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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 11 octobre 2024, n° 22/01017

NÎMES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Bagnolaise Immobilière de Gestion (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Codol

Conseillers :

Mme Ougier, Mme Vareilles

Avocats :

Me Hilaire-Lafon, Me Mansat Jaffre, Me Feliz Rodriguez

T. com. Nîmes, du 17 févr. 2022, n° 2021…

17 février 2022

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu l'appel interjeté le 14 mars 2022 par S.A.R.L. société bagnolaise immobilière de gestion à l'encontre du jugement rendu le 17 février 2022 par le tribunal de commerce de Nîmes dans l'instance n° 2021J56 ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 24 juin 2022 par la S.A.R.L. société bagnolaise immobilière de gestion, appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 26 février 2024 par Madame [N] [C], intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu l'ordonnance du 22 août 2023 de clôture de la procédure à effet différé au 29 février 2024,

Sur les faits

Suivant acte sous signature privée du 2 janvier 2019, Madame [N] [C] (l'agent commercial) a signé avec la société Bagnolaise immobilière de gestion (l'agence immobilière) un contrat d'agent commercial pour une durée indéterminée.

Le 11 août 2020, Madame [N] [C] a été convoquée à un entretien à la suite duquel le gérant de l'agence immobilière lui a fait savoir, par courrier recommandé daté du même jour, reçu le 13 août 2020, qu'il mettait immédiatement fin à leur collaboration, qu'il lui impartissait un délai de 48 heures pour rapporter les dossiers de vente pris dans le bureau ce midi et qu'elle devait également ramener le matériel confié par l'agence.

Par courrier recommandé du 14 août 2020, Madame [N] [C] a contesté la privation du délai de préavis de deux mois prévu pour lui permettre de clôturer les dossiers en cours et a réclamé le paiement de commissions dans les ventes prévues et à venir dans lesquelles elle était engagée ainsi que d'indemnités de rupture.

Par courrier recommandé du 18 août 2020, l'agence immobilière a invoqué des manquements graves de Madame [N] [C], préjudiciables à la société qui justifieraient une rupture immédiate du contrat d'agent commercial. L'agence a de nouveau demandé à Madame [N] [C] de restituer sous 24 heures les clés et le matériel confié.

Par courrier recommandé du 21 août 2020, Madame [N] [C] a contesté les faits qui lui étaient reprochés et a renouvelé sa demande de paiement de commissions et d'indemnités.

Madame [N] [C] s'est présentée à l'agence immobilière le 25 août 2020 pour ramener le matériel de travail qui n'a été en définitive restitué que les 12 et 14 octobre 2020 par l'intermédiaire d'un commissaire de justice.

Sur la procédure

Par exploit du 26 janvier 2021, Madame [N] [C] a assigné en paiement la société Bagnolaise immobilière de gestion devant le tribunal de commerce de Nîmes.

Par jugement du 17 février 2022, le tribunal de commerce de Nîmes, au visa des articles 1103 du code civil, des articles L134-1, L134-11, L134-12 du code du commerce, et des articles 202, 699 et 700 du code procédure civile :

« Dit que Madame [C] bénéficie d'un droit de suite de 6 mois à compter du 11 août 2020 sur les affaires qu'elle a initiées auprès de la SRL bagnolaise immobilière de gestion,

Condamne la SRL bagnolaise immobilière de gestion à porter et payer 14.401,12 euros à Madame [C] au titre des commissions dues,

Condamne la SRL bagnolaise immobilière de gestion à porter et payer à Madame [C] la somme de 3.531 euros à titre de préavis,

Condamne la SRL bagnolaise immobilière de gestion à porter et payer à Madame [C] au titre de ses indemnités de rupture du contrat d'agent commercial la somme de 63.560,06 euros,

Déboute Madame [C] la somme de 2.500 euros au titre de dommages et intérêts.

Déboute la SRL bagnolaise immobilière de gestion de sa demande reconventionnelle,

Rappelle le principe de l'exécution provisoire de droit attaché à la présente décision.

