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Décisions

CJUE, 4e ch., 17 octobre 2024, n° C-409/23

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Question préjudicielle

PARTIES

Demandeur :

Riverty GmbH

Défendeur :

MI

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Lycourgos

Juges :

M. Rodin, Mme Spineanu-Matei (rapporteure)

Avocat général :

M. Richard de la Tour

Avocat :

Me Lintel

CJUE n° C-409/23

16 octobre 2024

LA COUR (quatrième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, sous f), et de l’article 3, sous g), de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO 2008, L 133, p. 66).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Riverty GmbH, en tant que successeur légal d’Arvato Finance BV (ci-après « Arvato »), un fournisseur d’un service de paiement différé, à MI, une consommatrice ayant opté pour ce service lors d’un achat en ligne.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 10 et 13 de la directive 2008/48 énoncent :

« (10) Les définitions contenues dans la présente directive déterminent la portée de l’harmonisation. L’obligation qui incombe aux États membres de mettre en œuvre les dispositions de la présente directive devrait, dès lors, être limitée au champ d’application de la présente directive, tel qu’il résulte de ces définitions. Toutefois, la présente directive devrait être sans préjudice de l’application par les États membres, conformément au droit communautaire, des dispositions de la présente directive à des domaines qui ne relèvent pas de son champ d’application. Dès lors, un État membre pourrait maintenir ou introduire des dispositions nationales correspondant aux dispositions de la présente directive ou à certaines de ses dispositions pour les contrats de crédit n’entrant pas dans le champ d’application de la présente directive, par exemple les contrats de crédit dont le montant est inférieur à 200 [euros] ou supérieur à 75 000 [euros]. [...]

[...]

(13) La présente directive ne devrait pas s’appliquer à certains types de contrats de crédit, tels que les cartes à débit différé, dont les conditions prévoient le remboursement du crédit dans un délai de trois mois et la facturation de frais négligeables. »

4 L’article 2 de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit :

« 1. La présente directive s’applique aux contrats de crédit.

2. La présente directive ne s’applique pas :

[...]

c) aux contrats de crédit dont le montant total du crédit est inférieur à 200 [euros] ou supérieur à 75 000 [euros] ;

[...]

f) aux contrats de crédit sans intérêt et sans autres frais et aux contrats de crédit en vertu desquels le crédit doit être remboursé dans un délai ne dépassant pas trois mois, et pour lesquels ne sont requis que des frais négligeables ;

[...] »

5 Conformément à l’article 3 de ladite directive, intitulé « Définitions » :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

c) “contrat de crédit” un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou s’engage à consentir à un consommateur un crédit sous la forme d’un délai de paiement, d’un prêt ou de toute autre facilité de paiement similaire [...]

[...]

g) “coût total du crédit pour le consommateur” : tous les coûts, y compris les intérêts, les commissions, les taxes, et tous les autres types de frais que le consommateur est tenu de payer pour le contrat de crédit et qui sont connus par le prêteur, à l’exception des frais de notaire ; ces coûts comprennent également les coûts relatifs aux services accessoires liés au contrat de crédit, notamment les primes d’assurance, si, en outre, la conclusion du contrat de service est obligatoire pour l’obtention même du crédit ou en application des clauses et conditions commerciales ;

[...]

i) “taux annuel effectif global” : le coût total du crédit pour le consommateur, exprimé en pourcentage annuel du montant total du crédit, en tenant compte, le cas échéant, des frais visés à l’article 19, paragraphe 2 ;

[...] »

6 Aux termes de l’article 5 de la même directive, intitulé « Informations précontractuelles » :

« 1.  Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat ou une offre de crédit, le prêteur et, le cas échéant, l’intermédiaire de crédit, lui donnent en temps utile, sur la base des clauses et conditions du crédit proposé par le prêteur et, le cas échéant, des préférences exprimées par le consommateur et des informations fournies par ce dernier, les informations nécessaires à la comparaison des différentes offres pour prendre une décision en connaissance de cause sur la conclusion d’un contrat de crédit. Ces informations, sur un support papier ou sur un autre support durable, sont fournies à l’aide des “informations européennes normalisées en matière de crédit aux consommateurs” qui figurent à l’annexe II. [...]

Ces informations portent sur :

[...]

g) le taux annuel effectif global et le montant total dû par le consommateur [...]

