TUE, 4e ch. élargie, 2 octobre 2024, n° T-126/23
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
VC
Défendeur :
Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Papasavvas
Juges :
M. da Silva Passos, M. Gervasoni (rapporteur), Mme Półtorak, Mme Reine
Avocats :
Me Rodríguez Cárcamo, Me Centeno Huerta
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, VC, demande l’annulation de la décision de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA) du 13 janvier 2023 ordonnant son exclusion de la participation aux procédures de passation de marchés publics, aux procédures relatives aux subventions, aux prix, aux attributions et aux instruments financiers régies par le budget général de l’Union européenne ainsi qu’aux procédures d’attribution relatives au Fonds européen de développement (FED) régies par le règlement (UE) 2018/1877 du Conseil, du 26 novembre 2018, portant règlement financier applicable au 11e FED, et abrogeant le règlement (UE) 2015/323 (JO 2018, L 307, p. 1), pour une durée de deux ans avec effet au 18 janvier 2023 (articles 1er et 2), l’inscription de son nom dans la base de données du système de détection rapide et d’exclusion pour la durée de la période d’exclusion (article 3) et la publication sur le site Internet de la Commission européenne de certaines informations relatives à l’exclusion (article 4) (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours
2 Le 11 mai 2021, l’EU-OSHA a publié l’appel d’offres EUOSHA/2021/OP/F/SE/0144 pour la fourniture de services de technologies de l’information et de la communication et de services Internet. Ce marché était divisé en trois lots.
3 Le même jour, la Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia (CNMC, Commission nationale des marchés et de la concurrence, Espagne) a adopté une décision constatant que la requérante avait participé à une infraction unique et continue au droit de la concurrence et la sanctionnant d’une amende ainsi que d’une interdiction de passer des marchés avec l’administration espagnole (ci-après la « décision de la CNMC »). Selon la CNMC, la requérante a participé entre mars 2009 et mai 2017, avec plusieurs autres entreprises, à un réseau collaboratif, au sein duquel les participants ont échangé des informations commercialement sensibles et se sont engagés dans des stratégies communes visant à éliminer la concurrence dans certains appels d’offres pour la fourniture de services de conseil aux administrations espagnoles et à d’autres organismes publics.
4 Le 21 juin 2021, la requérante a présenté une offre pour le deuxième lot du marché en cause, relatif à la fourniture de services de soutien et de conseil en gestion de projet.
5 Après avoir pris connaissance de la décision de la CNMC, l’EU-OSHA a demandé à la requérante, le 29 juillet 2021, de lui préciser les raisons de l’absence de mention de cette décision dans sa déclaration sur l’honneur et si elle avait pris des mesures correctrices pour remédier à l’infraction constatée.
6 La requérante a répondu, le 24 août 2021, qu’elle n’avait pas déclaré la décision de la CNMC, car celle-ci, d’une part, n’était pas définitive, dès lors que l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne) n’avait statué ni sur le recours formé contre cette décision, ni sur la demande en référé et, d’autre part, ne comportait pas d’interdiction effective de participer à des marchés publics en l’absence de détermination de la portée de l’interdiction par le ministre de l’Économie et des Finances espagnol.
7 Le 10 février 2022, l’ordonnateur compétent a demandé à l’instance convoquée en vertu de l’article 143 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier »), de formuler une recommandation relative à l’exclusion ou à la sanction financière de la requérante.
8 L’Audiencia Nacional (Cour centrale) a ordonné, le 11 avril 2022, le sursis à l’exécution de la décision de la CNMC (ci-après la « décision nationale de sursis »).
9 Le 13 juillet 2022, l’instance convoquée en vertu de l’article 143 du règlement financier (ci-après l’« instance ») a notifié à la requérante la qualification préliminaire de la conduite de cette dernière au sens de l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier.
10 La requérante a présenté ses observations sur cette qualification préliminaire le 22 août 2022.
11 Le 8 décembre 2022, l’instance a adressé sa recommandation à l’EU-OSHA. Estimant que la conduite de la requérante devait être considérée comme une « faute professionnelle grave », elle a recommandé son exclusion et la publication de cette exclusion.
12 Par la décision attaquée, notifiée à la requérante le 17 janvier 2023, l’EU-OSHA a suivi cette recommandation et a ordonné :
– l’exclusion de la requérante de la participation aux procédures de passation de marchés publics et à celles relatives aux subventions, aux prix, aux attributions et aux instruments financiers régies par le budget général de l’Union ainsi qu’aux procédures d’attribution relatives au FED régies par le règlement 2018/1877, pour une durée de deux ans avec effet au 18 janvier 2023 (articles 1er et 2) ;
– l’inscription du nom de la requérante dans la base de données du système de détection rapide et d’exclusion visée à l’article 142, paragraphe 1, du règlement financier, pour la durée de la période d’exclusion (article 3) ;
– la publication sur le site Internet de la Commission, trois mois après la notification de ladite décision, de certaines informations qui ont trait à l’exclusion de la requérante de la participation aux procédures d’attribution, conformément à l’article 140 du règlement financier (article 4) ;
– la notification de cette décision à la requérante (article 5).
13 Postérieurement à l’introduction du recours dans la présente affaire, la requérante a demandé à l’EU-OSHA, le 21 novembre 2023, la révision de la décision attaquée sur le fondement de l’article 136, paragraphe 8, du règlement financier.
Conclusions des parties
14 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– à titre subsidiaire, remplacer la mesure d’exclusion par une sanction financière et/ou annuler l’article 4 de la décision attaquée ;
– condamner l’EU-OSHA aux dépens.
15 L’EU-OSHA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
16 La requérante soulève cinq moyens au soutien de son recours. Le premier moyen critique le non-respect de la décision nationale de sursis et le deuxième moyen l’appréciation des mesures correctrices adoptées par la requérante. Le troisième moyen est tiré de la violation du principe de proportionnalité par l’adoption de la sanction d’exclusion. Le quatrième moyen conteste la publication de l’exclusion. Par le cinquième moyen, invoqué à titre subsidiaire, la requérante reproche à l’EU-OSHA de ne pas avoir évalué l’application d’une sanction financière comme alternative à l’exclusion.
Sur le premier moyen, tiré de la méconnaissance de la décision nationale de sursis
Sur la première branche, tirée de la violation de l’article 106, paragraphe 2, de l’ancien règlement financier, de l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier, de l’article 4, paragraphe 3, TUE et de l’article 325, paragraphe 1, TFUE
17 La requérante affirme qu’il ressort de l’article 106 du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1), tel que modifié notamment par le règlement (UE, Euratom) n° 2015/1929 du Parlement européen et du Conseil, du 28 octobre 2015 (JO 2015, L 286, p. 1) (ci-après l’« ancien règlement financier »), et de l’article 136 du règlement financier, tant en ce qu’ils imposent, en leur paragraphe 1, l’exclusion des entités ayant commis une faute professionnelle grave constatée par une décision nationale définitive qu’en ce qu’ils permettent, en leur paragraphe 2, une telle exclusion à partir d’une qualification préliminaire par les autorités de l’Union sur la base d’une décision nationale non définitive, que les autorités de l’Union doivent également respecter les décisions adoptées à titre conservatoire par les juridictions nationales à l’égard des décisions administratives nationales non définitives, en particulier lorsque, comme en l’espèce, lesdites autorités n’exercent elles-mêmes aucune activité d’enquête. Ainsi, en cas de suspension de la décision servant de fondement exclusif à la qualification préliminaire susmentionnée, cette décision ne pourrait plus être utilisée pour effectuer ladite qualification. La requérante souligne que la décision nationale de sursis, même sans faire état d’un examen du fumus boni juris, met en cause la validité et la légalité de la décision de la CNMC. Elle relève également la similitude entre l’objectif poursuivi par l’exclusion décidée par la décision attaquée et celui poursuivi par la mesure d’interdiction de passation de marchés décidée par la CNMC, qui correspond à une sanction caractéristique du domaine des marchés publics et qui a été suspendue par la décision nationale de sursis.
18 La requérante se fonde, en outre, sur l’article 325 TFUE, relatif à la lutte contre la fraude, et sur l’article 4, paragraphe 3, TUE posant le principe de coopération loyale, pour souligner la contradiction manifeste entre la décision nationale de sursis et la décision attaquée, qui résulterait d’un manque évident de coordination entre les autorités compétentes dans la protection des intérêts financiers de l’Union, que requièrent pourtant ces dispositions.
19 Il convient de rappeler, à titre liminaire, que les règles de procédure s’appliquent, en principe, à toutes les procédures pendantes au moment où elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant pas, en principe, des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur [voir, en ce sens, arrêts du 12 novembre 1981, Meridionale Industria Salumi e.a., 212/80 à 217/80, EU:C:1981:270, point 9 ; du 6 juillet 1993, CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, C 121/91 et C 122/91, EU:C:1993:285, point 22, et du 26 mars 2015, Commission/Moravia Gas Storage, C 596/13 P, EU:C:2015:203, point 33] . Par conséquent, les règles applicables à la procédure d’exclusion en cause sont celles du règlement financier, entré en vigueur en 2018, tandis que les règles de fond applicables à cette exclusion sont celles de l’ancien règlement financier, en vigueur à la date de l’infraction unique et continue à l’origine de l’exclusion, qui a pris fin en 2017.
20 Au demeurant, il convient de relever que l’article 106 de l’ancien règlement financier et l’article 136 du règlement financier sont identiques dans leurs dispositions pertinentes pour le cas d’espèce.
21 Ainsi, en vertu de leur paragraphe 1, sous c), ii), une personne ou une entité est exclue de la participation aux procédures d’attribution des marché régies par le règlement financier lorsqu’il a été établi par un jugement définitif ou une décision administrative définitive que la personne ou l’entité a commis une faute professionnelle grave en ayant violé des dispositions législatives ou réglementaires applicables ou des normes de déontologie de la profession à laquelle elle appartient, ou en ayant adopté une conduite fautive qui a une incidence sur sa crédibilité professionnelle, dès lors que cette conduite dénote une intention fautive ou une négligence grave, notamment en cas de conclusion d’un accord avec d’autres personnes ou d’autres entités en vue de fausser la concurrence.
22 De même, en vertu de leur paragraphe 2, premier et deuxième alinéas, en l’absence de jugement définitif ou, le cas échéant, de décision administrative définitive au titre du paragraphe 1, sous c), l’ordonnateur compétent exclut la personne ou l’entité sur la base d’une qualification juridique préliminaire de la conduite de cette dernière, compte tenu des faits établis ou d’autres constatations figurant dans la recommandation émise par l’instance. Cette qualification préliminaire ne préjuge pas de l’évaluation de la conduite de la personne ou de l’entité concernée par les autorités compétentes des États membres en vertu du droit national. Après la notification du jugement définitif ou de la décision administrative définitive, l’ordonnateur compétent réexamine sans tarder sa décision d’exclure la personne ou l’entité et/ou de lui imposer une sanction financière. Si le jugement définitif ou la décision administrative définitive ne prévoit pas la durée de l’exclusion, l’ordonnateur compétent fixe cette durée sur la base des faits établis et des constatations, en tenant compte de la recommandation émise par l’instance.
23 En vertu de leur paragraphe 2, troisième alinéa, lorsque le jugement définitif ou la décision administrative définitive considère que la personne ou l’entité n’est pas coupable de la conduite qui a fait l’objet d’une qualification juridique préliminaire, et sur la base de laquelle elle a été exclue, l’ordonnateur compétent met fin sans tarder à cette exclusion et/ou rembourse sans tarder, s’il y a lieu, la sanction financière qui aurait été infligée. Par ailleurs, en vertu de leur paragraphe 2, quatrième alinéa, les faits et les constatations visés au premier alinéa comprennent notamment les faits établis dans le cadre d’audits ou d’enquêtes menés par la Cour des comptes européenne, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) ou tout autre contrôle, audit ou vérification effectué sous la responsabilité de l’ordonnateur ainsi que les décisions de la Commission relatives à la violation du droit de l’Union dans le domaine de la concurrence ou les décisions d’une autorité nationale compétente concernant la violation du droit de l’Union ou du droit national en matière de concurrence.
24 Il ressort de ces dispositions qu’une entité est exclue de la participation aux procédures concernées soit lorsqu’il est établi qu’elle a commis une faute professionnelle grave par un jugement définitif ou une décision administrative définitive, soit, en l’absence de jugement définitif ou de décision administrative définitive, sur la base d’une qualification juridique préliminaire de sa conduite par l’autorité compétente de l’Union au regard de faits établis ou de constatations effectuées notamment par les décisions d’une autorité nationale de concurrence.
