CA Versailles, ch. civ. 1-5, 10 octobre 2024, n° 23/08068
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Enerlis (SAS)
Défendeur :
Accenta (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vasseur
Conseillers :
Mme De Rocquigny Du Fayel, Mme Igelman
Avocats :
Me Zerhat, Me Arena, Me Lafon, Me Richemond
EXPOSE DU LITIGE
La S.A.S. Enerlis, créée en 2013, a pour activité la vente de produits et de services dans le domaine de l'énergie (rénovation énergétique de bâtiments, installations de production d'énergies renouvelables, installation de bornes de recharge électrique, production et distribution d'hydrogène).
La société Accenta est spécialisée dans les solutions de stockage d'énergies renouvelables et la transition énergétiques. La société Eren TES, présidée par la société Eren Group, est actionnaire d'Accenta.
La société Idex intervient également dans le domaine de l'exploitation des énergies renouvelables et de la transition énergétique.
Début 2020, la société Enerlis et le groupe Idex ont échangé sur des projets communs dans le secteur des énergies renouvelables, susceptibles de conduire à une entrée du groupe Idex dans le capital de la société Enerlis. Ces projets n'ont pas abouti.
Le 17 septembre 2020, les sociétés Idex Energies, Eren TES et Accenta ont créé la société Aïden, dédiée à la transition énergétique et environnementale dans le secteur de l'immobilier.
Le 14 février 2022, la société Enerlis a mis la société Idex Energies en demeure de supprimer de ses bases de données, et de lui retourner, l'ensemble des documents transmis lors du projet d'entrée d'Idex Energies dans le capital d'Enerlis.
Le 9 novembre 2022, la société Enerlis a confié à la société Groupe [J] Sanchez Consultants (ci-après la société FSC) une mission de recrutement d'un directeur des opérations.
Affirmant avoir constaté d'une part que la société FSC avait proposé à plusieurs de ses salariés de rejoindre d'autres entreprises et d'autre part que plusieurs membres de son personnel avaient rejoint la société Accenta, le conseil de la société Enerlis a mis le 21 mars 2023 la société Accenta en demeure de 'cesser sans délai, toute sollicitation, directe ou indirecte, à des fins de débauchage de son personnel.'
Par requête du 8 mai 2023, la société Enerlis a sollicité du président du tribunal de commerce de Nanterre, quatre mesures d'instruction, visant respectivement les sociétés Idex Services, Idex Energies, Accenta et FSC.
Par ordonnance du président du tribunal de commerce de Nanterre du 15 mai 2023, il a été fait droit à la requête de la société Enerlis.
Les opérations de saisies se sont déroulées le 8 juin 2023 au siège social de la société Accenta.
Par acte de commissaire de justice délivré le 6 juillet 2023, la société Accenta a fait assigner la société Enerlis aux fins d'obtenir principalement la rétractation de l'ordonnance rendue le 15 mai 2023.
Par ordonnance contradictoire rendue le 24 novembre 2023, le juge de la rétractation du tribunal de commerce de Nanterre a :
- rejeté la demande la société Enerlis d'écarter des débats les conclusions récapitulatives déposées et pièces produites par la société par Accenta à l'audience des référés du 19 octobre 2023,
- rétracté, dans sa totalité, l'ordonnance rendue sur requête le 15 mai 2023 par le président du tribunal,
- constaté la nullité de l'ensemble des actes réalisés en exécution de cette ordonnance par les commissaires de justice instrumentaires qui y étaient désignés,
- ordonné aux commissaires de justice instrumentaires désignés de procéder à la restitution des pièces saisies au format 'papier' et à la destruction de toutes les pièces saisies au format électronique dans un délai de 20 jours à compter de la signification de l'ordonnance,
- ordonné aux commissaires de justice ainsi désignés de dresser procès-verbaux des destructions et restitutions, dont un exemplaire sera remis aux saisis,
- rappelé que, conformément aux articles R. 153-1 et suivants du code de commerce, l'ensemble des éléments (copies de documents, copies de supports informatiques ou tous autres), recueillis par les commissaires de justice ou les experts informatiques ainsi que la liste dressant l'inventaire de ces éléments resteront conservés par les commissaires de justice en séquestre sans qu'ils puissent en donner connaissance ou en remettre copie à quiconque, dans l'attente d'une décision de justice définitive rendue dans le cadre d'un débat contradictoire portant sur la libération des éléments séquestrés,
- condamné la société Enerlis à payer à la société Accenta la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Enerlis aux dépens de l'instance,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de l'ordonnance conformément aux dispositions de l'article R.153-8 du code de commerce,
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 40,66 euros, dont TVA 6,78 euros,
