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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 15 octobre 2024, n° 23/02837

RENNES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Vice-président :

Mme Clement

Conseiller :

Mme Jeorger-le Gac

Avocats :

Me Guinault, Me Tremoureux

CA Rennes n° 23/02837

14 octobre 2024

FAITS

Par acte notarié du 19 février 2021 M. [K] [O] a cédé à M. [Y] [N] et son épouse Mme [F] [I] un ensemble immobilier dénommé le [6] qu'il exploitait en gîtes et chambres d'hôtes situé au [Adresse 7] à [Localité 4].

La propriété comprend une grande bâtisse aménagée avec terrain attenant sur lequel se trouvent un garage en pierres, un puits et un abris ainsi qu'une maison à usage d'habitation située [Adresse 7]. Le prix a été convenu à hauteur de 800 000 euros pour les immeubles et

10 000 euros pour des biens mobiliers les garnissant.

Les acquéreurs sont entrés dans les lieux le jour de la vente.

Par acte du 29 juin 2022 M. [N] et Mme [N] qui avaient débuté leur propre exploitation en chambres d'hôtes, ont fait assigner M. [O] devant le juge des référés du tribunal de commerce de Vannes lui reprochant sa concurrence déloyale aux motifs qu'il poursuivait une activité de chambres d'hôtes à son nouveau domicile, la [12], située [Adresse 2] à [Localité 3] à 11 km du bien cédé.

Ils sollicitaient que le juge des référés fasse injonction à M. [O] sous astreinte de :

- fermer immédiatement son établissement ;

- changer immédiatement son numéro de portable ;

- procéder immédiatement aux modifications afférentes à son numéro de portable sur ses différents supports internet et publicitaire ;

- changer immédiatement les noms de ses chambres.

Ils réclamaient aussi une provision à hauteur de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par ordonnance du 3 mars 2023 le juge des référés a :

- Débouté Monsieur et Madame [N] [Y] et [F] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, pour les causes sus-énoncées ;

- Débouté Monsieur [O] [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, pour les causes sus-énoncées ;

- Laissé à la charge de chacune des parties ses propres frais et dépens ;

- Condamné les époux [N] aux entiers dépens de la présente instance ;

- Arrêté et liquidé les dépens à recouvrer par le Greffe à la somme de 57,65 euros TTC dont TVA 9,61 euros.

M. et Mme [N] ont fait appel de l'ordonnance le 17 mai 2023.

La tentative de médiation proposée par le président de la chambre commerciale de la cour d'appel de Rennes a échoué.

L'ordonnance de clôture est en date du 6 juin 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans leurs écritures notifiés le 4 juin 2024 M. et Mme [N] demandent à la cour au visa des articles 1240 et 1241 du code civil de :

- Dire et juger recevable l'appel des époux [N] ;

- Débouter M. [O] de toutes ses demandes , fins et conclusions ;

- Infirmer l'ordom1ance du juge des référés du tribunal judiciaire du 3.03.2023 ;

- Dire et juger que M. [O] a commis des actes de concurrence déloyale.

En conséquence :

- Enjoindre immédiatement M. [O] de fermer son établissement ;

- Enjoindre immédiatement M. [O] de changer immédiatement son numéro de portable ;

- Enjoindre immédiatement M. [O] à procéder immédiatement aux modifications afférentes à son numéro de portable sur ses différents supports internet ou publicitaires ;

- De changer immédiatement le nom des chambres ;

- Dire et juger que la présente injonction de faire sera assortie d'une astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt ;

- Condamner M. [O] à verser aux époux [N] la somme de 185.935 .91 euros au titre de la réparation du préjudice financier ;

- Condamner M. [O] à verser aux époux [N] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Dans ses écritures de procédure et de maintien des demandes au fond notifiées le 27 juin 2024 M. [O] demande à la cour au visa des articles L721-3 du code de commerce, 1240 et 1241 du code civil, 32-1 du code de procédure civile, 700 du code de procédure civile, 15 et 135 du code de procédure civile, de :

In limine litis :

- déclarer irrecevables les conclusions n°2 des époux [N] notifiées le 4 juin 2024 ;

Sur le fond :

- Confirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a :

o Débouté Monsieur et Madame [N] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

o Condamné les époux [N] aux entiers dépens de la présente instance ;

- Infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a :

o Débouté Monsieur [O] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions

o Laissé à la charge de M. [O] ses propres frais et dépens.