25 Il en résulte que l’absence de jugement ou de décision à caractère définitif constatant le comportement fautif en cause ne fait pas obstacle à l’adoption d’une mesure d’exclusion par l’autorité compétente de l’Union afin de protéger les intérêts financiers de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 9 février 2022, Elevolution – Engenharia/Commission, T 652/19, non publié, EU:T:2022:63, point 76, et du 21 décembre 2022, Vialto Consulting/Commission, T 537/18, non publié, EU:T:2022:852, point 142).
26 Il s’en déduit également la volonté du législateur de l’Union de permettre à l’autorité compétente de l’Union de porter sa propre appréciation sur les actes commis par l’opérateur économique concerné, sans attendre qu’une juridiction ait rendu son jugement (voir, par analogie, arrêt du 19 juin 2019, Meca, C 41/18, EU:C:2019:507, point 31). Il en va ainsi de l’efficacité du régime d’exclusion, laquelle implique qu’il soit appliqué aussi rapidement que possible, sans qu’il faille attendre un jugement définitif (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2022, Elevolution – Engenharia/Commission, T 652/19, non publié, EU:T:2022:63, point 77).
27 Les éléments pouvant être pris en considération à cet égard sont d’ailleurs précisés, sans que l’énumération soit exhaustive, à l’article 106, paragraphe 2, quatrième alinéa, de l’ancien règlement financier comme à l’article 136, paragraphe 2, quatrième alinéa, du règlement financier (voir point 23 ci-dessus), et reposent notamment sur les activités d’enquête d’autres entités de l’Union ou des États membres, de sorte qu’il est indifférent que l’autorité de l’Union concernée ne procède pas elle-même à une enquête avant d’adopter son éventuelle décision d’exclusion.
28 Ainsi, en l’espèce, il incombait à l’EU-OSHA, en l’absence de décision définitive, dès lors qu’un recours avait été formé contre la décision de la CNMC et était pendant à la date de la décision attaquée, de procéder à sa propre appréciation de la conduite de la requérante sur le fondement de la décision de la CNMC, qui figure parmi les éléments énumérés par les dispositions pertinentes (voir point 23 ci-dessus), mais également d’autres éléments pertinents du contexte, dont, en particulier, la suspension de cette décision. En effet, l’hypothèse régie par l’article 106, paragraphe 2, de l’ancien règlement financier et par l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier est précisément celle dans laquelle la décision susceptible de servir de fondement à l’exclusion n’est pas définitive, soit que le délai du recours pouvant être introduit contre elle n’a pas expiré, soit qu’un tel recours a été formé, soit encore qu’elle a été suspendue, comme en l’espèce. Considérer, comme le soutient la requérante, qu’une décision suspendue ne pourrait plus servir de fondement à une décision d’exclusion reviendrait à priver d’effet cette hypothèse prévue par les dispositions applicables, de même d’ailleurs que l’article 106, paragraphe 7, sous c), de l’ancien règlement financier et l’article 136, paragraphe 6, sous a), du règlement financier incitant les personnes ou les entités n’ayant pas fait l’objet d’un jugement définitif à adopter des mesures correctrices visant à démontrer leur fiabilité en dépit de la décision constatant une violation du droit de la concurrence (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 19 juin 2019, Meca, C 41/18, EU:C:2019:507, point 40 ; voir, également, point 55 ci-après).
29 Or, il convient de constater, en premier lieu, que l’EU-OSHA a effectivement, suivant en cela les constatations figurant dans la recommandation de l’instance, pris en compte la suspension de la décision de la CNMC, en réponse à l’argument de la requérante fondé sur une telle suspension. Aux considérants 35 à 37 de la décision attaquée, elle a commencé par rappeler cet argument, avant d’exposer les raisons pour lesquelles, selon elle, cette suspension ne préjugeait pas, en l’espèce, l’application des règles de l’Union. Plus particulièrement, l’EU-OSHA a estimé que la décision nationale de sursis, en l’absence de prise de position sur un fumus boni juris, ne soulevait pas de doutes quant à la validité et à la légalité de la décision de la CNMC et était fondée sur des considérations étrangères à la présente procédure administrative, répondant à un objectif différent de celui à l’origine de la sanction nationale. Elle a ajouté que cette décision de sursis n’était par définition pas définitive et, dès lors, ne la liait pas.
30 Il convient également de relever, en second lieu, que l’EU-OSHA a estimé à bon droit que la suspension de la décision de la CNMC ne faisait pas obstacle à ce que les constatations de cette décision soient prises en considération pour démontrer l’existence d’une faute professionnelle grave de la requérante et adopter une mesure d’exclusion.
31 En effet, d’une part, les faits reprochés à la requérante ne reposent pas sur de simples suppositions ou présomptions, mais ont été constatés sur la base des éléments résultant d’une enquête menée par la CNMC (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2022, Vialto Consulting/Commission, T 537/18, non publié, EU:T:2022:852, point 143 ; voir également, par analogie, arrêt du 21 décembre 2023, Infraestruturas de Portugal et Futrifer Indústrias Ferroviárias, C 66/22, EU:C:2023:1016, point 78).
32 D’autre part, il ne ressort de la décision nationale de sursis aucune prise de position sur le bien-fondé de la décision de la CNMC. Les constatations et les considérations de cette dernière relatives à la méconnaissance du droit de la concurrence par la requérante ne sont donc aucunement remises en cause, ni même mises en doute par le juge national. Celui-ci fonde sa décision de suspension sur des considérations tirées uniquement des conséquences de l’amende infligée et de l’interdiction de contracter sur la poursuite des activités de la requérante. Cette dernière admet d’ailleurs que le juge national n’a pas expressément examiné l’existence d’un fumus boni juris. Dans la mesure où la requérante fait valoir que le juge national aurait implicitement mais nécessairement reconnu la plausibilité des allégations de la requérante contestant la décision de la CNMC, dès lors que, selon la jurisprudence nationale, l’octroi d’une mesure provisoire présupposerait une telle plausibilité, il y a lieu de relever que de telles considérations implicites ne sauraient, en tout état de cause, suffire à remettre en cause les constatations et les considérations explicites de la décision de la CNMC.
33 Il est indifférent en outre que la décision nationale de sursis suspende, outre le paiement de l’amende infligée par la décision de la CNMC, également l’interdiction pour la requérante de passer des marchés en Espagne, également imposée par cette décision. Il s’agit, certes, d’une interdiction qui s’apparente à l’exclusion prononcée par la décision attaquée, et ce d’autant que, selon les affirmations de la requérante, certaines interdictions de passation de marchés ne sont pas prononcées ou appliquées, lorsque l’opérateur concerné a adopté des mesures correctrices ou de conformité visant à réparer les dommages causés par sa conduite illégale. Cependant, le motif de la suspension de l’interdiction de passer des marchés est, ainsi qu’il ressort du point 32 ci-dessus, indépendant des constatations et des considérations de la décision de la CNMC et n’est donc pas de nature à les remettre en cause. Ainsi, même si, comme le soutient la requérante, la différence d’objet entre la procédure d’exclusion prévue par la réglementation de l’Union et la procédure nationale ne suffit pas, en tant que telle, pour exclure la prise en compte de la décision nationale de sursis par l’EU-OSHA (voir point 28 ci-dessus), il reste que, en l’espèce, les motifs de la suspension de la décision de la CNMC ne remettent pas en cause la matérialité des faits sur lesquels la décision attaquée s’est fondée pour prononcer l’exclusion de la requérante. En outre, il ne ressort de la décision nationale de sursis aucune information quant à l’adoption de mesures correctrices par la requérante et à la justification de la suspension par l’adoption de telles mesures.
34 Il résulte par ailleurs de la mise en balance correctement effectuée par l’EU-OSHA en l’espèce entre la décision de la CNMC et la décision nationale de sursis qu’il ne peut lui être reproché ni une contradiction entre les motifs de la décision attaquée et ceux de la décision nationale de sursis, ni un défaut de coordination avec les autorités nationales qui porterait atteinte au principe de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE et à la lutte contre la fraude régie par l’article 325 TFUE.
35 Il en résulte que la première branche du premier moyen doit être écartée.
Sur la seconde branche, tirée de la violation de l’article 47 de la Charte et de l’article 19, paragraphe 1, TUE
36 La requérante fait valoir que, en privant de toute pertinence la décision nationale de sursis, la décision attaquée remet en cause la protection juridictionnelle qu’elle a obtenue du juge national et, partant, viole l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 1, TUE. Le respect des procédures juridictionnelles nationales serait d’autant plus nécessaire dans le cas des « procédures composites », telles que la procédure d’exclusion dans laquelle les autorités de l’Union prennent leurs décisions sur la base de décisions nationales. La requérante ajoute que le droit de demander un réexamen de la décision d’exclusion ou la possibilité de présenter des observations devant l’instance ou l’ordonnateur compétent constituent des garanties administratives, qui ne permettent pas de remplacer les garanties de contrôle de la légalité des actes faisant grief et de respect des décisions de justice caractéristiques de la protection juridictionnelle effective.
37 Selon une jurisprudence constante, le principe de protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et qui est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte (voir arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C 64/16, EU:C:2018:117, point 35 et jurisprudence citée).
38 Il ressort également de la jurisprudence que les effets de l’introduction d’un recours administratif ou judiciaire sont intimement liés à l’exercice et à la sauvegarde des droits fondamentaux concernant la protection juridictionnelle, dont l’ordre juridique de l’Union assure également le respect et qu’une réglementation qui ignorerait totalement les effets de l’introduction d’un recours administratif ou judiciaire sur la possibilité de participer à une procédure de passation de marché risquerait de violer les droits fondamentaux des intéressés (voir, par analogie, arrêt du 9 février 2006, La Cascina e.a., C 226/04 et C 228/04, EU:C:2006:94, point 38).
39 Or, il ne saurait être considéré que, en l’espèce, la décision nationale de sursis ait été ignorée et qu’il aurait été porté atteinte à la protection juridictionnelle du requérant.
40 En effet, d’une part, ainsi qu’il ressort des points 29 à 33 ci-dessus, cette décision a été dûment prise en compte par l’instance, puis par l’EU-OSHA dans la décision attaquée. En particulier, l’EU-OSHA a considéré, à juste titre, que, en l’absence de prise de position dans la décision nationale de sursis sur le bien-fondé de la décision de la CNMC, elle pouvait se fonder sur les constatations de cette décision pour retenir l’existence d’une faute professionnelle grave et adopter une mesure d’exclusion (voir points 30 et 32 ci-dessus). En outre, en vertu des dispositions applicables, en l’absence de jugement définitif ou de décision définitive, la sanction d’exclusion ne peut être décidée que sur la base d’une qualification juridique préliminaire de la conduite litigieuse par l’instance compte tenu de tous les éléments pertinents, dont la suspension de la décision de la CNMC (voir points 22, 23 et 28 ci-dessus), qualification juridique préliminaire sur laquelle la requérante a au surplus eu l’occasion de présenter ses observations (voir point 10 ci-dessus) en application de l’article 143, paragraphe 5, du règlement financier. Il s’agit certes, comme le souligne la requérante, de garanties de nature administrative, mais il reste qu’elles permettent d’assurer la prise en compte en bonne et due forme de la décision juridictionnelle nationale. Il importe également de souligner que la décision attaquée, qui exclut la requérante des marchés passés par les administrations de l’Union, ne remet nullement en cause les effets de la décision nationale de sursis, en ce que celle-ci suspend l’interdiction de passer des marchés avec l’administration espagnole.
41 D’autre part, ainsi qu’il ressort des points 24 à 26 ci-dessus, il résulte des dispositions applicables que, en l’absence de jugement définitif ou de décision définitive, comme en l’espèce, l’autorité de l’Union n’est pas liée par les décisions administratives ou juridictionnelles prises au niveau national et dispose, ce faisant, de la faculté d’exclure des procédures d’attribution des marchés publics de l’Union une personne ou une entité, en l’espèce la requérante, sur la base d’une qualification juridique préliminaire de sa conduite.