- dit que l'ordonnance est mise à disposition au greffe de ce tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées verbalement lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe le 30 novembre 2023, la société Enerlis a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Dans ses dernières conclusions déposées le 17 mai 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Enerlis demande à la cour, au visa des articles 4, 5, 145, 464, 542, 905-2 du code de procédure civile, L. 153-1 et R. 153-1 et suivants du code de commerce, de :
'à titre principal :
- déclarer la demande de la société Accenta visant à rétracter en totalité l'ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Nanterre en date du 15 mai 2023 irrecevable,
en conséquence,
- infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Nanterre en date du 24 novembre 2023 en toute ses dispositions ;
statuant à nouveau,
- confirmer en son intégralité l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre le 15 mai 2023,
- confirmer l'ensemble des actes réalisés en exécution de l'ordonnance et en particulier le procès-verbal de constat dressé par la scp Judicium, commissaire de justice ;
- ordonner la mainlevée du séquestre provisoire des pièces recueillies par le commissaire de justice instrumentaire au cours des opérations de constat effectuées le 8 juin 2023 au regard de la mission restreinte confiée dans l'ordonnance du 15 mai 2023 ;
- ordonner au commissaire de justice instrumentaire, de procéder à la communication de l'ensemble des pièces recueillies au cours des opérations de constat effectuées le 8 juin 2023 au regard de la mission restreinte confiée dans l'ordonnance du 15 mai 2023 à la société Enerlis, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;
- ordonner au commissaire de justice instrumentaire de dresser un procès-verbal de mainlevée du séquestre ;
- débouter la société Accenta de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Accenta à payer à la société Enerlis la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la première instance ;
- condamner la société Accenta à payer à la société Enerlis la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d'appel ;
- condamner la société Accenta aux entiers dépens de première instance et d'appel.
à titre subsidiaire : -
- infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Nanterre en date du 24 novembre 2023 en toute ses dispositions ;
statuant à nouveau,
- confirmer en son intégralité l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre le 15 mai 2023,
- confirmer l'ensemble des actes réalisés en exécution de l'ordonnance et en particulier le procès-verbal de constat dressé par la scp Judicium, commissaire de justice ;
- ordonner la mainlevée du séquestre provisoire des pièces recueillies par le commissaire de justice instrumentaire au cours des opérations de constat effectuées le 8 juin 2023 au regard de la mission restreinte confiée dans l'ordonnance du 15 mai 2023 ;
- ordonner au commissaire de justice instrumentaire, de procéder à la communication de l'ensemble des pièces recueillies au cours des opérations de constat effectuées le 8 juin 2023 au regard de la mission restreinte confiée dans l'ordonnance du 15 mai 2023 à la société Enerlis, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;
- ordonner au commissaire de justice instrumentaire de dresser un procès-verbal de mainlevée
du séquestre ;
- débouter la société Accenta de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Accenta à payer à la société Enerlis la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la première instance ;
- condamner la société Accenta à payer à la société Enerlis la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d'appel ;
- condamner la société Accenta aux entiers dépens de première instance et d'appel.
à titre très subsidiaire : -
- infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Nanterre en date du 24 novembre 2023 en ce qu'elle a :
- ordonné aux commissaires de justice instrumentaires désignés de procéder à la restitution des pièces saisies au format papiers et à la destruction de toutes les pièces saisies au format électronique dans un délai de 20 jours à compter de la signification de l'ordonnance ;
- ordonné aux commissaires de justice instrumentaires désignés de dresser procès-verbaux des destructions et restitutions, dont un exemplaire sera remis aux saisis ;
- condamné la société Enerlis à payer à la société Accenta la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Enerlis aux entiers dépens de l'instance ;
statuant à nouveau,
- débouter la société Accenta de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Accenta à payer à la société Enerlis la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la première instance ;
- condamner la société Accenta à payer à la société Enerlis la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d'appel ;
- condamner la société Accenta aux entiers dépens de première instance et d'appel.
