Décisions
CA Reims, 1re ch. sect..civ., 15 octobre 2024, n° 24/00735
REIMS
Arrêt
Autre
ARRET N°
du 15 octobre 2024
N° RG 24/00735 - N° Portalis DBVQ-V-B7I-FPST
S.A.R.L. O CHATS
c/
S.E.L.A.R.L. SELARL MJ & ASSOCIES
Commune [Localité 8]
S.A.R.L. TICO
Formule exécutoire le :
à :
la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES
la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 15 OCTOBRE 2024
APPELANTE :
d'une ordonnance rendue le 25 mars 2024 par le Juge-commissaire du tribunal de commerce de TROYES
La S.A.R.L. O Chats, société à responsabilité limitée immatriculée au RCS sous le N° 815 031 521 dont le siège social est [Adresse 5] à [Localité 9], agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié de droit au siège social
Représentée par Me Florence SIX de la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS
INTIMEES :
La SELARL MJ & ASSOCIES, Société d'exercice libéral à responsabilité limitée ayant son siège social [Adresse 4], prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit audit siège, prise en la personne de Maître [G] [R], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL TICO, nommée à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de TROYES du 14 novembre 2023
Représentée par Me Mélanie CAULIER-RICHARD de la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS
La Commune [Localité 8], prise en la personne de son Maire en exercice, domcilié en cette qualité à l'Hôtel de Ville de la Commune, situé [Adresse 3]
Représentée par Me Pierre DEVARENNE de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE
La S.A.R.L. Tico, société à responsabilité limitée immatriculée au RCS sous le n° 912 717 170 dont le siège social est [Adresse 6] à [Localité 8], prise en la personne de ses représentants légaux, Monsieur [B] [S] et Madame [L] [F] domiciliés [Adresse 2] à [Localité 7]
Non comparante, ni représentée, bien que régulièrement assignée
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Sandrine PILON, conseillère
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée
GREFFIER :
Madame Jocelyne DRAPIER, greffière lors des débats
Monsieur Rémy VANDAME, greffier lors de la mise à disposition
DEBATS :
A l'audience publique du 09 septembre 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 15 octobre 2024
ARRET :
Réputé contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2024 et signé par Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre, et Monsieur Rémy VANDAME, greffier placé, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Par acte sous seing privé des 22 et 30 août 2023,les sociétés Tico et O Chats ont signé un compromis de vente aux termes duquel cette dernière s'engageait à acquérir de la première un fonds de commerce de restauration situé à [Localité 8].
Par jugement du 14 novembre 2023 le tribunal de commerce de Troyes a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Tico, la SELARL MJ & Associés prise en la personne de Me [R] étant désignée liquidateur judiciaire.
Le 12 mars 2024 le liquidateur judiciaire a saisi le juge commissaire aux fins d'être autorisé à céder le fonds de commerce à la société O Chats sur le fondement du compromis de vente.
Par ordonnance du 25 mars 2024 le juge commissaire du tribunal de commerce de Troyes a fait droit à cette requête et autorisé la société MJ & Associés ès qualités à céder à la société O Chats le fonds de commerce de restauration traditionnelle située [Adresse 1] à [Localité 8] moyennant la somme de 50 000 euros étant précisé que l'acquéreur avait versé avant l'ouverture de la procédure la somme de 10 000 euros à titre d'acompte.
Par déclaration du 6 mai 2024, la société O Chats a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 30 août 2024 elle demande à la cour de :
- juger son appel régulier,
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a, avec toutes conséquences, autorisé la société MJ & Associés ès qualités à lui céder le fonds de commerce de restauration moyennant le prix de 50 000 euros et une entrée en jouissance dès la notification de l'ordonnance,
- statuant à nouveau,
- autoriser la société O Chats à rétracter son offre d'acquisition du fonds de commerce dépendant de la liquidation judiciaire de la société Tico formalisée selon compromis de vente des 22 et 30 août 2023,
- subsidiairement juger n'y avoir lieu à autorisation de la vente du fonds de commerce de restauration traditionnelle dépendant de la liquidation de la société Tico à la société O Chats et débouter le liquidateur judiciaire de sa demande en ce sens,
- très subsidiairement pour le cas où la cession serait maintenue, juger le dépôt de garantie de 10 000 euros versé lors de la signature du compromis satisfactoire à titre de paiement du prix et fixer l'entrée en jouissance au jour de la signature de l'acte de vente,
- en toute hypothèse,
- débouter les intimés de toute demande contraire,
- condamner la société MJ & Associés ès qualités au paiement d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.
