les lieux ont été modifiés par rapport au bail signé en 1994 puis par la SELAS, si des travaux ont été réalisés en les décrivant et en précisant la date à laquelle ils l'ont été ;

décrire les travaux ayant été réalisés depuis le 20 février 2020, date du constat d'entrée dans les lieux de la SELAS Pharmacie de [Localité 17] et dire s'il y a eu depuis des démolitions, percement de murs ou de cloisons, ou changement de distribution ;

* fournir tout élément technique et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilités encourues et d'évaluer les préjudices subis et les moyens de les faire cesser ou d'y remédier ;

* chiffrer le préjudice de jouissance subi par la SELAS Pharmacie de [Localité 17] du fait de l'impossibilité d'user du local à usage d'habitation, objet du bail signé entre les parties ;

- rappelé que l'article 276 du code de procédure civile dispose que lorsqu'elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qui ont été présentées antérieurement, l'expert étant fondé le cas échéant à ne pas tenir compte des observations écrites qui n'auraient pas été reprises par les parties ;

- rappelé qu'en application de l'article 276 du code de procédure civile, l'expert peut remettre son rapport lorsque les parties n'ont pas produit, dans les délais impartis par l'expert, les pièces demandées ou leurs observations ;

- dit que l'expert désigné déposera son rapport écrit, en double exemplaire, au greffe du tribunal judiciaire de Lisieux dans les huit mois de l'avis de versement de la consignation, terme de rigueur, et qu'il en adressera, à chaque partie, une copie accompagnée de sa demande de rémunération, mention en étant faite sur l'original ;

- dit que l'expert sera remplacé sur simple requête des parties en cas de refus ou d'empêchement de celui-ci par ordonnance du magistrat chargé du contrôle des opérations d'expertise ;

- dit qu'en cas de difficultés faisant obstacle à l'accomplissement de sa mission ou si une extension s'avérerait nécessaire, l'expert en avisera le magistrat chargé du contrôle des opérations d'expertise ;

- dit que la SELAS Pharmacie de Villers sur Mer versera au régisseur d' avances et de recettes du tribunal judiciaire de Lisieux une provision de 4.000 euros à valoir sur la rémunération de l'expert, au plus tard le 1er décembre 2023, délai de rigueur ;

- dit qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, la désignation de l'expert sera automatiquement caduque conformément à I ' article 271 du code de procédure civile et privée de tout effet, sauf prorogation du délai ou relevé de caducité, à la demande d'une partie se prévalant d'un motif légitime ;

- dit qu'au cas où le coût prévisible des opérations d'expertise dépasserait le montant de la consignation initiale, l'expert fera une demande de provision complémentaire avant d'engager des frais supplémentaires ;

- rappelé que l'expert ne commencera sa mission qu'à compter de la justification du versement de la provision ;

- dit que si les parties viennent à se concilier, l'expert constatera que sa mission est devenue sans objet et qu'il en fera rapport ;

- commis pour suivre les opérations d 'expertise, le magistrat chargé du contrôle des expertises ;

- dans le but de limiter les frais d'expertise, invité les parties, pour leurs échanges contradictoires avec l'expert et la communication des documents nécessaires à la réalisation de la mesure, à utiliser la voie dématérialisée via l'outil Opalexe. Cette utilisation se fera dans le cadre déterminé par le site http://www.certeurope.fr et sous réserve de l'accord express et préalable de l'ensemble des parties ;

- condamné solidairement M. [K] [V] et Mme [MO] [V] à procéder à la réfection de la couverture de la réserve sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, et ce pendant un délai de deux mois ;

- déclaré la SELAS Pharmacie de [Localité 17] recevable et bien fondée en son opposition formulée par voie de conclusions le 28 avril 2023 à la sommation avec rappel de la clause résolutoire qui lui a été délivrée du ministère de la SELARL [O] et [Z] en date du 31 mars 2023 ;

- constaté l'absence d'infractions au bail conclu entre les parties consécutivement à la sommation délivrée le 31 mars 2023 à la requête des époux [V] à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] ;

- condamné solidairement M. [K] [V] et Mme [MO] [V] à régler à la SELAS Pharmacie de [Localité 17], prise en la personne de ses représentants légaux, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'afticle 700 du code de procédure civile ;

- débouté Mme [S] [A] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [S] [A] à régler à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] la somme de 1.500 euros en application de I'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné solidairement M. [K] [V] et Mme [MO] [V] aux dépens de l'instance de référé incluant les frais afférents au constat du 14 avril 2023 de Me [D] ainsi que le coût de la notification régularisée de son ministère le 28 avril 2023.