Et, statuant à nouveau :

- Débouter Monsieur et Madame [N] de l'ensemble de leur demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires aux présentes ;

- Condamner Monsieur et Madame [N] à verser à Monsieur [O] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant de l'engagement d'une procédure abusive à son encontre ;

- Condamner Monsieur et Madame [N] à verser à Monsieur [O] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Monsieur et Madame [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.

DISCUSSION

La procédure

M. [O] soutient que les écritures des époux [N] notifiées moins de 48 heures avant la clôture de la procédure contreviennent au respect du principe du contradictoire et comme telles doivent être rejetées dès lors qu'elles ne lui ont pas permis de répondre avant la clôture.

L'article 802 du code de procédure civile dispose qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office ; doivent être en outre déclarées irrecevables, à la demande de l'une des parties, les conclusions déposées tardivement ayant pour effet, sinon pour objet, de déroger au principe du contradictoire ; enfin, l'article 803 du même code dispose que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.

En l'espèce M. et Mme [N] ont déposé des conclusions récapitulatives II le 4 juin 2024 48 heures avant l'ordonnance de clôture du 6 juin 2024.

Ces conclusions ne font que répondre à celles qui ont été notifiées le 3 mai 2024 par M. [O].

Elles n'appellent aucune réponse.

M. [O] reprend les mêmes arguments s'agissant de la demande de dommages et intérêts des époux [N], ce qui démontre que l'augmentation de cette demande n 'est pas de nature à enfreindre le principe du contradictoire. M. [O] avait en outre la possibilité et le temps de répondre avant la clôture de l'affaire.

Il convient donc de rejeter l'exception d'irrecevabilité des écritures de M. et Mmes [N] notifiées le 4 juin 2024 soulevée par M. [O].

Le litige sera donc tranché au vu des écritures de M. [O] du 3 mai 2024 dont les demandes sont exactement identiques à celles qui figurent aux écritures du 27 juin 2024 et des écritures des appelants du 4 juin 2024.

La concurrence déloyale

M. et Mme [N] considèrent que la nouvelle activité de M. [O] dans sa villa proche de la leur, crée un risque de confusion avec leur propre exploitation en chambres d'hôte. Ils affirment subir une désorganisation en lien avec cette confusion et le dénigrement de M. [O].

L'acte de vente du 19 février 2021 ne vise pas la cession d'un fond de commerce de chambre d'hôtes. L'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce qui retient sa compétence matérielle n'est pas de nature à modifier l'objet de l'acte qui ne concerne qu'une vente immobilière.

Au titre de la destination de l'immeuble il y est indiqué que :

Le Vendeur déclare que l'immeuble est actuellement destiné à usage d'habitation.

L'Acquéreur déclare vouloir destiner l'immeuble à usage d'habitation et professionnel.

M. [O] était donc avisé que les consorts [N] entendaient poursuivre une activité commerciale dans les lieux.

Mme [R] agent immobilier précise que les acquéreurs ont été également informés au moment d'une visite du 20 septembre 2020, que M. [O] souhaitait poursuivre des activités de chambres d'hôtes :

M. [O] a évoqué le fait qu'il allait acheter un bien plus petit 2 ou 3 chambres pour continuer les chambres d'hôtes car il voulait prendre sa retraite.

L'attestation de M. [N] père ne contredit pas cette déclaration. Elle précise M. [O] voulait prendre sa retraite et partir 6 mois de l'année en Guadeloupe.

Avisés des projets de M. [O], les acquéreurs n'ont pourtant pas prévu de faire figurer dans l'acte notarié une clause de non concurrence à la charge de M. [O]. Ce dernier pouvait donc créer de nouvelles chambres d'hôtes.

