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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 20 juin 2024, n° 23/07776

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Filhet-[R] (SAS), Les Portes de Paris (SCI)

Défendeur :

Compagnie Financière de Transaction et de Gestion (CFTG) (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vasseur

Conseillers :

Mme de Rocquigny du Fayel, Mme Igelman

Avocats :

Me Bouche, Me Delaoye, Me Louis

CA Versailles n° 23/07776

19 juin 2024

EXPOSE DU LITIGE

La SARL Compagnie Financière de Transaction et de Gestion (la société CFTG) exerce l'activité d'intermédiaire en transactions immobilières.

La SAS Filhet-[R] exerce une activité de courtier en assurance.

Selon bail commercial à effet au 1er juillet 2020 renouvelable par périodes triennales, conclu avec la société Issy-Vivaldi, représentée par son gérant la société AEW, la société Filhet-[R] louait des locaux situés dans la commune de [Localité 6] (Hauts-de-Seine).

Par acte du 11 mai 2021, elle a confié à la société CFTG un mandat de recherche sans exclusivité de bureaux ou de plateaux de bureaux situés à [Localité 6], [Localité 5] ou aux alentours. Ce mandat a été conclu pour une durée de 12 mois, à compter du 1er juin 2021, reconductible par tacite reconduction par périodes de 6 mois, sauf dénonciation expresse par l'une des parties.

Les honoraires dus au mandataire étaient « fixés à 3 % hors taxes et hors droits du montant de l'achat réalisé ».

Au mois de mars 2022, la société CFTG a présenté à la société Filhet-[R] deux plateaux de bureaux dans un immeuble en cours de construction par une société du groupe OGIC, via la SCCV Issy Zac Léon Blum Lot J, pour lesquelles la société Filhet-[R] a fait une offre d'achat le 5 avril 2022, comportant une faculté de substitution par la société civile Les Portes de Paris, laquelle sera acceptée par la SCCV.

Par acte authentique du 27 décembre 2022, la SCI Les Portes de Paris, constituée par la société Filhet-[R], a fait l'acquisition dans le cadre d'une vente en état de futur achèvement d'un ensemble immobilier situé [Adresse 7] à [Localité 6] auprès de la société SCCV Issy Zac Léon Blum Lot J.

Par acte de commissaire de justice délivré le 3 février 2023, la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion a fait assigner en référé la société Filhet-[R] et la société Les Portes de Paris aux fins d'obtenir principalement leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 200 000 euros HT / 240 000 euros TTC correspondant à la commission de transaction qui lui est due ainsi qu'au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Par ordonnance contradictoire rendue le 26 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :

- condamné la société Filhet-[R] et la société Les Portes de Paris à payer à la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion la somme de 240 000 euros TTC à titre de provision sur la commission de transaction qui lui est due,

- débouté la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion du surplus de ses demandes, incluant notamment sa demande en paiement de dommages et intérêts,

- condamné la société Filhet-[R] et la société Les Portes de Paris à payer à la société Compagnie Financière de

Transaction et de Gestion la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande de la société Filhet-[R] et la société Les Portes de Paris émise de ce chef,

- condamné la société Filhet-[R] et la société Les Portes de Paris au paielent des entiers dépens de l'instance,

- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de droit par provision.

Par déclaration reçue au greffe le 17 novembre 2023, la société Filhet-[R] et la société Les Portes de Paris ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a débouté la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion du surplus de ses demandes, incluant notamment sa demande en paiement de dommages et intérêts.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 15 février 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Filhet-[R] et la société Les Portes de Paris demandent à la cour, au visa des articles 835, 700 du code de procédure civile, 1991 à 1992, 1137, 1103, 1104, 1194, 2004, 1999, 1303 et 1303-1 du code civil, de :

'- juger l'appel interjeté par les sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre le 26 octobre 2023 régulier et recevable ;