[...]

l) le taux d’intérêt applicable en cas de retard de paiement, ainsi que les modalités d’adaptation de celui-ci et, le cas échéant, les frais d’inexécution ;

[...] »

7 L’article 10 de la directive 2008/48, intitulé « Information à mentionner dans les contrats de crédit », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Le contrat de crédit mentionne, de façon claire et concise :

[...]

g) le taux annuel effectif global et le montant total dû par le consommateur [...]

[...]

l) le taux d’intérêt applicable en cas de retard de paiement applicable au moment de la conclusion du contrat de crédit et les modalités d’adaptation de ce taux, ainsi que, le cas échéant, les frais d’inexécution ;

[...] »

8 Conformément à l’article 19 de cette directive, intitulé « Calcul du taux annuel effectif global » :

« 1. Le taux annuel effectif global, qui équivaut, sur une base annuelle, à la valeur actualisée de l’ensemble des engagements (prélèvements, remboursements et frais), existants ou futurs, convenus par le prêteur et le consommateur, est calculé selon la formule mathématique figurant à l’annexe I, partie I.

2. Pour calculer le taux annuel effectif global, on détermine le coût total du crédit pour le consommateur, à l’exception des frais dont ce dernier est redevable en cas de non-exécution d’une quelconque de ses obligations figurant dans le contrat de crédit, et des frais, autres que le prix d’achat, lui incombant lors d’un achat de biens ou de services, que celui-ci soit effectué au comptant ou à crédit.

Les frais de tenue d’un compte sur lequel sont portés tant les opérations de paiement que les prélèvements, les frais d’utilisation d’un moyen de paiement permettant d’effectuer à la fois des opérations de paiement et des prélèvements ainsi que d’autres frais relatifs aux opérations de paiement sont inclus dans le coût total du crédit pour le consommateur, sauf si l’ouverture du compte est facultative et que les frais liés au compte ont été indiqués de manière claire et distincte dans le contrat de crédit ou tout autre contrat conclu avec le consommateur.

3. Le calcul du taux annuel effectif global repose sur l’hypothèse que le contrat de crédit restera valable pendant la durée convenue et que le prêteur et le consommateur rempliront leurs obligations selon les conditions et dans les délais précisés dans le contrat de crédit.

[...] »

9 L’article 22 de ladite directive, intitulé « Harmonisation et caractère impératif de la présente directive », dispose, à son paragraphe 3 :

« Les États membres veillent [...] à ce que les dispositions qu’ils adoptent pour la mise en œuvre de la présente directive ne puissent être contournées par le biais du libellé des contrats, notamment en intégrant des prélèvements ou des contrats de crédit relevant du champ d’application de la présente directive dans des contrats de crédit dont le caractère ou le but permettrait d’éviter l’application de celle-ci. »

10 L’annexe II de la même directive est intitulée « Informations européennes normalisées en matière de crédit aux consommateurs ». Cette annexe prévoit plusieurs informations à fournir au consommateur portant, notamment, sur l’identité et les coordonnées du prêteur ou de l’intermédiaire du crédit, les principales caractéristiques du produit de crédit, ainsi que le coût du crédit et les coûts liés. Dans le cadre de ce dernier point figurent les frais dont le consommateur est redevable en cas de retard de paiement.

Le droit néerlandais

11 Le Burgerlijk Wetboek (code civil) dispose à l’article 57, paragraphe 1, sous g), et paragraphe 2, du livre 7 :

« 1.  Aux fins du présent titre, on entend par :

[...]

g. “coût total du crédit pour le consommateur” : tous les coûts, y compris les intérêts, les commissions, les taxes, et tous les autres types de frais que le consommateur est tenu de payer pour le contrat de crédit et qui sont connus par le prêteur, à l’exception des frais de notaire ; [...]

[...]

2. Le coût total du crédit pour le consommateur, visé au paragraphe 1, sous g), comprend également les coûts relatifs aux services accessoires liés au contrat de crédit, notamment les primes d’assurance, si la conclusion du contrat de service est obligatoire pour l’obtention même du crédit ou en application des clauses et conditions commerciales. »

12 Aux termes de l’article 58, paragraphe 2, sous e), du livre 7, de ce code :

« [...]