Condamne la SRL bagnolaise immobilière de gestion à payer à Madame [C] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes, fins et conclusions contraires ;

Condamne la SRL bagnolaise immobilière de gestion aux dépens de l'instance que le tribunal liquide et taxe à la somme de 70,55 euros en ce non compris le coût de la citation introductive d'instance, le coût de la signification de la présente décision, ainsi que tous autres frais et accessoires. »

Le 14 mars 2022, la société bagnolaise immobilière de gestion a interjeté appel de ce jugement pour le voir réformer, en ce qu'il :

« Dit que Madame [C] bénéficie d'un droit de suite de 6 mois à compter du 11 août 2020 sur les affaires qu'elle a initiées auprès de la SARL bagnolaise immobilière de gestion ;

Condamne la SARL bagnolaise immobilière de gestion à porter et payer 14.401,12 euros à Madame [C] au titre des commissions dues ;

Condamne la SARL bagnolaise immobilière de gestion à porter et payer à Madame [C] la somme de 3.531 euros à titre de préavis ;

Condamne la SARL bagnolaise immobilière de gestion à porter et payer à Madame [C] au titre de ses indemnités de rupture du contrat d'agent commercial la somme de 63.560,06 euros ;

Condamne la SARL bagnolaise immobilière de gestion à payer à Madame [C] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ».

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique, la société bagnolaise immobilière de gestion, appelante, demande à la cour de :

- la recevoir en son appel à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Nîmes le 17 février 2022,

- Réformer la décision dont appel en ce qu'elle a :

Dit que Madame [C] bénéficie d'un droit de suite de 6 mois à compter du 11 août 2020 sur les affaires qu'elle a initiées auprès de la SARL bagnolaise immobilière de gestion ;

Condamne la SARL bagnolaise immobilière de gestion à porter et payer 14.401,12 euros à Madame [C] au titre des commissions dues ;

Condamne la SARL bagnolaise immobilière de gestion à porter et payer à Madame [C] la somme de 3.531 euros à titre de préavis ;

Condamne la SARL bagnolaise immobilière de gestion à porter et payer à Madame [C] au titre de ses indemnités de rupture du contrat d'agent commercial la somme de 63.560,06 euros ;

Condamne la SARL bagnolaise immobilière de gestion à payer à Madame [C] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Statuant à nouveau ;

- Débouter Madame [C] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions comme irrecevables, non n'établies et, au surplus, infondées.

- Condamner Madame [C] à porter payer à la SARL bagnolaise immobilière de gestion la somme de :

5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive (article 1240 du code civil) ;

5.000 euros au titre des frais irrépétibles (article 700 du code de procédure civile).

- Condamner Madame [C] aux entiers dépens. »

Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que la loi n'impose pas la démonstration de la faute grave au moment de l'envoi du courrier de rupture, celle-ci pouvant être établie à tout moment de la procédure. De plus, l'information des causes de la rupture peut intervenir dans le cadre d'un échange oral. S'agissant des attestations versées au débat, le juge ne peut les rejeter comme non conformes aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile, sans préciser en quoi l'irrégularité constatée constituait l'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public faisant grief à la partie qui l'attaque. Les modes de preuve ne se limitant pas aux attestations, le juge ne peut rejeter des lettres missives au motif qu'elles doivent être considérées comme des attestations et qu'elles ne sont pas conformes à l'article 202 du code de procédure civile

L'appelante expose que, pour pouvoir prétendre à une commission totale (35 % de la commission perçue par l'agence déduction faite de la rémunération du groupe Century 21), l'intimée doit rapporter la preuve, d'une part, qu'elle a fait rentrer le mandat et, d'autre part, qu'elle est à l'origine de la vente. À défaut, elle ne peut prétendre qu'à une commission correspondant à ce qu'elle a réellement effectué dans le cadre du dossier. L'intimée fonde ses demandes sur des pièces n°6, 13, 14, 15, 18, 19 et 20 qui sont des preuves qu'elle s'est constitué elle-même. Elle ne justifie pas de l'étendue du travail qu'elle a effectué et de la réalité des ventes.