Par déclaration au greffe de la cour du 12 octobre 2023, M. [K] [V] et Mme [MO] [I] épouse [V] ont relevé appel de cette ordonnance.

Mme [MO] [I] épouse [V] est décédée le 18 février 2024.

Par dernières conclusions déposées le 30 mai 2024, M. [K] [V] intervenant tant en son nom personnel qu'en qualité d'administrateur de l'indivision successorale, Mme [X] [V] épouse [M] et Mme [F] [V] épouse [FT] demandent à la cour de :

- Leur donner acte de la reprise de l'instance en leur qualité d'ayant droits de Mme [MO] [I] décédée le 18 février 2024,

- Les recevoir en leur appel et le dire juste et bien fondé,

- Réformer la décision rendue en ce qu'elle a rejeté la demande de constatation de la clause résolutoire et d'expulsion de la SELAS Pharmacie de [Localité 17] et en conséquence constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail consenti à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] et ordonner l'expulsion de la SELAS Pharmacie de [Localité 17] ou de tout occupant de son chef au besoin avec le concours de la force publique dans la huitaine de l'ordonnance à intervenir,

- Fixer l'indemnité d'occupation mensuelle due par la SELAS Pharmacie de [Localité 17] au double du montant du loyer actuel et condamner en tant que de besoin la locataire au paiement de celle-ci à M. [V], Mme [X] [V] épouse [M] et Mme [F] [V] épouse [FT] jusqu'à libération effective des lieux,

- Réformer la décision rendue en ce qu'elle a condamné les concluants à procéder à la réfection de la couverture de la réserve sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification de l'ordonnance et ce, pendant un délai de deux mois et dire n'y avoir lieu à condamnation sous astreinte,

- Débouter la SELAS Pharmacie de [Localité 17] de sa demande d'expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et sur le fondement de l'article 1238 du code de procédure civile,

Dans l'hypothèse où il serait fait droit à la demande d'expertise confirmer l'ordonnance en ce qu'il a été prévu à la mission :

* concernant la partie habitation de comparer les lieux entre l'état d'entrée dans les lieux le 27 avril 1994 et à la date de l'expertise, d'indiquer si ceux-ci étaient déjà vétustes lors de l'entrée dans les lieux et d'indiquer si des travaux d'entretien ont été réalisés par le preneur,

* concernant la partie commerciale si les lieux ont été modifiés par rapport au bail, si des travaux ont été réalisés en les décrivant et en précisant la date à laquelle ils l'ont été,

* décrire les travaux sur la couverture et dire si ceux-ci ont été correctement réalisés,

- Réformer la décision de 1ère instance en ce que les concluants ont été condamnés à payer la somme de 3.000 euros à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] ainsi qu'aux dépens et condamner cette dernière à payer aux concluants la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la SELAS Pharmacie de [Localité 17] aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

Par dernières conclusions déposées le 4 juin 2024, Mme [S] [A] demande à la cour de :

- La recevoir en son appel incident, et la dire bien fondée,

Y faisant droit,

A titre principal,

- Infirmer la décision en ce qu'elle a,

* ordonné une mesure d'expertise ;

* déclaré la SELAS Pharmacie de [Localité 17] recevable et bien fondée en son opposition formulée par voie de conclusions le 28 avril 2023 à la sommation avec rappel de la clause résolutoire qui lui a été délivrée du ministère de la SELARL [O] et [Z] en date du 31 mars 2023 ;

* constaté l'absence d'infractions au bail conclu entre les parties consécutivement à la sommation délivrée le 31 mars 2023 à la requête des époux [V] à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] ;

* débouté Mme [S] [A] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamné Mme [S] [A] à régler à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau,

- Constater l'acquisition de la clause résolutoire en raison des travaux réalisés par la SELAS Pharmacie de [Localité 17],

- Débouter les parties de l'ensemble de leurs demandes à l'égard de Mme [S] [A],

A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire la cour confirmait l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné une expertise