2.  Le présent titre ne s’applique pas :

[...]

e) aux contrats de crédit sans intérêts et sans autres frais et aux contrats de crédit en vertu desquels le crédit doit être remboursé dans un délai ne dépassant pas trois mois, et pour lesquels ne sont requis que des frais négligeables ; [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 Riverty est le successeur légal d’Arvato, lequel opérait sous le nom d’AfterPay. AfterPay était le fournisseur du service de paiement différé éponyme, proposé lors d’achats en ligne, en contrepartie d’une commission de paiement de 1 euro.

14 Selon les conditions générales de paiement utilisées par Arvato, le choix de payer au moyen de ce service supposait que, après l’acceptation de la demande d’utilisation dudit service, le commerçant cédât à AfterPay les droits relatifs au montant dont le client était redevable au titre de la commande qu’il avait passée en ligne. Ce client ne pouvait plus payer de manière libératoire qu’à AfterPay et recevait, à cette fin, une facture mentionnant le montant dû, séparément de la livraison de cette commande. Le paiement devait être effectué dans un délai de quatorze jours à compter de la date de facturation, sauf si un délai différent était convenu par écrit.

15 À défaut de paiement dans le délai imparti, le montant dû était immédiatement exigible sans qu’il soit nécessaire d’adresser audit client une mise en demeure supplémentaire. Dans ce cas de figure, Arvato se réservait le droit de facturer des frais administratifs, dont le montant était augmenté à chaque rappel de paiement, des intérêts légaux mensuels sur le montant dû et tous les frais raisonnables engagés pour obtenir le paiement par voie judiciaire ou extrajudiciaire. Le montant minimum facturé au titre des frais de recouvrement extrajudiciaire s’élevait à 40 euros.

16 Le 27 février 2019 ou un peu avant cette date, MI a acheté, en qualité de consommatrice, trois produits auprès d’un commerce en ligne pour un montant total de 37,97 euros (ci-après le « prix d’achat des produits »). À cette occasion, elle a choisi, en tant que modalité de paiement, le service AfterPay.

17 Le même jour, Arvato a envoyé un récapitulatif de paiement à l’adresse électronique fournie par cette consommatrice pour un montant de 38,97 euros, composé du prix d’achat des produits et de la commission de paiement de 1 euro, fixant l’échéance de paiement au 13 mars 2019. Elle a également indiqué qu’un défaut de paiement dans ce délai entraînerait une augmentation de 40 euros du montant dû, au titre des frais de recouvrement extrajudiciaire, conformément à la réglementation néerlandaise applicable en la matière.

18 Entre le 15 mars et le 6 décembre 2019, six rappels de paiement ont été envoyés par Arvato à ladite consommatrice par courriel. Ces courriels indiquaient l’obligation de payer le prix d’achat des produits et précisaient les frais administratifs entraînés par le non-respect de cette obligation, d’abord, pour un montant de 9,50 euros et, ensuite, pour un montant de 12,50 euros. Par le dernier courriel, envoyé le 6 décembre 2019, Arvato réclamait à la même consommatrice le paiement du prix d’achat des produits dans un délai de quinze jours après réception de ce dernier courriel, sous réserve, en cas de défaut de paiement, de la facturation à celle-ci d’un montant supplémentaire de 40 euros, au titre des frais de recouvrement.

19 Arvato a saisi le Kantonrechter te Arnhem (juge cantonal d’Arnhem, Pays-Bas) d’une demande tendant à la condamnation de MI au paiement d’une somme d’un montant de 80,20 euros, majorée des intérêts légaux calculés sur le montant de 38,97 euros, à partir du 9 octobre 2020. Par la suite, Arvato a réduit le montant ainsi réclamé, cette société ayant renoncé à sa rémunération de 1 euro.

20 Conformément au droit national, le Kantonrechter te Arnhem (juge cantonal d’Arnhem) a saisi le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), qui est la juridiction de renvoi, de plusieurs « questions préjudicielles ». Figurent parmi ces questions celles de savoir si les intérêts moratoires, c’est-à-dire les intérêts autres que ceux relatifs à la rémunération de la mise à disposition du crédit, et les frais de recouvrement extrajudiciaire dus par un consommateur en cas d’inexécution d’un contrat de crédit relèvent des coûts du crédit ou s’il y a lieu de tenir compte de ces intérêts et autres frais pour apprécier si le contrat de crédit concerné est un contrat « sans intérêt et sans autres frais » ou un contrat pour « lequel ne sont requis que des frais négligeables », au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48, ou encore s’il convient de tenir compte, dans le cadre de l’examen desdites questions, de la nature légale ou conventionnelle de ces intérêts et autres frais ainsi que de leurs montants par rapport aux barèmes légaux.

