CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 11 octobre 2024, n° 22/09688
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Micronor (SAS)
Défendeur :
Neurelec (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ardisson
Conseillers :
Mme L'Eleu de la Simone, Mme Guillemain
Avocats :
Me Vignes, Me Meunier
FAITS ET PROCEDURE
La SAS Micronor exerce une activité dans le secteur des technologies de pointe de composants électroniques, consistant notamment dans l'assemblage de matériaux composés de céramique et de métal.
La SAS Neurelec conçoit et fabrique des systèmes d'implants auditifs. Celle-ci a fait appel, durant plusieurs années, à la société Micronor, afin de procéder à l'assemblage de matériaux et composants préalablement fournis.
Le 28 janvier 2016, la société Neurelec a passé commande auprès de la société Micronor de 1.200 unités de corps céramiques brasés, pour le prix de 264.600 €, en vue de la fabrication d'implants portant la référence « SP » ; les livraisons des pièces devaient être échelonnées jusqu'au mois de novembre 2016.
Compte tenu de l'apparition sur le marché d'une nouvelle gamme d'implants auditifs « XP », la société Neurelec a souhaité modifier les délais d'approvisionnement, afin de tenir compte de la baisse consécutive des commandes d'implants « SP ».
Le 25 avril 2016, la société Micronor a accepté de conclure, en conséquence, un avenant prévoyant un allongement des délais de livraison jusqu'en septembre 2017, ainsi qu'une légère hausse des unités commandées, le prix étant révisé à hauteur de 265.482 €.
Au cours du premier trimestre 2017, la société Neurelec a sollicité une nouvelle prorogation des délais, à laquelle la société Micronor a opposé un refus, par courrier du 14 mars 2017, et sollicité l'approvisionnement des composants nécessaires à la fabrication des pièces commandées pour le mois de mai 2017.
La société Neurelec a cessé, par la suite, de fournir ces composants à la société Micronor.
Suivant exploit du 15 février 2018, la société Micronor a fait assigner la société Neurelec devant le tribunal de commerce de Paris, afin d'obtenir le paiement du reliquat du prix des produits commandés, le remboursement d'investissements, ainsi que l'indemnisation du préjudice né de la rupture brutale d'une relation commerciale établie.
Par jugement en date du 28 mars 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société Neurelec à payer à la société Micronor la somme de 59.755,50 € HT, majorée des intérêts au taux légal calculés à compter du 1er janvier 2018, au titre du reliquat du prix des pièces commandées,
- débouté la société Micronor de sa demande d'astreinte,
- débouté la société Micronor de sa demande au titre d'investissements à rembourser,
- débouté la société Micronor de sa demande au titre d'une brutalité de rupture de relation commerciale,
- débouté la société Neurelec de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société Neurelec à payer à la société Micronor la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- condamné la société Neurelec aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 71,35 € dont 11,68 € de TVA.
La société Micronor a formé appel partiel du jugement, par déclaration du 17 mai 2022.
Par conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats, le 16 novembre 2022, la société Neurelec a interjeté un appel incident.
Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 16 février 2023, la SAS Micronor demande à la Cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5°, et III du code de commerce et de l'article 1103 du code civil, de :
« Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- Débouté la SAS MICRONOR de sa demande au titre d'investissements à rembourser ;
- Débouter la SAS MICRONOR de sa demande au titre d'une brutalité de rupture de relations commerciales
Statuant à nouveau :
- Condamner la société NEURELEC à payer à la société MICRONOR de la somme de 333.172,12 € à la société MICRONOR en remboursement au titre des investissements effectués en vain ;
- Condamner la société NEURELEC à verser à la société MICRONOR 63.194 € en réparation du préjudice subi au titre de la rupture brutale des leurs relations commerciales ;
- Condamner la société NEURELEC à payer à la société MICRONOR la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la société NEURELEC au paiement des entiers dépens ;
Débouter la société NEURELEC de son appel incident et de toutes ses demandes.