42 Or, l’exercice de cette faculté ne méconnaît pas l’article 47 de la Charte. En effet, l’existence, non contestée par la requérante et que confirme le présent recours, d’une voie de recours pour contester la décision attaquée devant le juge de l’Union permet précisément d’assurer une protection juridictionnelle de la requérante. En particulier, le Tribunal est compétent en l’espèce tant pour annuler la décision attaquée que pour réexaminer cette décision, au titre de sa compétence de pleine juridiction prévue à l’article 143, paragraphe 9, du règlement financier (arrêt du 9 février 2022, Elevolution – Engenharia/Commission, T 652/19, non publié, EU:T:2022:63, point 80 ; voir, également, point 127 ci-après). Une protection juridictionnelle provisoire est en outre garantie par le juge des référés du Tribunal, lequel peut ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée, notamment s’il estime, comme cela a été le cas en l’espèce, qu’il ne saurait être exclu, à première vue, que l’EU-OSHA aurait dû tirer les conséquences de la décision nationale de sursis (ordonnance du 14 juillet 2023, VC/EU-OSHA, T 126/23 R, non publiée, EU:T:2023:405, point 51).
43 Il n’y a donc pas lieu de reconnaître à la décision nationale de sursis le même effet que celui reconnu aux décisions ou aux jugements définitifs qui obligent les autorités de l’Union à exclure la personne ou l’entité concernée, conformément à l’article 136, paragraphe 1, du règlement financier ou, le cas échéant, à admettre sa participation aux procédures de passation des marchés publics de l’Union. Si le pouvoir d’exclusion des autorités de l’Union était paralysé du seul fait de l’introduction d’un recours suspensif contre la décision nationale susceptible de servir de fondement à l’exclusion ou d’une suspension de cette décision, cela priverait d’effet utile un tel pouvoir (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 19 juin 2019, Meca, C 41/18, EU:C:2019:507, points 37 et 38).
44 Il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où la décision nationale de sursis serait suivie d’un jugement définitif annulant la décision de la CNMC, il est prévu par l’article 136, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement financier que l’ordonnateur met fin sans tarder à l’exclusion, donnant ainsi un plein effet à la décision juridictionnelle nationale et garantissant par la même occasion la protection juridictionnelle du requérant, attachée en l’occurrence à la décision juridictionnelle nationale qui lie dans ce cas l’autorité de l’Union.
45 Il en résulte que la seconde branche du premier moyen doit être écartée, de sorte que ce moyen doit également l’être.
Sur le deuxième moyen, relatif aux mesures correctrices adoptées par la requérante
46 Selon la requérante, la décision attaquée contient de graves erreurs d’appréciation et viole l’article 106, paragraphe 7, sous a), de l’ancien règlement financier et l’article 136, paragraphe 6, sous a), du règlement financier, car, sur la base des éléments qu’elle a communiqués à l’EU-OSHA, cette dernière aurait dû constater qu’elle avait pris des mesures correctrices suffisantes. Or, l’EU-OSHA aurait exigé de la requérante, pour chacune des mesures correctrices, un niveau de preuve démesuré et disproportionné, sans lui laisser aucune possibilité de corriger ou de compléter les informations demandées. La requérante déplore, à cet égard, l’absence d’appréciation autonome de ces mesures par l’instance et l’appui de cette dernière sur l’évaluation de la CNMC pourtant fondée sur des documents différents. Elle estime en outre que le large pouvoir d’appréciation concernant l’attribution d’un marché public ne peut être transposé à une décision de sanction qui dépasse le cadre d’une procédure de marché spécifique et entraîne un préjudice important qui ne résulterait pas d’une simple non-attribution d’un marché.
47 La requérante ajoute que, dans la mesure où le Tribunal dispose d’une compétence de pleine juridiction pour réexaminer la décision attaquée en vertu de l’article 143, paragraphe 9, du règlement financier, fondé sur l’article 261 TFUE, elle communique dans le cadre de la présente instance de nouveaux documents attestant de la fiabilité des mesures correctrices. Elle souligne, à cet égard, que les mesures correctrices ne sont pas des éléments constitutifs de l’infraction pour lesquels le Tribunal ne serait pas compétent. Selon la requérante, en tout état de cause, indépendamment de cette compétence de pleine juridiction, ces documents seront pertinents pour contrôler la légalité de la décision attaquée, dès lors qu’ils portent sur des mesures correctrices adoptées avant la décision attaquée.
48 À titre conclusif, la requérante souligne, dans la réplique, qu’elle ne se serait livrée à aucune pratique anticoncurrentielle depuis 2018, ce qui démontrerait que le système qu’elle a mis en place, dans son ensemble, présenterait la fiabilité requise. Par souci d’exhaustivité, elle communique, en annexe à la réplique, des documents qui attesteraient cette fiabilité.
49 Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que la requérante ne conteste pas devant le Tribunal avoir commis l’infraction constatée et sanctionnée par la décision de la CNMC. Elle ne conteste pas davantage que son exclusion décidée à la suite de ce constat d’infraction au droit espagnol de la concurrence et à l’article 101 TFUE revêt le caractère d’une sanction.
50 La requérante conteste toutefois son exclusion en l’espèce sur le fondement d’une faute professionnelle grave, au motif qu’elle aurait adopté des mesures correctrices démontrant sa fiabilité, conformément à l’article 106, paragraphe 7, sous c), de l’ancien règlement financier et à l’article 136, paragraphe 6, sous a), du règlement financier, dispositions successivement applicables en l’espèce, eu égard à la date d’adoption des mesures correctrices en cause.
51 Il convient, avant d’examiner les arguments de la requérante contestant l’appréciation par l’EU-OSHA des mesures correctrices adoptées, de clarifier la nature de la compétence ainsi que l’intensité du contrôle pouvant être exercés par le Tribunal sur les appréciations en cause, également en litige entre les parties.
Sur la nature de la compétence et l’intensité du contrôle du Tribunal sur les mesures correctrices
52 En vertu de l’article 143, paragraphe 9, du règlement financier :
« La Cour de justice de l’Union européenne a une compétence de pleine juridiction pour réexaminer une décision par laquelle l’ordonnateur exclut une personne ou une entité visée à l’article 135, paragraphe 2, et/ou impose une sanction financière à un destinataire, y compris pour ce qui est d’annuler l’exclusion, de réduire ou d’allonger la durée de celle-ci et/ou d’annuler la sanction financière imposée ou d’en diminuer ou d’en augmenter le montant […] »
53 Ce faisant, le législateur de l’Union a fait usage de la faculté offerte par l’article 261 TFUE qui dispose que « [l]es règlements arrêtés conjointement par le Parlement européen et le Conseil, et par le Conseil en vertu des dispositions des traités peuvent attribuer à la Cour de justice de l’Union européenne une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions prévues dans ces règlements ».
54 L’article 143, paragraphe 9, du règlement financier doit, dès lors, être interprété à la lumière de l’article 261 TFUE, de sorte que la portée de cette compétence de pleine juridiction est strictement limitée à la détermination de la sanction, à l’exclusion de toute modification des éléments constitutifs du comportement justifiant cette sanction (voir, par analogie, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C 603/13 P, EU:C:2016:38, points 76 et 77 et jurisprudence citée).
55 Or, en l’espèce, contrairement à ce que soutient la requérante, il y a lieu de considérer que l’examen des mesures correctrices relève de l’appréciation d’un tel comportement. En vertu de l’article 106, paragraphe 7, sous c), de l’ancien règlement financier et de l’article 136, paragraphe 6, sous a), du règlement financier, l’ordonnateur compétent « n’exclut pas » une personne ou une entité si celle-ci « a pris des mesures correctrices […] d’une manière suffisante pour démontrer sa fiabilité ». Cette disposition établit ainsi une impossibilité d’exclure des marchés un opérateur qui a pris certaines mesures correctrices démontrant sa fiabilité (arrêt du 27 juin 2017, NC/Commission, T 151/16, EU:T:2017:437, point 58). En effet, conformément à l’objectif de protection des intérêts financiers de l’Union que poursuit la sanction d’exclusion (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2022, Vialto Consulting/Commission, T 537/18, non publié, EU:T:2022:852, points 159 et 164 ; voir également point 25 ci-dessus), il n’y a pas lieu d’exclure un opérateur fautif redevenu fiable. Dans ce cas, la faute professionnelle grave initialement constatée a été corrigée au point de ne plus être à même de fonder une exclusion. L’appréciation devant être portée sur les mesures correctrices équivaut donc à vérifier la persistance de la faute professionnelle grave, déduite en l’occurrence de l’infraction constatée par une autorité nationale, et la possibilité qu’elle se reproduise, ce qui relève d’une appréciation du comportement de l’opérateur concerné ainsi que des circonstances de fait qui lui sont directement liées et non de l’appréciation de sa sanction.
56 Il est indifférent, à cet égard, que les mesures correctrices interviennent généralement après la survenance de l’infraction constatée par l’autorité nationale. En effet, ainsi qu’il ressort des points 26 à 28 ci-dessus, un tel constat d’infraction par une autorité nationale ne constitue qu’un préalable pouvant conduire, à la suite de l’appréciation de l’autorité de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 15 février 2023, RH/Commission, T 175/21, non publié, EU:T:2023:77, point 29), à ce que cette dernière retienne une qualification de faute professionnelle grave. Le comportement qui doit être distingué de la sanction aux fins de déterminer le champ d’application de la compétence de pleine juridiction ne se limite pas, en matière de marchés publics, compte tenu notamment de la procédure en deux temps prévue par le règlement financier, à l’infraction constatée par une autorité nationale et à ses éléments constitutifs, mais inclut d’autres éléments, le cas échéant postérieurs à cette infraction et susceptibles de conduire l’autorité de l’Union à en déduire la fiabilité de l’opérateur concerné en dépit de ladite infraction.
57 Il s’ensuit que le Tribunal ne peut exercer sa compétence de pleine juridiction, telle que prévue à l’article 143, paragraphe 9, du règlement financier, aux fins de l’examen du présent moyen. Il ne peut ainsi substituer sa propre appréciation des mesures correctrices en cause à celle de l’EU-OSHA et se bornera à un contrôle de la légalité de ladite appréciation.
58 Il y a lieu de préciser, d’une part, eu égard aux positions différentes exprimées par les parties sur ce point, que ce contrôle de légalité est limité à la vérification du respect des règles de droit, notamment de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (voir arrêt du 15 février 2023, RH/Commission, T 175/21, non publié, EU:T:2023:77, point 30 et jurisprudence citée). S’agissant de l’examen par le juge de l’Union de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation entachant un acte d’une institution, il convient de préciser que, afin d’établir que cette institution a commis une erreur manifeste dans l’appréciation de faits complexes de nature à justifier l’annulation dudit acte, les éléments de preuve apportés par le requérant doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus dans cet acte (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T 380/94, EU:T:1996:195, point 59, et du 28 février 2012, Grazer Wechselseitige Versicherung/Commission, T 282/08, EU:T:2012:91, point 158). Sous réserve de cet examen de plausibilité, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation de faits complexes à celle de l’auteur de cette décision [arrêts du 15 octobre 2009, Enviro Tech (Europe), C 425/08, EU:C:2009:635, point 47, et du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission, T 289/03, EU:T:2008:29, point 221].
59 Dans la mesure en effet où les institutions disposent d’une marge d’appréciation pour apprécier si un comportement peut être qualifié de faute professionnelle grave (arrêt du 15 février 2023, RH/Commission, T 175/21, non publié, EU:T:2023:77, point 30 ; voir également, par analogie, arrêts du 4 juillet 2008, Entrance Services/Parlement, T 333/07, non publié, EU:T:2008:250, point 59, et du 9 février 2022, Companhia de Seguros Índico/Commission, T 672/19, non publié, EU:T:2022:64, point 50 et jurisprudence citée) et où l’appréciation des mesures correctrices fait partie intégrante de celle d’un tel comportement (voir point 55 ci-dessus), une marge d’appréciation doit également leur être reconnue pour apprécier les mesures correctrices.
60 Il convient d’ajouter, en réponse à la requérante, que les conséquences potentielles de la décision d’exclusion, dépassant le cadre d’une procédure de marché spécifique et étant susceptibles d’entraîner un préjudice important pour l’entité exclue, sont des éléments à prendre en considération dans l’exercice de la marge d’appréciation dont dispose l’institution et ne sauraient impliquer, en tant que telles, une remise en cause de cette marge d’appréciation.
61 Doivent également être précisés, d’autre part, les éléments pouvant être pris en compte par le Tribunal pour exercer le contrôle de la légalité de l’appréciation par l’EU-OSHA des mesures correctrices adoptées par la requérante, compte tenu des divergences entre les parties à cet égard.