21 La juridiction de renvoi fait valoir que la notion de « coût total du crédit pour le consommateur », prévue à l’article 3, sous g), de la directive 2008/48, a été transposée dans le droit néerlandais, « aussi littéralement que possible », à l’article 57, paragraphe 1, sous g), et paragraphe 2, du livre 7 du code civil. Selon cette juridiction, l’article 58, paragraphe 2, sous e), du livre 7 de ce code reprend les termes de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de cette directive concernant l’exclusion des contrats de crédit « sans intérêt et sans autres frais » ainsi que des contrats « en vertu desquels le crédit doit être remboursé dans un délai ne dépassant pas trois mois, et pour lesquels ne sont requis que des frais négligeables », au sens de cette dernière disposition.

22 En réponse à une partie des questions qui lui ont été adressées par le Kantonrechter te Arnhem (juge cantonal d’Arnhem), la juridiction de renvoi considère qu’un contrat dans le cadre duquel un délai de paiement est stipulé constitue un contrat de crédit lorsqu’il répond aux conditions prévues par la réglementation nationale applicable aux fins d’une telle qualification et que la notion d’« autres frais », au sens de l’article 58, paragraphe 2, sous e), du livre 7 du code civil, doit être « combinée » avec celle de « coût total du crédit pour le consommateur », au sens de l’article 57, paragraphe 1, sous g), du livre 7, de ce code.

23 Toutefois, la juridiction de renvoi estime que ni la directive 2008/48 ni la jurisprudence de la Cour relative à cette directive ne permettent de répondre à la question de savoir si les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire doivent être considérés comme étant des coûts de crédit et s’ils doivent être pris en compte pour déterminer si le contrat concerné constitue un contrat de crédit « sans intérêt et sans autres frais » ou un contrat de crédit « pour [lequel] ne sont requis que des frais négligeables », au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de cette directive.

24 À cet égard, s’agissant, en premier lieu, du cadre juridique national, cette juridiction précise que les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire dont il est question dans l’affaire au principal font référence aux intérêts et aux frais encourus par le prêteur pour obtenir le paiement de sa créance par voie extrajudiciaire. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, lorsque le débiteur est une personne physique qui agit dans un but étranger à son activité commerciale ou professionnelle, le code civil prévoit que l’indemnité réclamée au titre des frais de recouvrement extrajudiciaire correspond à un pourcentage de la dette principale et ne peut être inférieure à 40 euros ni supérieure à 6 775 euros.

25 Il ressort également de cette demande que, en matière de contrats de crédit relevant du champ d’application de la directive 2008/48, la réglementation néerlandaise interdit au prêteur d’exiger une rémunération du crédit supérieure à la rémunération maximale autorisée par la loi et que cette rémunération maximale inclut les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire, le prêteur ne pouvant, par conséquent, réclamer une indemnité au titre de frais de recouvrement extrajudiciaire ayant pour effet de porter la rémunération du crédit au-delà du maximum autorisé.

26 S’agissant, en second lieu, des dispositions pertinentes de la directive 2008/48, la juridiction de renvoi déduit de la lecture combinée de l’article 5, paragraphe 1, sous l), de l’article 10, paragraphe 2, sous l), et de l’annexe II de cette directive que les frais dus en cas de retard de paiement, dont relèvent les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire réclamés en l’occurrence, doivent être inclus dans le « coût total du crédit pour le consommateur » visé à l’article 3, sous g), de ladite directive.

27 La juridiction de renvoi ajoute que, s’il découle de l’article 19, paragraphe 3, de la même directive que les frais dus en cas de non-exécution d’une obligation contractuelle ne sont pas pris en considération dans le calcul du taux annuel effectif global (TAEG), cela ne signifie pas pour autant que ces frais ne pourraient relever du coût total du crédit pour le consommateur.