L'acte notarié ne précise pas non plus au titre du devoir d'information, que les acquéreurs faisaient de l'absence de reprise d'activité de chambres d'hôtes par M [O] dans la région, une condition essentielle de leur achat.

Pour établir la duplicité de M. [O], les consorts [N] versent une attestation de M. [H] dans laquelle ce dernier affirme qu'il a été victime en 2005 de M. [O] qui aurait manipulé les acquéreurs des chambres hôtes qu'il possédait à [Localité 9] à l'époque, et une nouvelle activité directement concurrente en trompant ses acquéreurs.

Cette attestation, à supposé qu'elle relate les faits tels qu'ils se sont déroulés, ne rapporte pas la preuve de la déloyauté de M. [O] vis à vis des consorts [N]. Elle ne concerne pas la présente procédure. Son issue judiciaire reste inconnue.

Les époux [N] dénoncent ainis un risque de confusion chez leur clientèle en raison de l'existence d'une activité similaire à proximité.

Le [6] se situe à 11 km de la [12]. Ces deux sites sont suffisamment éloignés pour éviter que la clientèle se trompe d'établissement en s'adressant à l'un pensant fréquenter l'autre.

Ils se trouvent dans le Morbihan, dans une région touristique qui attire de nombreux visiteurs.

L'importance de l'offre de structures d'accueil limite considérablement les risques d'une concurrence déloyale de M. [O] vis à vis des époux [N].

Les deux établissement sont foncièrement différents dans leur aspect extérieur.

Le [6] est constituée d'une longère ancienne et de dépendances.

La [12] est une grosse demeure Malouine. Ils se distinguent radicalement et permettent aux touristes de faire un choix en fonction de leurs goûts personnels et de leur cible.

La reprise à l'identique par M. [O] de l'intitulé des chambres, n'est pas de nature non plus à induire en erreur ou à influencer la clientèle au détriment du [6]. Les consorts [N] n'établissent pas que les clients se déterminent davantage en fonction du nom des chambres que du cadre général du site et des potentialités offertes par son environnement immédiat.

Sur ce point les attestations de part et d'autres n'apportent rien au litige. Elles ne démontrent pas que M. [O] aurait réaménagé les chambres de la [12] sur le strict modèle de celles du [6] pour attirer les clients et les fidéliser.

Les consorts [N] font également valoir que le risque de confusion procède de la présence du n° de téléphone portable sur les Wonderbox de la clientèle potentielle ce qui l'oriente automatiquement vers la [12].

Ils communiquent à ce titre deux attestations de clients.

Mme [D] indique qu'elle a été témoin d'une escroquerie vis à vis de M. [N] :

Le 28 avril 2022, ayant retenu dans le cadre d'une Wonderbox, un diner, nuit et petit déjeuner, au [6], et constatant que nous aurions un peu de retard, par correction, je téléphone au [XXXXXXXX01], afin de prévenir le propriétaire.

Ce dernier me répond qu'il est fermé ! Surpris et ambarassés, nous nous mettons en quête d'un hébergement. Près d'une demi-heure plus tard, Monsieur [Y] [N] me téléphone en s'étonnant de notre retard ! Forts de constater qu'il y a méprise, nous nous expliquons, et je réalise que j'ai appelé l'ancien propriétaire, ayant une Box de trois ans. Ce dernier souhaitant certainement que je ne rentre pas en contact avec le nouveau propriétaire, Mr [N].

Nous sommes outrés, et je décide de faire cette démarche afin que la malhonnêteté soit punie, et ne se reproduise pas, portant préjudice à Mr [N].

Mme [D] fait une interprétation personnelle de son contact avec M. [O].

Il ne saurait être reproché à M. [O] de conserver son numéro de téléphone portable qui n'a pas été transféré au moment de la vente. L'acte notarié ne comporte aucune clause particulière à ce titre.

Comme indiqué par le prestataire, le coffret cadeau Wonderbox est valable 3 ans et 3 mois à partir de la date d'achat.