62 Il ressort de la jurisprudence rendue en matière de concurrence que la portée du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE, dont le Tribunal assure le contrôle, à la lumière des moyens soulevés par les requérants et compte tenu de l’ensemble des éléments soumis par ces derniers, que ceux-ci soient antérieurs ou postérieurs à la décision attaquée, qu’ils aient été préalablement présentés dans le cadre de la procédure administrative ou, pour la première fois, dans le cadre du recours dont le Tribunal est saisi, dans la mesure où ils sont pertinents pour le contrôle de la légalité de la décision de la Commission [arrêts du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C 603/13 P, EU:C:2016:38, point 72, et du 14 septembre 2022, Google et Alphabet/Commission (Google Android), T 604/18, sous pourvoi, EU:T:2022:541, point 89].
63 Contrairement à ce que prétend la requérante, il ne saurait être déduit de cette jurisprudence que, en l’espèce, le Tribunal devrait prendre en compte des documents que la requérante lui soumet dans le cadre de la présente instance sans avoir été préalablement présentés au cours de la procédure administrative devant l’EU-OSHA.
64 En effet, conformément à l’article 2 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), en cas de litige sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (voir arrêt du 8 septembre 2016, Lundbeck/Commission, T 472/13, EU:T:2016:449, point 105 et jurisprudence citée). Il est alors possible à l’entreprise concernée de rapporter la preuve contraire, y compris en se fondant sur des éléments qui n’avaient pas été présentés au cours de la procédure administrative (voir arrêt du 9 juin 2016, PROAS/Commission, C 616/13 P, EU:C:2016:415, point 43 et jurisprudence citée).
65 En revanche, en prévoyant qu’une personne ou une entité n’est pas exclue si elle a pris des mesures correctrices suffisantes pour démontrer sa fiabilité, l’article 106, paragraphe 7, sous c), de l’ancien règlement financier puis l’article 136, paragraphe 6, sous a), du règlement financier imposent à la personne ou à l’entité en cause la charge d’établir que les mesures correctrices adoptées sont de nature à empêcher son exclusion (voir également article 106, paragraphe 10, de l’ancien règlement financier et article 137, paragraphe 1, du règlement financier). Il s’en déduit que, sauf à priver d’effet la charge de la preuve imposée par ces dispositions, il ne saurait être admis que l’opérateur concerné rapporte devant le Tribunal des éléments de preuve non communiqués au cours de la procédure d’exclusion, aux fins d’obtenir l’annulation de la décision qui a prononcé son exclusion en l’absence de dépôt par cet opérateur de preuves jugées suffisantes pour démontrer sa fiabilité. A fortiori, le Tribunal ne peut se prononcer dans le cadre de la présente instance sur des mesures correctrices non présentées devant l’EU-OSHA.
66 Il en est d’autant plus ainsi que l’article 136, paragraphe 8, du règlement financier règle l’hypothèse de mesures correctrices ou d’éléments présentés après la décision d’exclusion, en prévoyant dans ce cas que cette décision sera revue sans tarder par l’ordonnateur compétent. Or, il serait attentatoire à la bonne administration de la justice et à l’équilibre institutionnel que le Tribunal se prononce sur de nouvelles mesures correctrices ou de nouveaux éléments de preuve soumis, le cas échéant, simultanément à l’ordonnateur et qui pourraient conduire ce dernier à revoir la décision attaquée en cours d’instance (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2020, Agmin Italy/Commission, T 290/18, non publié, EU:T:2020:196, points 46 et 47). Un tel risque est d’ailleurs réel en l’espèce, dès lors que la requérante a présenté devant l’EU-OSHA le 21 novembre 2023, au cours de la présente instance, une demande de révision au titre de l’article 136, paragraphe 8, du règlement financier, en y annexant des éléments figurant en annexe de la requête et de la réplique sans avoir été préalablement soumis à l’EU-OSHA.
67 Il en irait autrement dans l’hypothèse où l’EU-OSHA n’aurait, au cours de la procédure devant elle, pas permis à la requérante de présenter l’ensemble des éléments qu’elle souhaitait faire valoir pour établir que les mesures correctrices qu’elle a adoptées démontraient sa fiabilité (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 7 juin 2023, TC/Parlement, T 309/21, sous pourvoi, EU:T:2023:315, point 131 et jurisprudence citée). Tel n’est toutefois pas le cas en l’espèce.
68 En effet, les allégations de la requérante selon lesquelles l’EU-OSHA ne lui aurait laissé aucune possibilité de corriger ou de compléter les informations relatives aux mesures correctrices qu’elle a adoptées ne sont pas fondées. Ainsi qu’il ressort du dossier, l’EU-OSHA a invité la requérante, par lettre du 29 juillet 2021 (voir point 5 ci-dessus), à lui indiquer si des mesures correctrices avaient été prises et, à la suite de la communication de ces mesures, lui a demandé, en lui notifiant la qualification préliminaire de l’instance du 13 juillet 2022 (voir point 9 ci-dessus), de lui transmettre les preuves documentaires pertinentes pour permettre à l’instance d’« évaluer le contenu de ces mesures, sur la base de leur durée d’application et de la preuve de la manière dont et dans quelle mesure elles sont mises en œuvre ». L’instance a par ailleurs précisé, dans sa qualification, que la requérante pourrait également l’informer d’éventuelles autres mesures correctrices adoptées après le 24 août 2021 et démontrer de quelle manière et dans quelle mesure celles-ci ont été mises en œuvre et sont suffisantes pour démontrer sa fiabilité.
69 Il en résulte que, aux fins d’examiner les arguments de la requérante contestant l’appréciation de ses mesures correctrices par l’EU-OSHA, seuls seront pris en compte les éléments de preuve communiqués à cette dernière avant l’adoption de la décision attaquée.
Sur les mesures correctrices adoptées
70 En vertu de l’article 106, paragraphe 8, sous a), de l’ancien règlement financier puis de l’article 136, paragraphe 7, sous a), du règlement financier, identiques sur ce point, les mesures correctrices peuvent notamment comprendre « les mesures visant à identifier l’origine des situations donnant lieu à l’exclusion et les mesures concrètes prises au niveau technique, de l’organisation et du personnel […] qui sont de nature à corriger la conduite et à éviter qu’elle se répète ».
71 Ainsi qu’il ressort des termes de ces dispositions, qui exigent notamment des « mesures concrètes […] de nature à corriger la conduite », la personne ou l’entité concernée ne peut se contenter de prouver l’adoption de nouvelles règles internes ou la mise en place de nouvelles entités, mais doit établir leur mise en œuvre et leur efficacité, seules à même de « corriger » un comportement qui s’est effectivement produit, au point de justifier une exclusion. Partant, en exigeant de telles preuves, il ne saurait être reproché à l’EU-OSHA d’imposer à la requérante un niveau de preuve démesuré et disproportionné. Il en est d’autant plus ainsi qu’il convient de rappeler que le motif d’exclusion en cause se fonde sur un élément essentiel de la relation entre l’adjudicataire du marché en cause et le pouvoir adjudicateur, à savoir la fiabilité du premier, sur laquelle repose la confiance que le second lui accorde (voir arrêt du 21 décembre 2023, Infraestruturas de Portugal et Futrifer Indústrias Ferroviárias, C 66/22, EU:C:2023:1016, point 76 et jurisprudence citée).
72 En l’espèce, la requérante a présenté des éléments visant à établir qu’elle aurait adopté les mesures correctrices suivantes :
– une enquête interne ;
– la cessation des fonctions des personnes impliquées dans la conduite en cause ;
– un programme de conformité ;
– le suivi et la mise à jour du programme de conformité ;
– l’amélioration du canal de signalement ;
– l’existence de comités de gestion et de prévention des risques ;
– l’adoption de politiques et de procédures en matière d’éthique,
– et la formation des employés.
73 Il y a lieu de souligner, à titre liminaire, que ces mesures, dont certaines ont été adoptées avant la décision de la CNMC, ont toutes été examinées par l’EU-OSHA, d’ailleurs sans mentionner les considérations de la CNMC qui avait déjà pris en compte certaines d’entre elles. Il peut en être déduit que, contrairement à ce que prétend la requérante, l’EU-OSHA a procédé à une appréciation autonome et ne s’est pas contentée de reprendre les considérations de la CNMC. Cette appréciation autonome, justifiée par le pouvoir d’appréciation propre de l’autorité de l’Union par rapport aux autorités nationales (voir points 26 à 28 ci-dessus), implique alors, contrairement à ce que soutient l’EU-OSHA, que les mesures correctrices déjà analysées par la CNMC ne soient pas exclues de l’analyse.
– Sur l’enquête interne
74 Selon les considérants 57 à 61 de la décision attaquée, l’EU-OSHA estime que le plan d’action communiqué par la requérante pour attester du lancement d’une enquête interne ne fournit aucune information sur la date de l’enquête, la procédure suivie, la portée de l’enquête, les ressources consacrées à celle-ci ou la personne l’ayant menée et son niveau d’autorité. De même, l’EU-OSHA considère que la requérante n’a pas non plus rendu compte des résultats de l’enquête et, en particulier, des mesures prises à sa suite, du niveau de responsabilité garanti, des conséquences tirées et, enfin, de la communication de ses résultats aux employés et à la direction. L’EU-OSHA en conclut que, si la réalisation d’une enquête interne peut être un moyen approprié d’identifier l’origine de la conduite en cause, en l’espèce, le manque d’informations sur les aspects susmentionnés empêche de la considérer comme une mesure correctrice à part entière.
75 La requérante souligne que le plan d’action fourni à l’instance n’était qu’une présentation des informations essentielles ayant servi à mener l’enquête interne, que cette enquête a duré au moins trois mois, a permis d’obtenir des informations sur les processus et personnes concernés par la conduite faisant l’objet de l’enquête et a été suivie par des plans d’action spécifiques visant à corriger la conduite en cause ainsi que par l’adoption de mesures disciplinaires à l’encontre des responsables identifiés.
76 Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 106, paragraphe 8, sous a), de l’ancien règlement financier puis de l’article 136, paragraphe 7, sous a), du règlement financier, les mesures correctrices susceptibles d’éviter une exclusion doivent, lorsqu’elles visent à identifier l’origine de la situation donnant lieu à exclusion, être suivies de mesures concrètes de nature à corriger cette situation ou à éviter sa reproduction.
77 Il s’ensuit qu’une mesure limitée à l’identification de la difficulté à l’origine de l’exclusion, telle qu’une enquête interne, ne peut à elle seule être considérée comme une mesure correctrice suffisante.
78 Il s’ensuit également que, même en admettant, comme le soutient la requérante, que l’enquête interne en cause ait duré au moins trois mois, il convient d’examiner les autres mesures correctrices adoptées pour vérifier si, prises ensemble avec cette enquête, elles auraient dû être considérées par l’EU-OSHA comme démontrant la fiabilité de la requérante.
– Sur la cessation des fonctions des personnes impliquées dans la conduite en cause
79 L’EU-OSHA a estimé, aux considérants 62 et 63 de la décision attaquée, que le licenciement ou la démission de personnes impliquées dans la conduite en cause sont des actions positives si elles sont le résultat direct de procédures disciplinaires liées à ladite conduite, ce qui n’aurait pas été établi en l’espèce.
80 La requérante souligne que la cessation des fonctions de deux personnes impliquées dans la conduite en cause était mentionnée dans la décision de la CNMC et argue que l’EU-OSHA a commis une grave erreur d’appréciation en estimant que cette mesure était insuffisante au motif qu’elle n’était pas le résultat d’une procédure disciplinaire, alors que l’effet dissuasif de ladite mesure résulterait de sa communication auprès des employés. En tout état de cause, la requérante communique, en annexe à la requête, des documents supplémentaires visant à attester de la cessation des fonctions de l’associée responsable de la conduite litigieuse.
81 Il convient de relever qu’il ne ressort des pièces produites par la requérante aucun lien entre la cessation des fonctions des personnes concernées et la conduite en cause. Certes, en vertu de la décision de la CNMC, sur laquelle s’est principalement fondée la requérante, à tout le moins un membre du personnel de la requérante a cessé ses fonctions au 31 décembre 2018. Cependant, il n’y figure aucune indication quant au motif et à la nature de cette cessation des fonctions, démission ou licenciement, ce qui ne permet pas d’établir un lien avec la conduite en cause. Ce lien avec la conduite en cause est d’ailleurs d’autant moins plausible que près de deux ans se sont écoulés entre le début de l’enquête interne et la cessation des fonctions.
82 Or, seul un tel lien est susceptible de produire l’effet dissuasif, à même d’éviter la réitération de la conduite en cause, allégué par la requérante.
83 L’EU-OSHA a dès lors considéré, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que la cessation des fonctions des personnes impliquées dans la conduite en cause ne constituait pas une mesure correctrice suffisante en l’espèce.