28 Toutefois, la juridiction de renvoi précise qu’il serait également possible de considérer que lesdits frais ne peuvent être inclus dans le « coût total du crédit pour le consommateur » que si les conditions d’octroi du crédit et les autres circonstances entourant la conclusion du contrat permettent de supposer que l’exigibilité des mêmes frais fait partie du modèle commercial du prêteur.

29 S’agissant de l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48, cette juridiction fait valoir qu’elle pourrait être vidée de sa substance s’il était jugé que les intérêts et les autres frais prévus à cette disposition devaient inclure les intérêts et les frais de recouvrement extrajudiciaire dus en vertu de la loi en cas de défaut de paiement.

30 Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)  Les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire font-ils partie du coût total du crédit pour le consommateur, au sens de l’article 3, sous g), de la directive [2008/48], et doivent-ils être pris en considération pour déterminer s’il est question d’un contrat de crédit “sans intérêt et sans autres frais” ou d’un contrat de crédit “pour [lequel] ne sont requis que des frais négligeables”, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de cette directive ?

2) Le fait que les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire soient dus en vertu de la loi ou du contrat a-t-il une incidence sur la réponse à la première question ? S’il est question d’intérêts moratoires et de frais de recouvrement extrajudiciaire prévus par une clause du contrat, le fait que ceux-ci soient supérieurs à ce qui serait dû en vertu de la loi en l’absence d’une telle clause a-t-il une incidence sur la réponse à la première question ? »

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

31 À titre liminaire, il y a lieu d’observer qu’il ressort des observations du gouvernement néerlandais que la directive 2008/48 a été rendue applicable par le droit national néerlandais aux contrats de crédit dont le montant total du crédit est inférieur à 200 euros.

32 Il importe également de constater que, pour répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi, il convient d’examiner deux aspects. Le premier porte, en substance, sur l’interprétation des notions d’« intérêt » et d’« autres frais », au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48 ainsi que sur la question de savoir si l’origine légale ou conventionnelle des intérêts moratoires et des frais de recouvrement extrajudiciaire réclamés par le prêteur en cas d’inexécution de l’obligation du paiement qui incombe au consommateur en vertu d’un contrat de crédit et, le cas échéant, leur montant constituent des critères utiles aux fins de cette interprétation. Le second concerne l’interprétation de la notion de « coût total de crédit pour le consommateur » prévue à l’article 3, sous g), de cette directive.

33 Ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi fait le lien entre la notion d’« autres frais », au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48, et celle de « coût total du crédit pour le consommateur », au sens de l’article 3, sous g), de cette directive, celle-ci s’interrogeant sur le point de savoir si les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire relèvent tant de l’une de ces notions que de l’autre.

34 Cela étant, l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48 contribue à délimiter le champ d’application de cette directive et peut, éventuellement, rendre inutile la réponse à la question de savoir si les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire relèvent de la notion de « coût total du crédit pour le consommateur », au sens de l’article 3, sous g), de ladite directive.

35 Par conséquent, il y a lieu, tout d’abord, d’interpréter l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48 et d’examiner la pertinence de la nature légale ou conventionnelle des intérêts et des frais d’inexécution ainsi que, éventuellement, de leur montant aux fins de cette interprétation, avant d’examiner, ensuite, le cas échéant, la portée de la notion de « coût total du crédit pour le consommateur », au sens de l’article 3, sous g), de cette directive.

Sur la seconde partie de la première question et la seconde question

36 Par la seconde partie de la première question et la seconde question, qu’il convient d’examiner ensemble et en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens que les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire dont un consommateur est redevable en cas de retard ou d’inexécution de l’obligation de paiement qui lui incombe en vertu d’un contrat de crédit relèvent des notions d’« intérêt » et d’« autres frais », au sens de cette disposition. Cette juridiction demande également si l’origine légale ou conventionnelle de ces intérêts et autres frais et le fait que, le cas échéant, lesdits intérêts et autres frais d’origine conventionnelle seraient supérieurs à ce qui serait dû en vertu de la loi sont des éléments pertinents aux fins de cette interprétation.

37 À cet égard, il y a lieu de préciser que les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire en cause au principal constituent, ainsi que le précise la juridiction de renvoi, des intérêts et des frais d’inexécution.

38 Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48, les contrats de crédit « sans intérêt et sans autres frais » et les contrats de crédit « en vertu desquels le crédit doit être remboursé dans un délai ne dépassant pas trois mois, et pour lesquels ne sont requis que des frais négligeables » sont exclus du champ d’application de cette directive.