à titre infiniment subsidiaire :
- ordonner la suppression du dispositif de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Nanterre en date du 24 novembre 2023 des mentions suivantes :
« - ordonnons aux commissaires de justice instrumentaires désignés de procéder à la restitution des pièces saisies au format 'papier' et à la destruction de toutes les pièces saisies au format électronique dans un délai de 20 jours à compter de la signification de la présente ordonnance ;
- ordonnons aux commissaires de justice ainsi désignés de dresser procès-verbaux des destructions et restitutions, dont un exemplaire sera remis aux saisis ».
- condamner la société Accenta à payer à la société Enerlis la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d'appel ;
- condamner la société Accenta aux entiers dépens.'
Dans ses dernières conclusions déposées le 26 avril 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Accenta demande à la cour, au visa des articles 493, 496, 497, 875, 145 du code de procédure civile, L. 153-1 et R. 153-1 et suivants du code de commerce, de :
'à titre principal,
- confirmer dans sa totalité l'ordonnance rendue le 24 novembre 2024 par le président du tribunal de commerce de Nanterre qui a rétracté dans sa totalité l'ordonnance rendue sur requête le 15 mai 2023 par le président du même tribunal ;
à titre subsidiaire,
- confirmer partiellement l'ordonnance rendue le 24 novembre 2024 par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'elle a rétracté la troisième mesure d'instruction concernant la société Accenta dans l'ordonnance du 15 mai 2023 ;
- confirmer en conséquence partiellement l'ordonnance en ce qu'elle a :
- constaté la nullité du procès-verbal de constat dressé par le commissaire de justice instrumentaire, la scp Judicium, en exécution de l'ordonnance du 15 mai 2023 ;
- ordonné à la scp Judicium, commissaire de justice instrumentaire désigné, de procéder à la restitution des pièces saisies au format 'papier' et à la destruction de toutes les pièces saisies au format électronique dans un délai de 20 jours à compter de la signification de l'ordonnance ;
- ordonné à la scp Judicium, commissaire de justice instrumentaire désigné, de dresser procès-verbaux des destructions et restitutions, dont un exemplaire sera remis aux saisis ;
- rappelé que, conformément aux articles R.153-1 et suivants du code de commerce, l'ensemble des éléments (copies de documents, copies de supports informatiques ou tous autres), recueillis par le commissaire de justice ou l'expert informatique ainsi que la liste dressant l'inventaire de ces éléments resteront conservés par le commissaire de justice en séquestre sans qu'il puisse en donner connaissance ou en remettre copie à quiconque, dans l'attente d'une décision de justice définitive rendue dans le cadre d'un débat contradictoire portant sur la libération des éléments séquestrés ;
- condamné la société Enerlis à payer à la société Accenta la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Enerlis aux dépens de l'instance ;
à titre très subsidiaire, si par extraordinaire la cour d'appel devait accueillir la demande de l'appelante de voir infirmer l'ordonnance du 24 novembre 2023 en toute ses dispositions,
statuant à nouveau,
- modifier l'ordonnance rendue le 15 mai 2023 en excluant de la mission confiée au commissaire de justice instrumentaire les pièces suivantes qui ne sont pas utiles à la solution du litige exposé dans la requête et qui portent une atteinte disproportionnée aux droits des tiers, à la vie privée et au secret des affaires :
- les pièces saisies sur les espaces strictement personnels et privés des salariés d'Accenta, auxquels seuls les salariés ont accès, identifiés grâce aux dénominations « mon drive » ou sous-dossiers intitulés « personnel & privé » ;
- les pièces relatives aux litiges prud'homaux opposant Enerlis à ses anciens salariés, Mme [O] [I] et Mme [T] [N], en retirant notamment les pièces contenant les mots clefs suivants :
§ « prud'hommes », « prud'hommal », « prud'hommaux »,
« prud'homal », « prud'homaux »
§ « saisine »
§ « clause » et « concurrence »
§ « commissionnement », « commission », « commissions »
§ « remuneration »
o les pièces relatives à l'opération d'augmentation de capital d'accenta, en
retirant notamment les pièces contenant les mots clefs suivants :
§ « vdd », « vendor due diligence », « due diligence »
§ « audit »
§ « augmentation de capital »
§ « levee », « levee de fonds »
§ « invest », « investment », « investissement »
