Livv
Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 10 octobre 2024, n° 23/04657

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

LBP Patrimoine (SCI)

Défendeur :

Les 18 Ponts (SAS), Soinne (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbot

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Soreau

Avocats :

Me Talleux, Me Berne, Me Dorchies

CA Douai n° 23/04657

9 octobre 2024

M. et Mme [G] étaient propriétaires d'un immeuble à usage de bar, tabac et jeux situé [Adresse 4], ainsi que de la licence IV attachée à l'immeuble.

Le 17 janvier 2014, ils ont consenti à Mme [D] un bail commercial portant sur cet immeuble, pour une durée de 9 ans, du 17 janvier 2014 jusqu'au 16 janvier 2023. Ce bail conférait au preneur le droit d'exploiter, à titre gratuit, la licence IV attachée au local pendant toute la durée du bail et ses renouvellements.

Le 17 février 2017, Mme [D] a cédé son fonds de commerce à la société Les 18 Ponts.

Par un acte authentique du 28 janvier 2020, M. et Mme [G] ont vendu à la société LBP patrimoine (la société LBP) l'immeuble donné à bail et la licence IV y attachée.

Par un jugement du 2 mai 2022, publié au BODACC le 11 mai suivant, la société Les 18 Ponts a été mise en redressement judiciaire. Le 5 avril 2013, cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire. La société MJS Partners a été successivement désignée en qualité de mandataire judiciaire et de liquidateur.

La société LBP Patrimoine a déclaré sa créance au passif de la procédure collective.

Par un courriel du 18 juillet 2023, la société LBP a vainement revendiqué auprès du liquidateur la licence IV mise à la disposition de la société débitrice, locataire, en exécution du bail.

Par une lettre recommandée du 25 août 2023, la société LBP a demandé au liquidateur la restitution de cette licence, puis réitéré sa requête, en vain, le 29 août suivant.

Par une ordonnance du 29 septembre 2023, le juge-commissaire du tribunal de commerce de Lille métropole a ordonné la vente aux enchères publiques de la licence IV.

Par une lettre recommandée du 5 octobre 2023, la société LBP a saisi le juge- commissaire de sa requête en revendication.

Le 19 octobre 2023 à 10h28, la société LBP a relevé appel de l'ordonnance du 29 septembre 2023, en intimant la société débitrice Les 18 Ponts et son liquidateur (affaire RG n° 23/4655).

Le même jour à 10h50, la société LBP a formé une seconde déclaration d'appel contre cette ordonnance, en intimant la société débitrice Les 18 Ponts, ainsi que son liquidateur et son représentant légal, M. [C] (affaire RG n° 23/4657).

Une ordonnance du conseiller de la mise en état a ordonné la jonction de ces déclarations d'appel et dit que l'instance se poursuivrait sous le RG n° 23/4657.

PRETENTIONS DES PARTIES :

Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 31 mai 2024, la société LBP demande à la cour de :

Vu les articles « 642-10 », L. 642.19 du code de commerce,

* A titre liminaire : juger recevable son recours formé contre l'ordonnance entreprise ;

* A titre principal : annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

' dit que la licence IV serait vendue aux enchères publiques par le ministère d'un commissaire de justice ;

' dit le commissaire de justice remettrait au liquidateur le procès-verbal de la vente dès que celle-ci aurait été opérée ;

' dit que le commissaire de justice devrait transmettre les fonds provenant de la vente au liquidateur dans le mois suivant la vente, ainsi que le décompte de vente reprenant l'ensemble des frais ;

' ordonné la notification l'ordonnance par les soins du greffe à [sans précision dans les conclusions] ;

* A titre subsidiaire : infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

' dit que la licence IV serait vendue aux enchères publiques par le ministère d'un commissaire de justice ;

' dit le commissaire de justice remettrait au liquidateur le procès-verbal de la vente dès que celle-ci aurait été opérée ;

' dit que le commissaire de justice devrait transmettre les fonds provenant de la vente au liquidateur dans le mois suivant la vente, ainsi que le décompte de vente reprenant l'ensemble des frais ;

' ordonné la notification l'ordonnance par les soins du greffe à (sic) ;

Statuant à nouveau :

- rejeter l'ensemble des demandes du liquidateur de la société Les 18 Ponts ;

* En tout état de cause :

- dire qu'elle est propriétaire de la licence IV litigieuse ;

- condamner la société MJS Partners, ès qualités, à lui payer la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité de procédure, ainsi qu'aux dépens.