- infirmer l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre le 26 octobre 2023 en ce qu'elle a :

- condamné les sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris à payer à la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion la somme de 240 000 euros TTC à titre de provision sur une commission de transaction ;

- condamné les sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris à payer à la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné les sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris au paiement des entiers dépens de l'instance ;

- rejeté la demande formulée par les sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris à l'encontre de la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion au titre des frais irrépétibles et des dépens ;

- confirmer l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre le 26 octobre 2023 en ce qu'elle a débouté la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion du surplus de ses demandes, incluant notamment sa demande en paiement de dommages et intérêts ;

par conséquent :

- débouter la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion de toutes ses demandes, fins et prétentions dirigées à l'encontre des sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris ;

- condamner la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion à verser aux sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 22 avril 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion demande à la cour, au visa des articles 834, 835 alinéa 2 du code de procédure civile, 1103, 1104 et 1240 du code civil, et 73 alinéa 4 du décret nº72-678 du 20 juillet 1972, de :

'- confirmer l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre du 26 octobre 2023 en ce qu'elle a condamné solidairement la société Filhet-[R] et la société Les Portes de Paris à payer à la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion la somme de 200 000 euros HT/240 000 euros TTC correspondant à la commission de transaction qui lui est due.

- accueillir la société CFTG en son appel incident et infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté la société CFTG de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et pour préjudice moral.

statuant à nouveau :

- condamner solidairement la société Filhet-[R] et la société Les Portes de Paris à payer à la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et pour préjudice moral.

- débouter la société Filhet-[R] et la société Les Portes de Paris de l'ensemble de leurs demandes.

- condamner solidairement la société Filhet-[R] et la société Les Portes de Paris aux entiers dépens de l'instance, qui seront recouvrés directement par la SCP Souchon-Catte-Louis, avocat au barreau de Paris, agissant par Maître Jean-François Louis, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- condamner solidairement la société Filhet-[R] et la société Les Portes de Paris à payer à la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2024.

A l'audience de plaidoiries les conseils des parties ont été invités à faire valoir, par note en délibéré, leurs observations sur l'irrecevabilité soulevée d'office des prétentions indemnitaires de la société CFTG, non demandées sous forme de provisions.

Par message du 17 mai 2024, le conseil de la société CFTG a indiqué qu'il confirmait que la demande de condamnation solidaire des appelantes à la somme de 20 000 euros est faite à titre provisionnel, ne pouvant en former d'autres dans le cadre d'une procédure de référé, ajoutant avoir visé l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile dans ses conclusions.

Par message transmis le 22 mai 2024, le conseil des appelantes indiquent que dans le dispositif de ses dernières conclusions, la société CFTG demande la condamnation solidaire des sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et pour préjudice moral, soit une condamnation à des dommages et intérêts et non une demande provisionnelle, de sorte que le juge des référés étant incompétent pour accorder des dommages et intérêts, la demande à ce titre de la société CFTG doit être rejetée.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Les sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris, appelantes, sollicitent l'infirmation de l'ordonnance querellée qui les a condamnées à verser à la société CFTG la somme de 240 000 TTC à titre de provision, mais sa confirmation en ce qu'elle a débouté cette dernière de sa demande de dommages et intérêts.

Elles relatent que le projet d'achat de la société Filhet-[R] incluait la nécessité de pouvoir investir les nouveaux locaux au lendemain de l'expiration du bail en cours, soit au plus tard au 30 juin 2023 ; que la société CFTG lui avait assuré être en mesure de négocier une prorogation du bail commercial en cours de quelques mois uniquement ; qu'elles ont découvert par un courriel de la société AEW du 26 juillet 2022 que le bailleur refusait d'accorder à la société Filhet-[R] la faculté de rester dans les locaux loués pour seulement quelques mois supplémentaires, et que la société CFTG leur avait caché sciemment cette information qu'elle détenait depuis le 24 mai 2022, sachant qu'elles auraient été contraintes d'abandonner le projet et que l'intimée n'aurait donc pas pu percevoir sa commission.