§ « codir »
§ « pipeline
§ « atlas
§ « bcg »
§ « bp », « business plan »
§ « questions for management »
§ « q-a »
§ « revue ca »
- ordonner au commissaire de justice instrumentaire d'effectuer un nouveau tri des éléments appréhendés obtenus hors du périmètre ainsi modifié ;
- ordonner au commissaire de justice instrumentaire de détruire ou de restituer à la Société Accenta tous les éléments prélevés en contradiction de cette restriction de la mission ainsi modifiée, dans un délai de 48 heures à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;
- ordonner au commissaire de justice instrumentaire de dresser un procès-verbal des destructions et restitutions, dont un exemplaire sera remis à la société Accenta ;
- dire en tout état de cause que la levée de séquestre des pièces obtenues le 8 juin 2023 lors des opérations de constat par le commissaire de justice instrumentaire devra se faire conformément aux dispositions des articles R. 153-3 et suivants du code de commerce ;
- demander à la société Accenta de dresser une liste anonymisée des pièces séquestrées en six catégories :
- catégorie A : les pièces qui pourront être communiquées sans examen ;
- catégorie B : les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et qui n'ont aucun lien avec le litige, pièces que la société Accenta refuse de communiquer ;
- catégorie C : les pièces qui sont relatives aux litiges prud'hommaux et qui n'ont aucun lien avec litige, pièces que la société Accenta refuse de communiquer ;
- catégorie D : correspondances relatives aux ressources humaines qui n'ont aucun lien avec le litige et qui pourraient entraîner des conséquences graves pour leurs auteurs si elles devaient être communiquées à Enerlis, pièces que Accenta refuse de communiquer ;
- catégorie E : pièces saisies sur les répertoires personnels et privés des salariés dont la dénomination est « mon drive » ou « personnel & privé », pièces que Accenta refuse de communiquer ;
- catégorie F : les pièces saisies hors du périmètre temporel fixé dans l'ordonnance, les correspondances avec des avocats ou les pièces intitulées ou situées dans des dossiers intitulés « privé » ou « personnel », pièces qui auraient dû être exclues de la saisie par le commissaire de justice, conformément à l'ordonnance, et qu'Accenta refuse de communiquer ;
- dire que cette liste sera communiquée au commissaire de justice instrumentaire pour un contrôle de cohérence avec les pièces séquestrées ;
- dire que pour les pièces concernées par le secret des affaires, les requis, conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce, communiqueront à la cour d'appel « un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires », dans un délai qui sera fixé par la cour ;
- fixer un calendrier de procédure de levée de séquestre pour la communication de la liste triant les pièces et du mémoire ;
- renvoyer l'affaire, après contrôle de cohérence par le commissaire de justice instrumentaire avec les pièces séquestrées, à une audience en chambre du conseil pour examen de la demande de levée partielle du séquestre ;
- rappeler que, conformément aux articles R. 153-1 et suivants du code de commerce et à l'ordonnance du 15 mai 2023, l'ensemble des éléments (copie de documents, copie de supports informatiques ou tous autres) recueillis par le commissaire de justice ou l'expert informatique ainsi que la liste dressant l'inventaire des pièces doivent rester conservés en séquestre sans qu'ils puissent en donner connaissance ou en remettre copie à quiconque, dans l'attente d'une décision de justice définitive rendue dans le cadre d'un débat contradictoire portant sur la libération des éléments séquestrés ;
en tout état de cause,
- débouter la société Enerlis de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Enerlis à verser à la société Accenta une indemnité de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager dans le cadre de la procédure d'appel ;
- condamner la société Enerlis aux entiers dépens.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
A titre principal, la société Enerlis sollicite l'infirmation de l'ordonnance entreprise en raison de l'irrecevabilité des demandes de la société Accenta, qui concernent également les sociétés Idex Energies, Idex Services et FSC pour lesquelles elle n'a aucun intérêt légitime et personnel à agir au sens de l'article 31 du code de procédure civile, et en conséquence la mainlevée du séquestre provisoire et la communication des pièces saisies.