S'agissant de la demande en indemnité de rupture, l'appelante indique que postérieurement à l'indication orale de la rupture de son contrat, l'intimée s'est crue autorisée à emporter des dossiers de l'agence ne lui appartenant pas et a donc commis un vol. Elle a conservé pendant plusieurs mois le matériel qui lui avait été remis dans le cadre de son activité de mandataire. Le mandant peut toujours invoquer l'existence d'une faute même si elle s'est révélée postérieurement à la rupture du contrat. C'est le comportement inqualifiable de l'intimée entraînant la perte de clients et de commissions qui est à l'origine de la rupture.

L'appelante fait observer que le droit à préavis dont se prévaut l'intimée ne saurait s'appliquer, compte tenu des fautes par elle commises. De plus, elle ne saurait prétendre à un préavis qu'elle a utilisé pour travailler dans une autre agence immobilière.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, Madame [N] [C], intimée, demande à la cour, au visa de l'article 1103 du code civil, des articles 134-1 et suivants du code de commerce, et de l'article 17.2 de la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986, de :

« Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel de la société bagnolaise immobilière de gestion.

Débouter la société bagnolaise immobilière de gestion de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Confirmer le jugement du 17 février 2022 du tribunal de commerce de Nîmes.

Condamner la société bagnolaise immobilière de gestion à payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. ».

L'intimée réplique qu'à la suite à la cessation du contrat d'agence le 13 août 2020, les opérations de sept dossiers, liées principalement à l'activité de Madame [N] [C], ont été conclues. L'agence immobilière appelante avoue son obligation de règlement de commissions concernant les dossiers de vente pour lesquels était mandatée l'agent commercial, ainsi que pour le droit de suite pour les six mois à venir, tel qu'en attestent les lettres du 11 août 2020 et du 18 août 2020. La prise en charge des dossiers facturés par madame [N] [C] est prouvée. Les captures d'écrans montrent les dates de signatures des différents compromis de vente, signés avant la date de rupture du contrat ; les ventes intervenues ont été le fruit du travail de l'intimée, nommée en tant que conseillère pour lesdits dossiers.

L'intimé souligne qu'elle a perdu son unique source de revenus, du jour au lendemain, sans raison et au milieu d'une crise sanitaire et économique. Sa lettre du 21 août de 2020 était une réponse au courrier du 18 août 2020 de la société Century 21 La Big, dans lequel pour la premier fois et après la réclamation des indemnités, l'appelante lui reproche des fautes. L'agence immobilière appelante utilise des attestations émanant de la famille du gérant, soit des amis du gérant, soit des personnes subordonnées professionnellement. Rien ne prouve l'existence d'une faute grave de l'agent commercial qui justifierait la privation du délai de préavis. Aucun client n'a été perdu à cause d'elle. Elle a toujours eu un comportement très professionnel en apportant de bons résultats financiers à l'agence. Elle a toujours contesté les fautes reprochées suite à la rupture du contrat.

L'intimé ajoute que les conditions vexatoires de la rupture lui ont occasionné un préjudice moral incontestable. Son nouveau contrat de mandat a commencé le 2 janvier 2021. Elle est restée neuf mois sans revenu et sans allocation possible. Il ressort des attestations d'anciens agents commerciaux le non respect en récidive des obligations de paiement de l'agence immobilière et ses actions abusives.

Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

MOTIFS

1) Sur la demande en paiement de commissions

L'article 134-7 du code de commerce dispose que : « Pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission, soit lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues à l'article L. 134-6, l'ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l'agent commercial avant la cessation du contrat d'agence».

Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

L'article 8 du contrat d'agent commercial signé le 2 janvier 2019 entre les parties stipule que :

«En rémunération de ses services, l'agent commercial percevra des commissions dont le taux de base est fixé à 35 % de la commission d'agence (hors taxes et nette de toute remise, rétrocession, commissions, droits éventuellement dus à des tiers).

Ce taux de 35 % correspond à l'accomplissement par l'agent d'une mission complète et peut être décomposé de la façon suivante :

- apports de l'affaire dans le fichier avec mandat et dossier technique complet, suivi du mandat jusqu'à la vente :

50 % décomposé comme suit : 10 % pour l'apport de l'affaire ; 20 % pour le suivi du mandat jusqu'à la signature notaire et 20 % pour l'accompagnement à la signature notaire et la clôture du dossier ;

- vente de l'affaire, signature d'un compromis, suivi et assistance à la signature chez le notaire:

50 % décomposé comme suit : 10 % pour la signature du compromis ou de la promesse, 20 % pour le suivi du dossier jusqu'à la signature notaire, 20 % pour l'accompagnement à la signature notaire et la clôture du dossier.