Elles considèrent que le contrat de mandat a été rompu à cette date du 26 juillet 2022 et expliquent que c'est indépendamment de l'intervention de la société CFTG que le contrat de vente a été conclu le 27 décembre 2022, par l'intermédiaire de la société Cushman & Wakefield, conseil du promoteur OGIC.

Elles entendent donc démontrer d'une part que l'existence de la créance alléguée par la société CFTG n'est pas avérée et que d'autre part, elle se heurte en tout état de cause à des contestations sérieuses.

Sur l'inexistence de la créance, au visa des dispositions de la loi Hoguet de 1970, elles arguent de la nullité de la convention de mandat en raison de l'indétermination tant de l'objet du contrat que de la rémunération de la société CFTG.

Elles font valoir que l'objet du mandat est équivoque et confond les actes d'achat et de location ; que la mention qui prévoit que « les honoraires dus au mandataire sont fixés à 3 % hors taxes et hors droit du montant de l'achat réalisé » implique une rémunération aléatoire et indéterminée du mandataire, tandis que la société Filhet-[R] en sa qualité de mandante n'était pas en mesure de connaître la portée de son engagement.

S'agissant de son offre d'achat du 5 avril 2022, évoquant le montant de 200 000 euros HT dû à la société CFTG, elles font valoir l'incohérence de cette somme avec le pourcentage prévu au mandat, ce qui démontre selon elles l'ignorance même de la société CFTG, qui n'a pas réagi, quant à la détermination de sa rémunération.

Les appelantes énoncent ensuite diverses contestations devant faire obstacle à l'octroi de toute provision au profit de la société CFTG.

Elles font tout d'abord valoir que l'opération projetée par l'entremise de la société CFTG n'a pas été réalisée, n'ayant donné lieu à aucun engagement ; que la proposition de la société CFTG prévoyait une réitération de l'acte authentique au plus tard le 20 juillet 2022, au moment où elles ont pris connaissance de la tromperie dont elles avaient été victimes, de sorte que le mandat est devenu caduc à cette date.

Elles entendent préciser que les conditions de l'opération ayant abouti à leur achat du bien immobilier en cause le 27 décembre 2022 sont totalement distinctes de celles figurant dans la proposition de la société CFTG (acquisition de 2 plateaux de bureaux « bruts de béton » pour un montant de 9 700 000 euros, livrables au plus tard le 31 mai 2023 dans le premier cas, et acquisition avec « travaux d'aménagements réalisés par le vendeur », pour un montant de 14 372 406,84 euros TTC, avec une livraison prévue au 29 septembre 2023 dans le second cas).

Elles concluent ensuite à l'existence d'une 2e contestation sérieuse du fait d'une possible compensation qu'il y aurait en tout état de cause à opérer avec la réparation qu'elles entendent solliciter au fond du fait du manquement du mandataire au principe de bonne foi, la société CFTG s'étant rendue coupable d'une réticence dolosive sur l'impossibilité pour la société Filhet-[R] de se maintenir dans ses locaux au-delà de l'échéance de la première période triennale du bail, exigence temporelle dont la société CFTG était parfaitement consciente (rappelant à cet égard l'article 1194 du code civil qui dispose que Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi), manquements qui ont empêché la société Filhet-[R] d'user de son droit de révocation du mandat, dont elles considèrent dès lors qu'il a fait l'objet d'une révocation tacite dès le mois de juillet 2022.

Enfin, elles arguent du caractère intrinsèquement incertain de la créance alléguée puisque en la matière, le juge du fond a le pouvoir de réviser la clause du mandat relative aux honoraires et qu'en outre, le mandataire ne peut obtenir de dommages et intérêts qu'en démontrant subir un préjudice, qu'elle ne prouve aucunement en l'espèce, alors que c'est elle-même qui a été peu discrète sur son échec dans cette affaire.