39 Afin de procéder à l’interprétation de cette disposition et, en particulier, des notions d’« intérêt » et d’« autres frais » qui y figurent, il y a lieu de tenir compte, conformément à une jurisprudence constante, non seulement des termes de ladite disposition, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie (voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 2024, Inditex, C 361/22, EU:C:2024:17, point 43 et jurisprudence citée).

40 S’agissant, en premier lieu, des termes de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48, il y a lieu d’observer que cette disposition se limite à faire référence aux « intérêts » et aux « autres frais » sans définir ces notions et sans renvoyer à d’autres notions également utilisées dans le contexte de cette directive, notamment celles de « frais d’inexécution », de « frais en cas de retard de paiement », de « coûts », de « commissions » ou de « taxes ».

41 Or, la notion d’« intérêt », dans son sens littéral, désigne à la fois les intérêts accumulés ou dus sur un capital placé ou prêté et les intérêts compensatoires ou moratoires et revêt ainsi plusieurs significations possibles.

42 La notion d’« autres frais » constitue elle aussi une notion générique, susceptible de recouvrir plusieurs catégories de dépenses, de sorte que cette notion a un contenu variable en fonction du contexte dans lequel elle est utilisée.

43 Cela étant, la comparaison des différentes versions linguistiques de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48 fournit quelques indices concernant l’interprétation qu’il convient de donner aux notions d’« intérêts » et d’« autres frais », au sens de cette disposition. En particulier, parmi ces versions figurent celles qui, de manière plus succincte, font uniquement référence à l’absence d’intérêts ou d’autres frais, comme les versions en langue allemande (« zins- und gebührenfreie Kreditverträge »), en langue grecque (« symvaseis pistosis oi opoies einai atokes kai choris alles epivarynseis »), en langue française (« contrats de crédit sans intérêt et sans autres frais ») ou en langue néerlandaise (« kredietovereenkomsten zonder rente en andere kosten »). Dans d’autres versions linguistiques, notamment dans les versions en langue espagnole (« los contratos de crédito concedidos libres de intereses y sin ningún otro tipo de gastos »), en langue anglaise (« where the credit is granted free of interest and without any other charges »), en langue croate (« ugovore o kreditu prema kojima se kredit odobrava bez kamata i bez bilo kakvih drugih naknada »), en langue italienne (« contratti di credito che non prevedono il pagamento di interessi o altre spese ») ou en langue roumaine (« contractele de credit în baza cărora creditul este acordat fără dobândă și fără alte costuri »), il est fait explicitement référence au fait que le crédit est octroyé sans que des intérêts ou d’autres frais soient prévus.

44 Il ressort explicitement des termes de ces autres versions que l’applicabilité de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48 doit être examinée en tenant compte des intérêts et des autres frais prévus, au moment de la conclusion du contrat du crédit. Or, l’inexécution par un consommateur de son obligation de paiement et la durée d’une telle inexécution éventuelle sont, en principe, imprévisibles à ce moment. Partant, les intérêts et frais d’inexécution ne font pas partie des « intérêts » et des « autres frais », au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48, et cela indépendamment de la question de savoir si l’application et le niveau de ces intérêts et de ces frais sont prévus par la loi ou stipulés dans le contrat de crédit.

45 Cette interprétation est corroborée par le contexte dans lequel s’inscrit cette disposition ainsi que par les objectifs poursuivis par la directive 2008/48.

46 Ainsi, s’agissant, en deuxième lieu, du contexte dans lequel s’inscrit ladite disposition, il convient d’observer que, conformément à l’article 19, paragraphes 2 et 3, de la directive 2008/48, les frais d’inexécution sont exclus du calcul du TAEG, ce calcul reposant sur l’hypothèse que le contrat de crédit restera valable pendant la durée convenue et que le prêteur ainsi que le consommateur rempliront leurs obligations selon les conditions et dans les délais précisés dans ce contrat. Dès lors, il convient de partir de cette hypothèse afin d’interpréter l’article 2, paragraphe 2, sous f), de cette directive.