Les commissions de l'agent commercial ne sont acquises qu'après la conclusion définitive de l'affaire c'est-à-dire après la levée des éventuelles conditions suspensives prévues au contrat lorsque l'agent aura perçu sa propre rémunération...».

L'article 10 intitulé 'droit de suite' précise que :

« En cas de rupture du présent contrat, et quelle que soit la cause, l'agent commercial aura droit aux commissions dans les conditions définies à l'article 8 ci-dessus, sur toutes les affaires qui auront fait l'objet de la signature d'un compromis de vente avant la date de rupture du présent contrat et qui seront définitivement conclues dans le délai de six mois suivant cette rupture de contrat, et qui seront la suite du travail de négociation effectué par lui pendant l'exécution de son contrat.

De même, toute affaire rentrée en mandat par l'agent commercial avant la rupture du contrat et faisant l'objet d'un compromis de vente dans les trois mois suivant cette rupture donnera lieu à versement de commission dans les conditions définies à l'article 8 ».

L'agent commercial intimée sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a fait droit à sa demande en paiement de commissions d'un montant de 14 401,02 euros concernant sept dossiers. En revanche, aucune commission ne lui a été allouée par les premiers juges concernant les dossiers [H]/[U] et [W]/[L] qui n'ont pas abouti à une vente effective et elle n'a pas formé d'appel incident, à ce titre, de sorte que la cour n'est saisie d'aucune demande relative à ces deux dossiers .

Dans son courrier du 11 août 2020 mettant fin à la relation contractuelle, le gérant de l'agence immobilière s'est engagé à rémunérer les dossiers de vente en cours de l'intimée. Dans son courrier du 18 août 2020, le gérant de l'agence immobilière lui a indiqué que ses commissions lui seraient payées selon les termes du contrat. Toutefois, en l'absence de toute précision sur la nature et le montant des sommes que l'agence immobilière reconnaissait devoir, il ne saurait être tiré de conséquence utile de la reconnaissance du seul principe de son obligation pécuniaire.

Les captures d'écran versées au débat émanent du logiciel utilisé par l'agence immobilière et ne constituent donc pas une preuve que l'agent commercial s'est constitué à elle-même. Dans les dossiers [V]/[K], [J]/[P], [S]/[I], [Z]/[E], [Y]/[O], le prix de la vente, distinct du prix fixé dans le mandat ainsi que le montant de la commission globale et la date de signature de la promesse de vente sont bien renseignés dans le logiciel. Il y est également indiqué le nom du ou des conseillers en charge de la partie mandat et de la partie vente.

Ainsi, s'agissant du dossier [V]/[K], il est bien indiqué qu'il a été attribué à Madame [N] [C], pour la partie mandat et pour la partie vente, et que le compromis de vente a été signé le 2 juillet 2020, soit avant la rupture du contrat d'agent commercial. Les renseignements relatifs au prix de la vente et au montant de la commission globale enregistrés dans le logiciel sont corroborés par le contenu de l'offre d'achat des acquéreurs qui mentionne, en outre, le nom de Madame [N] [C] comme responsable du dossier.

S'agissant du dossier [J]/[P], il est bien indiqué qu'il a été attribué à Madame [N] [C] pour la partie mandat ; elle ne réclame d'ailleurs que la moitié de la commission à laquelle elle aurait pu prétendre si elle avait été en charge de la partie vente. Le compromis de vente a été signé le 20 mai 2020, soit avant la rupture du contrat d'agent commercial.

S'agissant du dossier [S]/[I], il est bien indiqué qu'il a été attribué à Madame [N] [C] pour la partie mandat ; elle ne réclame d'ailleurs que la moitié de la commission à laquelle elle aurait pu prétendre si elle avait été en charge de la partie vente. Les renseignements relatifs au prix de la vente et au montant de la commission globale enregistrés dans le logiciel sont corroborés par la lettre d'intention d'achat de l'acquéreur. Le compromis de vente a été signé le 9 juillet 2020, soit avant la rupture du contrat d'agent commercial.

