CA Versailles, 14e ch., 18 novembre 2021, n° 21/01943
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Aegefim (SAS)
Défendeur :
Editta TR (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillaume
Conseillers :
Mme Le Bras, Mme Igelman
Avocats :
Me Abella, Me Coutant, Me Teriitehau
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Editta a signé avec les X… et Nowak, demeurant 129, 129B et 131 boulevard Jean Jaurès à Livry-Gargan (93190) un mandat sans exclusivité pour proposer à la vente et faire visiter les parcelles A374, A5297, A372 et A3743.
Le prix de vente prévu au mandat s'élève à la somme de 2 800 000 euros pour l'ensemble de ces parcelles. Il est précisé que la rémunération du mandataire serait de 4% du montant de la vente net vendeur et que cette rémunération serait mise à la charge de l'acquéreur.
Par courrier du 14 septembre 2017, la SAS Aegefim, spécialisée dans la promotion immobilière, a confirmé son intérêt pour une opération de promotion immobilière sur ces parcelles, sous réserve de diverses conditions suspensives, précisant que son offre était valable trente jours.
Le premier projet de permis de construire déposé a été refusé par la mairie de Livry-Gargan en date du 7 novembre 2018.
Par lettre du 15 novembre 2017, la société Aegefim a confirmé que les frais d'intermédiaire de la société Editta s'élèveront à 4% du prix d'achat net vendeur, soit 89 200 euros HT, qu'elle lui versera dès la signature de l'acte authentique d'achat desdites parcelles.
En date du 5 juin 2020, les actes authentiques de vente ont été signés et ont porté sur l'acquisition des parcelles par la SCCCV Livry-Gargan Jean Jaurès pour un montant total de 2 838 000 euros, les actes étant signés en présence de la société Aegefim.
Le 12 juin 2020, la société Editta a adressé à la société Aegefim sa facture d'honoraires nº23, d'un montant de 136 224 euros TTC, relative à cette vente, soit 4% HT du montant de la transaction de 2 838 000 euros.
La société Aegefim ne l'a pas réglée, mais par lettre du 17 juin 2020, a indiqué notamment que la parcelle 3737 n'est pas concernée par le courrier du 15 novembre 2017, ' puisque nous sommes les seuls à avoir mené les négociations sur cette parcelle '. Elle a ajouté : ' Vos honoraires pour les autres parcelles sont de 89 200 euros conformément à notre courrier du 15 novembre 2017 '.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 14 septembre 2020, la société Editta a rappelé à la société Aegefim qu'elle restait dans l'attente de son règlement, en vain.
Par acte d'huissier de justice délivré le 18 janvier 2021, la société Editta a fait assigner en référé la société Aegefim aux fins d'obtenir principalement sa condamnation à lui régler la somme de 89 200 euros HT, soit 107 040 euros TTC, à titre provisionnel, sa condamnation à lui régler sur la somme de 107 040 euros les intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2020, la capitalisation des intérêts selon la règle de l'anatocisme et sa condamnation à lui régler la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Par ordonnance contradictoire rendue le 18 février 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :
- dit que la SAS Aegefim est mal fondée en sa demande de nullité de l'assignation,
- condamné la SAS Aegefim à payer à la SARL Editta, à titre provisionnel, la somme de 107 040 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2020, et capitalisation des intérêts selon la règle de l'anatocisme,
- débouté la SARL Editta de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné la SAS Aegefim à payer à la SARL Editta la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
- dit que l'exécution provisoire est de droit,
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 40,66 euros, dont TVA 6,78 euros.
Par déclaration reçue au greffe le 23 mars 2021, la société Aegefim a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de dispositions.
Suite saisine de la société Aegefim, le magistrat délégué par le premier président de cette cour a en substance, par arrêt du 10 juin 2021, rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire et autorisé la société Aegefim à consigner la somme de 109 540 euros.
Dans ses dernières conclusions déposées le 24 juin 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Aegefim demande à la cour, au visa des articles 870 et 873 du code de procédure civile, 1178, 1121 et 1130 et suivants du code civil, de :
- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 18 février 2021 rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre ;
- débouter la société Editta TR de l'intégralité de ses demandes et prétentions ;
statuant à nouveau,
- dire la société Editta TR irrecevable et mal fondée en ses demandes ;
- débouter la société Editta TR de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Editta TR au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Editta TR au paiement des entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Nadia Coutant en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées le 10 septembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Editta TR demande à la cour, au visa des articles L. 110-1 et suivants du code de commerce, 699, 700 et 873 du code de procédure civile, de :
- la déclarer recevable et fondée en ses moyens, fins et conclusions ;
y faisant droit,
- juger que la société Aegfim ne justifie pas de moyens sérieux d'annulation ou de réformation de l'ordonnance rendue le 18 février 2021 ;
- juger sa créance à l'encontre de la société Aegefim certaine, liquide et exigible ;
en conséquence,
- confirmer en tout point l'ordonnance rendue le 18 févier 2021 par le juge des référés près du tribunal de commerce de Nanterre ;
- rejeter toutes autres demandes de la société Aegefim comme étant mal fondées ;
- condamner la société Aegefim à lui régler la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Minault Teriitehau agissant par Maître Territehau, avocat au barreau de Versailles, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 septembre 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Observation liminaire :
Bien qu'ayant visé dans sa déclaration d'appel le chef de dispositif l'ayant déboutée de sa demande de nullité de l'assignation, l'appelante ne présente ni critique ni demande à ce titre aux termes de ses dernières conclusions. Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance de ce chef.