Confirmer le jugement en ce qu'il :
- CONDAMNE la société NEURELEC à payer la société MICRONOR la somme de 59.755,50 euros HT, majorée des intérêts au taux légal calculés à compter du 1er janvier 2018 ;
- DEBOUTE la société NEURELEC de sa demande reconventionnelle ;
- CONDAMNE la société NEURELEC à payer à la société MICRONOR la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNE la société NEURELEC aux dépens. »
Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 5 mars 2024, la SAS Neurelec demande à la Cour, sur le fondement des articles 1147 et suivants du code civil dans leur rédaction antérieure au 1er octobre 2016, de l'article L. 442-6 du code de commerce dans sa rédaction antérieure au 26 avril 2019, et des articles 699 et 700 du code de procédure civile, de :
« DEBOUTER la société MICRONOR de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Paris le 28 mars 2022 en ce qu'il a :
- DEBOUTE la société MICRONOR de sa demande au titre d'investissements à rembourser ;
- DEBOUTE la société MICRONOR de sa demande au titre d'une brutalité de rupture de relation commerciale.
REFORMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Paris le 28 mars 2022 en ce qu'il a :
- CONDAMNE la société NEURELEC à payer la société MICRONOR la somme de 59.755,50 euros HT, majorée des intérêts au taux légal calculés à compter du 1er janvier 2018 ;
- DEBOUTE la société NEURELEC de sa demande reconventionnelle ;
- CONDAMNE la société NEURELEC à payer à la société MICRONOR la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNE la société NEURELEC aux dépens.
Et STATUANT à nouveau :
- DEBOUTER la société MICRONOR de sa demande tendant au paiement de la somme de 59.755,50 euros HT majorée des intérêts au taux légal calculés à compter du 1er janvier 2018 ;
- CONDAMNER la société MICRONOR à payer à la société NEURELEC la somme de 59.755,50 euros HT, soit 71.706,60 TTC payée par la société NEURELEC en exécution du jugement outre 2.129,27 euros payés au titre des intérêts légaux ;
- CONDAMNER la société MICRONOR à payer à la société NEURELEC la somme de 40.650 euros au titre de la perte de composants ;
CONDAMNER la société MICRONOR à payer la somme de 5.000 euros à la société NEURELEC sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la société MICRONOR aux entiers dépens de l'instance. »
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 avril 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de la société Micronor en paiement du reliquat de prix de la commande
Enoncé des moyens
La société Micronor estime que la commande passée par la société Neurelec était fermée et non ouverte. Elle invoque, pour preuve, la signature de l'avenant modificatif, ayant requis l'accord des deux parties. Elle ajoute qu'elle était tenue, selon l'article 15 du cahier des charges, de se conformer aux quantités et aux délais mentionnés dans les accords conclus avec la société Neurelec, qui avait l'obligation, en contrepartie, de lui fournir les pièces en quantité suffisante destinées à finaliser la production. Or, selon elle, la société Neurelec a interrompu les approvisionnnements nécessaires pour fabriquer 271 pièces résiduelles, sur les 1204 pièces commandées. Elle estime, en conséquence, que la société Neurelec reste tenue de lui régler le reliquat du prix de la commande.
La société Neurelec prétend inversement que la commande litigieuse était ouverte, compte tenu du devis établi par la société Micronor, le 24 juin 2014, qui prévoyait que les prix et les quantités pourraient être modifiés. Elle explique qu'elle aurait soldé le prix de la commande, pourvu que la société Micronor ait accepté de modifier les délais de livraison, et qu'en tout état de cause les pièces n'ont jamais été fabriquées. Elle soutient que celle-ci se trouvait, de toute façon dans l'impossibilité d'assurer leur livraison dans le délai imparti, en raison du déménagement des locaux de son sous-traitant.
Réponse de la Cour
Selon l'article 1315, devenu l'article 1353, du code civil, « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »
Il incombe à celui qui demande le paiement d'une prestation d'établir, d'une part, qu'elle lui a été commandée et, d'autre part, qu'il l'a exécutée.
Dans le cas présent, le bon de commande daté du 28 janvier 2016, porte sur 1.200 unités de corps céramiques brasés. Il précise que les livraisons interviendront selon un calendrier précis, au cours des mois de février à novembre 2016, à raison d'un nombre défini de pièces, variant en fonction des mois, dont le prix unitaire est indiqué.
Selon un avenant n° 2 (non daté), le nombre de pièces commandées a été porté à 1.204, avec un allongement des délais de livraison prévus jusqu'au mois de septembre 2017.