S'agissant du dossier [Z]/[E], il est bien indiqué qu'il a été attribué à Madame [N] [C] pour la partie vente ; elle ne réclame d'ailleurs que la moitié de la commission à laquelle elle aurait pu prétendre si elle avait été en charge de la partie mandat. Le compromis de vente a été signé le 15 juillet 2020, soit avant la rupture du contrat d'agent commercial

Les renseignements relatifs au prix de la vente et au montant de la commission globale enregistrés dans le logiciel sont corroborés par la lettre d'intention d'achat des acquéreurs.

S'agissant du dossier [Y]/[O], il est bien indiqué qu'il a été attribué à Madame [N] [C] pour la partie mandat ; elle ne réclame d'ailleurs que la moitié de la commission à laquelle elle aurait pu prétendre si elle avait été en charge de la partie vente.

Les renseignements relatifs au prix de la vente et au montant de la commission globale enregistrés dans le logiciel sont corroborés par la lettre d'intention d'achat de l'acquéreur.

Le compromis de vente a été signé le 30 juin 2020, soit avant la rupture du contrat d'agent commercial.

S'agissant du dossier [D]/[F], la lettre d'intention d'achat de l'acquéreur mentionne Madame [N] [C] comme responsable du dossier. Il résulte du courriel adressé par Me [X], notaire, le 29 juillet 2020 qu'un rendez-vous a été fixé au 17 août 2024 en vue de la signature de la promesse de vente, soit dans les trois mois de la rupture du contrat d'agent commercial.

S'agissant de ces six dossiers, Madame [N] [C] fait état de ventes qui auraient été réitérées par acte authentique entre les mois d'août et de novembre 2020, ce qui n'est pas formellement démenti par l'agence immobilière qui n'aurait pas manqué, dans le cas contraire, de produire une attestation du notaire, comme elle l'a fait à propos de la vente [W]/[L] qui n'a pas été finalisée. Au surplus, l'agence immobilière s'est bien gardée de déférer à la sommation qui lui a été faite le 5 octobre 2021 de communiquer les pièces en sa possession, à savoir, les fiches d'information de la plate-forme/logiciel Century 21 indiquant notamment les honoraires, la distribution de conseillers et les dates de conclusion des dossiers suivis par Madame [N] [C].

Il résulte des lettres d'intention d'achat que le montant de la commission globale de vente était inclus dans le prix versé par l'acquéreur de sorte que l'agent immobilier a nécessairement touché les honoraires lui revenant lorsque la vente s'est réalisée.

Il n'y a pas lieu de retirer 8% sur le montant de la commission d'agence au titre de rétrocession et commission, en application de l'article 8 du contrat d'agent commercial, alors que l'agence Century 21 n'est pas un tiers par rapport au dit contrat.

La demande en paiement de commissions est donc justifiée à hauteur de la somme de 13 598,94 euros.

En revanche, Madame [N] [C] ne produit aucun document justificatif de son intervention dans le dossier [F]/[G] et de la signature d'une quelconque promesse de vente. Elle sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 802,08 euros, à ce titre.

2) Sur la faute grave reprochée à l'agent commercial

L.134-11 du code de commerce dispose que :

"Lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. Les dispositions du présent article sont applicables au contrat à durée déterminée transformé en contrat à durée indéterminée. Dans ce cas, le calcul de la durée du préavis tient compte de la période à durée déterminée qui précède.

La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. En l'absence de convention contraire, la fin du délai de préavis coïncide avec la fin d'un mois civil.

Les parties ne peuvent convenir de délais de préavis plus courts. Si elles conviennent de délais plus longs, le délai de préavis prévu pour le mandant ne doit pas être plus court que celui qui est prévu pour l'agent.

Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure."