Sur la demande principale :
L'appelante, la société Aegefim, sollicite l'infirmation de l'ordonnance querellée en ce qu'elle l'a condamnée à payer à la société Editta la somme provisionnelle de 107 040 euros et le débouté de l'intimée de toutes ses demandes.
Elle soulève d'abord l'absence de fondement à la demande en paiement de l'intimée faisant valoir qu'à défaut de mandat régulier, les courriers qu'elle a adressés sont inopérants à établir un droit à commission puisque la relation commerciale entre les parties ne repose sur aucun fondement.
Elle précise que dans ses correspondances, elle s'est adressée à la société Editta en sa qualité de représentant des propriétaires de parcelles dont elle se prévalait au titre du mandat de 2017 mais qu'à défaut de représentation régulière à ce titre, ces courriers sont sans effet.
Elle ajoute que son consentement a été vicié en raison de l'erreur sur la qualité de la société Editta qui ne l'a pas informée de l'absence de validité du mandat avec les vendeurs, de sorte que son engagement doit être considéré comme nul.
Elle confirme qu'elle a toujours contesté la qualité de mandant de la société Editta et qu'elle justifie de l'absence d'intervention de cette dernières aux actes de vente, régularisés plusieurs années après la proposition commerciale de 2017, devenue obsolète en l'absence de poursuite du mandat entre la société Editta et les vendeurs.
L'appelante entend ensuite soulever plusieurs contestations sérieuses portant sur la qualité des parties, le bienfondé de l'action en paiement et la nécessité d'interpréter ou d'apprécier la validité du mandat fondant le lien contractuel.
Ainsi, elle conteste la qualité des parties en se référant à la facture du 12 juin 2020 de la société Editta libellée de la manière suivante :
' Entremise d'Editta TR conclue avec succès par l'acquisition au profit de la société Aegefim des cinq parcelles contiguës 372, 3737, 3743, 3744, 5297 ', indiquant qu'elle n'est pas l'acquéreur des parcelles acquises suivant actes authentiques du 5 juin 2020 par la SCCV Livry-Gargan Jean Jaurès, mais seulement son représentant, et que la société Editta n'a pas la qualité d'intermédiaire qu'elle revendique en l'absence de mandat régulier.
Elle réitère ensuite sa contestation relative à l'absence de mandat fondant la facture de l'intimée, exposant qu'à défaut de mandat valable et conformément à la loi dite Hoguet du 2 janvier 1970, l'agent ne peut prétendre à un droit à commission, position partagée par les vendeurs qui ont déclaré aux actes de vente qu'aucun intermédiaire ne pouvait prétendre à rémunération.
Elle ajoute à cet égard que le mandat n'a pas de date certaine, la case destinée à son apposition étant restée vide, et qu'il ne mentionne pas le numéro d'inscription sur le registre des mandats, autant de formalités sanctionnées par la nullité absolue en application de la loi Hoguet.
L'appelante entend enfin souligner dans ses conclusions la mauvaise foi de la société Editta qui ne cesse selon elle de faire preuve de dissimulation et de manigances dans ses relations avec les tiers.
L'intimée, la société Editta, sollicite au contraire la confirmation en tous points de l'ordonnance rendue le 18 février 2021.
Elle relate qu'elle a participé à la vente des terrains situés 129, 129B et 131 boulevard Jean Jaurès à Livry-Gargan dans le cadre de laquelle la société Aegefim l'a sollicitée et a obtenu un permis de construire le 8 juillet 2019.
Elle indique que l'appelante a, par lettre du 14 septembre 2017, fixé à la somme de 4 % le montant de sa rémunération en tant qu'intermédiaire.
Elle ajoute que suite à la conclusion de la vente le 5 juin 2020, elle a adressé sa facture à la société Aegefim qui par lettre du 17 juin 2020 a reconnu lui devoir la somme de 89 200 HT.