M. [O] a résilié son partenariat avec ce prestataire pour le [6] à compter du 5 mars 2021 après la vente. Reste que durant une période courant pendant trois ans et 3 mois à compter de cette date, des wonderbox portant son n° de portable étaient susceptibles de circuler et donc d'orienter les possesseurs vers M [O].

Mme [D] rappelle en effet qu'elle possédait une box de 3 ans.

Cette situation ne provient pas d'une stratégie de M. [O] mais du fonctionnement du concept.

M et Mme [N] affirment encore que M [O] s'est livré à un dénigrement de leur activité.

Ils versent à ce titre une attestation de M. [Z] aux termes de laquelle ce dernier indique avoir contacté M. [O] le 12 septembre 2023 avec le n° de téléphone figurant sur sa box.

M. [Z] affirme que M. [O] lui a fortement déconseillé d'aller au [6] car les propriétaires étaient fachés avec le voisinage et qu'il ne fallait surtout pas en parler.

Cette attestation ne suffit pas à démontrer que cette conversation était de nature à détourner les clients des époux [N]. Ces échanges datent du 12 septembre 2023. A cette époque M. [O] était déjà en conflit avec les époux [N] dans le cadre plusieurs contentieux.

M. [O] ne critique pas l'activité de chambres d'hôtes du [6] mais le comportement des époux [N].

Son offre à M. [Z] d'une réduction sur une prochaine location s'inscrit seulement dans un cadre commercial.

M. [O] n'a pas réussi à convaincre M. [Z] qui finalement a réservé une hébergement au [6], ce qui démontre que cet échange n'a eu aucune influence sur le choix du client.

Les consorts [N] ne parviennent pas non plus à établir un lien entre la nouvelle activité de M. [O] et la désorganisation de leur propre exploitation.

Ils versent un prévisionnel sur 3 ans qui aurait été établi au soutien de leur prêt qui montre qu'ils espéraient augmenter leurs chiffres d'affaires de 2021 à 2023.

Ils font valoir que les résultats nets réalisés sont bien inférieurs à ces prévisions et même aux résultats de M. [O] et ce malgré leur fort investissement.

Ces éléments ne permettent pas de démontrer que la chute du CA est en lien direct avec une concurrence déloyale de M. [O] et la désorganisation de l'activité des consorts [N].

Le dynamisme du secteur des chambres d'hôtes est soumis à un fort intuitu personae. Il dépend du cadre d'accueil et de la personnalité de l'exploitant. La clientèle provient d'une bonne publicité réalisées par les réseaux et les sites spécialisés et de la réputation de l'établissement.

L'activité subit également les aléas climatiques et les effets de mode. Ce contexte est de nature à apporter une explication aux résultats décevants des consorts [N] qui ne démontrent pas que cette chute s'explique par le comportement déloyal de leur vendeur.

Dans ces conditions M. et Mme [N] sont déboutés de toute leurs demandes, la demande de provision se heurtant au surplus à une contestation sérieuse.

L'ordonnance est confirmée.

La procédure abusive

L'article 32-1 du code de procédure civile dispose :

Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Lorsqu'il est établi que la partie qui exerce l'action a fait preuve de légèreté blâmable, une telle faute est de nature à caractériser une action abusive.

Il n'est pas établi que M. et Mme [N] aient introduit la procédure dans un autre but que de faire valoir leurs droits.

La demande de M. [O] est donc rejetée.

Les demandes annexes

Il n'est pas inéquitable de rejeter les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. et Mme [N] sont condamnés aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour

- Rejette l'exception d'irrecevabilité des écritures de M. et Mmes [N] notifiées le 4 juin 2024 ;

- Dit que le litige sera donc tranché au vu des écritures de M. [O] du 3 mai 2024 dont les demandes sont exactement identiques à celles qui figurent aux écritures du 27 juin 2024 et des écritures des appelants du 4 juin 2024 ;

- Confirme l'ordonnance

Y ajoutant :

Condamne M. et Mme [N] aux dépens d'appel ;

- Rejette les autres demandes .