Aux termes des articles L. 134-12 et L134-13, l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi à laquelle l'agent commercial a droit en cas de cessation de ses relations avec le mandant n'est pas due dans le cas où la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

Il appartient au mandant, à l'initiative duquel le contrat a été rompu et qui s'oppose au paiement de l'indemnité compensatrice, de rapporter la preuve d'une faute grave de l'agent commercial, à savoir, une faute qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel ( Com., 20 janvier 2021, n° 19-11.644).

En considération de l'interprétation qui doit être donnée aux articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé qu'il était nécessaire de modifier sa jurisprudence. Elle retient désormais que l'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité (Com.,16 novembre 2022, pourvoi n° 21-17.423).

Il n'est pas exigé par la loi, à peine de nullité, que le courrier de résiliation du contrat d'agent commercial mentionne les fautes qui sont reprochées à l'agent.

En l'espèce, le courrier recommandé daté du 11 août 2020 mettant fin au mandat n'énonce pas les motifs de la résiliation, qui figurent en revanche, dans le courrier du 18 août 2020 de l'agence immobilière auquel Madame [N] [C] a apporté des réponses écrites le 21 août 2020.

Les faits de vol des dossiers de l'agence et de conservation du matériel remis dans le cadre de l'activité de mandataire sont postérieurs à la décision prise par l'agence de mettre fin au contrat de Madame [N] [C]. Ils ne sauraient constituer des motifs valables de privation de l'agent de son droit à indemnisation.

En revanche, il résulte de l'attestation rédigée par Monsieur [T] [R], gérant de la société Cez Elec, que des acquéreurs potentiels de son bien immobilier lui ont rapporté que Madame [N] [C], en charge de la vente, s'était permise de leur dire qu'il était persuadé d'avoir 'un palace' et que son appartement était trop cher et sale. Monsieur [T] [R] a ajouté que, malgré les nombreuses excuses du gérant de l'agence immobilière, suite à l'attitude non professionnelle de Madame [N] [C], il avait préféré donné le mandat de vente à une autre agence.

Monsieur [T] [R] n'est pas subordonné à l'agence immobilière puisqu'il n'agit pas sous les ordres de cette dernière avec laquelle il n'est pas lié par un contrat de travail ; le fait qu'il effectue régulièrement des travaux d'électricité pour le compte de l'agence, dans le cadre de contrats d'entreprise, et qu'il soit inscrit comme 'ami', comme beaucoup d'autres personnes qui veulent accéder à des informations, sur le site 'facebook' du gérant de l'agence immobilière, n'est pas de nature à porter atteinte à la sincérité de son témoignage.

Si Madame [N] [C] considérait que le prix de vente fixé par Monsieur [T] [R] était trop élevé, il lui appartenait d'en aviser ce dernier et lui seul ; elle a agi contrairement aux intérêts du client de sa mandante en dénigrant auprès des acquéreurs potentiels le bien immobilier considéré.

Monsieur [S], marchand de biens et gros client de l'agence immobilière, atteste que Madame [N] [C] a eu à son égard des propos déplacés et qu'il tient à disposition un message de cette dernière sur son téléphone pour justifier ses dires. Monsieur [S] précise qu'il a continué à travailler avec l'agence immobilière mais après une réflexion sur la poursuite de leur collaboration.

Me [X], notaire, réitère son témoignage dans les formes prévues par l'article 202 du code de procédure civile. Il en ressort que Madame [N] [C] a cherché à évincer le notaire habituel du vendeur, lors d'une vente [F]/[B], en conseillant au vendeur de prendre le même notaire que l'acquéreur pour aller plus vite, et que Madame [N] [C] ne faisait pas toujours diligence pour fournir au notaire tous les éléments corrects dans les temps. Le notaire a confirmé, dans un courrier du 28 octobre 2021, qu'à partir du moment où il avait relevé le manquement déontologique de Madame [N] [C], celle-ci s'était montrée particulièrement désagréable à son égard.

Le fait que Me [X] soit inscrit en tant qu''ami ', sur le site 'facebook' du gérant de l'agence immobilière, n'entache pas l'objectivité de son témoignage qui est corroboré par le message électronique qu'il a adressé le 10 août 2020 à Madame [N] [C] qui récapitule le déroulement des faits et lui rappelle ses obligations.