La société CFTG, intimée, sollicite quant à elle la confirmation de l'ordonnance qui a condamné solidairement les appelantes à payer la commission qui lui est due, mais son infirmation en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et préjudice moral.

Elle relate que le contrat de mandat qui lui a été confié le 11 mai 2021 n'a jamais été dénoncé, et notamment pas le 27 décembre 2022, jour où les appelantes ont acheté le bien qu'elle leur avait présenté.

Elle rappelle que la société Filhet-[R] a fait une offre d'achat au promoteur le 5 avril 2022 par son intermédiaire, offre qui a été acceptée le jour même par la SCCV Issy Zac Léon Blum Lot J, tandis qu'elle acceptait au passage de réduire le montant de sa commission à la somme de 200 000 euros HT ; que la société Filhet-[R] a constitué la société civile Les Portes de Paris le 30 juin 2022 pour réaliser l'achat, comme indiqué dans les statuts de cette société.

Elle explique ensuite avoir appris au mois d'octobre 2022 que la société Filhet-[R] voulait lui dissimuler que la vente avait été conclue directement avec le promoteur, en interdisant aux autres intervenants de correspondre avec elle.

Elle rétorque aux conclusions adverses que le mandat est parfaitement valable ; qu'il vise de manière claire l'achat de bureaux ; que la clause mentionnant un bail vise uniquement à interdire au mandant de renoncer à son achat pour louer le bien qu'il lui a été présenté par le mandataire ; que le mode de fixation de sa rémunération est dépourvu d'ambiguïté.

Elle répond encore qu'il n'existe aucune contestation sérieuse, celles élevées par les appelantes l'étant de pure mauvaise foi.

Elle conteste avoir commis une dissimulation sur les difficultés faites par le bailleur actuel de la société Filhet-[R] quant à la date de fin du bail, et fait valoir qu'elle a au contraire conseillé son mandant à ce sujet et est retournée vers lui le 25 juillet 2022 pour qu'il se positionne sur cette question ; que le représentant de la société Filhet-[R] lui a répondu à ce sujet en toute sérénité le 26 juillet 2022.

Précisant que le mandat n'incluait pas de mission de négociation d'une prolongation du bail des locaux occupés par la société Filhet-[R] dans l'attente de l'achat, ni de condition déterminante de réalisation d'une vente avant le 30 juin 2023, terme du bail en cours, la société CFTG fait par ailleurs observer que ce sont les solutions qu'elle a préconisées qui ont finalement été retenues pour permettre la vente en décembre 2022.

Elle conteste toute dénonciation tacite du mandat, ainsi que l'existence d'un « découpage » qui aurait eu lieu entre 2 opérations distinctes, et souligne que c'est le groupe OGIC qui n'a pas été en mesure de tenir son délai, ayant déposé un permis de construire modificatif le 13 juillet 2022, faisant en outre observer que la société Filhet-[R] a finalement accepté le report de la date de vente.

Contrairement à ce que prétendent les appelantes, la société CFTG considère que l'opération n'a pas échoué et a au contraire réussi puisque la société Filhet-[R] a acquis les biens qu'elle lui avait présentés.

L'intimée sollicite enfin la réformation de l'ordonnance et la condamnation des appelantes à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts, arguant de man'uvres commises pour l'évincer de la poursuite des négociations et d'accusations calomnieuses vis-à-vis des tiers, qui ont eu des répercutions sur sa réputation commerciale.

Sur ce,

Sur la provision au titre des honoraires de la société CFTG :

L'article 835 alinéa 2 du code de procédure prévoit que le président du tribunal judiciaire peut dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Il résulte de l'article 6-I de la loi nº 70-9 du 2 janvier 1970 et de la jurisprudence que le droit à rémunération de l'agent immobilier est tout d'abord subordonné à l'existence d'un mandat écrit préalable à l'opération et respectant un formalisme précis et, à deux conditions de fond : avoir accompli sa mission pendant la durée du mandat (c'est à dire avoir accompli des diligences permettant la réalisation de l'opération), et la conclusion effective de l'opération.