- Infirmer la décision en ce qu'elle a confié à l'expert les chefs de mission suivants :

* concernant la partie d'habitation de comparer les lieux entre l'état d'entrée dans les lieux le 27 avril 1994, si possible à la date d'entrée dans les lieux de la SELAS Pharmacie de [Localité 17] et à la date d'expertise, d'indiquer si ceux-ci étaient déjà vétustes lors de l'entrée dans les lieux et d'indiquer si des· travaux d'entretien ont été réalisés par le preneur actuel et antérieurement par Mme [A] ou par les propriétaires ;

* chiffrer le préjudice de jouissance subi par la SELAS Pharmacie de [Localité 17] du fait de l'impossibilité d'user du local à usage d'habitation, objet du bail signé entre les parties,

- Réformer la décision en ce qu'elle a confié à l'expert sur le chef de mission suivant :

* décrire plus précisément les travaux ayant été réalisés depuis le 20 février 2020, date du constat d'entrée dans les lieux de la Pharmacie de [Localité 17] et dire s'il y a eu des démolitions, percement de murs ou de cloisons ou changement de destination des lieux loués ;

Et statuant à nouveau de ce chef, donner à l'expert la mission de :

- Décrire plus précisément les travaux ayant été réalisés depuis le 20 février 2020, date du constat d'entrée dans les lieux de la Pharmacie de [Localité 17] et dire s'il y a eu des démolitions, percement de murs ou de cloisons ou changement de distribution des lieux loués ;

- Réformer la mission suivante de l'expert rédigée comme suit :

* déterminer les travaux rendus nécessaires sur l'immeuble au titre des réparations mentionnées à l'article 606 du code civil et à l'article 145-35 du code de commerce ainsi que de ceux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou à la mise en conformité du bien loué (partie commerciale et partie habitation) ;

- Et statuant à nouveau de ce chef, donner à l'expert la mission de :

* déterminer les travaux rendus nécessaires sur l'immeuble au titre des réparations mentionnées à l'article 606 du code civil et à l'article 145-35 du code de commerce ainsi que de ceux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou à la mise en conformité du bien loué ;

- Confirmer le surplus des chefs de mission,

- Débouter les parties de l'ensemble de leurs demandes à l'égard de Mme [S] [A],

En tout état de cause,

- Condamner la SELAS Pharmacie de [Localité 17] à régler à Mme [A] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions déposées le 18 mai 2024, la SELAS Pharmacie de [Localité 17] demande à la cour de :

Au principal,

- Débouter M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions,

- Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé entreprise,

- Condamner solidairement M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] à régler à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner solidairement M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] aux entiers dépens d'appel et de première instance incluant les frais afférents au constat du 14 avril 2023 de Me [D] ainsi que le coût de la notification régularisée de son ministère le 28 avril 2023,

Subsidiairement si la cour venait à réformer en tout ou partie la décision déférée,

Sur la demande d'expertise,

- Ordonner une mesure d'expertise qui sera confiée à tel expert qu'il plaira à la cour de désigner avec pour mission de :

* se rendre sur place [Adresse 8] à [Localité 17],

* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission,

* décrire l'immeuble donné à bail et donner son avis sur son état de conservation,

* établir à compter du 15 avril 1994, l'historique des travaux exécutés tant par le bailleur que par le locataire commercial dans les locaux donnés à bail en les décrivant et en rappelant le nom de leur commanditaire,

* déterminer les travaux rendus nécessaires sur l'immeuble au titre des réparations mentionnées à l'article 606 du code civil et à l'article 145-35 du code de commerce ainsi que de ceux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou à la mise en conformité du bien loué avec la réglementation et l'obligation de délivrance du bailleur,

* déterminer les travaux rendus nécessaires s'agissant de la partie à usage d'habitation pour que les locaux remplissent les conditions visées à l'article 2 du décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent,

* chiffrer le coût de ces différents travaux,

* fournir tout élément technique et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilités encourues et d'évaluer les préjudices subis et les moyens de les faire cesser ou d'y remédier,

* chiffrer le préjudice de jouissance subi par la SELAS Pharmacie de [Localité 17] du fait de l'impossibilité d'user du local à usage d'habitation, objet du bail signé entre les parties,