Il est donc établi que Madame [N] [C] est sortie de son rôle de négociatrice en immobilier en prodiguant un conseil à un vendeur, au surplus, contraire à l'intérêt de ce dernier qui est d'être assisté par un notaire distinct de celui de l'acquéreur.

Enfin, l'appelante affirme, sans être contredite sur ce point par l'intimée dans ses écritures, que cette dernière, qui n'avait pas raccroché le téléphone, a tenu des propos injurieux sur une cliente qui les a entendus et a quitté l'agence.

Madame [A] [M], qui est employée et également associée très minoritaire au sein de la société Bagnolaise immobilière de gestion, indique qu'en 2019, elle n'a pas souhaité continuer à occuper le pose de manager de l'équipe transaction, au sein de l'agence, en raison des changements d'humeur et de l'individualisme de Madame [N] [C] qui nuisaient à la bonne entente au sein du groupe de conseillers. Enfin, la gérante de l'agence Century 21, Terre de soleil, affirme accueillir avec soulagement le départ du réseau Century 21 de Madame [N] [C], seul de nature à rétablir de bonnes relations de travail entre sa société et l'agence Century 21 La big (société Bagnolaise immobilière de gestion).

Ainsi l'intimée a, de manière récurrente, excédé son rôle de négociateur en immobilier en tenant des propos dénigrants et inadaptés dont elle n'a pas jugé utile de s'excuser, entachant la relation de confiance entre la clientèle et sa mandante ainsi que les bonnes relations entretenues avec des partenaires extérieurs. Ces manquements graves et répétés portent atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rendent impossible le maintien du lien contractuel. La faute grave est caractérisée. Par conséquent, Madame [N] [C] doit être déboutée de ses demandes d'indemnité de préavis et de résiliation de mandat.

3) Sur la demande en dommages-intérêts pour le manquement à l'obligation de loyauté et les conditions vexatoires de la rupture

Madame [N] [C] ne sollicite pas, dans le dispositif de ses dernières conclusions d'intimée, remises le 26 février 2024, la réformation du jugement du 17 février 2022 qui l'a déboutée de sa demande en dommages-intérêts pour le manquement à l'obligation de loyauté et les conditions vexatoires de la rupture. La cour n'est donc pas saisie de ces dispositions.

4) Sur la demande reconventionnelle de l'agence immobilière

Le droit d'agir en justice dégénère en abus s'il est exercé de mauvaise foi, ou pour le moins avec une légèreté blâmable révélée par l'absence de tout fondement sérieux.

En l'espèce, Madame [N] [C] n'a fait qu'user de son droit de faire valoir ses moyens et prétentions sans qu'il soit démontré que cet usage a dégénéré en abus fautif qui justifierait l'indemnisation du préjudice invoqué qui n'est au surplus pas distinct de celui découlant de l'obligation dans laquelle l'appelante s'est trouvée de devoir assurer sa défense.

Ainsi, le jugement critiqué sera confirmé en ce qu'il a débouté l'agence immobilière appelante de sa demande en dommages-intérêts.

5) Sur les frais du procès

Madame [N] [C] était fondée à agir en justice pour obtenir le paiement de ses commissions. Le jugement entrepris sera donc également confirmé en ce qu'il a condamné la société Bagnolaise immobilière de gestion aux dépens de la première instance et au paiement d'une indemnité de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Chacune des parties ayant obtenu partiellement satisfaction en appel, les dépens seront partagés par moitié et chacune des parties conservera la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société Bagnolaise immobilière de gestion de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts, condamné la société Bagnolaise immobilière de gestion aux dépens de la première instance et au paiement à Madame [N] [C] d'une indemnité de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

L'infirme sur le surplus des dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

Condamne la société Bagnolaise immobilière de gestion à payer à Madame [N] [C] la somme de 13 598,94 euros au titre des commissions,

Déboute Madame [N] [C] de sa demande d'indemnités au titre du préavis et de la rupture du contrat d'agent commercial,

Y ajoutant,

Ordonne le partage par moitié entre les parties des dépens d'appel,

Déboute les parties de leurs demandes d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par la présidente et par la greffiere.