Elle fait valoir à l'appui de ses prétentions que sa déclaration d'appel est régulière et son appel n'est pas caduc.
Sur le fond elle soutient que s'il est constant que la vente de gré à gré d'un élément d'actif mobilier du débiteur en liquidation judiciaire est parfaite dès l'ordonnance du juge commissaire qui l'autorise, le cessionnaire est fondé à retirer l'offre d'achat s'il justifie d'un motif légitime tiré de la non réalisation des conditions dont son offre était assortie ; qu'il existait plusieurs conditions figurant au compromis de vente tenant au fait que l'acquisition du fonds de commerce comprenait notamment la clientèle et le droit au bail et que le cédant ne devait pas être en état de cessation des paiements.
Elle ajoute que le compromis mentionnait au titre de la désignation des locaux loués un bâtiment principal et un local de rangement séparé ; que pourtant ce local séparé n'est plus disponible de sorte que la surface initialement prévue au compromis est réduite.
Elle explique qu'eu égard à l'absence d'éléments d'actifs nécessairement essentiels et à la modification des conditions de la vente que renfermait le compromis le liquidateur manquerait à son obligation de délivrance conforme en cédant le fonds de commerce de la société Tico.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 2 septembre 2024 la société MJ & Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Tico ( le liquidateur) demande à la cour de :
- déclarer nulle la déclaration d'appel et les conclusions d'appel,
- déclarer caduc l'appel de la société O Chats,
- subsidiairement,
- déclarer irrecevable l'appel interjeté par la société O Chats,
- très subsidiairement,
- déclarer irrecevable la nouvelle demande d'infirmation du chef de la date d'entrée en jouissance du fonds de commerce pour la voir fixer au jour de la signature de l'acte de vente,
- déclarer la société O Chats mal fondée en son appel et l'en débouter,
- en tout état de cause,
- confirmer l'ordonnance du juge commissaire rendue le 25 mars 2024,
- condamner la société O Chats à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Elle invoque la nullité et la caducité de la déclaration d'appel au visa de l'article 114 du code de procédure civile déclarant que la société O Chats a été rachetée par la société Chats Associés de sorte que le commissaire de justice n'a pas pu signifier son acte à l'adresse déclarée de la société O Chats.
Elle soutient que l'appel est irrecevable car il est formé contre une ordonnance rendue par le juge commissaire qui n'est susceptible d'aucune rétractation ; que l'ordonnance attaquée est donc définitive et l'offre de reprise de l'entreprise en liquidation judiciaire ne peut être modifiée ni retirée car elle lie son auteur.
Elle ajoute qu'il n'est pas établi que la société serait dépourvue de clientèle ; que le bail s'est poursuivi par tacite reconduction ; que par courrier du 4 janvier 2024 la société O Chats a informé le liquidateur que les conditions suspensives étaient levées et a donné tous les éléments permettant de finaliser la vente ; qu'elle n'a manifesté son souhait de se rétracter de la vente qu'après l'ordonnance du juge commissaire alors qu'elle a confirmé son souhait d'acheter le fonds de commerce après avoir été informée de la procédure collective survenue postérieurement à la signature du compromis.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 31 juillet 2024 la commune de [Localité 8] demande à la cour de constater qu'elle s'en rapporte à justice et de laisser les dépens à la charge de la partie qui succombe.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 septembre 2024 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 9 septembre suivant.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur la nullité et la caducité de l'appel
Le liquidateur invoque au visa de l'article 114 du code de procédure civile la nullité de la déclaration d'appel, des conclusions d'appel et la caducité de l'appel et soutient que la société Chats Associés a racheté la société O Chats en janvier 2023 et que la similitude de domiciliation et ce rachat créent une confusion et ne permettent pas de signifier et d'exécuter l'ordonnance dont appel.