- Dire et juger que l'expert devra déposer un pré-rapport au vu duquel les parties seront amenées à faire valoir leurs observations sous un délai raisonnable,

- Fixer à tel montant qu'arbitrera la cour la consignation d'usage à valoir sur les frais d'expertise,

- Débouter M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] de leurs demandes tendant à voir modifier ou limiter la mission d'expertise précédemment sollicitée,

- Réserver les dépens afférents à la mesure d'expertise,

Sur la demande de condamnation sous astreinte à exécuter les travaux de couverture de la réserve,

- Condamner solidairement M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] à procéder à la réfection de la couverture de la réserve sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

Sur les demandes de M. et Mme [V] afférentes à la résiliation du bail commercial,

- Juger la SELAS Pharmacie de Villers sur Mer recevable et bien fondée en son opposition avec demande de délais signifiée par voie de conclusions devant le magistrat des référés du tribunal judiciaire de Lisieux le 28 avril 2023 suite à la sommation avec rappel de la clause résolutoire qui lui a été délivrée du ministère de la SELARL [O] et [Z] en date du 31 mars 2023,

- Juger que la SELAS Pharmacie de [Localité 17] ne s'est rendue coupable d'aucune infraction au bail conclu avec M. et Mme [V],

A défaut juger qu'il existe des contestations sérieuses sur les manquements invoqués par M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] et juger que le magistrat des référés se trouvait incompétent pour en connaître,

- Débouter en conséquence M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions développées en cause d'appel et confirmer l'ordonnance déférée,

- Condamner solidairement M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] à régler à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner solidairement M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] aux dépens d'appel ainsi qu'aux dépens de première instance incluant les frais afférents au constat du 14 avril 2023 de Me [D] ainsi que le coût de la notification régularisée de son ministère le 28 avril 2023,

Subsidiairement si par impossible la cour venait à considérer que des travaux ont été effectués depuis le 4 mars 2020 par la SELAS Pharmacie de [Localité 17] en contravention avec les termes et conditions du bail régularisé entre les parties,

- Ordonner la mesure d'expertise précédemment sollicitée,

- Suspendre les effets de la clause résolutoire.

- Accorder à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] un délai qui ne pourra être inférieur à six mois afin de lui permettre d'exécuter les travaux que la cour précisera, délai qui ne commencera à courir que du jour de la notification par M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] des plans permettant d'implanter les deux WC, les locaux dits 'préparatoire' et 'vaccination' ainsi que le local 'vestiaire des salariés' à même de satisfaire aux dispositions réglementaires et législatives en vigueur, aux injonctions de l'inspection du travail et à leur obligation de délivrance de locaux conformes à la destination du bail, savoir l'exploitation du commerce de pharmacie,

- Condamner solidairement M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] à notifier à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] les plans permettant d'implanter les deux WC, les locaux dits 'préparatoire' et 'vaccination' ainsi que le local 'vestiaire des salariés' à même de satisfaire aux dispositions réglementaires et législatives en vigueur, aux injonctions de l'inspection du travail et à leur obligation de délivrance de locaux conformes à la destination du bail, savoir l'exploitation du commerce de pharmacie,

- Réserver toutes demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens qui seront liquidés ultérieurement après dépôt du rapport d'expertise,

Subsidiairement si par impossible la cour venait à considérer que des travaux ont été effectués avant le 4 mars 2020 par Mme [S] [A] en contravention avec les termes et conditions du bail régularisé entre les parties,

- Ordonner la mesure d'expertise précédemment sollicitée.

- Suspendre les effets de la clause résolutoire.