– Sur le programme de conformité
84 Selon les considérants 64 à 71 de la décision attaquée, il ne serait pas établi que le programme de conformité mis en place à la suite de l’enquête interne, consistant en un plan de conformité spécifique pour les procédures négociées sans publication (mai 2017) et en un nouveau plan d’action pour le renforcement de la conformité dans le secteur public (novembre 2017), ait été effectivement mis en œuvre. L’EU-OSHA doute par ailleurs de l’efficacité des contrôles effectués par l’« associé de contrôle spécial », mis en place par le plan de mai 2017.
85 La requérante souligne, d’une part, que le plan de conformité spécifique pour les procédures négociées sans publication de mai 2017 ainsi que le nouveau plan d’action pour le renforcement de la conformité dans le secteur public de novembre 2017 sont devenus définitifs et, d’autre part, qu’un « associé de contrôle spécial » contrôle chaque mois les projets de conseil au secteur public, ce qui serait attesté par trois rapports de contrôle de cet associé communiqués à l’EU-OSHA, de même que par la totalité des rapports de contrôle établis en 2018, communiqués en annexe à la requête. Elle ajoute également avoir mis en œuvre des mesures visant à éviter que la conduite en cause ne se reproduise, ce qu’établiraient des documents communiqués en annexe à la requête.
86 Il y a lieu de relever, premièrement, que les documents communiqués par la requérante pour établir son plan d’action de novembre 2017 sont un « document interne » portant cette date et détaillant diverses mesures, qui ne comporte ni indication de son auteur, ni même de mention de la dénomination de la requérante, et une présentation schématique reprenant ces mesures, portant la même date et la dénomination de la requérante. De tels documents, tous deux datés de la date d’adoption du plan, ne permettent pas de priver de plausibilité les doutes de l’EU-OSHA quant à la mise en œuvre effective du plan de novembre 2017, et ce d’autant plus que la requérante aurait pu, pour dissiper ces doutes, présenter des documents attestant de la réalisation des étapes ultérieures prévues par ce plan et détaillées dans les deux documents, notamment en communiquant le « rapport contenant les conclusions, la méthodologie utilisée et la description de l’évaluation réalisée », dont le dépôt était prévu par le plan.
87 Il convient de constater, deuxièmement, quant au plan de conformité de mai 2017, qu’il est également présenté sous la forme d’un « document interne », sans indication de son auteur, ni mention de la dénomination de la requérante. Les seuls documents attestant de sa mise en œuvre concernent une des mesures prévues par le plan qu’est le contrôle mensuel effectué par l’« associé de contrôle spécial ». Toutefois, les rapports de contrôle mensuel communiqués, y compris ceux communiqués dans le cadre de la présente instance, ne portent que sur l’année 2018, alors qu’aucune date de fin de ce contrôle n’était prévue par le plan, ne permettant pas de priver de plausibilité les doutes de l’EU-OSHA quant à la poursuite dudit contrôle au-delà de 2018 et ce jusqu’à la date d’adoption de la décision attaquée.
88 Il s’ensuit que l’EU-OSHA a pu considérer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que les deux plans établis dans le cadre du programme de conformité adopté à la suite de l’enquête interne ne correspondaient pas à des mesures correctrices suffisantes.
– Sur le suivi et la mise à jour du programme de conformité
89 L’EU-OSHA a estimé, aux considérants 78 et 79 de la décision attaquée, que la requérante n’avait pas présenté d’éléments de preuve substantiels quant aux activités effectives de suivi des mesures adoptées dans le cadre du programme de conformité.
90 La requérante estime que l’exemple de mise à jour des mesures adoptées dans le cadre du programme de conformité, daté du 29 avril 2019, communiqué à l’EU-OSHA et attestant du suivi de ce programme, serait une preuve suffisante et communique dans le cadre de la présente instance, dans l’hypothèse où le Tribunal l’estimerait nécessaire, deux courriers électroniques du directeur des risques aux employés concernés les informant de la mise à jour notamment des modèles de contrats relatifs aux relations d’affaires les plus courantes.
91 Il suffit de constater, à cet égard, que la requérante s’est bornée à communiquer à l’EU-OSHA un courrier électronique du 29 avril 2019, qui annonçait un ajout à la « politique de l’entreprise sur les cadeaux et assimilés », sans annexer au courrier électronique la pièce jointe contenant le document actualisé. En l’absence d’autres pièces pouvant être prises en compte, dès lors qu’elles n’avaient pas été présentées à l’EU-OSHA, ce seul courrier électronique ne permet pas de remettre en cause le constat d’insuffisance de preuve du suivi et de la mise à jour du programme de conformité de la requérante, dès lors qu’il porte sur un seul aspect de ce programme et, au surplus, sur un aspect non directement concerné par la conduite en cause, de sorte qu’il ne peut, ce faisant, être considéré comme « corrigeant » la faute à l’origine de son exclusion.
92 L’EU-OSHA n’a donc pas commis d’erreur manifeste d’appréciation, en estimant que la mise à jour et le suivi du programme de conformité ne seraient pas suffisamment établis pour caractériser des mesures correctrices de la faute à l’origine de l’exclusion.
– Sur les signalements
93 Aux considérants 72 à 74 de la décision attaquée, l’EU-OSHA a salué les améliorations apportées au canal de signalement interne, en soulignant que l’existence d’un mécanisme de signalement confidentiel et d’un processus efficace et fiable d’enquête sur les allégations de mauvaise conduite est l’une des mesures correctrices en principe les plus efficaces. Elle a néanmoins constaté l’insuffisance des preuves apportées par la requérante pour attester la mise en œuvre et l’efficacité des améliorations apportées à son canal de signalement.
94 La requérante relève que son canal de signalement a été externalisé auprès d’une entreprise tierce pour l’améliorer, ce qui serait établi par des documents soumis à l’EU-OSHA, attestant la procédure de traitement des signalements, l’évaluation annuelle de l’usage de cette procédure et sa promotion au sein de l’entreprise, auxquels s’ajoutent les données figurant dans son rapport d’impact de 2021 disponible sur son site Internet.
95 Il peut être déduit des preuves produites par la requérante qu’une nouvelle procédure de signalement a effectivement été adoptée et promue au sein de l’entreprise en juillet 2018.
96 En revanche, le courrier électronique envoyé aux employés de la requérante le 22 mai 2019 pour les inviter à répondre à un questionnaire dans le cadre de l’enquête annuelle sur l’éthique ne permet pas, en l’absence de communication du questionnaire joint, de démontrer l’existence d’un suivi annuel de la mise en œuvre de la nouvelle procédure. Quant aux données relatives aux signalements reçus et aux suites qui y ont été données pour l’année 2021, telles que mentionnées dans la requête, elles ne sont nullement établies, si ce n’est par un renvoi au site Internet de la requérante. Or, quoiqu’un tel renvoi soit en principe recevable (voir ordonnance du 13 décembre 2023, Hamoudi/Frontex, T 136/22, non publiée, sous pourvoi, EU:T:2023:821, point 51 et jurisprudence citée), les données figurant sur le site Internet de la requérante ne sauraient être prises en compte en l’espèce, car elles n’ont pas été communiquées à l’EU-OSHA, ni en substance, ni par renvoi au site Internet, alors que la charge de la preuve incombe à la requérante. En tout état de cause, il y a lieu de constater que le rapport d’impact de 2021, disponible sur le site Internet de la requérante, se limite à indiquer le nombre de signalements reçus en 2021 (18), le fait qu’ils portaient notamment sur « l’intégrité » et que tous avaient été résolus à la date du rapport, sans autres précisions, ce qui ne permet pas d’établir l’augmentation significative alléguée du nombre de signalements, ni ne fournit d’indications concrètes sur les suites données à ces signalements.
97 Il en résulte que la requérante n’a pas fourni d’éléments permettant de priver de plausibilité le constat par l’EU-OSHA de la preuve insuffisante de la mise en œuvre et de l’efficacité de la nouvelle procédure de signalement.
– Sur les comités de gestion et de prévention des risques
98 Selon les considérants 75 à 77 de la décision attaquée, l’existence alléguée d’un comité de gestion des risques et d’un comité de prévention des risques ne serait nullement étayée, pas plus que l’expérience et l’ancienneté de leurs membres et les activités menées par ces comités.
99 La requérante souligne que le manuel des politiques du groupe prévoit l’existence d’un superviseur des risques ayant une certaine ancienneté et expérience et rendant compte à la direction.
100 Il suffit de constater, à cet égard, que, compte tenu de son contenu, à savoir des lignes directrices qui ne font d’ailleurs pas mention des comités de gestion et de prévention des risques, et de sa date d’adoption, en 2016, soit au cours de la période infractionnelle, le document communiqué par la requérante ne saurait établir que ces comités constitueraient, pris ensemble avec d’autres mesures, un dispositif correctif de nature à démontrer la fiabilité de la requérante.
101 Aucune erreur manifeste d’appréciation ne peut, dès lors, être retenue s’agissant de l’appréciation par l’EU-OSHA de l’efficacité des comités de gestion et de prévention des risques de la requérante.
– Sur les procédures et politiques en matière d’éthique
102 L’EU-OSHA a considéré, aux considérants 80 à 87 de la décision attaquée, que les éléments fournis par la requérante ne permettaient pas d’établir la mise en œuvre effective du code d’éthique dans l’entreprise, ni l’autonomie du comité d’éthique, ni les questions effectivement traitées ou les mesures prises à l’égard du personnel par ce comité. Quant aux autres politiques adoptées par la requérante, rien n’indiquerait qu’elles sont suivies et appliquées au sein de l’entreprise.
103 La requérante souligne que le code d’éthique a été approuvé publiquement par le président-directeur général du groupe et qu’il peut être consulté sur son site Internet. Elle communique en outre au Tribunal une version actualisée du code d’éthique ainsi qu’une série de communications adressées au personnel en 2019 rappelant l’importance du respect du code d’éthique. La requérante rappelle par ailleurs les fonctions du comité d’éthique et le lancement de la dernière enquête en 2019, lesquelles permettraient de connaître les questions traitées par ce comité et les mesures qu’il adopte. Quant aux autres mesures adoptées, à savoir le manuel des politiques du groupe, le manuel de conformité et de lutte contre la corruption et la politique de conformité ainsi que le guide de conformité en matière de concurrence, la requérante se prévaut de leur communication à son personnel, en complétant les preuves fournies à cet égard, et, s’agissant spécifiquement du manuel des politiques du groupe, fait valoir un défaut de motivation en l’absence d’explication relative au caractère insuffisant de cette mesure dans la décision attaquée.
104 Il y a lieu de relever, quant au code d’éthique, que les éléments fournis par la requérante, attestant de son existence, ne permettent pas de priver de plausibilité la constatation par l’EU-OSHA de l’absence de preuve de la mise en œuvre effective de ce code, alors que de telles preuves auraient pu être fournies, fondées notamment sur les actions menées par le comité d’éthique institué par le code d’éthique.
105 Quant au comité d’éthique précisément, les éléments communiqués par la requérante, portant principalement sur les règles régissant ce comité, ne permettent pas d’établir ses actions concrètes, notamment aux fins d’assurer la pleine application du code d’éthique. La requérante a certes produit un courrier électronique, attestant du lancement par le comité d’éthique d’une enquête d’éthique auprès de l’ensemble du personnel en vue d’évaluer la connaissance du code et d’identifier de potentielles améliorations. Cependant, outre le fait que la requérante n’a pas joint le questionnaire annexé à ce courrier électronique (voir point 96 ci-dessus), il reste qu’aucun élément n’a été communiqué quant aux résultats de cette enquête et aux suites qui y ont été données.
106 Enfin, quant aux manuels, aux guides et aux politiques adoptés par la requérante pour promouvoir l’éthique, la preuve de leur existence lorsqu’elle a effectivement été fournie, voire de leur diffusion, ne permet pas de remettre en cause le constat par l’EU-OSHA de l’absence de preuve de leur mise en œuvre effective. D’ailleurs, la multiplication des documents diffusés n’est pas nécessairement de nature à favoriser une telle mise en œuvre effective. S’agissant plus particulièrement du manuel des politiques du groupe, à propos duquel la requérante fait valoir un défaut de motivation de la décision attaquée, il convient de préciser que l’EU-OSHA l’a pris en compte et s’est prononcée à son égard ensemble avec d’autres politiques de l’entreprise aux considérants 81 à 83 de la décision attaquée en estimant que leur simple présentation sans preuve complémentaire de leur mise en œuvre était insuffisante.
107 L’EU-OSHA n’a, dès lors, pas commis d’erreur manifeste dans son appréciation de la mise en œuvre au sein de la requérante des procédures et des politiques en matière d’éthique.