Le rachat de la société O Chat par la société Chats Associés n'est nullement établi et dénié par la société O Chat qui justifie de sa domiciliation à l'adresse qu'elle a indiqué dans sa déclaration d'appel, cette dernière ayant été effectuée selon les règles applicables en la matière. Le fait qu'une autre société soit domiciliée à la même adresse que celle de la société O Chats ne peut en soi entraîner une quelconque confusion quant au lieu auquel il doit lui être signifié un acte de procédure. Le moyen de nullité invoqué ne peut donc prospérer et aucune caducité de la déclaration d'appel n'est encourue, les dispositions de l'article 905-2 du code de procédure civile ayant été respectées.
- sur la recevabilité de l'appel
Le liquidateur soutient que l'appel interjeté par la société O Chats est irrecevable car il a été formé contre une ordonnance rendue par le juge commissaire qui n'est pas susceptible d'aucune rétractation selon la loi et la jurisprudence. Il ajoute que l'ordonnance dont appel est définitive puisque l'offre de reprise de l'entreprise en liquidation judiciaire ne peut être modifiée ni retirée et qu'elle lie son auteur.
La société O Chats est fondée à lui répondre que l'ordonnance rendue par le juge commissaire du tribunal judiciaire de Troyes le 25 mars 2024 n'est pas définitive puisqu'elle en a interjeté appel dans les formes et délais applicables en la matière. De plus l'appel ne tend pas à la rétractation de l'ordonnance querellée mais à son infirmation. En conséquence le moyen d'irrecevabilité de l'appel est mal fondé et doit être rejeté.
- sur le fond
Si la vente de gré à gré d'un élément d'actif du débiteur en liquidation judiciaire n'est réalisée que par l'accomplissement d'actes postérieurs à l'ordonnance rendue en application de l'article L 642-19 du code de commerce, comme c'est le cas en l'espèce, celle-ci n'est parfaite dès l'ordonnance que sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée. Le cessionnaire peut refuser de procéder à la vente ordonnée en retirant l'offre d'achat retenue par le juge commissaire s'il justifie d'un motif légitime tiré de la non-réalisation des conditions dont il avait pu assortir son offre.
En l'espèce la société O Chats demande l'autorisation de rétracter sa proposition d'acquisition du fonds de commerce de la société Tico qu'elle avait formulé dans le compromis de vente daté des 22 et 30 août 2023 qu'elle verse aux débats.
Ce compromis de vente stipule que le fonds de commerce comprend notamment le droit au bail moyennant un loyer de 1 352,08 euros HT par mois ; que s'agissant de la désignation des locaux loués l'acte indique un bâtiment principal (local de rangement, local à usage de cuisine, deux salles de restaurant, un emplacement bar, un bureau, une cave) et un local de rangement séparé au sud du bâtiment, le tout d'une surface de 307 m². De plus dans cet acte le cédant déclare 'qu'il n'est pas et n'a jamais été en état de faillite, liquidation de biens, liquidation judiciaire, règlement judiciaire, redressement judiciaire, cessation des paiements et qu'il n'a pas bénéficié des dispositions du décret du 29 août 1937 sur le règlement amiable homologué'.
La société O Chats justifie que plusieurs conditions prévues dans le compromis de vente qu'elle a signé ne sont pas respectées. Ainsi les locaux objet de l'acte ne sont plus les mêmes puisque le propriétaire des lieux loués a décidé que le local de rangement séparé du bâtiment principal ne sera plus disponible, celui-ci étant totalement inutilisable, la preuve étant d'ailleurs rapportée que ce local est 'entièrement saccagé' et que les portes ont été 'fracassées' selon les termes utilisées par le commissaire de justice dans son procès verbal de constat daté du 18 juin 2024. Par ailleurs le bâtiment principal destiné à accueillir les clients est concerné par un arrêté préfectoral d'urgence pour la santé publique daté du 25 octobre 2023 relativement à des 'dangers sanitaires ponctuels et imminents pour le voisinage', le liquidateur ne justifiant pas que cette décision administrative a été portée à la connaissance de l'acquéreur potentiel.