- Accorder à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] un délai qui ne pourra être inférieur à un an afin de lui permettre d'exécuter les travaux que la cour précisera, délai qui ne commencera à courir que du jour de la notification par M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] des plans initiaux de l'officine de pharmacie avant travaux ainsi que des plans actualisés permettant d'implanter les deux WC, les locaux dits 'préparatoire' et 'vaccination' ainsi que le local 'vestiaire des salariés' à même de satisfaire aux dispositions réglementaires et législatives en vigueur, aux injonctions de l'inspection du travail et à leur obligation de délivrance de locaux conformes à la destination du bail, savoir l'exploitation du commerce de pharmacie,

- Condamner M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] à notifier à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] les plans initiaux de l'officine de pharmacie avant travaux ainsi que des plans actualisés permettant d'implanter les deux WC, les locaux dits 'préparatoire' et 'vaccination' ainsi que le local 'vestiaire des salariés' à même de satisfaire aux dispositions réglementaires et législatives en vigueur, aux injonctions de l'inspection du travail et à leur obligation de délivrance de locaux conformes à la destination du bail, savoir l'exploitation du commerce de pharmacie,

- Condamner Mme [S] [V] épouse [A] à garantir la SELAS Pharmacie de [Localité 17] du coût des travaux rendus nécessaires à la remise en état des locaux donnés à bail du fait des travaux qu'elle aura réalisés antérieurement à la cession survenue le 4 mars 2020 et que la cour précisera dans la décision à intervenir,

- Condamner Mme [S] [V] épouse [A] à garantir la SELAS Pharmacie de [Localité 17] de toutes condamnations prononcées au bénéfice de M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A],

- Condamner Mme [S] [V] épouse [A] à régler à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] la somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de la procédure à l'exclusion des frais d'expertise qui seront liquidés après dépôt du rapport,

Infiniment subsidiairement et si par extraordinaire la cour faisait droit à la demande de résiliation du bail commercial consenti à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] du fait de l'exécution de travaux non autorisés et exécutés par Mme [S] [A],

- Condamner Mme [S] [V] épouse [A] à garantir la SELAS Pharmacie de [Localité 17] du chef de ses pertes d'exploitation liées à son expulsion ainsi que des indemnités d'occupation qu'elle serait amenée à régler et de tout autre préjudice consécutivement à la résiliation du bail commercial, le tout sans renoncement de sa part à l'indemnisation de la perte de son fonds de commerce ou de tout ou partie de son activité,

- Condamner Mme [S] [V] épouse [A] à garantir la SELAS Pharmacie de [Localité 17] de toutes condamnations prononcées au bénéfice de M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A],

- Condamner Mme [S] [V] épouse [A] à régler à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] la somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 juin 2024.

Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS

I. Sur la demande de constat de la résiliation du bail par le jeu de l'acquisition de la clause résolutoire

L'article 834 du code de procédure civile dispose notamment que dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse.

En application de ce texte, le juge des référés est compétent pour constater l'acquisition de la clause résolutoire. Juge de l'évidence, le juge des référés n'a toutefois pas le pouvoir de statuer en cas de contestation sérieuse.

Selon l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Aux termes des dispositions de l'article L145-41 du code de commerce :

'toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.

Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets de la clause de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.'

En l'espèce, le bail stipule au chapitre 'changement de distribution' que 'le preneur ne pourra faire dans les locaux, sans le consentement exprès et par écrit du bailleur, aucune démolition, aucun percement de murs ou de cloisons, ni aucun changement de distribution. En cas d'autorisation, ces travaux auront lieu sous la surveillance de l'architecte du bailleur dont les honoraires seront à la charge du preneur.'

La sommation litigieuse délivrée le 31 mars 2023 vise la clause résolutoire insérée au bail et énonce, en se fondant sur un procès-verbal de constat d'huissier dressé le 20 mars 2023, les différents manquements reprochés à la SELAS Pharmacie, tenant à l'exécution sans autorisation du bailleur de travaux de changement de distribution des lieux et de suppression d'un WC et d'un escalier.

Les consorts [V] produisent aussi un procès-verbal de constat d'huissier du 10 mai 2023 afin de démontrer la persistance des infractions au bail au-delà du délai d'un mois.

Ces derniers font justement valoir que l'action en opposition à commandement relève exclusivement de la compétence du juge du fond de sorte que l'opposition à la sommation visant la clause résolutoire formée par la preneuse devant le juge des référés est sans conséquence juridique.

La SELAS Pharmacie de [Localité 17] est donc déboutée de sa demande visant à voir être déclarée recevable et bien fondée en son opposition à la sommation avec rappel de la clause résolutoire.

Pour autant, les consorts [V] ne peuvent valablement en déduire que la clause résolutoire a automatiquement joué.