Au cas présent, l'objet du mandat de recherche sans exclusivité est clairement indiqué dans l'écrit du 11 mai 2021 en ce qu'il est mentionné au titre de la « description du bien et conditions » :

« Nature : achat de bureaux

Secteur géographique : [Localité 6], Boulogne et alentours

> Achat d'un immeuble de bureaux (ou de plateaux de bureaux) d'une superficie d'environ 2.000 m² avec au maximum 2 plateaux.

Conditions d'achat :

Prix de marché à négocier ».

Ainsi, contrairement à ce que prétendent les appelantes, l'objet du mandat consiste pour le mandant à confier au mandataire une mission de recherche d'un bien en vue exclusivement d'une acquisition.

La mention figurant au titre « obligations du mandant » selon laquelle « (...) il s'interdit pendant la durée du mandat et dans les 12 mois suivant son expiration, à en traiter la location éventuelle directement avec le vendeur » a une signification limpide en ce qu'elle fait interdiction au mandant de conclure pendant un certain délai un bail concernant le bien que lui aurait présenté le mandataire à l'achat.

Au titre des « honoraires », le contrat stipule que :

« Les honoraires dus au mandataire sont fixés à 3 % hors taxes et hors droits du montant de l'achat réalisé.

Les honoraires de commercialisation seront payés par le mandant.

Les honoraires sont exigibles et payables à la signature de l'acte authentique constatant l'accord des parties », ce dont il résulte que la détermination du montant des honoraires et de celle des parties en ayant la charge sont clairement explicites et correspondent à l'objet du mandat.

La contestation tirée de la nullité du contrat de mandant ne pouvant être qualifiée de sérieuse, le moyen argué de ce chef sera écarté, l'affirmation des appelantes selon laquelle la société Filhet-[R] n'était pas en mesure de connaître la portée de son engagement n'étant pas autrement étayée.

Par ailleurs, s'agissant des contestations élevées par les appelantes pour s'opposer au paiement des honoraires réclamé par l'intimée, il convient d'indiquer que dès lors que l'agent immobilier bénéficiaire d'un mandat de recherche d'un bien en vue d'une acquisition, présente un immeuble à son mandant, lequel ensuite, contracte directement avec le vendeur, l'opération est réputée conclue par son entremise et il a droit à sa rémunération (voir notamment 1re Civ., 17 novembre 1993, pourvoi nº 91-19.366 ou encore 1re Civ., 14 novembre 2000, pourvoi nº 98-10.629).

Dès lors, l'argumentation des appelantes relative à l'absence d'aboutissement de l'opération projetée par l'entremise de la société CFTG est inopérante dès lors que c'est le bien immobilier qui a été présenté par l'agence immobilière à la société Filhet-[R] que celle-ci, après s'être faite substituée par la société Les Portes de Paris, a acquis par acte notarié du 27 décembre 2022, peu important à cet égard que cette vente ait par ailleurs inclus des « travaux d'aménagements » à réaliser par le vendeur, moyennant un prix et un délai de livraison augmentés, ces éléments ne modifiant pas la substance essentielle du bien en cause.

A cet égard les appelantes font vainement valoir que l'obtention par l'intimée d'une prorogation du bail de la société Filhet-[R] alors en cours aurait été déterminante de leur consentement à l'acte de mandat, cette condition ne figurant dans aucun écrit et ne découlant pas des faits de l'espèce, alors qu'en outre il est établi qu'in fine, les appelantes ont effectivement négocié avec la bailleresse d'alors de la société Filhet-[R] une résiliation du bail au 30 novembre 2023 selon protocole transactionnel du 23 novembre 2022.