De surcroît alors que la surface louée s'avère être inférieure à celle indiquée dans le compromis de vente compte tenu de l'absence de local de rangement, il est établi que le bailleur a informé la société O Chats que le loyer serait relevé pour être porté à la somme mensuelle de 1 850 euros après signature d'un nouveau bail puisque le bail commercial le liant à la société Tico expirait le 31 mars 2024, l'expiration de ce bail ne permettant ainsi pas à la société Tico de céder son droit au bail contrairement à ce qui est stipulé dans le compromis signé avec la société O Chats.
Enfin alors que la société Tico a déclaré dans le compromis de vente ne pas être en état de cessation des paiements, il ressort de la publication du BODACC du jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de cette société qu'elle se trouve en état de cessation des paiements depuis le 1er avril 2023 soit depuis près de 5 mois lorsqu'elle a signé le compromis de vente.
Il est incontestable que les conditions prévues par le compromis de vente tenant à l'existence d'un droit au bail, aux conditions financières de la location commerciale et à la consistance des locaux du fonds de commerce cédé constituaient des conditions essentielles et déterminantes ayant conduit la société O Chats à signer le compromis de vente.
Il en résulte que le non respect de ces conditions déterminantes par la société Tico rend légitime la rétractation de l'offre d'achat formé par la société O Chats. Il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise et d'autoriser cette dernière à rétracter son offre d'acquisition du fonds de commerce dépendant de la liquidation judiciaire de la société Tico formalisée selon compromis de vente des 22 et 30 août 2023.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
L'équité commande de laisser chaque partie supporter les frais de procédure exposés dans le cadre de la présente instance, les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile étant rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Rejette les moyens de nullité, de caducité et d'irrecevabilité d'appel ;
Infirme l'ordonnance du 25 mars 2024 rendue par le juge commissaire du tribunal de commerce de Troyes ;
Statuant à nouveau ;
Autorise la société O Chats à rétracter son offre d'acquisition du fonds de commerce dépendant de la liquidation judiciaire de la société Tico formalisée selon compromis de vente des 22 et 30 août 2023 ;
Dit que les dépens de première instance et d'appel sont employés en frais privilégiés de procédure collective;
Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier La présidente
du 15 octobre 2024
N° RG 24/00735 - N° Portalis DBVQ-V-B7I-FPST
S.A.R.L. O CHATS
c/
S.E.L.A.R.L. SELARL MJ & ASSOCIES
Commune [Localité 8]
S.A.R.L. TICO
Formule exécutoire le :
à :
la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES
la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 15 OCTOBRE 2024
APPELANTE :
d'une ordonnance rendue le 25 mars 2024 par le Juge-commissaire du tribunal de commerce de TROYES
La S.A.R.L. O Chats, société à responsabilité limitée immatriculée au RCS sous le N° 815 031 521 dont le siège social est [Adresse 5] à [Localité 9], agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié de droit au siège social
Représentée par Me Florence SIX de la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS
INTIMEES :
La SELARL MJ & ASSOCIES, Société d'exercice libéral à responsabilité limitée ayant son siège social [Adresse 4], prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit audit siège, prise en la personne de Maître [G] [R], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL TICO, nommée à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de TROYES du 14 novembre 2023
Représentée par Me Mélanie CAULIER-RICHARD de la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS
La Commune [Localité 8], prise en la personne de son Maire en exercice, domcilié en cette qualité à l'Hôtel de Ville de la Commune, situé [Adresse 3]
Représentée par Me Pierre DEVARENNE de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE
La S.A.R.L. Tico, société à responsabilité limitée immatriculée au RCS sous le n° 912 717 170 dont le siège social est [Adresse 6] à [Localité 8], prise en la personne de ses représentants légaux, Monsieur [B] [S] et Madame [L] [F] domiciliés [Adresse 2] à [Localité 7]
Non comparante, ni représentée, bien que régulièrement assignée
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Sandrine PILON, conseillère
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée
GREFFIER :
Madame Jocelyne DRAPIER, greffière lors des débats
Monsieur Rémy VANDAME, greffier lors de la mise à disposition
DEBATS :
A l'audience publique du 09 septembre 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 15 octobre 2024
ARRET :
Réputé contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2024 et signé par Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre, et Monsieur Rémy VANDAME, greffier placé, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Par acte sous seing privé des 22 et 30 août 2023,les sociétés Tico et O Chats ont signé un compromis de vente aux termes duquel cette dernière s'engageait à acquérir de la première un fonds de commerce de restauration situé à [Localité 8].