La société LBP fait valoir, à titre principal, que :

- en droit, la dispense de revendication prévue à l'article L. 624-10 du code de commerce bénéficie à tous les propriétaires de biens mobiliers confiés au débiteur au titre d'un contrat publié ; commet un excès de pouvoir le juge-commissaire qui ordonne la vente du bien d'un tiers ayant fait l'objet d'une publicité (Civ. 3e, 3 févr. 2009, n° 07-18932) ;

- en l'espèce, l'acte authentique du 28 janvier 2020, par lequel elle a acquis à la fois la propriété de l'immeuble et celle de la licence IV, a été publié, avec ses annexes dont le bail commercial, au service chargé de la publicité foncière, conformément à l'article 28 du décret du 4 janvier 1955 ; il existait donc une réglementation particulière justifiant la publication de la cession de cet acte authentique ; la publication de cet acte répond donc aux exigences de l'article R. 624-15 du code de commerce ; aucune règle n'empêche la publication des annexes d'un acte authentique portant sur la cession d'un bien immobilier, ces annexes étant publiées dès lors qu'elles sont nécessaires à l'effectivité de l'acte, ce qui est le cas en l'espèce ;

- en conséquence, son droit de propriété sur la licence IV étant opposable à la procédure collective, le juge-commissaire n'avait pas le pouvoir d'ordonner sa vente ; en le faisant pourtant, il a commis un excès de pouvoir justifiant l'annulation de l'ordonnance entreprise.

A titre subsidiaire, la société LBP soutient que l'ordonnance dont appel doit être infirmée, en application de l'article L. 642-19 du code de commerce, dès lors qu'il résulte de l'acte de propriété que la licence IV litigieuse ne fait pas partie du patrimoine de la société débitrice ; dès lors, la débitrice ne peut la céder.

En tout état de cause, la société LBP soutient que :

- en matière de meubles incorporels, telle une licence IV, la règle de l'article 2276 du code civil, selon lequel « en fait de meuble, la possession vaut titre », ne s'applique pas ; le propriétaire d'un meuble incorporel peut donc toujours revendiquer son droit de propriété ;

- en l'espèce, dès lors qu'elle est propriétaire de la licence IV, acquise par l'acte authentique du 28 janvier 2020, elle « dispose d'un motif légitime pour voir reconnaître son droit de propriété » (p. 14 de ses conclusions).

Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 3 juin 2024, le liquidateur de la société Les 18 Ponts demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance entreprise ;

- rejeter l'ensemble des demandes de la société LBP ;

- condamner la société LBP au paiement de la somme de 3 600 euros à titre d'indemnité de procédure, et aux frais et dépens.

A l'appui, le liquidateur fait valoir que :

- la société LBP ne justifiant pas d'un contrat publié sur l'un des registres visés par l'article R. 624-15 du code de commerce, elle était tenue d'agir en revendication, sans pouvoir bénéficier de la procédure de restitution prévue à l'article L. 624-10 de ce code ;

- la société LBP n'ayant pas revendiqué la propriété de la licence IV dans le délai légal de trois mois prévu à l'article L. 624-9 du code de commerce, sa qualité de propriétaire n'est pas opposable à la procédure collective ; de ce fait, lui, liquidateur, était fondé à demander au juge-commissaire l'autorisation de céder ce bien ;

- c'est en vain que l'appelante objecte que son acte authentique d'acquisition de la propriété de l'immeuble loué et de la licence IV a fait l'objet d'une publicité avec ses annexes, dès lors, elle n'apporte pas la preuve de cette publicité ou, du moins, de la publicité exigée par la loi ; de plus, en vertu de l'article 34 du décret du 4 janvier 1955, la publicité d'une vente autre que judiciaire ne concerne que l'acte, et non ses annexes, parmi lesquelles figure le bail commercial ; ce dernier n'a donc pas été publié, alors que c'est lui qui a mis la licence IV à la disposition de la société débitrice ; peu importe, par conséquent, que l'acte authentique ait été publié au service de la publicité foncière ;