– Sur la formation des employés
108 Selon les considérants 88 à 90 de la décision attaquée, les éléments communiqués par la requérante ne permettent pas d’évaluer l’incidence globale probable de son offre de formation sur le comportement de ses employés, en l’absence de preuve relative au taux de présence aux formations et à leurs effets sur les connaissances effectives des employés.
109 La requérante fait valoir que le programme de formation mis en place avant l’enquête de la CNMC comme celui spécifiquement créé à la suite de cette enquête manifestent sans équivoque sa volonté de se conformer à la réglementation, en soulignant l’existence en son sein d’un service consacré à la formation interne et le caractère obligatoire des formations concernées, attesté par divers documents communiqués au Tribunal.
110 Il n’est pas contesté que certaines des formations en cause ont été spécifiquement instituées en vue d’éviter la réitération de la conduite en cause, ce qui est d’ailleurs établi par les documents fournis par la requérante, lesquels indiquent ou reprennent le contenu de ces formations.
111 Cependant, ces documents n’identifient pas les bénéficiaires des formations en cause, ni n’attestent leur efficacité. Leur prétendu caractère obligatoire contribue certes à une plus grande diffusion des enseignements en cause, mais il ne permet pas en tant que tel de connaître le taux exact de participation, ni surtout quelles catégories de bénéficiaires sont concernées, alors que le fait de cibler certaines catégories est déterminant pour leur effet utile, ni encore moins l’assimilation des enseignements dispensés, ce qui aurait pu être attesté en présentant des preuves relatives à la réalisation de tests à l’issue des sessions de formation et aux résultats de ces tests.
112 L’EU-OSHA n’a, par conséquent, pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que les formations mises en place par la requérante ne constituaient pas une mesure correctrice suffisante.
113 Il résulte de tout ce qui précède que l’EU-OSHA n’a pas commis d’erreur manifeste dans son appréciation des mesures correctrices adoptées par la requérante, qu’elles soient prises isolément ou même ensemble et dans leur succession chronologique, compte tenu de l’insuffisance de preuves de leur mise en œuvre et de leur efficacité, commune à toutes les mesures.
114 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument, avancé par la requérante dans la réplique, selon lequel elle n’a plus été sanctionnée depuis la décision de la CNMC portant sur des faits remontant à 2017, ce qui attesterait sa fiabilité depuis cette date. En effet, l’absence de sanction par une autorité de concurrence n’implique pas l’absence de réalisation d’actes infractionnels, ni a fortiori l’efficacité des mesures correctrices adoptées.
115 Le deuxième moyen doit, par conséquent, être écarté.
Sur le troisième moyen, tiré du caractère disproportionné de la décision d’exclusion
116 La requérante invoque la violation de l’article 106, paragraphes 3 et 7, sous a) et d), de l’ancien règlement financier et de l’article 136, paragraphe 3, sous a), du règlement financier, lus conjointement avec le principe de proportionnalité et prétend que l’analyse du caractère proportionné de la sanction imposée par ces dispositions serait entachée d’erreurs manifestes d’appréciation.
117 Quant à la circonstance aggravante relative à la gravité de la situation et à l’incidence de la conduite, la requérante estime qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une situation grave et que l’incidence prétendument élevée de la conduite ne pouvait être retenue. Elle souligne, à cet égard, l’absence de préjudice direct aux intérêts financiers de l’Union, l’absence de corruption ou de fraude, la portée territoriale limitée de la conduite en cause, la participation d’une seule associée de la requérante, le temps écoulé depuis les faits et l’absence de circonstances aggravantes relatives à l’incidence de la conduite sur la concurrence dans le règlement financier, seule l’incidence financière étant prise en compte. Or, selon la requérante, le fait de l’autoriser à participer aux procédures d’appel d’offres des institutions et des organes de l’Union ne pourrait avoir d’incidence sur le budget de l’Union, dans la mesure où la conduite en cause a eu lieu dans un secteur non régi par la réglementation des marchés publics de l’Union.
118 Quant à son rôle allégué d’instigateur de la conduite en cause, la requérante soutient que l’EU-OSHA a commis une grave erreur d’appréciation en supposant que la CNMC a considéré qu’elle avait joué un rôle moteur dans l’infraction et que, en tout état de cause, une telle circonstance n’est pas envisagée par le règlement financier, ce dernier n’évoquant que le caractère intentionnel et le degré de négligence, lesquels n’auraient pas été établis en l’espèce.
119 Dans la réplique, la requérante critique l’ajout par l’EU-OSHA dans son mémoire en défense de nouvelles circonstances aggravantes qui n’avaient pas été retenues dans la décision attaquée et en déduit le caractère irrecevable des allégations concernées.
120 La requérante réitère enfin que, compte tenu des mesures correctrices qu’elle a prises, qui rendraient peu probable la reproduction de la conduite en cause, la sanction d’exclusion est disproportionnée.
121 En vertu de l’article 106, paragraphe 3, de l’ancien règlement financier, comme de l’article 136, paragraphe 3, sous a), du règlement financier, les décisions de l’ordonnateur sont prises dans le respect du principe de proportionnalité et compte tenu notamment de la gravité de la situation, y compris l’incidence sur les intérêts financiers et la réputation de l’Union, du temps écoulé depuis la constatation de la conduite en cause, de la durée de la conduite et de sa répétition éventuelle, du caractère intentionnel de la conduite ou du degré de négligence et de toute autre circonstance atténuante, telle que la coopération de la personne ou l’entité avec l’autorité compétente concernée et la contribution de cette personne ou entité à l’enquête. De même, l’article 106, paragraphe 7, sous c), de l’ancien règlement financier puis l’article 136, paragraphe 6, sous c), du règlement financier disposent qu’une personne ou une entité n’est pas exclue lorsqu’une telle exclusion serait disproportionnée. En outre, selon l’article 106, paragraphe 14, sous c), de l’ancien règlement financier puis l’article 139, paragraphe 1, sous b), ii), du règlement financier, la durée de l’exclusion n’excède pas trois ans dans l’hypothèse où cette exclusion est fondée, comme en l’espèce, sur, respectivement, l’article 106, paragraphe 1, sous c), de l’ancien règlement financier ou l’article 136, paragraphe 1, sous c), du règlement financier, et où il n’y a pas de jugement définitif ou de décision administrative définitive.
122 Il ressort par ailleurs d’une jurisprudence constante en matière de droit des sanctions que, en vertu du principe de proportionnalité, les actes des institutions ne doivent pas aller au-delà de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché. La gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments et il ne faut attribuer à aucun de ces éléments une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation. Le principe de proportionnalité implique dans ce contexte que la sanction soit fixée proportionnellement aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction et que ces éléments soient appliqués de façon cohérente et objectivement justifiée (arrêt du 9 février 2022, Companhia de Seguros Índico/Commission, T 672/19, non publié, EU:T:2022:64, point 80 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 17 mai 2011, Arkema France/Commission, T 343/08, EU:T:2011:218, point 63 et jurisprudence citée).
123 Dans son appréciation de la proportionnalité d’une éventuelle exclusion, l’EU-OSHA a estimé devoir prendre en considération l’appréciation par la CNMC de la participation de la requérante à une entente, qui constitue une infraction grave aux règles de concurrence nationales et de l’Union (considérant 99 de la décision attaquée) et, tout en admettant l’absence de préjudice direct aux intérêts financiers de l’Union, a considéré que cette infraction constituait une forme de faute professionnelle grave comportant également des risques pour le budget de l’Union (considérant 101 de la décision attaquée). L’EU-OSHA en a conclu que l’exclusion de la requérante ne serait pas disproportionnée en l’espèce.
124 Quant à la durée de l’exclusion, l’EU-OSHA a retenu une exclusion de deux ans, inférieure à la durée maximale de trois ans, en se fondant sur les trois circonstances aggravantes que sont la longue durée de la conduite litigieuse (99 mois), l’incidence de cette conduite (plus de 80 contrats concernés et détention par la requérante du taux de couverture le plus élevé dans le réseau concerné) et le rôle moteur joué par la requérante (considérant 112 de la décision attaquée), tout en tenant également compte du temps écoulé depuis le comportement en cause (plus de cinq ans), de l’absence de préjudice direct aux intérêts financiers de l’Union et de l’adoption de mesures correctrices allant dans le bon sens, même si insuffisantes pour démontrer la fiabilité de la requérante (considérants 113 à 115 de la décision attaquée).
125 En l’espèce, l’argumentation par laquelle la requérante conteste la proportionnalité de la décision d’exclusion pour une durée de deux ans eu égard aux circonstances de l’espèce doit être interprétée comme invitant le Tribunal à apprécier, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, la proportionnalité de la sanction d’exclusion et de sa durée en tenant compte des circonstances alléguées (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2022, LA International Cooperation/Commission, T 609/20, EU:T:2022:407, point 158). En effet, à la lumière également du chef de conclusions présenté à titre subsidiaire, par lequel la requérante demande au Tribunal de remplacer la mesure d’exclusion par une sanction financière, le présent moyen s’analyse comme demandant au Tribunal, s’il estime que la sanction d’exclusion est disproportionnée, de lui substituer une mesure moins sévère, ce qui a été confirmé par la requérante lors de l’audience en réponse à une question posée par le Tribunal.
126 Certes, l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et la procédure est contradictoire. Ainsi, la compétence de pleine juridiction n’oblige pas le Tribunal à procéder d’office à une nouvelle instruction complète du dossier, indépendamment des griefs formulés par la partie requérante (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2018, “Pro NGO!”/Commission, T 454/17, EU:T:2018:755, point 83 ; voir également, par analogie, arrêt du 26 janvier 2017, Duravit e.a./Commission, C 609/13 P, EU:C:2017:46, points 32, 33 et 36). Cependant, afin de satisfaire aux exigences d’un contrôle de pleine juridiction au sens de l’article 47 de la Charte en ce qui concerne les sanctions, le juge de l’Union est tenu d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que la sanction n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée du comportement fautif (voir, par analogie, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C 99/17 P, EU:C:2018:773, point 195 et jurisprudence citée). Or, en contestant la proportionnalité de son exclusion, la requérante conteste précisément cette adéquation en l’espèce.
127 Il s’ensuit qu’il convient d’examiner le présent moyen, qui porte sur la sanction infligée en l’espèce à la requérante, ainsi que l’ensemble des arguments invoqués à son soutien relatifs à l’appréciation des circonstances aggravantes et atténuantes prises en compte, en faisant usage de la compétence de pleine juridiction du Tribunal conformément à l’article 143, paragraphe 9, du règlement financier (voir également points 52 à 54 ci-dessus).
128 Il s’ensuit également que, contrairement à ce que soutient l’EU-OSHA, le Tribunal est habilité, en vertu de sa compétence de pleine juridiction à réformer l’acte attaqué, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, afin, par exemple, de modifier la durée de l’exclusion (arrêt du 29 juin 2022, LA International Cooperation/Commission, T 609/20, EU:T:2022:407, point 157) et il ne saurait se borner à exercer un contrôle restreint de l’appréciation des circonstances aggravantes et atténuantes en cause.
129 S’agissant, premièrement, de la circonstance aggravante relative à la gravité de la situation, il y a lieu de constater, tout d’abord, qu’il ressort de l’emploi de l’expression « y compris » précédant la mention de l’« incidence sur les intérêts financiers et la réputation de l’Union » dans les dispositions applicables (voir point 121 ci-dessus) que cette incidence n’est pas la seule à pouvoir être prise en compte dans l’appréciation de cette circonstance aggravante. La gravité de la conduite en cause peut, dès lors, également être prise en compte (voir, en ce sens, arrêts du 29 juin 2022, LA International Cooperation/Commission, T 609/20, EU:T:2022:407, point 159, et du 21 décembre 2022, Vialto Consulting/Commission, T 537/18, non publié, EU:T:2022:852, point 160), comme cela a été fait dans la décision attaquée (considérants 99 et 101).