En l'absence d'engagement contractuel de la société CFTG pour mener ces négociations avec la bailleresse, il est également sans incidence pour la solution du litige que le représentant de cette agence ait pu par ailleurs intervenir en ce sens, sans que le succès ou non de son action puisse être déterminé, en sa qualité de membre du conseil de surveillance de trois sociétés du groupe AEW duquel dépend la bailleresse.

A cet égard, les appelantes invoquent la mauvaise foi de l'intimée qui leur aurait dissimulé les réticences de la bailleresse quant à la date de fin de bail, lesquelles découlaient d'un message du 24 mai 2022 dont elles auraient pris connaissance par mail du 26 juillet 2022, sans toutefois que la manoeuvre ainsi alléguée ne soit étayée par un élément probant, tandis qu'au contraire, il ressort d'un sms émis par M. [M] [R] le 26 juillet 2022 que ce dernier, fils du représentant de la société Filhet-[R], n'exprimait à cette date aucune inquiétude sur ce sujet de la date de fin de bail.

Il ne peut dès lors résulter de ces éléments aucune dénonciation tacite du mandat de recherche à la date du 26 juillet 2022 comme le font valoir les appelantes.

En outre, il doit être souligné qu'en vertu du principe ci-dessus rappelé, selon lequel « dès lors que l'agent immobilier bénéficiaire d'un mandat de recherche d'un bien en vue d'une acquisition, présente un immeuble à son mandant, lequel ensuite, contracte directement avec le vendeur, l'opération est réputée conclue par son entremise et il a droit à sa rémunération », il est également inopérant pour les appelantes d'arguer de la caducité de l'offre du 5 avril 2022, acceptée le même jour par la venderesse, prévoyant une date de réalisation de la vente au 20 juillet 2022, dès lors que seul importe le fait que l'opération d'acquisition présentée par l'agent immobilier mandaté ait été effectivement conclue à la date du 27 décembre 2022, alors que le mandat de recherche était en cours.

Il découle l'ensemble de ce qui précède que les contestations élevées par les appelantes sont dénuées du caractère sérieux permettant de faire obstacle au droit à rémunération de la société CFTG.

Pour les mêmes raisons, les arguments des sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris ne sont susceptibles de caractériser aucune faute commise par la société CFTG qui aurait pu être conduire le juge du fond à réduire ou supprimer sa rémunération, ou qui serait de nature à voir prospérer une action au fond en responsabilité contre elle, laquelle n'a au demeurant pas été introduite par les appelantes.

Dès lors, il convient de confirmer l'ordonnance querellée en ce qu'elle a condamné les sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris à payer à la société CFTG la somme de 240 000 euros TTC à titre de provision à valoir sur la commission de transaction qui lui est due.

Sur la demande indemnitaire de la société CFTG :

La demande indemnitaire de l'intimée, qui était demanderesse en première instance et dont l'action est un succès, ne saurait prospérer sur le fondement de la procédure abusive dont seule une partie attraite de mauvaise foi ou de façon dilatoire à un procès peut se plaindre.

Quant à sa demande indemnitaire formulée au titre des préjudices moral et commercial qu'elle aurait subis, à défaut d'être demandée à titre de provision, elle doit être déclarée irrecevable devant la juridiction des référés.

Sur les demandes accessoires :

L'intimée prospérant en ses demandes principales, l'ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, les sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris ne sauraient prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elles devront en outre supporter solidairement les dépens d'appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice de l'avocat postulant qui seul peut en faire la demande.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société CFTG la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. Les appelantes seront en conséquence condamnées solidairement à lui verser une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts formée par la société CFTG en réparation de son préjudice moral,

Confirme l'ordonnance du 26 octobre 2023 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit que les sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris supporteront solidairement les dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne solidairement les sociétés Filhet-[R] et Les Portes de Paris à verser à la société Compagnie Financière de Transaction et de Gestion la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.