- pour pouvoir bénéficier de la procédure de restitution de l'article L. 624-10, les contrats doivent avoir été publiés selon les dispositions qui leur sont spécifiquement applicables et, à défaut de réglementation particulière, publiés dans les registres mentionnés par l'article R. 624-15 du code de commerce;

- en l'espèce, il n'est pas question de la publication de la vente de l'immeuble entre l'appelante et le précédent propriétaire de la licence IV, mais de celle du bail commercial, contenant la mise à disposition de cette licence ; or, il n'existe pas de règles de publication spécifiques s'appliquant à un bail commercial ; il s'ensuit qu'en application de l'article R. 624-15, pour qu'il y ait dispense de revendication, ce bail doit avoir été publié au registre prévu à l'article R. 521-1 du code de commerce, soit le registre des sûretés immobilières et autres opérations connexes ;

- l'appelante ne peut, pour pallier sa propre carence, tenter de contourner cette obligation en prétendant que le bail commercial a été publié au service de la publicité foncière en tant qu'annexe du contrat de vente du 28 janvier 2020 ;

- la propriété de l'appelante sur la licence IV étant inopposable à la procédure collective, ce bien est entré dans le gage commun, obligeant le liquidateur à le céder ; l'ordonnance entreprise ne peut donc qu'être confirmée en ce qu'elle ordonne la vente de cette licence ;

- le moyen tiré de l'article 2276 du code civil est inopérant, ce texte étant inapplicable à un bien incorporel tel que la licence IV ; de plus, le non-respect de la procédure de revendication permet la vente de l'actif non revendiqué, ce qui rend nécessairement impossible toute action en revendication du propriétaire initial contre l'acquéreur ; autrement dit, l'opposabilité de la propriété du créancier ne peut que s'étendre à l'acquéreur, comme un accessoire de la chose vendue.

***

M. [H] [C], représentant légal de la société débitrice Les 18 Ponts, n'a pas constitué avocat.

Le 20 novembre 2023, la société LBP lui a signifié sa déclaration d'appel, par un acte signifié selon les modalités prévues à l'article 659 du code de procédure civile.

Le 11 juin 2024, elle lui a signifié ses dernières conclusions du 31 mai 2024, par un acte remis à un tiers présent, en application de l'article 658 du même code.

Le présent arrêt sera donc rendu par défaut.

MOTIFS :

A titre liminaire, il importe de relever que le liquidateur ne conteste pas la recevabilité du recours formé par la société LBP.

Ce n'est donc qu'à titre surabondant qu'il sera rappelé que, tel que le soutient à bon droit l'appelante (pp. 6-7 de ses écritures), il résulte de la jurisprudence rendue en application de l'article R. 642-37-3 du code de commerce que la société LBP, en tant que propriétaire de la licence IV dont la cession a été autorisée par le premier juge, est un tiers intéressé bénéficiant du droit de former, contre l'ordonnance entreprise, le recours devant la cour d'appel prévu par ce texte.

1°- Sur les demandes principale et subsidiaire formées par l'appelante

En droit, en cas de liquidation judiciaire, l'article L. 642-19 du code de commerce permet au juge-commissaire d'ordonner la vente aux enchères publiques des biens du débiteur autres que les biens immobiliers.

L'excès de pouvoir, qui peut être défini comme la méconnaissance par le juge de son pouvoir de juger, recouvre notamment l'hypothèse dans laquelle le juge statue au-delà de ses attributions. En particulier, il a déjà été jugé qu'il existe un excès de pouvoir lorsque sont englobés dans un plan de cession des actifs n'appartenant pas au débiteur (Com. 3 mars 1992, n° 90-12602, Bull. n° 103), ou lorsqu'une ordonnance d'un juge-commissaire autorise la vente de biens donnés en crédit-bail qui faisaient l'objet de demandes de restitution (Civ. 3e, 3 févr. 2009, n° 07-18.932).