Par jugement du 14 novembre 2023 le tribunal de commerce de Troyes a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Tico, la SELARL MJ & Associés prise en la personne de Me [R] étant désignée liquidateur judiciaire.
Le 12 mars 2024 le liquidateur judiciaire a saisi le juge commissaire aux fins d'être autorisé à céder le fonds de commerce à la société O Chats sur le fondement du compromis de vente.
Par ordonnance du 25 mars 2024 le juge commissaire du tribunal de commerce de Troyes a fait droit à cette requête et autorisé la société MJ & Associés ès qualités à céder à la société O Chats le fonds de commerce de restauration traditionnelle située [Adresse 1] à [Localité 8] moyennant la somme de 50 000 euros étant précisé que l'acquéreur avait versé avant l'ouverture de la procédure la somme de 10 000 euros à titre d'acompte.
Par déclaration du 6 mai 2024, la société O Chats a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 30 août 2024 elle demande à la cour de :
- juger son appel régulier,
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a, avec toutes conséquences, autorisé la société MJ & Associés ès qualités à lui céder le fonds de commerce de restauration moyennant le prix de 50 000 euros et une entrée en jouissance dès la notification de l'ordonnance,
- statuant à nouveau,
- autoriser la société O Chats à rétracter son offre d'acquisition du fonds de commerce dépendant de la liquidation judiciaire de la société Tico formalisée selon compromis de vente des 22 et 30 août 2023,
- subsidiairement juger n'y avoir lieu à autorisation de la vente du fonds de commerce de restauration traditionnelle dépendant de la liquidation de la société Tico à la société O Chats et débouter le liquidateur judiciaire de sa demande en ce sens,
- très subsidiairement pour le cas où la cession serait maintenue, juger le dépôt de garantie de 10 000 euros versé lors de la signature du compromis satisfactoire à titre de paiement du prix et fixer l'entrée en jouissance au jour de la signature de l'acte de vente,
- en toute hypothèse,
- débouter les intimés de toute demande contraire,
- condamner la société MJ & Associés ès qualités au paiement d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.
Elle fait valoir à l'appui de ses prétentions que sa déclaration d'appel est régulière et son appel n'est pas caduc.
Sur le fond elle soutient que s'il est constant que la vente de gré à gré d'un élément d'actif mobilier du débiteur en liquidation judiciaire est parfaite dès l'ordonnance du juge commissaire qui l'autorise, le cessionnaire est fondé à retirer l'offre d'achat s'il justifie d'un motif légitime tiré de la non réalisation des conditions dont son offre était assortie ; qu'il existait plusieurs conditions figurant au compromis de vente tenant au fait que l'acquisition du fonds de commerce comprenait notamment la clientèle et le droit au bail et que le cédant ne devait pas être en état de cessation des paiements.
Elle ajoute que le compromis mentionnait au titre de la désignation des locaux loués un bâtiment principal et un local de rangement séparé ; que pourtant ce local séparé n'est plus disponible de sorte que la surface initialement prévue au compromis est réduite.
Elle explique qu'eu égard à l'absence d'éléments d'actifs nécessairement essentiels et à la modification des conditions de la vente que renfermait le compromis le liquidateur manquerait à son obligation de délivrance conforme en cédant le fonds de commerce de la société Tico.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 2 septembre 2024 la société MJ & Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Tico ( le liquidateur) demande à la cour de :
- déclarer nulle la déclaration d'appel et les conclusions d'appel,
- déclarer caduc l'appel de la société O Chats,
- subsidiairement,
- déclarer irrecevable l'appel interjeté par la société O Chats,
- très subsidiairement,
- déclarer irrecevable la nouvelle demande d'infirmation du chef de la date d'entrée en jouissance du fonds de commerce pour la voir fixer au jour de la signature de l'acte de vente,
- déclarer la société O Chats mal fondée en son appel et l'en débouter,
- en tout état de cause,
- confirmer l'ordonnance du juge commissaire rendue le 25 mars 2024,
- condamner la société O Chats à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Elle invoque la nullité et la caducité de la déclaration d'appel au visa de l'article 114 du code de procédure civile déclarant que la société O Chats a été rachetée par la société Chats Associés de sorte que le commissaire de justice n'a pas pu signifier son acte à l'adresse déclarée de la société O Chats.