Comme l'a relevé le tribunal, les termes figurant sur le bon de commande et son avenant, en ce qu'ils portent sur des quantités de pièces précisément définies, devant être livrées à des dates fixes, révèlent que la société Neurelec a entendu passer à la société Micronor une commande fermée, valant engagement irrévocable de sa part, ce que confirme la formalisation d'un avenant modifiant la quantité et le cadencement des livraisons.
Il est constant qu'à la suite du refus de la société Micronor de modifier à nouveau les délais de livraison convenus, la société Neurelec a cessé de lui fournir les composants nécessaires pour fabriquer le restant des pièces, bien que son cocontractant lui ait adressé une relance dans son courrier du 14 mars 2017.
Pour soutenir qu'il s'agirait d'une commande ouverte, la société Neurelec produit un devis établi le 24 juin 2014, prévoyant un réajustement du prix, à l'issue d'une période de douze mois, en fonction des quantités commandées. Néanmoins, la commande litigieuse ne correspond pas à ce devis, dont la durée de validité, d'un an, était expirée au jour de la signature du bon de commande du 28 janvier 2016.
Il s'ensuit que la société Micronor n'était pas tenue d'accepter la nouvelle demande d'étalement des livraisons de la société Neurelec.
Celle-ci échoue également à rapporter la preuve que le refus de la société Micronor aurait eu pour cause son incapacité à livrer les pièces pour l'année 2017, l'article de presse qu'elle verse aux débats, relatif au déménagement de son sous-traitant, étant dénué de toutes précisions utiles sur ce point.
Il n'en demeure pas moins que la société Micronor n'a pas exécuté les prestations dont elle sollicite le paiement, les pièces commandées n'ayant été ni fabriquées ni livrées, de sorte qu'elle n'apparaît pas fondée à solliciter le paiement du prix correspondant.
La sanction de l'inexécution de l'obligation de livrer les composants nécessaires à la fabrication des pièces est tout au plus susceptible d'être sanctionnée par la résolution du contrat et/ou des dommages et intérêts, que la société Micronor ne sollicite pas. Cette dernière ne pourra ainsi qu'être déboutée de sa demande en paiement.
Le jugement sera ainsi infirmé du chef de la condamnation qu'il a prononcée à l'encontre de la société Neurelec.
Sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie
Enoncé des moyens
La société Micronor se prévaut de l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties, ayant débuté en 2008, d'une durée de près de dix années. Elle estime avoir été victime d'une rupture brutale de cette relation, au sens des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, s'étant manifestée en deux temps, du fait du ralentissement du rythme de la production formalisé dans l'avenant au bon de commande du 28 janvier 2016, puis de l'arrêt d'approvisionnement des pièces, au printemps 2017. Elle explique que, pour la convaincre d'accepter un allongement des délais d'approvisionnement de la commande, passée en 2016, la société Neurelec l'avait assurée du lancement d'un processus de qualification de nouveaux matériels, tout en lui promettant de l'associer à la pré-industrialisation des produits « XP », alors qu'elle envisageait d'ores et déjà d'interrompre la relation. Elle fait valoir que la société Neurelec ne lui a notifié aucun préavis. Elle évalue son préjudice, sur la base d'un préavis de douze mois, en tenant compte de la brutalité de chacune des deux ruptures intervenues.
Pour sa part, la société Neurelec prétend que la société Micronor a pris elle-même l'initiative de la rupture, en refusant de modifier les délais de livraison. Elle conteste avoir accepté les contreparties évoquées par la société appelante, en soulignant qu'elle ne lui avait fait aucune promesse d'association au processus de pré-industrialisation. Elle expose qu'elle a subi les effets de l'évolution du marché, comme la société Micronor, qui n'était pas qualifiée pour travailler sur les implants « XP », et qu'une procédure de qualification aurait nécessité plusieurs années au regard des normes applicables en la matière. Elle ajoute que le refus de la société Micronor, en mars 2017, de poursuivre la relation contractuelle est, en réalité, lié au déménagement des locaux de son sous-traitant, en Bretagne, ce qui l'aurait empêché de continuer à fournir sa prestation à partir du mois de juin 2017.