En effet, la SELAS est bien fondée à contester la réalité des violations du bail qui lui sont imputées devant le juge des référés, saisi par le bailleur d'une demande de constat de l'acquisition de la clause résolutoire, étant précisé qu'elle a par ailleurs présenté une demande subsidiaire de suspension des effets de la clause résolutoire avec un délai pour remettre les lieux en l'état, en vertu de l'article L145-41 susvisé.

Le juge des référés est compétent pour constater l'acquisition de la clause résolutoire ainsi que pour statuer sur une demande de délais avec suspension des effets de ladite clause.

En revanche, comme rappelé ci-dessus, il doit se déclarer incompétent en cas de contestation sérieuse sur le manquement allégué.

En l'espèce, il existe des contestations sérieuses sur l'existence et le bien-fondé des infractions aux clauses du bail invoquées par les consorts [V] dans la sommation du 31 mars 2023, au regard des éléments suivants :

- une partie des travaux reprochés à la SELAS constitutifs de changements de distribution, telle que la suppression de l'escalier, ont été en réalité réalisés en 2003 par Mme [A], ancienne locataire et fille des bailleurs, ce avec l'autorisation écrite de M. [V] qui a expressément autorisé 'tous travaux et modifications nécessaires à la rénovation de la pharmacie' (cf pièces de la SELAS n°2 et de Mme [A] n°2, 11, 13) ;

- le constat de Me [Z] du 20 mars 2023 mentionne un changement de distribution des pièces du rez-de-chaussée par rapport au descriptif des locaux figurant dans le bail initial du 15 avril 1994 (descriptif resté inchangé dans les baux renouvelés) et au procès-verbal de constat d'état des lieux du 27 avril 1994 ; cependant, les travaux litigieux réalisés par la SELAS en 2023 doivent être appréciés au regard du procès-verbal de constat d'état des lieux établi le 26 février 2020 en vue de la cession de l'officine, tenant compte des modifications réalisées par Mme [A] ; or, selon le constat d'huissier de Maître [D] du 14 avril 2023, la surface commerciale est inchangée par rapport aux constatations réalisées le 26 février 2020 ;

- il ressort des pièces du dossier que la SELAS a abandonné son projet intitial de réaménagement des locaux, déposé en mairie le 16 janvier 2023, compte tenu de l'opposition du bailleur, ce qui a donné lieu à un dossier rectificatif déposé le 5 juin 2023, le maître d'oeuvre attestant que les travaux exécutés correspondent au changement du mobilier, du revêtement de sol et au rafraîchissement global des peintures sans modification des surfaces existantes entre les réserves et la surface clientèle ;

- la nature des changements opérés concernant la pièce dite 'back office', le local orthopédique et la zone préparatoire est sérieusement contestable ; en effet, si la SELAS reconnaît avoir modifié sans l'accord du bailleur l'organisation et le cloisonnement de ces espaces, les pièces versées aux débats (constats, plans des lieux établis à différentes époques et photographies) ne permettent pas de retenir de manière évidente que ces travaux constituent un changement de distribution, à l'exception du déplacement des WC dans la partie réserve ; mais sur ce point, la SELAS émet un moyen de contestation sérieux quant au bien-fondé de l'infraction reprochée, compte tenu du fait que les WC ont été réinstallés dans la réserve conformément au bail initial de 1994, mais surtout que ce transfert a manifestement permis la mise aux normes réglementaires des locaux préparatoire, orthopédique et de vaccination, à laquelle le bailleur, tenu de respecter son obligation de délivrance, ne pouvait en principe pas s'opposer.

Enfin, en dernier lieu, la cour considère que le premier juge a retenu à juste titre que le SAS créé au droit de la porte du garage, totalement amovible et démontable, ne relève pas d'un changement de distribution et qu'il n'y a pas d'infraction au bail à ce titre.

Au vu de ces observations et des contestatations sérieuses relatives aux manquements allégués du preneur à ses obligations nées du bail, lesquelles excèdent les pouvoirs du juge des référés, il convient de débouter les appelants de leur demande de constat de l'acquisition de la clause résolutoire et de leurs demandes subséquentes.