A titre subsidiaire, l'appelante sollicite l'infirmation de l'ordonnance querellée arguant du respect des conditions de l'article 145 du code de procédure civile.
La société Enerlis commence ses développements par démontrer le bien fondé des mesures d'instruction visant les sociétés Idex Energies, Idex Services et FSC, pour le cas où la cour jugerait la société Accenta recevable en sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 15 mai 2023 dans sa totalité.
Elle entend ensuite démontrer le bien fondé de la mesure d'instruction visant la société Accenta.
Elle fait observer que l'intimée fait état d'arguments qui relèvent à l'évidence du fond, mais ne peuvent faire échec au constat de l'existence d'un motif légitime.
Elle argue à cet égard tout d'abord d'une identité d'activité des sociétés Aïden, Accenta avec les services qu'elle propose compte tenu de ce que les activités proposées par les 3 sociétés sont sensiblement les mêmes et qu'elles évoluent sur le même secteur d'activité, à savoir le secteur des économies d'énergies, tandis qu'elle souligne qu'elle propose également des solutions en matière de géothermie, comme la société Accenta.
L'appelante soutient ensuite qu'elle apporte la preuve d'indices laissant craindre des faits de concurrence déloyale commis par la société Accenta au titre du débauchage de salariés.
Ainsi, elle relate que sur une courte période de 6 mois, 3 salariés l'ont quitté pour rejoindre la société Accenta, soit : M. [K] [Z], Mme [O] [I] et Mme [T] [N], qui ont respectivement rejoint Accenta les 1er juillet, 22 août et 5 décembre 2022.
Elle précise qu'après avoir mené une enquête interne, elle a découvert :
- qu'après son départ Mme [I] s'est rendue régulièrement, des jours de week-end, dans les locaux d'Enerlis ;
- que le 14 juin 2022, Mme [I] a transféré à M. [Z] une invitation à déjeuner avec M. [J] [V], directeur associé de FSC, chargé de missions de conseil en recrutement notamment dans le secteur énergie et des services ;
- que le jour et le lendemain de son départ, le 30 juin et le 1er juillet 2022, M. [Z] s'est envoyé de son adresse mail Enerlis à son adresse personnelle :
' un courriel portant le contact d'un client d'Enerlis intéressé pour des opérations de géothermie ;
' un courriel du directeur marketing d'Enerlis dévoilant la nouvelle trame d'une offre proposée par Enerlis ;
' un courriel d'un client d'Enerlis (la RIVP) dévoilant un probable accord dudit client pour la réalisation d'une opération ;
- que, dans les mois qui ont précédé son départ, M. [Z] a procédé à des téléchargements réguliers du fichier « deals » sur le serveur d'Enerlis, et la veille de son départ, le 30 juin 2022 à 10h19, au téléchargement du fichier « people » (« contacts »).
Elle avance que l'objet de la mesure sollicitée est précisément de s'assurer que l'ensemble des documents appréhendés par ses anciens salariés n'ont pas été utilisés de façon déloyale au bénéfice de la société Accenta ou à son initiative.
S'agissant de son préjudice, elle prétend qu'elle n'a pas à le démontrer à ce stade et que la mesure sollicitée a précisément pour objectif d'en déterminer l'étendue.
En réponse à l'argumentation adverse sur le caractère trop étendu des mesures, la société Enerlis rétorque qu'elle n'est pas en mesure d'attester la présence de documents en lien avec les procédures prud'homales concernant Mmes [I] et [N] et que si de tels documents sont ressortis des investigations, c'est qu'ils ont un lien avec les faits de concurrence déloyale.
Elle fait également valoir que la preuve d'une atteinte disproportionnée au secret des affaires n'est pas rapportée par la société Accenta, le seul élément versé à cet égard étant un tableau excel dont il n'est pas prouvé qu'il proviendrait du commissaire de justice instrumentaire.
L'appelante sollicite donc la mainlevée du séquestre à son profit.