Elle soutient que l'appel est irrecevable car il est formé contre une ordonnance rendue par le juge commissaire qui n'est susceptible d'aucune rétractation ; que l'ordonnance attaquée est donc définitive et l'offre de reprise de l'entreprise en liquidation judiciaire ne peut être modifiée ni retirée car elle lie son auteur.
Elle ajoute qu'il n'est pas établi que la société serait dépourvue de clientèle ; que le bail s'est poursuivi par tacite reconduction ; que par courrier du 4 janvier 2024 la société O Chats a informé le liquidateur que les conditions suspensives étaient levées et a donné tous les éléments permettant de finaliser la vente ; qu'elle n'a manifesté son souhait de se rétracter de la vente qu'après l'ordonnance du juge commissaire alors qu'elle a confirmé son souhait d'acheter le fonds de commerce après avoir été informée de la procédure collective survenue postérieurement à la signature du compromis.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 31 juillet 2024 la commune de [Localité 8] demande à la cour de constater qu'elle s'en rapporte à justice et de laisser les dépens à la charge de la partie qui succombe.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 septembre 2024 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 9 septembre suivant.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur la nullité et la caducité de l'appel
Le liquidateur invoque au visa de l'article 114 du code de procédure civile la nullité de la déclaration d'appel, des conclusions d'appel et la caducité de l'appel et soutient que la société Chats Associés a racheté la société O Chats en janvier 2023 et que la similitude de domiciliation et ce rachat créent une confusion et ne permettent pas de signifier et d'exécuter l'ordonnance dont appel.
Le rachat de la société O Chat par la société Chats Associés n'est nullement établi et dénié par la société O Chat qui justifie de sa domiciliation à l'adresse qu'elle a indiqué dans sa déclaration d'appel, cette dernière ayant été effectuée selon les règles applicables en la matière. Le fait qu'une autre société soit domiciliée à la même adresse que celle de la société O Chats ne peut en soi entraîner une quelconque confusion quant au lieu auquel il doit lui être signifié un acte de procédure. Le moyen de nullité invoqué ne peut donc prospérer et aucune caducité de la déclaration d'appel n'est encourue, les dispositions de l'article 905-2 du code de procédure civile ayant été respectées.
- sur la recevabilité de l'appel
Le liquidateur soutient que l'appel interjeté par la société O Chats est irrecevable car il a été formé contre une ordonnance rendue par le juge commissaire qui n'est pas susceptible d'aucune rétractation selon la loi et la jurisprudence. Il ajoute que l'ordonnance dont appel est définitive puisque l'offre de reprise de l'entreprise en liquidation judiciaire ne peut être modifiée ni retirée et qu'elle lie son auteur.
La société O Chats est fondée à lui répondre que l'ordonnance rendue par le juge commissaire du tribunal judiciaire de Troyes le 25 mars 2024 n'est pas définitive puisqu'elle en a interjeté appel dans les formes et délais applicables en la matière. De plus l'appel ne tend pas à la rétractation de l'ordonnance querellée mais à son infirmation. En conséquence le moyen d'irrecevabilité de l'appel est mal fondé et doit être rejeté.
- sur le fond
Si la vente de gré à gré d'un élément d'actif du débiteur en liquidation judiciaire n'est réalisée que par l'accomplissement d'actes postérieurs à l'ordonnance rendue en application de l'article L 642-19 du code de commerce, comme c'est le cas en l'espèce, celle-ci n'est parfaite dès l'ordonnance que sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée. Le cessionnaire peut refuser de procéder à la vente ordonnée en retirant l'offre d'achat retenue par le juge commissaire s'il justifie d'un motif légitime tiré de la non-réalisation des conditions dont il avait pu assortir son offre.