II. Sur la demande d'expertise in futurum

L'article 145 du code de procédure civile énonce que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

La SELAS pharmacie de [Localité 17] sollicite une expertise judiciaire sur ce fondement juridique aux fins de déterminer les travaux incombant au bailleur compte tenu de ses manquements à son obligation de délivrance au regard de l'état de vétusté des lieux loués et de l'absence de mise aux normes.

Pour s'opposer à la demande d'expertise, les consorts [V] font valoir :

- qu'une éventuelle action au fond engagée par la locataire serait manifestement vouée à l'échec, rendant sans objet la demande d'expertise, compte tenu du fait que dès 1994, les locaux incriminés (réserve, grenier, appartement) étaient déjà dans un état de vétusté avancé qui avait été accepté par les locataires successifs en vertu de la clause de 'prise en l'état des lieux loués', stipulation reprise dans les baux renouvelés ; que s'agissant de la partie commerciale, il n'est justifié d'aucune injonction de l'administration pour réaliser les travaux revendiqués, et que la preuve d'un manquement à leur obligation de délivrance n'est pas rapportée puisque les lieux sont exploités sans discontinuité depuis 1994 par les preneurs successifs ;

- qu'ils sont bien fondés à solliciter le constat de la résiliation du bail pour acquisition de la clause résolutoire insérée au bail du fait des manquements de la preneuse à ses obligations contractuelles.

Ce 2ème moyen est d'ores et déjà écarté compte tenu de ce qui a été jugé plus haut.

Il est stipulé dans le bail conclu le 15 avril 1994 et les baux renouvelés que le preneur prendra les lieux loués dans l'état où ils se trouvaient au moment de l'entrée en jouissance.

Il est par ailleurs prévu que le bailleur n'est tenu qu'aux grosses réparations énumérées à l'article 606 du code civil, toutes les autres réparations étant à la charge du preneur.

L'obligation de délivrance à la charge du bailleur lui impose de mettre à disposition de son locataire un bien conforme à la destination contractuelle c'est à dire permettant l'exploitation prévue au contrat.

L'obligation de délivrance de la chose louée court pendant toute la durée du bail, elle est d'ordre public et le bailleur ne peut s'en affranchir par le biais d'une clause relative à l'exécution de travaux ou d'une clause selon laquelle le locataire prend les locaux en l'état.

De même, il ne peut, en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu, s'exonérer de l'obligation de procéder aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure même de l'immeuble.

En l'espèce, les pièces produites par la SELAS, en particulier les rapports amiables respectifs de M. [U] du 24 juin 2020 et de M. [E] du 9 juin 2023, et les procès-verbaux de constats de Me [D] des 26 février 2020 et 21 février 2023, font ressortir que:

- concernant la réserve : le clos et le couvert ne sont plus assurés, la couverture présente un état de vétusté avancé avec de nombreuses fuites, il existe des trous dans les murs qui ne sont pas isolés, le local présente des non-conformités en termes de sécurité-incendie...

- concernant la partie habitation : l'appartement à l'étage est abandonné depuis de nombreuses années et totalement inhabitable en raison du très mauvais état des murs, plafonds, sols fenêtres, des équipements et de l'extrême vétusté de l'installation électrique.

La SELAS Pharmacie produit par ailleurs un rapport de l'inspection du travail du 13 juin 2023 accréditant la nécessité de réaliser des travaux pour respecter les normes relatives à l'hygiène, la sécurité et la santé des salariés, ainsi qu'une documentation technique émanant notamment de l'ARS, l'AFSSAPS et de l'ordre national des pharmaciens relative à la réglementation, aux bonnes pratiques et au cahier des charges applicables à l'officine de pharmacie s'agissant notamment de l'aménagement des locaux et de l'accessibilité au public.

Les désordres et non-conformités aux normes règlementaires susvisés sont susceptibles de relever de la responsabilité du bailleur au titre de ses obligations en matière de grosses réparations, de vétusté et de délivrance conforme, en vertu des clauses du bail et notamment des articles 1719 et 1720 du code civil.