Réponse de la Cour
Selon l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, applicable au jour de la rupture litigieuse, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
- Sur l'existence d'une relation commerciale établie
Une relation commerciale établie présente un caractère suivi, stable et habituel et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.
Dans le cas présent, la société Neurelec ne conteste pas que les parties entretenaient une relation commerciale, établie depuis l'année 2008, dont elle ne remet pas en cause le caractère suivi, stable et habituel.
Contrairement à ce que soutient la société Micronor, la modification de la commande du 28 janvier 2016, qu'elle a accepté dans l'avenant n° 2, prévoyant un allongement des délais de livraison sur une durée de moins d'un an, ne s'analyse pas en une rupture partielle de la relation, à défaut d'être substantielle.
La rupture de la relation commerciale est, néanmoins, intervenue à compter du premier trimestre 2017, la société Neurelec ayant cessé de fournir les composants nécessaires à la fabrication des pièces par la société Micronor, à compter du mois de mars 2017, mettant ainsi fin au contrat, sans renouveler aucune commande par la suite.
A la date de la rupture, la relation commerciale était ainsi établie depuis plus de neuf ans.
Il est, par ailleurs, constant que la société Micronor n'a bénéficié d'aucun délai de préavis.
- Sur l'imputabilité de la rupture
Il résulte des dispositions du texte susvisé que le principe de la responsabilité de l'auteur de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de cette relation, ne souffre d'exception qu'en cas de force majeure ou d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, suffisamment grave pour justifier la rupture unilatérale immédiate de la relation (Com., 14 octobre 2020, n° 18-22.119, inédit).
Il est exact que l'allongement du calendrier de livraison, sollicité par la société Neurelec, était consécutif à la baisse des commandes des implants SP, dont les stocks étaient difficiles à écouler, et que la fabrication de ces implants n'était plus économiquement viable, ce que ne conteste pas la société Micronor.
Cependant, la rupture de la relation commerciale ne se justifiait qu'autant que la société Micronor n'aurait pas disposé des moyens techniques de fabriquer les nouveaux implants « XP », désormais commercialisés par la société Neurelec. Or, il résulte du courrier du 14 mars 2017, adressé par la société Micronor, que celle-ci avait sollicité la société Neurelec sans succès, afin d'être associée aux phases de pré-industrialisation du produit XP. La société Neurelec reconnaît ainsi que les contreparties évoquées dans ce courrier lui avaient été soumises depuis longtemps, mais qu'elles n'avaient jamais fait l'objet d'une acceptation de sa part.
Dans sa lettre du 3 avril 2017 précédant immédiatement la rupture, la société Neurelec conteste l'existence d'un quelconque engagement ferme, et ne fait pas non plus état de perspectives d'évolution de la relation.
Elle ne démontre pas, pour autant, à défaut d'autre explication, son incapacité à suivre et financer la qualification nécessaire de la société Micronor ni que la procédure à suivre aurait été trop longue.
Enfin, comme il a été dit, la société Micronor était fondée, de son côté, à s'opposer à un allongement supplémentaire des délais contractuellement prévus.
Il n'est donc pas établi que, malgré les contraintes économiques liées à la baisse des commandes des implants SP, la pérennité de la relation ne pouvait pas être envisagée.
Le moyen tiré d'un prétendu déséquilibre significatif, au sens de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, dans sa version alors en vigueur, est, par suite, inopérant.
La Cour dira que l'imputabilité de la rupture incombe, en conséquence, à la société Neurelec.
- Sur le caractère brutal de la rupture
Il résulte de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce que le préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances notamment de l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée (Com., 20 mai 2014, n° 13-16.398, publié au Bulletin).
Le préavis vise à permettre au partenaire évincé de préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Outre l'ancienneté des relations, les principaux critères à prendre en considération, pour apprécier la durée suffisante du préavis, sont la dépendance économique, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
Comme il a été dit, la durée de la relation commerciale établie était, en l'espèce, d'un peu plus de neuf ans, au jour où de la rupture. Il doit ainsi être tenu compte, avant tout, de l'ancienneté importante de cette relation. La société Micronor ne donne, pour autant, aucune explication quant à un éventuel état de dépendance économique.