47 En troisième lieu, l’interprétation figurant au point 44 du présent arrêt répond à la finalité de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48, qui vise, à l’instar des autres dispositions de cet article, à délimiter le champ d’application de cette directive. Or, si les intérêts et frais d’inexécution devaient être pris en compte afin d’établir si un contrat relève du champ d’application de ladite directive, cette disposition serait largement vidée de sa substance et de son effet utile, car elle trouverait à s’appliquer seulement dans les cas de figure très improbables dans lesquels le retard ou le défaut de paiement n’entraîneraient aucune conséquence juridique pour l’emprunteur, à savoir ni l’imposition d’intérêts moratoires ni d’autres frais en raison de la non-exécution de l’obligation de paiement.

48 En l’occurrence, Arvato réclame le paiement du prix d’achat des produits d’un montant de 37,97 euros majoré des intérêts légaux à partir du 9 octobre 2024 et celui des frais de recouvrement extrajudiciaire légaux de 40 euros, dont le montant est situé à la limite inférieure de la fourchette prévue par la réglementation néerlandaise. De tels intérêts et frais ne relèvent pas, en principe, des notions d’« intérêt » et d’« autres frais », au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48, et ne doivent donc pas être pris en considération afin de déterminer si le contrat de crédit concerné relève du champ d’application de cette directive.

49 La juridiction de renvoi et le gouvernement néerlandais font toutefois valoir qu’il ne saurait être exclu que les circonstances entourant la conclusion du contrat concerné permettent de supposer que l’exigibilité de frais d’inexécution fasse partie du modèle commercial du prêteur, situation dans laquelle ces frais devraient être pris en considération pour examiner l’applicabilité de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48.

50 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2008/48 impose aux États membres de veiller à ce que les dispositions qu’ils adoptent pour la mise en œuvre de cette directive ne puissent être contournées au moyen du libellé des contrats (arrêt du 11 septembre 2019, Lexitor, C 383/18, EU:C:2019:702, point 30).

51 Il appartiendra, dès lors, à la juridiction de renvoi de vérifier si, en réalité, le prêteur ne vise pas à contourner les obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2008/48 en anticipant, dès la conclusion du contrat de crédit, l’inexécution par le consommateur de l’obligation de paiement afin de rechercher un avantage économique de l’exigibilité des intérêts et des frais d’inexécution. À cet effet, il appartiendra à cette juridiction d’examiner toutes les circonstances ayant entouré la conclusion du contrat concerné et d’autres éléments pertinents comme, notamment, l’origine légale ou conventionnelle des intérêts et des frais d’inexécution, les délais dans lesquels ces intérêts et frais deviennent exigibles ainsi que le montant desdits intérêts et frais.

52 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde partie de la première question et à la seconde question que l’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens que, sous réserve des cas dans lesquels le prêteur anticipe, dès la conclusion du contrat de crédit, l’inexécution par le consommateur de l’obligation de paiement afin de rechercher un avantage économique, les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire dont un consommateur est redevable en cas de retard ou d’inexécution de l’obligation de paiement qui lui incombe en vertu d’un contrat de crédit ne relèvent pas des notions d’« intérêt » et d’« autres frais », au sens de cette disposition, et cela indépendamment, en principe, du fait que ces intérêts et autres frais soient d’origine légale ou conventionnelle comme du fait que, le cas échéant, lesdits intérêts et autres frais d’origine conventionnelle soient supérieurs à ce qui serait dû en vertu de la loi.

Sur la première partie de la première question

53 Eu égard à la réponse apportée à la seconde partie de la première question et à la seconde question, il n’y a pas lieu de répondre à la première partie de la première question.

Sur les dépens

54 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

L’article 2, paragraphe 2, sous f), de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil,

doit être interprété en ce sens que :

sous réserve des cas dans lesquels le prêteur anticipe, dès la conclusion du contrat de crédit, l’inexécution par le consommateur de l’obligation de paiement afin de rechercher un avantage économique, les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire dont un consommateur est redevable en cas de retard ou d’inexécution de l’obligation de paiement qui lui incombe en vertu d’un contrat de crédit ne relèvent pas des notions d’« intérêt » et d’« autres frais », au sens de cette disposition, et cela indépendamment, en principe, du fait que ces intérêts et autres frais soient d’origine légale ou conventionnelle comme du fait que, le cas échéant, lesdits intérêts et autres frais d’origine conventionnelle soient supérieurs à ce qui serait dû en vertu de la loi.