Elle demande à la cour d'écarter les moyens inopérants de la société Aegefim en précisant que le fondement de son action est une demande de provision et qu'elle n'agit pas sur la base du mandat que l'appelante présente comme irrégulier, alors même qu'elle n'est pas partie à cet acte qui lui est donc inopposable et dont l'appelante ne peut se prévaloir pour tenter d'échapper à ses obligations contractuelles à son égard.
Elle considère quant à elle qu'elles ont des relations commerciales propres, dont la preuve de l'existence est établie par les courriers qui lui ont été adressés entre 2017 et 2020 par les dirigeants de la société Aegefim et ajoute que s'agissant d'une action intéressant deux commerçants, la preuve est libre conformément aux articles L. 110-1 et L. 110-3 du code de commerce.
Elle fait valoir que les lettres versées aux débats suffisent à justifier de sa qualité et de son intérêt à agir mais encore du caractère certain, liquide et exigible de sa créance.
Elle précise qu'il s'infère de la lecture des actes authentiques de vente régularisés le 5 juin 2020 que les parcelles ont certes été acquises par la société SCCV Livry-Gargan Jean Jaurès, mais que celle-ci n'est qu'une émanation de la société Aegefim.
Sur ce,
Aux termes de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce, statuant en référé, peut dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.
Ce texte impose donc au juge une condition essentielle avant de pouvoir accorder une provision : celle de rechercher si l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Il sera retenu qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
À l'inverse, sera écartée une contestation qui serait à l'évidence superficielle ou artificielle et la cour est tenue d'appliquer les clauses claires du contrat qui lui est soumis, si aucune interprétation n'en est nécessaire. Le montant de la provision allouée n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Aux termes de l'article du 1353 du code civil, c'est à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En vertu de l'article L. 110-3 du code de commerce, la preuve en matière commerciale peut se faire par tous moyens.
Il est constant qu'aucune disposition de la loi du 2 janvier 1970 et du décret du 20 juillet 1972 ne fait a priori obstacle à ce qu'un agent immobilier détienne un mandat d'un vendeur et soit lié par ailleurs par un autre contrat avec un acquéreur pour une même opération.
L'acquéreur, non partie au contrat conclu avec le vendeur, ne peut se prévaloir de l'irrégularité du mandat liant le mandataire en transactions immobilières au vendeur.
Il reste que pour démontrer que l'intermédiaire détient, avec l'évidence requise en référé, une créance à l'égard de l'acquéreur, soit en l'espèce de la société Aegefim - dont la qualité au titre de laquelle elle a agi fait en outre débat puisqu'il n'est pas contesté que l'acquéreur final est la société SCCV Livry-Gargan Jean Jaurès -, il revient alors à la société Editta de caractériser de manière certaine la relation contractuelle en vertu de laquelle elle réclame un paiement ainsi que la validité de cette relation.
Or, force est de constater en l'espèce que la société Editta, qui invoque l'existence d'une relation commerciale entre elle et la société Aegefim, indépendamment du mandat de vente que les vendeurs ont confié à cette dernière, relation commerciale qui est effectivement attestée par les divers sms et courriers échangés entre les parties, s'abstient toutefois d'indiquer la nature de cette relation commerciale et les règles qui lui seraient applicables.
Pourtant, en matière de vente immobilière, il résulte des articles 1er, 6 et 7 de la loi du 2 janvier 1970 et 72 du décret du 20 juillet 1972 que tout mandat doit à peine de nullité être écrit, mentionner une limitation de ses effets dans le temps et être inscrit sur un registre mentionnant tous les mandats dans leur ordre chronologique, ces prescriptions s'appliquant à toute opération d'entremise, et notamment par exemple au contrat d'apporteur d'affaire, dès lors que l'opération porte sur un bien immobilier tel que défini par l'article 1er de la loi du 2 janvier 1970.
Ainsi, dès lors que l'intimée aux termes de ses conclusions ne caractérise ni la nature de sa relation commerciale avec l'appelante, ni ne démontre de manière non sérieusement contestable sa conformité aux dispositions de ladite loi dite loi Hoguet, elle ne peut prétendre, en référé, à l'allocation d'une provision à ce titre.
En conséquence, l'ordonnance querellée sera infirmée et il sera dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision de la société Editta, celle-ci étant renvoyée à mieux se pourvoir au fond.
Sur les demandes accessoires :
La société Aegefim étant accueillie en son recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, la société Editta ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.
L'équité commande en revanche de débouter la société Aegefim de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME l'ordonnance du 18 février 2021 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a dit la société Aegefim mal fondée en sa demande de nullité de l'assignation,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision de la société Editta TR au titre de sa relation commerciale avec la société Aegefim,
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel,
DIT que la société Editta TR supportera les dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.