Au regard de ces éléments, la durée suffisante du préavis sera estimée à dix mois.
En s'abstenant de concéder un quelconque préavis, la société Neurelec s'est ainsi rendue responsable d'une rupture brutale de la relation commerciale établie ouvrant droit à indemnisation.
- Sur la réparation du préjudice résultant de la brutalité de la rupture
Lorsque le préavis accordé est insuffisant, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugé nécessaire (Com., 9 juillet 2013 n° 12-20.468, publié au Bulletin).
Sont seuls indemnisables, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, les préjudices découlant de la rupture et non la rupture elle-même (Com., 10 février 2015, n° 13-26.414, publié au Bulletin).
Le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (Com., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-16.940, publié au Bulletin).
Compte tenu de la durée importante de la relation commerciale et de l'allongement des délais de livraison, durant l'exercice 2016, il y a lieu de se référer au montant du chiffre d'affaires réalisé par la société Micronor avec la société Neurelec durant les trois dernières années antérieures, soit 198.000 € en 2013, 139.000 € en 2014 € et 174.000 € en 2015, correspondant à une moyenne de 170.333 € par an.
La société appelante ne fournit aucune attestation d'expert-comptable afférente au taux de marge brute. Comme le fait valoir la société Neurelec, le taux de marge médian résultant des statistiques de l'INSEE, pour l'année 2021, n'apparaît pas pertinent.
En considération du secteur considéré de la métallurgie et des éléments dont dispose la Cour, il sera fait application d'un taux de marge brute de 30 % à son revenu moyen.
Le préjudice sera ainsi évalué selon le calcul suivant :
(170.333 / 12 X 30 %) X 10 mois = 42.583,25 €
Le jugement sera corrélativement infirmé du chef du rejet de la demande d'indemnisation de la société Micronor.
Sur la demande de la société Micronor en remboursement de ses investissements
Enoncé des moyens
La société Micronor explique qu'elle a dû effectuer d'importants investissements afin d'être en mesure de répondre aux commandes de la société Neurelec. Elle précise qu'elle a ainsi procédé à l'acquisition d'une machine de pulvérisation sous vide, à la demande de la société Neurelec, dont l'installation a nécessité l'aménagement de ses locaux, en sus d'outillages de métallisation spécifiques, et qu'elle conserve un stock de brasures qui ne peut être utilisé pour le compte d'autres clients. Elle sollicite, en conséquence, le remboursement des investissements, qu'elle indique avoir réalisés en pure perte.
La société Neurelec souligne que la société Micronor sollicite des dommages et intérêts d'un montant plus important qu'en première instance, ce dont elle déduit que sa demande est irrecevable. Sur le fond, elle réplique que la réalité des investissements n'est pas démontrée, pas plus que leur lien avec les commandes litigieuses.
Réponse de la Cour
Selon l'article 564 du code de procédure civile, « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. »
La société Micronor sollicitait, en première instance, le remboursement d'une somme de 301.500 € au titre de ses investissements réalisés afin de répondre aux commandes de la société Neurelec. Elle élève cette prétention devant à la Cour à 333.172,12 €. La demande de paiement portant sur la différence de 31.672,12 € est donc irrecevable, en cause d'appel, comme étant nouvelle.
Sur le fond, force est de constater que, s'agissant de la machine de pulvérisation sous vide, la société Micronor ne produit aucun élément justifiant qu'elle aurait été incitée à procéder à son acquisition par la société Neurelec ni que cet appareil aurait servi uniquement à la fabrication des implants. En tout état de cause, elle communique uniquement une offre d'achat du 4 février 2016, suivi d'un courrier d'acceptation du 22 février suivant, mais ne produit aucune facture justifiant de son acquisition et de sa livraison. De surcroît, comme le souligne la société Neurelec, cette machine devait être livrée dans un délai de six mois à compter de la commande, soit à la fin du mois d'août 2016, de sorte que son acquisition ne pouvait pas être un pré-requis à l'exécution de la commande du 28 janvier 2016, prévoyant que les livraisons débuteraient au mois de février suivant.
Les investissements que la société Micronor indique avoir réalisés, en vue de l'installation de cette machine, qui consistent en des travaux de réaménagement des locaux, de peinture, de réfection des sols ou encore de climatisation, facturés entre le mois de juillet 2016 et le mois de juin 2017, sont eux-mêmes sans lien avec les commandes passées par la société Neurelec.