Elle demande de rejeter les demandes subsidiaires de l'intimée, la mesure étant circonscrite dans le temps (période allant du 1er avril 2022 à aujourd'hui), circonscrite dans son objet (des mots clés bien précis en lien avec la concurrence déloyale ont été identifiés, les smartphones ont été exclus de la mesure ainsi que les échanges privés) et proportionnée à l'objectif poursuivi (recueillir des éléments de preuve établissant l'ampleur des manoeuvres déloyales).
Elle précise notamment que l'espace 'mon drive' des salariés n'est accessible qu'à compter de leur adresse professionnelle et ne constitue pas un espace privé, faisant valoir qu'il n'est pas démontré que les éléments collectés étaient des documents privés.
A titre très subsidiaire, la société Enerlis sollicite l'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a ordonné la mainlevée des séquestres concernant les 4 mesures d'instruction, et non pas seulement celle afférente à la société Accenta.
La société Accenta, intimée, sollicite quant à elle à titre principal la confirmation de l'ordonnance querellée, dans sa totalité.
Elle conclut d'abord sur l'absence de motif légitime, en faisant remarquer que la société Enerlis lui reproche d'avoir débauché de façon déloyale des salariés, via la société de recrutement FSC, la requête limitant son supposé « pillage » à l'intermédiation de FSC ; que la société Enerlis ne lui impute dans la requête aucun fait de parasitisme, ne visant qu'Idex à cet égard ; que la société Enerlis ne verse aucune pièce permettant d'étayer ses accusations de détournement et exploitation d'informations stratégiques à la suite de la création de la société Aïden, alors que celle-ci n'a été créée que dans le but de vendre et de financer des chaufferies bas carbone en utilisant les technologies d'Accenta de géostockage, autant de services non comparables à ceux proposés par la société Enerlis.
Elle expose ensuite que la société Enerlis se borne à lui reprocher des actions purement individuelles de ses anciens salariés, sans le moindre début de vraisemblance d'une implication de sa part, tandis qu'elle n'indique pas en quoi cela aurait désorganisé son activité ou lui aurait causé un préjudice.
S'agissant des recrutements de M. [Z] et Mmes [I] et [N], elle indique qu'ils ont eu lieu sur une période de plusieurs mois et que leur nombre est peu important au regard de la taille de l'équipe commerciale de la société Enerlis ; que la société FSC avait déjà été mandatée par ses soins depuis février 2020 et que les nombreux candidats recrutés par son entremise ne viennent pas de la société Enerlis, relevant qu'elle a recruté près de 100 collaborateurs au cours des 12 derniers mois.
Elle précise avoir en revanche recueilli les témoignages d'anciens salariés de la société Enerlis sur les raisons de leurs départs de cette dernière, propres à celle-ci.
Elle relève encore que la société Enerlis passe sous silence sa réponse, par l'intermédiaire d'un courrier officiel de son conseil le 26 avril 2023, à la mise en demeure qu'elle lui avait adressée.
Elle ajoute que la société Enerlis a instrumentalisé le juge des requêtes et commis un abus de droit lui ayant permis d'obtenir une mesure d'investigation générale ; que de nombreuses pièces saisies sont relatives à des litiges prud'homaux opposant 2 des 3 salariés visés dans la requête.
Elle demande donc la confirmation totale de l'ordonnance dont appel.
Elle conclut par ailleurs à l'existence d'une atteinte disproportionnée au secret des affaires et sur le fait que des pièces sans lien avec le litige exposé dans la requête ont été saisies ; que notamment, de nombreuses pièces relatives à une opération d'augmentation de son capital sont ressorties, parce que les mots clefs étaient trop larges ; que ces pièces relatives à la levée de fonds, contiennent la description de son business model, et sont sensibles et confidentielles, outre qu'elles ne sont pas nécessaires à la protection des droits de l'appelante.
Elle considère donc la mesure ordonnée disproportionnée, ce qui justifie de confirmer l'ordonnance critiquée.
A titre subsidiaire, elle sollicite la confirmation partielle de l'ordonnance en ce qu'elle a rétracté la mesure d'instruction la concernant.
A titre très subsidiaire, elle sollicite la modification de l'ordonnance et la mise en place d'une procédure de tri des pièces et de levée partielle du séquestre.