130 Ensuite, il doit être considéré que la conduite de la requérante peut être qualifiée de grave. En effet, la requérante ne conteste pas que la CNMC, auteur de la décision à l’origine de la présente exclusion, a qualifié l’infraction au droit de la concurrence à laquelle la requérante a participé de « grave ». La requérante ne conteste pas davantage que sa conduite pouvait, sans les mesures correctrices, constituer une « faute professionnelle grave » au sens des dispositions applicables en l’espèce. Certes, comme le souligne pertinemment la requérante, de telles qualifications ne suffisent pas à caractériser la « gravité de la situation », sans quoi toute faute professionnelle grave serait considérée comme étant sanctionnée de manière proportionnée par une exclusion. Cependant, en l’espèce, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée et sans que les données en cause soient contestées par la requérante, une telle gravité est étayée par le nombre important de contrats concernés par l’infraction (80) et la détention par la requérante du taux de couverture le plus élevé dans le réseau concerné [considérant 112, sous b) et c), de la décision attaquée]. Il est indifférent, à cet égard, que les personnes directement responsables aient depuis cessé leurs fonctions au sein de la requérante, dès lors que cette cessation, postérieure à la fin du comportement infractionnel et dont le lien avec ce comportement n’est pas établi, ne remet en cause ni ce comportement, ni sa gravité. Il en est de même du temps écoulé depuis les faits, également invoqué par la requérante, qui s’il peut être pris en compte (voir point 139 ci-après), n’affecte pas la gravité intrinsèque du comportement. Quant à l’absence de corruption ou de fraude, elle ne permet pas, en tant que telle, de déduire que tous les autres comportements, bien que moins graves, ne présenteraient pas la gravité requise pour justifier une mesure d’exclusion.
131 Enfin, il peut être constaté que l’absence de préjudice direct aux intérêts financiers de l’Union, invoquée par la requérante, a également été prise en compte par l’EU-OSHA (considérants 101 et 113 de la décision attaquée). Toutefois, dans la mesure où le comportement en cause constitue une faute professionnelle grave, il comporte des risques pour le budget de l’Union, car il pourrait être réitéré dans le cadre de futurs appels d’offres de l’Union si la requérante choisissait d’y participer (voir considérants 101 et 107 de la décision attaquée). En effet, il ressort des dispositions applicables en l’espèce que leur finalité est d’éviter que des entités non fiables, notamment parce qu’elles ont méconnu le droit de la concurrence, puissent passer des marchés publics de l’Union (voir points 21 à 24 et 71 ci-dessus). Il s’ensuit par ailleurs qu’est indifférente en l’espèce, compte tenu notamment de sa gravité intrinsèque, la portée territoriale limitée de la conduite en cause.
132 S’agissant, deuxièmement, de son prétendu rôle d’instigatrice, la requérante fait une lecture erronée de la décision de la CNMC. Il ressort en effet des passages de cette décision consacrés à la détermination de la sanction (pages 271 et 272) que la CNMC a, d’une part, retenu les circonstances prévues à l’article 64, paragraphe 1, de la Ley 15/2007 de defensa de la competencia (loi 15/2007 relative à la protection de la concurrence), du 3 juillet 2007 (BOE no 159, du 4 juillet 2007, p. 28848), portant sur la durée de l’infraction, le nombre d’appels d’offres concernés ainsi que le chiffre d’affaires sur le marché affecté par l’infraction et, d’autre part et au surplus, la circonstance aggravante prévue à l’article 64, paragraphe 2, sous b), de cette même loi, relative à la position de responsable ou d’instigateur de l’infraction. Le rôle particulier joué par la requérante dans l’infraction, au sens de cette disposition, avait donc bien été reconnu par la CNMC. En outre, un tel rôle suffit à caractériser à tout le moins une certaine négligence, expressément mentionnée dans les dispositions applicables parmi les circonstances aggravantes (voir point 121 ci-dessus).
133 S’agissant, troisièmement, de la circonstance atténuante que constitueraient les mesures correctrices adoptées par la requérante, il y a lieu de préciser, à titre liminaire, que ces mesures correctrices, considérées comme allant dans le bon sens, ont été prises en compte en l’espèce par l’EU-OSHA, non pour en déduire une fiabilité suffisante de la requérante permettant de ne pas l’exclure (voir deuxième moyen ; voir également considérants 102 et 103 de la décision attaquée), mais pour limiter la durée de l’exclusion en vertu de l’article 106, paragraphe 3, de l’ancien règlement financier puis de l’article 136, paragraphe 3, du règlement financier (considérants 114 et 115 de la décision attaquée). Il s’agit ainsi en l’espèce d’analyser les mesures correctrices adoptées par la requérante en tant qu’elles contribuent, non à la détermination du comportement fautif, mais à celle de sa sanction, justifiant partant que le Tribunal exerce sa compétence de pleine juridiction. Ce faisant, même si ce sont les mêmes mesures correctrices qui sont alléguées, elles ont été prises en compte par l’EU-OSHA à des fins différentes dans son analyse, et d’ailleurs sur le fondement de dispositions différentes, d’une part, pour vérifier l’existence d’un comportement justifiant l’exclusion [article 106, paragraphe 7, sous c), de l’ancien règlement financier et article 136, paragraphe 6, sous a), du règlement financier], d’autre part, pour déterminer la durée de l’exclusion (article 106, paragraphe 3, de l’ancien règlement financier et de l’article 136, paragraphe 3, du règlement financier) (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2024, Westpole Belgium/Parlement, T 640/22, non publié, EU:T:2024:188, points 83 à 86), ce qui implique également un examen différent par le Tribunal de ces deux appréciations.
134 Pour exercer sa compétence de pleine juridiction en l’espèce, le Tribunal est donc habilité à tenir compte des éléments de preuve communiqués pour la première fois dans le cadre de la présente instance sans avoir été communiqués préalablement à l’EU-OSHA (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C 286/98 P, EU:C:2000:630, point 57, et du 12 juillet 2011, Fuji Electric/Commission, T 132/07, EU:T:2011:344, points 209 et 210), sous réserve toutefois du respect des règles de recevabilité fixées par le règlement de procédure du Tribunal.
135 Ainsi, il y a lieu, en application de l’article 85 du règlement de procédure, d’écarter comme irrecevables les preuves produites en annexe à la réplique. En effet, ces éléments de preuve auraient tous pu être produits précédemment, soit qu’ils portent une date antérieure à celle de la requête (annexes C.1 et C.3), soit que, tout en portant une date postérieure, ils font état d’un rapport annuel et d’une déclaration annuelle (annexes C.2 et C.4), dont la version des années précédentes aurait pu être produite, ou sont une capture d’écran qui aurait pu être prise précédemment (annexe C.5). En outre, l’EU-OSHA ayant reproché à la requérante, dès la décision attaquée, l’insuffisance de preuve de la mise en œuvre des mesures correctrices alléguées, mise en œuvre que les éléments de preuve visent à établir, lesdits éléments ne relèvent pas de preuves contraires dont la recevabilité est admise même au stade de la réplique [voir arrêt du 5 octobre 2020, HeidelbergCement et Schwenk Zement/Commission, T 380/17, EU:T:2020:471, points 161 et 162 (non publiés) et jurisprudence citée].
136 En revanche, il y a lieu de déclarer recevables, pour les motifs énoncés au point 134 ci-dessus, les éléments de preuve communiqués pour la première fois dans le cadre de la présente instance, en annexe à la requête, sans avoir été communiqués préalablement à l’EU-OSHA.
137 Or, il ressort de l’examen de ces éléments de preuve qu’ils confortent des données déjà établies par des preuves précédemment communiquées à l’EU-OSHA (annexe A.31, s’agissant de la cessation des fonctions de l’associée responsable), qu’ils sont relatifs à de nouvelles mesures correctrices (réalisation d’audits internes aléatoires et création de la fonction de « conseiller spécial sur les risques » établies par les annexes A.32 à A.34) et attestent même l’existence de certaines mesures, voire d’un début de mise en œuvre de certaines d’entre elles (annexes A.35 à A.48, à propos de la mise à jour du programme de conformité, des procédures et politiques en matière d’éthique, ainsi que de la formation des employés).
138 Il peut en être déduit, à l’instar de ce qu’a constaté l’EU-OSHA, que les mesures correctrices adoptées par la requérante vont dans le bon sens. Cependant, une réduction de la sanction, en l’occurrence de la durée de l’exclusion, sur le fondement de telles mesures correctrices ne doit être opérée qu’avec grande circonspection pour ne pas être perçue comme une incitation à commettre des fautes professionnelles graves en spéculant sur une possible réduction de la sanction en raison d’une modification ultérieure du comportement de la personne ou l’entité concernée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T 241/01, EU:T:2005:296, point 228).
139 Eu égard à l’ensemble des constats et circonstances mentionnés ci-dessus ainsi que de la circonstance aggravante non contestée de la durée de la conduite en cause et de la circonstance atténuante pas davantage contestée du temps écoulé depuis le comportement en cause, il y a lieu de considérer que la mesure d’exclusion de deux ans, retenue par l’EU-OSHA et inférieure à la durée maximale de trois ans prévue par les dispositions pertinentes du règlement financier, constitue une sanction proportionnée pour éviter que des entités non fiables puissent passer des marchés publics de l’Union et pour préserver les finances de l’Union.
140 Par conséquent, le troisième moyen doit être écarté.
Sur le quatrième moyen, relatif à la publication de l’exclusion
141 La requérante soutient que, en décidant de publier la sanction d’exclusion, l’EU-OSHA a méconnu son obligation de motivation, commis une erreur manifeste d’appréciation et violé le principe de proportionnalité.
142 Premièrement, la motivation de la publication de l’exclusion serait stéréotypée et ne satisferait donc pas aux prescriptions du règlement financier, lequel exige une motivation relative à la nécessité de la publication dans les circonstances de l’espèce et à l’effet dissuasif de la publication.
143 Deuxièmement, la requérante fait valoir le caractère manifestement non fondé de la publication décidée en l’espèce au regard des critères fixés par l’article 140 du règlement financier, prévoyant la publication en cas de nécessité de renforcer l’effet dissuasif de l’exclusion et excluant cette publication en cas de préjudice disproportionné occasionné à l’opérateur économique concerné. Elle souligne, à cet égard, l’absence de préjudice direct causé aux intérêts financiers de l’Union, l’existence de nombreux cas d’exclusion beaucoup plus répréhensibles que celui ayant justifié sa propre exclusion, la portée territoriale limitée des faits litigieux, l’adoption de mesures correctrices allant dans le bon sens, la cessation de la conduite depuis plus de cinq ans et le risque particulièrement faible qu’elle reproduise la conduite litigieuse, compte tenu notamment de la modification de la législation espagnole et de la cessation des fonctions de l’associée responsable de ladite conduite. La requérante conteste, en outre, le pouvoir d’appréciation illimité de l’EU-OSHA en matière de publication, compte tenu du nécessaire respect des limites expressément fixées par l’article 140 du règlement financier.
144 Troisièmement, la publication serait totalement disproportionnée, compte tenu de l’existence d’une seule circonstance aggravante et de l’atteinte irrémédiable causée par la publication à la réputation de la requérante ainsi qu’à celle de toutes les entités opérant sous la marque du groupe. La requérante ajoute que la publication de la décision de la CNMC sur le site Internet de cette dernière et dans la presse espagnole confirmerait le caractère inutile de la publication de la décision attaquée.
145 Il y a lieu de préciser que la disposition applicable en l’espèce, compte tenu de la date de la publication de la décision attaquée, est l’article 140 du règlement financier, qui est semblable à l’article 106, paragraphe 16, de l’ancien règlement financier et est ainsi libellé :
« Publication de l’exclusion et des sanctions financières
1. Afin, lorsque c’est nécessaire, de renforcer l’effet dissuasif de l’exclusion et/ou de la sanction financière, la Commission, sous réserve d’une décision de l’ordonnateur compétent, publie sur son site Internet les informations suivantes, qui ont trait à l’exclusion et, le cas échéant, à la sanction financière pour les cas visés à l’article 136, paragraphe 1, points c) à h) :
a) le nom de la personne ou de l’entité concernée, visée à l’article 135, paragraphe 2 ;
b) la situation d’exclusion ;
c) la durée de l’exclusion et/ou le montant de la sanction financière.
Lorsque la décision portant sur l’exclusion et/ou la sanction financière a été prise sur la base d’une qualification juridique préliminaire comme prévu à l’article 136, paragraphe 2, les informations publiées précisent qu’il n’y a pas de jugement définitif ou, le cas échéant, de décision administrative définitive. En pareil cas, il y a lieu de publier sans tarder les informations relatives à d’éventuels recours, à leur état d’avancement et à leur issue ainsi qu’à une éventuelle révision de la décision par l’ordonnateur compétent. Lorsqu’une sanction financière a été infligée, les informations publiées précisent aussi si le montant prévu par cette sanction a été versé.
La décision de publier les informations est prise par l’ordonnateur compétent soit à la suite du jugement définitif ou, le cas échéant, de la décision administrative définitive, soit à la suite de la recommandation de l’instance […], selon le cas. Cette décision prend effet trois mois après sa notification à la personne ou à l’entité concernée, visée à l’article 135, paragraphe 2.