Par ailleurs, la législation des procédures collectives permet au propriétaire d'un bien de le récupérer selon deux procédures distinctes.

La première d'entre elles est la procédure de revendication, prévue à l'article L. 624-9 du même code, lequel dispose que :

La revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure.

L'action en revendication, qui s'analyse en une action tendant à la reconnaissance du droit de propriété en vue de la restitution du bien (Com. 20 oct. 1992, publié), permet au propriétaire d'un bien de rendre son droit de propriété opposable à la procédure collective.

Cette action est soumise, notamment, à un délai pour agir de 3 mois, qui constitue un délai préfix (Com. 13 févr. 1990, publié).

L'article R. 624-13 précise les modalités de la revendication :

La demande en revendication d'un bien est adressée dans le délai prévu à l'article L. 624-9 du code de commerce par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à l'administrateur s'il en a été désigné ou, à défaut, au débiteur. Le demandeur en adresse une copie au mandataire judiciaire. A défaut d'acquiescement dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande, le demandeur doit, sous peine de forclusion, saisir le juge-commissaire au plus tard dans un délai d'un mois à compter de l'expiration du délai de réponse. Avant de statuer, le juge-commissaire recueille les observations des parties intéressées. La demande en revendication emporte de plein droit demande en restitution.

La demande de revendication doit donc, dans un premier temps, être adressée dans le délai de trois mois à l'organe compétent, qui dispose lui-même d'un délai d'un mois pour acquiescer. Dans un second temps, à défaut d'acquiescement dans ce délai, le revendiquant doit déposer sa requête devant le juge-commissaire dans le délai d'un mois à compter de l'expiration du délai de réponse.

La seconde procédure ouverte au propriétaire d'un bien mobilier est celle en restitution, prévue par l'article L. 624-10 du code de commerce, qui s'applique à tous les contrats publiés conférant au débiteur la détention d'un tel bien. Aux termes de ce texte :

Le propriétaire d'un bien est dispensé de faire reconnaître son droit de propriété lorsque le contrat portant sur ce bien a fait l'objet d'une publicité. Il peut réclamer la restitution de son bien dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Ces dispositions sont complétées par l'article R. 624-15, qui précise que :

Pour bénéficier des dispositions de l'article L. 624-10 du code de commerce, les contrats qui y sont mentionnés doivent avoir été publiés avant le jugement d'ouverture selon les modalités qui leur sont applicables.

Aux mêmes fins, en l'absence de réglementation particulière, le propriétaire du bien doit avoir fait publier le contrat avant le jugement d'ouverture, selon le cas, au registre mentionné à l'article R. 313-4 du code monétaire et financier ou au registre prévu au troisième alinéa de l'article R. 621-8 du présent code.

Il s'ensuit que la dispense de revendication s'applique lorsque le contrat a été soumis à une véritable publicité. Ainsi :

- soit le contrat est soumis à une publicité particulière obligatoire (par exemple le contrat de location-gérance ou de crédit-bail), laquelle doit donc avoir été respectée ;

- soit aucune publicité obligatoire n'est prévue, auquel cas l'alinéa 2 de l'article R. 624-5 permet au propriétaire d'user de la faculté de faire publier le contrat selon le cas :

* au registre mentionné à l'article R. 313-4 du code monétaire et financier - c'est-à-dire le registre ouvert au greffe du tribunal de commerce ou du tribunal de grande instance statuant commercialement, sur lequel est enregistré le contrat de crédit-bail ;

* ou au registre prévu au troisième alinéa de l'article R. 621-8 - soit le registre ouvert au greffe du tribunal de grande instance pour les personnes non immatriculées au registre du commerce ou au répertoire des métiers.

Lorsque le contrat n'a fait l'objet d'aucune publicité, le propriétaire ne peut bénéficier des dispositions de l'article L. 624-10 et doit se soumettre à la procédure de revendication (v. par ex. Com. 11 juill. 2006, n° 04-19435), et ce même si les organes de la procédure collective ont connaissance de son droit de propriété (v. not. : Com. 29 nov. 2016, n° 15-10.608 ; Com. 18 janv. 2017, n° 15-14.916).