La société appelante ne démontre pas non plus, faute de toute explication, que les outillages, acquis et facturés au mois de janvier 2017, n'étaient pas susceptibles d'être utilisés pour le compte de clients, autres que la société Neurelec.
Enfin, elle ne justifie pas avoir dû conserver un stock de brasures or.
Le jugement sera, dès lors, confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de remboursement d'investissements.
Sur la demande de la société Neurelec au titre de la perte de composants
Enoncé des moyens
La société Neurelec prétend que la société Micronor est responsable de la perte de 3.200 composants qu'elle lui a fournis depuis 2016. Elle invoque le bénéfice des stipulations du cahier des charges, qui prévoient que les rebut et/ou pertes de composants devront être justifiés ou à défaut pris en charge par la société Micronor. La perte de ces composants résulte, selon elle, d'une comparaison avec les inventaires mensuels communiqués par celle-ci.
La société Micronor réplique qu'elle a fourni à la société Neurelec l'ensemble des procès-verbaux de contrôle et que les rebuts sont justifiés.
Réponse de la Cour
L'article 14 du cahier des charges liant les parties stipule :
« Chez NEURELEC :
Les pièces sont réceptionnées et contrôlées par le service Contrôle d'Entrée.
Les corps céramique brasés contrôlées non conformes liées à un défaut sur un des composants fournis par Neurelec et présent avant les prestations de grillage, métallisation et brasage seront refusées par NEURELEC. Les couts (sic) des prestations lés à ces non-conformités seront à la charge de Neurelec.
Les pièces contrôlées non conformes liées à la prestation de grillage, métallisation et brasage seront refusées par NEURELEC, les couts des prestations liés à ces non-conformités seront à la charge de M7D (Micronor).
Les rebuts et/ou pertes de composants fournis par Neurelec devront être justifiés et à défaut pris en charge par M7D.
Après expertise, certaines pièces pourront être retournée chez M7D pour retraitement ('). »
Les procès-verbaux mensuels établis par la société Micronor permettent de vérifier que les rebuts étaient techniquement justifiés, de sorte que ceux-ci avaient vocation à rester à la charge de la société Neurelec. Or, la société Neurelec n'a élevé de réclamation après les avoir réceptionnés.
La déclaration de sinistre effectuée par la société Micronor se rapporte, quant à elle, à un incident déclaré à son assureur le 4 décembre 2015, antérieure à la période considérée.
Le tableau récapitulatif des pertes et les tableaux de suivi, établis de façon unilatérale par la société Neurelec, ne permettent pas d'établir a posteriori l'existence d'un écart d'inventaire, justifiant la demande de remboursement, qu'elle a exprimée en cours de procédure.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement, en ce qu'il a déclaré la société Neurelec mal fondée en sa demande.
Sur la restitution des sommes versées par la société Neurelec
Le présent arrêt, infirmatif, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement, si bien qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la société Neurelec portant sur la condamnation de la société Micronor à lui rembourser la somme versée à ce titre.
Sur les autres demandes
La société Neurelec succombant essentiellement au recours, le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.
Statuant de ces chefs en cause d'appel, la Cour la condamnera aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Micronor une indemnité de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a condamné la SAS Neurelec à payer à la SAS Micronor la somme de 59.755,50 € HT, majorée des intérêts au taux légal calculés à compter du 1er janvier 2018, et débouté la SAS Micronor de sa demande au titre du préjudice né de la rupture brutale d'une relation commerciale établie,
STATUANT A NOUVEAU des chefs infirmés,
Y AJOUTANT,
DECLARE irrecevable la demande de la SAS Micronor en paiement de la somme différentielle 31.672,12 € au titre de ses investissements,
REJETTE la demande de la SAS Micronor en paiement du reliquat de prix de la commande,
CONDAMNE la SAS Neurelec à payer à la SAS Micronor la somme de 42.583,25 € en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale d'une relation commerciale établie,
CONDAMNE la SAS Neurelec aux dépens de l'appel,
CONDAMNE la SAS Neurelec à payer à la SAS Micronor la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.