Les discussions sur la portée de la clause de prise des lieux en l'état au regard de la vétusté de la partie habitation depuis le bail originaire de 1994, sur l'applicabilité au bail litigieux de l'article R 145-35 2° du code de commerce, applicable aux baux conclus ou renouvelés à compter du 6 novembre 2014 et interdisant les clauses de transfert au locataire de la charge des travaux dus à la vétusté ou de mise en conformité avec la réglementation lorsqu'ils relèvent des grosses réparations de l'article 606 du code civil, et sur la destination des pièces désignées dans le bail comme étant à usage d'habitation alors qu'une clause prévoit exclusivement l'exploitation du commerce de pharmacie dans l'immeuble loué ne relèvent pas de la compétence du juge des référés mais du juge du fond. Elles ne privent pas la SELAS de son intérêt légitime à voir ordonner une expertise afin de déterminer avant tout procès, dans un cadre contradictoire, la nature et l'étendue des désordres et non-conformités, obtenir un avis technique sur leur cause et leur imputabilité, vérifier que les lieux loués peuvent être utilisés conformément à leur destination contractuelle ce que la circonstance que l'activité de pharmacie continue à être exploitée ne suffit pas à démontrer, déterminer les travaux nécessaires et évaluer les préjudices.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a ordonné la mesure d'instruction sollicitée portant tant sur les locaux commerciaux que ceux d'habitation.

La cour fait sienne l'analyse du premier juge qui a étendu à juste titre la mesure d'expertise à Mme [A].

L'ensemble des chefs de mission confiés à l'expert est confirmé, y compris celui visant les travaux et modifications réalisés depuis le bail initial de 1994 (incluant ceux exécutés par [A]) car il présente un intérêt pour déterminer les responsabilités respectives du bailleur et des locataires successifs.

III. Sur la demande d'exécution des travaux de couverture sous astreinte

En l'absence d'élément nouveau utile soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par une analyse pertinente qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties en condamnant les bailleurs à procéder à la réfection de la couverture de la réserve sous astreinte.

Il convient donc de confirmer la décison sur ce point sauf à porter à deux mois à compter de la signification du présent arrêt le délai d'exécution de cette condamnation.

IV. Sur les autres demandes

Les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles sont confirmées sauf à dire que les condamnations prononcées à ces titres contre M. [K] [V] et Mme [MO] [V] seront, compte tenu du décès de cette dernière, supportées solidairement par M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M] et Mme [F] [V] épouse [FT].

M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M] et Mme [F] [V] épouse [FT] succombant, sont condamnés solidairement aux dépens de l'appel, à payer à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] la somme complémentaire de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et sont déboutés de leur demande formée à ce titre.

Toute autre demande fondée sur ce texte est rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, dans les limites de sa saisine,

CONFIRME l'ordonnance entreprise des chefs de disposition dont il a été interjeté appel sauf :

- en ce qu'elle déclaré la SELAS Pharmacie de [Localité 17] recevable et bien fondée en son opposition à la sommation avec rappel de la clause résolutoire ;

- en ce qu'elle a constaté l'absence d'infractions au bail conclu entre les parties consécutivement à la sommation délivrée le 31 mars 2023 ;

- en ce qui concerne le délai d'exécution de la condamnation sous astreinte relative à la réfection de la couverture ;

- à dire que les condamnations prononcées au titre des dépens et frais irrépétibles contre M. [K] [V] et Mme [MO] [V] seront supportées solidairement par M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M] et Mme [F] [V] épouse [FT] ;

Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant,

DEBOUTE la SELAS Pharmacie de [Localité 17] de sa demande visant à la voir déclarer recevable et bien fondée en son opposition à la sommation avec rappel de la clause résolutoire ;

DEBOUTE M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M] et Mme [F] [V] épouse [FT] de leurs demandes tendant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire, ordonner l'expulsion de la SELAS Pharmacie de [Localité 17] et condamner cette dernière au paiement d'une indemnité d'occupation ;

DIT que la condamnation de M. [K] [V] et Mme [MO] [V] à procéder à la réfection de la couverture de la réserve devra être exécutée dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, sous astreinte, passé ce délai, de 200 euros par jour de retard ;

CONDAMNE solidairement M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M] et Mme [F] [V] épouse [FT] à payer à la SELAS Pharmacie de [Localité 17] la somme complémentaire de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M], Mme [F] [V] épouse [FT] et Mme [S] [V] épouse [A] de leur demande formée à ce titre ;

CONDAMNE solidairement M. [K] [V], Mme [X] [V] épouse [M] et Mme [F] [V] épouse [FT] aux dépens de l'appel.