La publication qui ne répond pas aux modalités prévues à l'article R. 624-15 ne dispense par le propriétaire de l'obligation de revendiquer son bien (v. par ex. Com. 5 nov. 2013, n° 12-25765, publié).

Enfin, selon une jurisprudence ancienne et constante, lorsque le contrat n'a pas utilement été publié, ou que le propriétaire n'a pas revendiqué son bien dans le délai légal, son droit de propriété est inopposable à la procédure collective, de sorte que le bien entre dans le gage commun des créanciers (v. not. : Com. 15 mars 2011, n° 10-40073, publié ; Com. 15 déc. 2015, n° 13-25.566, publié ; Com. 3 avr. 2019, n° 18-11247, publié ; Com. 29 juin 2022, n° 21-137206, publié). Le liquidateur, à qui il incombe de réaliser l'actif, peut donc vendre le bien non revendiqué dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire (v. par ex. : Com. 23 mai 1995, n° 93-12.528, publié ; Com. 3 déc. 2003, n° 01-02.177 ; Com. 3 avr. 2019, précité).

En l'espèce, il résulte du bail litigieux, conclu le 17 janvier 2014, que le précédent bailleur, aux droits duquel vient la société LBP, a mis à la disposition du locataire d'origine, aux droits duquel est venue la société débitrice Les 18 Ponts, une licence IV. Ce contrat précise notamment, en page 3, que :

- le bien loué comporte la licence de débit de boissons dont le bailleur est propriétaire et que « la licence est attachée à la propriété de l'immeuble, et ne pourra constituer un élément du fonds de commerce créé dans les locaux donnés à bail » ;

- et « le bailleur confère au preneur, pour la durée du bail (...), le droit d'exploiter la licence susvisée. Ce droit d'exploiter ne saurait en aucun cas emporter cession de la licence au preneur (...) ».

En premier lieu, il y a lieu de relever que la société LBP ne conteste nullement qu'elle n'a pas respecté le délai de trois mois fixé par l'article L. 624-9 du code de commerce pour revendiquer la licence IV, puisque toute son argumentation consiste à soutenir qu'elle serait dispensée de cette procédure, en tant que bénéficiaire des dispositions de l'article L. 624-10.

En tout état de cause, il résulte des pièces versées aux débats que l'appelante n'a régulièrement demandé la restitution de son bien, pour la première fois, que par une lettre recommandée du 25 août 2023 (pièce n° 10 de l'appelante).

Or, le jugement d'ouverture, expressément visé par l'article L. 624-9, qui correspond en l'espèce au jugement ouvrant le redressement judiciaire du 2 mai 2022, a été publié au BODACC le 11 mai 2022 (pièce n° 4 de l'appelante) ; cette première demande a donc été formée largement après l'expiration du délai de trois mois édicté par ce dernier texte.

D'ailleurs, à supposer même que, comme le fait le liquidateur (p. 6 de ses conclusions), il fût tenu compte de la seule date, plus favorable, de publication au BODACC du jugement de conversion en liquidation judiciaire du 5 avril 2023, en tout état de cause, cette publication a été réalisée le 14 avril 2023, soit, une fois encore, après l'expiration du délai de trois mois susvisé (pièce n° 6 de l'appelante).

En second lieu, il ressort des conclusions de l'appelante (pp. 9-10) que celle-ci prétend qu'il existait, en l'espèce, une réglementation particulière, obligatoire, justifiant la publication de l'acte de cession du 28 janvier 2020, par lequel elle a fait l'acquisition non seulement de l'immeuble donné à bail mais aussi de la licence IV litigieuse. Il s'en déduit que l'appelante se prévaut de l'existence d'une publicité obligatoire au sens de l'article R. 624-15, alinéa 1.

Cependant, en l'espèce, le contrat qui a mis la licence litigieuse à disposition de la société débitrice est le bail commercial, et non l'acte authentique du 28 janvier 2020. Or, un tel bail, en ce qu'il ne porte pas « mutation ou constitution de droits réels immobiliers », au sens de l'article 28, 1°, a) du décret du 4 janvier 1955 - seul texte invoqué par l'appelante (p. 9 de ses conclusions) -, n'entre pas dans le champ d'application de cet article 28 et, partant, n'est pas soumis à la publicité obligatoire prévue par ce décret, qui impose la publicité de certains actes au service chargé de la publicité foncière.