En l'espèce la société O Chats demande l'autorisation de rétracter sa proposition d'acquisition du fonds de commerce de la société Tico qu'elle avait formulé dans le compromis de vente daté des 22 et 30 août 2023 qu'elle verse aux débats.
Ce compromis de vente stipule que le fonds de commerce comprend notamment le droit au bail moyennant un loyer de 1 352,08 euros HT par mois ; que s'agissant de la désignation des locaux loués l'acte indique un bâtiment principal (local de rangement, local à usage de cuisine, deux salles de restaurant, un emplacement bar, un bureau, une cave) et un local de rangement séparé au sud du bâtiment, le tout d'une surface de 307 m². De plus dans cet acte le cédant déclare 'qu'il n'est pas et n'a jamais été en état de faillite, liquidation de biens, liquidation judiciaire, règlement judiciaire, redressement judiciaire, cessation des paiements et qu'il n'a pas bénéficié des dispositions du décret du 29 août 1937 sur le règlement amiable homologué'.
La société O Chats justifie que plusieurs conditions prévues dans le compromis de vente qu'elle a signé ne sont pas respectées. Ainsi les locaux objet de l'acte ne sont plus les mêmes puisque le propriétaire des lieux loués a décidé que le local de rangement séparé du bâtiment principal ne sera plus disponible, celui-ci étant totalement inutilisable, la preuve étant d'ailleurs rapportée que ce local est 'entièrement saccagé' et que les portes ont été 'fracassées' selon les termes utilisées par le commissaire de justice dans son procès verbal de constat daté du 18 juin 2024. Par ailleurs le bâtiment principal destiné à accueillir les clients est concerné par un arrêté préfectoral d'urgence pour la santé publique daté du 25 octobre 2023 relativement à des 'dangers sanitaires ponctuels et imminents pour le voisinage', le liquidateur ne justifiant pas que cette décision administrative a été portée à la connaissance de l'acquéreur potentiel.
De surcroît alors que la surface louée s'avère être inférieure à celle indiquée dans le compromis de vente compte tenu de l'absence de local de rangement, il est établi que le bailleur a informé la société O Chats que le loyer serait relevé pour être porté à la somme mensuelle de 1 850 euros après signature d'un nouveau bail puisque le bail commercial le liant à la société Tico expirait le 31 mars 2024, l'expiration de ce bail ne permettant ainsi pas à la société Tico de céder son droit au bail contrairement à ce qui est stipulé dans le compromis signé avec la société O Chats.
Enfin alors que la société Tico a déclaré dans le compromis de vente ne pas être en état de cessation des paiements, il ressort de la publication du BODACC du jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de cette société qu'elle se trouve en état de cessation des paiements depuis le 1er avril 2023 soit depuis près de 5 mois lorsqu'elle a signé le compromis de vente.
Il est incontestable que les conditions prévues par le compromis de vente tenant à l'existence d'un droit au bail, aux conditions financières de la location commerciale et à la consistance des locaux du fonds de commerce cédé constituaient des conditions essentielles et déterminantes ayant conduit la société O Chats à signer le compromis de vente.
Il en résulte que le non respect de ces conditions déterminantes par la société Tico rend légitime la rétractation de l'offre d'achat formé par la société O Chats. Il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise et d'autoriser cette dernière à rétracter son offre d'acquisition du fonds de commerce dépendant de la liquidation judiciaire de la société Tico formalisée selon compromis de vente des 22 et 30 août 2023.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
L'équité commande de laisser chaque partie supporter les frais de procédure exposés dans le cadre de la présente instance, les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile étant rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Rejette les moyens de nullité, de caducité et d'irrecevabilité d'appel ;
Infirme l'ordonnance du 25 mars 2024 rendue par le juge commissaire du tribunal de commerce de Troyes ;
Statuant à nouveau ;
Autorise la société O Chats à rétracter son offre d'acquisition du fonds de commerce dépendant de la liquidation judiciaire de la société Tico formalisée selon compromis de vente des 22 et 30 août 2023 ;
Dit que les dépens de première instance et d'appel sont employés en frais privilégiés de procédure collective;
Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier La présidente