Les informations publiées sont retirées dès que l’exclusion a pris fin. En cas de sanction financière, les informations publiées sont retirées six mois après le paiement du montant prévu par cette sanction.
[…]
2. Les informations visées au paragraphe 1 du présent article ne sont pas publiées dans les circonstances suivantes :
[…]
b) lorsque la publication des informations causerait un dommage disproportionné à la personne ou à l’entité concernée, visée à l’article 135, paragraphe 2, ou serait à d’autres égards disproportionnée, compte tenu des critères de proportionnalité énoncés à l’article 136, paragraphe 3, et du montant de la sanction financière ;
[…] »
146 En l’espèce, l’EU-OSHA a décidé, à l’article 4 de la décision attaquée, de publier l’exclusion imposée à la requérante sur le site Internet de la Commission pendant toute la durée de cette exclusion. Elle a estimé que le comportement de la requérante à l’origine de son exclusion était « particulièrement préjudiciable et répréhensible », celle-ci ayant « fait preuve d’une méconnaissance grave des règles régissant le fonctionnement du marché, en raison de la participation intense et continue à des pratiques collusoires visant à restreindre et à fausser la concurrence ». Elle a par ailleurs indiqué publier l’exclusion afin de renforcer son effet dissuasif (considérants 119 à 121 de la décision attaquée).
147 Il convient de considérer d’emblée que la décision de publication de l’exclusion de la requérante est suffisamment motivée.
148 En effet, les considérants 119 à 121 de la décision attaquée font apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’EU-OSHA, fondé sur la gravité du comportement de la requérante et le but poursuivi de renforcer l’effet dissuasif de l’exclusion (voir point 146 ci-dessus), permettant ainsi, conformément à une jurisprudence constante, à la requérante de connaître les justifications de la mesure prise et au Tribunal d’exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C 341/06 P et C 342/06 P, EU:C:2008:375, point 88 et jurisprudence citée). En outre, compte tenu de la spécification relative à la particulière gravité du comportement de la requérante, qui doit être lue à la lumière notamment des considérants 40 à 44 de la décision attaquée précisant la qualification des faits de l’espèce de faute professionnelle grave, il ne saurait être considéré qu’une telle motivation présente un caractère stéréotypé. Il en est de même de la mention, sans autre précision, de la nécessité de renforcer l’effet dissuasif de l’exclusion, dans la mesure où une telle nécessité est inhérente à la particulière gravité du manquement commis (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2022, Vialto Consulting/Commission, T 537/18, non publié, EU:T:2022:852, point 160).
149 Quant au bien-fondé de la publication, il convient de préciser, à titre liminaire, que, en présence d’une faute professionnelle grave, l’exclusion et la publication sont complémentaires, car tournées, in fine, vers le même objectif d’amener l’ensemble des personnes intéressées à renoncer à une éventuelle transgression des règles (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2022, Vialto Consulting/Commission, T 537/18, non publié, EU:T:2022:852, points 152 et 171). En tant que complément de la sanction d’exclusion, il y a lieu de considérer que, conformément à la jurisprudence relative au contrôle de la légalité des sanctions, le contrôle exercé sur la proportionnalité de la publication ne saurait être restreint, mais doit être un contrôle approfondi tant en droit qu’en fait (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 9 juin 2021, DI/BCE, T 514/19, EU:T:2021:332, point 197 et jurisprudence citée ; voir également point 128 ci-dessus).
150 Il reste néanmoins que l’exclusion et la publication ne sont pas équivalentes dans leurs effets, l’exclusion étant essentiellement punitive alors que la publication est dissuasive et préventive. Il s’ensuit que la décision de publication doit faire l’objet d’une analyse de proportionnalité spécifique, même si les faits à l’origine de la mesure de publication et de la sanction d’exclusion peuvent être communs et étudiés concomitamment et que les critères d’appréciation de leur proportionnalité sont en partie communs (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2022, Vialto Consulting/Commission, T 537/18, non publié, EU:T:2022:852, points 171 et 173).
151 En l’espèce, s’agissant, premièrement, de la nécessité de renforcer l’effet dissuasif de l’exclusion, il y a lieu de rappeler qu’une telle nécessité est inhérente à la gravité de la conduite en cause (voir point 148 ci-dessus). Or, ainsi qu’il ressort de l’examen de la proportionnalité de l’exclusion, la requérante ne conteste pas dans le cadre de la présente instance la réalisation de l’infraction sanctionnée par la CNMC, ni les éléments établissant sa gravité intrinsèque (voir point 130 ci-dessus ; voir également point 49 ci-dessus), laquelle n’est pas remise en cause par l’existence de cas d’exclusion plus répréhensibles. En outre, il ressort de l’analyse des mesures correctrices adoptées par la requérante que, si elles vont dans le bon sens, elles ne permettent pas de conclure à la fiabilité retrouvée de la requérante (voir points 113 et 138 ci-dessus), fiabilité qui ne peut davantage être déduite du seul temps écoulé depuis la cessation de l’infraction. Par ailleurs, ni la prétendue portée territoriale limitée des faits litigieux, ni l’absence de préjudice direct causé aux intérêts financiers de l’Union, ni la modification alléguée de la législation espagnole supprimant le type de marché public concerné par la conduite en cause ne sont déterminantes aux fins de l’appréciation de la nécessité de renforcer l’effet dissuasif de l’exclusion au sens de l’article 140, paragraphe 1, du règlement financier, dès lors que cette dissuasion vise à éviter la réitération de la conduite en cause dans le cadre des relations futures de la personne ou de l’entité concernée avec les institutions et les organes de l’Union. Quant au prétendu risque particulièrement faible que la requérante réitère la conduite en cause, outre le fait que la requérante l’étaye seulement par la modification de la législation espagnole et la mesure correctrice consistant dans la cessation des fonctions de l’associée responsable de la conduite en cause, toutes deux écartées ci-dessus, il importe de rappeler que la dissuasion vise non seulement l’entreprise concernée, mais également les tiers (voir, par analogie, arrêt du 29 novembre 2005, Union Pigments/Commission, T 62/02, EU:T:2005:430, point 174). Il s’ensuit que l’EU-OSHA n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant qu’il était nécessaire de renforcer l’effet dissuasif de l’exclusion en la publiant.
152 S’agissant, deuxièmement, de l’atteinte à la réputation de la requérante, il y a lieu de considérer qu’une telle atteinte est inhérente à la publication de l’exclusion et ne constitue pas en l’espèce un dommage disproportionné au sens de l’article 140, paragraphe 2, sous b), du règlement financier.
153 En effet, avant cette publication, la décision de la CNMC a été rendue accessible sur le site Internet de cette dernière et la presse espagnole a rendu compte de cette décision. En outre, l’impact de la publication décidée par l’EU-OSHA sera limité par la mention, imposée par l’article 140, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement financier, du caractère non définitif de la décision de la CNMC, compte tenu en l’espèce du recours formé contre cette décision devant l’Audiencia Nacional (Cour centrale) et du sursis ordonné par cette juridiction. Une telle publicité donnée au caractère non définitif de la décision de la CNMC, dépassant le cadre national, est même susceptible d’atténuer les effets produits par la diffusion de la décision de la CNMC sur le site Internet de cette dernière et sa reprise dans la presse espagnole.
154 Il en résulte que le quatrième moyen doit être écarté.
155 Il en serait de même si, comme l’a demandé la requérante lors de l’audience, le Tribunal exerçait sa compétence de pleine juridiction pour statuer sur le présent moyen. En effet, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de cette demande et sur la possibilité pour le Tribunal de substituer sa propre appréciation à celle de l’EU-OSHA s’agissant de la publication de l’exclusion en vertu de l’article 143, paragraphe 9, du règlement financier, il y a lieu de considérer que, en l’absence d’élément supplémentaire avancé par la requérante au soutien de sa demande et au vu des éléments examinés ci-dessus, la publication de l’exclusion de la requérante est justifiée.
Sur le cinquième moyen, relatif à l’absence d’évaluation de l’application d’une sanction financière comme alternative à l’exclusion
156 À titre subsidiaire, la requérante reproche, premièrement, à l’EU-OSHA de ne pas avoir évalué l’application d’une sanction financière comme alternative à la décision d’exclusion, conformément à l’article 106, paragraphe 13, sous a), de l’ancien règlement financier, qui serait applicable en l’espèce. Elle en déduit, dans la réplique, que la décision attaquée serait entachée d’un défaut manifeste de motivation à cet égard.
157 La requérante demande, deuxièmement, dans l’hypothèse où le Tribunal ne donnerait pas suite à ce grief, de remplacer la sanction d’exclusion, au titre de sa compétence de pleine juridiction, par une sanction financière raisonnable au regard des circonstances de l’espèce, qui serait comprise entre 2 % et 10 % de la valeur du marché. Elle souligne la recevabilité de cette demande, appuyée en l’espèce par l’argument spécifique de l’application de la disposition plus favorable en matière de sanction.
158 Il y a lieu de préciser, à titre liminaire, que, eu égard au rejet des premier, deuxième, troisième et quatrième moyens, il convient d’examiner le présent moyen invoqué à titre subsidiaire dans l’hypothèse du rejet des autres moyens contestant la sanction d’exclusion.
159 Il convient de relever, et il n’est au demeurant pas contesté entre les parties, que la disposition applicable en l’espèce est celle de l’ancien règlement financier.
160 En effet, seule cette disposition prévoit la possibilité pour l’ordonnateur compétent de remplacer la sanction d’exclusion par une sanction financière lorsqu’une exclusion serait disproportionnée pour tout opérateur économique, tel que la requérante, tandis que l’article 138, paragraphe 1, du règlement financier ne permet un tel remplacement que pour certains opérateurs économiques, les « destinataire[s] avec le[s]quel[s] un engagement juridique a été contracté ». Ainsi, conformément à la jurisprudence, en présence d’une évolution de la réglementation concernant des sanctions administratives, conduisant à ce que sur certains aspects la nouvelle réglementation soit moins sévère, mais sur d’autres aspects plus sévère que l’ancienne, il convient d’appliquer la réglementation la plus clémente (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2017, NC/Commission, T 151/16, EU:T:2017:437, point 55 et jurisprudence citée), soit en l’espèce celle de l’ancien règlement financier.
161 En vertu de l’article 106, paragraphe 13, sous a), de l’ancien règlement financier :
« 13. Afin d’assurer un effet dissuasif, le pouvoir adjudicateur peut, compte tenu, le cas échéant, de la recommandation de l’instance visée à l’article 108, infliger une sanction financière à un opérateur économique qui a tenté d’obtenir un accès à des fonds de l’Union en participant ou en demandant à participer à une procédure de passation de marché, tout en se trouvant, sans l’avoir déclaré conformément au paragraphe 10 du présent article, dans l’une des situations d’exclusion ci-après :
a) pour les situations visées au paragraphe 1, points c), d), e) et f), du présent article, comme solution de remplacement à une décision d’exclusion de l’opérateur économique, lorsqu’une telle exclusion serait disproportionnée au regard des critères visés au paragraphe 3 du présent article ».
162 En premier lieu, il peut être déduit des termes de cette disposition, qui prévoit une faculté de remplacement, que l’EU-OSHA n’était pas, en l’espèce, tenue d’examiner l’hypothèse d’un remplacement de la sanction d’exclusion par une sanction financière. Il en est d’autant plus ainsi qu’il résulte de ce qui précède que l’EU-OSHA a estimé, à juste titre, que l’exclusion ne constituait pas une sanction disproportionnée. Il ne saurait, partant, lui être reproché un défaut de motivation à cet égard.
163 En second lieu, quant à la demande adressée au Tribunal visant à ce qu’il procède lui-même à ce remplacement dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, il y a lieu de constater qu’elle doit être rejetée comme non fondée, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur sa recevabilité, contestée par l’EU-OSHA. En effet, la requérante se borne à invoquer l’application de l’article 106, paragraphe 13, sous a), de l’ancien règlement financier, sans alléguer les raisons pour lesquelles la sanction d’exclusion devrait, en l’espèce, être remplacée par une sanction financière. En outre et en tout état de cause, il résulte de l’examen du troisième moyen que la sanction d’exclusion infligée en l’espèce est appropriée et ne doit pas, dès lors, être remplacée par une sanction financière.
164 Le cinquième moyen doit, par conséquent, être écarté.
165 Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le présent recours.
Sur les dépens
166 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé, conformément aux conclusions de l’EU-OSHA.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) VC est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.