Il importe donc peu que le contrat de bail commercial ait été publié au registre de la publicité foncière en tant qu'annexe à l'acte authentique de vente immobilière du 28 janvier 2020.

Surabondamment, il sera ajouté que cette mesure de publicité ne permet pas non plus de faire application de l'alinéa 2 l'article R. 624-15, dans la mesure où elle est irrégulière, faute d'avoir été effectuée sur l'un des deux registres mentionnés par ce texte.

Il résulte de tout ce qui précède que, ne pouvant se prévaloir de l'application de l'article L. 624-10, la société LBP devait se soumettre à la procédure de revendication prévue à l'article L. 624-9. Celle-ci ne l'ayant pas fait dans le délai légalement requis, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, elle est forclose, son droit de propriété sur la licence IV est inopposable à la procédure collective et cette licence est entrée dans le gage commun des créanciers.

Il s'ensuit :

- que le liquidateur, qui a notamment pour mission de réaliser les actifs non régulièrement revendiqués, pouvait saisir le juge-commissaire d'une requête tendant à ce que soit ordonnée la vente aux enchères de cette licence, en application de l'article L. 642-19 du code de commerce ;

- et qu'en conséquence, en accueillant cette requête, le juge-commissaire n'a commis aucun excès de pouvoir.

Doivent donc être rejetées la demande principale de l'appelante tendant à l'annulation de l'ordonnance entreprise pour excès de pouvoir, comme sa demande subsidiaire d'infirmation de cette décision. La confirmation de cette ordonnance s'impose donc.

2°- Sur la demande formée en tout état de cause par l'appelante

La jurisprudence dont se prévaut l'appelante et selon laquelle l'article 2276 du code civil ne s'applique pas aux meubles incorporels, n'a vocation à s'appliquer qu'à la revendication opérée auprès du tiers acquéreur du bien en cause.

Or, dès lors qu'en l'espèce le tiers acquéreur de la licence IV est étranger au présent litige, qui ne concerne que la société LBP, la société débitrice et son liquidateur en tant qu'il représente la collectivité des créanciers, il s'ensuit que le moyen tiré de cette jurisprudence est inopérant.

En outre et surtout, la demande de l'appelante tendant à ce qu'il soit jugé qu'en tout état de cause, elle est propriétaire de la licence IV ne peut être accueillie, en raison même de l'inopposabilité de son droit de propriété à la procédure collective, pour les raisons ci-dessus exposées. Au demeurant, accueillir cette demande serait de nature à engendrer des difficultés d'exécution en consacrant, dans les rapports entre le propriétaire forclos et le représentant de la collectivité des créanciers, un droit contredisant les effets tirés de l'inopposabilité du droit de propriété de la société LBP à l'égard de la procédure collective de son débiteur.

Ce n'est donc qu'à titre surabondant qu'il sera ajouté qu'il ne ressortit pas au pouvoir du juge-commissaire statuant sur une requête aux fins de cession isolée d'un actif en liquidation judiciaire ni, dès lors, au pouvoir de la cour statuant sur le recours formé contre l'ordonnance autorisant une telle cession, de se prononcer sur cette demande formée par la société LBP.

Il convient donc de rejeter cette demande, nouvelle en appel, et donc d'ajouter à l'ordonnance entreprise sur ce point.

3°- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant, l'appelante sera condamnée aux dépens d'appel et au paiement d'une indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Rejette la demande principale de la société LBP Patrimoine tendant à l'annulation de l'ordonnance entreprise pour excès de pouvoir ;

- Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

- Rejette la demande de la société LBP Patrimoine tendant à ce qu'il soit dit qu'en tout état de cause, elle est propriétaire de la licence IV mise à disposition de la société Les 18 Ponts en exécution du bail conclu le 17 janvier 2014 ;

- Condamne la société LBP Patrimoine aux dépens d'appel ;

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société LBP Patrimoine et la condamne à payer à la société MJS Partners, en qualité de liquidateur de la société Les 18 Ponts, la somme de 3 600 euros.