Sur ce,
Sur la recevabilité de la demande de rétractation
L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention tandis que l'article 496 du même code, en matière de rétractation, prévoit que s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance.
La société Accenta, qui n'a pas répondu dans ses conclusions sur ce moyen, n'explique pas en quoi elle pourrait être considérée comme étant intéressée à la rétractation de l'ordonnance rendue le 15 mai 2023 concernant les mesures d'instruction qui ont été ordonnées au sein des sièges sociaux des sociétés Idex Services, Idex Energies et FSC.
Nonobstant le fait que le juge des requêtes du tribunal de commerce de Nanterre ait retenu sa compétence pour ordonner des mesures d'instruction in futurum au sein des quatre sociétés en cause aux termes d'une seule et même ordonnance sur requête, il apparaît toutefois que la société Accenta n'est liée aux 3 autres que par des relations d'affaire, ce qui ne saurait lui conférer un intérêt à agir en rétractation pour leur compte.
Il convient en conséquence de déclarer les demandes de la société Accenta en rétractation à l'égard des sociétés Idex Services, Idex Energies et FSC irrecevables, étant en outre observé que les sociétés Idex ont de leur côté introduit une action en rétractation pour ce qui les concerne, ce qui est totalement leur droit, mais qui créerait un risque de contrariété de décisions si l'action de la société Accenta était reçue les concernant.
L'ordonnance dont appel sera partiellement infirmée en ce sens.
La demande de rétractation sera donc examinée au regard de la mesure d'instruction ordonnée à l'encontre de la seule société Accenta.
Sur la rétractation sollicitée par la société Accenta
Selon l'article 145 du code de procédure civile, 's'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.
La procédure de rétractation permet de soumettre à la vérification d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées. Le juge, saisi d'une demande de rétractation de l'ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et tenu d'apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s'assurer d'un motif légitime à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.
Le juge saisi d'une demande de rétractation statue sur les mérites de la requête en se prononçant donc, au besoin d'office, sur la motivation de la requête ou de l'ordonnance justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, motivation qui doit s'opérer in concreto et ne peut pas consister en une formule de style.
Sur la motivation de la dérogation au principe de la contradiction
Selon l'article 493 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est une décision rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
Au cas présent, le juge des requêtes, reprenant en substance les justifications présentées dans la requête, a relevé dans l'ordonnance du 15 mai 2023 que la voie non-contradictoire apparaissait indispensable dès lors que les données permettant à la requérante d'établir la preuve de l'étendue des actes de concurrence dont elle allègue être victime sont essentiellement constituées d'échanges de courriels ou de documents informatisés qui, par définition, pourraient être aisément supprimés par les sociétés visées par les mesures sollicitées.
Il a ajouté que la jurisprudence retenait de manière constante que caractérise les circonstances justifiant une dérogation au principe de la contradiction le fait que la mission confiée à un mandataire de justice puisse avoir plus de chance de succès si elle est exécutée lorsque la partie adverse n'en est pas avertie.
Eu égard aux soupçons de débauchage de salariés, laissant craindre qu'il ait eu pour conséquence que certains clients et partenaires de la société Enerlis aient été détournés, décrits dans l'ordonnance, il convient de retenir que le risque de dépérissement des preuves des actes de concurrence déloyale dénoncés par la société requérante, et, par voie de conséquence, la nécessité de préserver un effet de surprise pour assurer l'efficacité de la mesure, sont suffisamment caractérisés.
Sur l'existence d'un motif légitime
Il est constant que l'auteur de la demande à une mesure d'instruction in futurum à l'origine non contradictoire n'a pas à rapporter la preuve, ni même un commencement de preuve, du grief invoqué, mais qu'il doit toutefois démontrer l'existence d'éléments précis constituants des indices de violation possible d'une règle de droit permettant d'établir la vraisemblance des faits dont la preuve pourrait s'avérer nécessaire dans le cadre d'un éventuel procès au fond.
Il ressort des conclusions de la société Enerlis qu'à l'égard de la société Accenta, elle entend justifier la légitimité de la mesure d'instruction en prétendant qu'elle produit la preuve d'indices laissant craindre des faits de concurrence déloyale du fait du débauchage de salariés.
Il s'avère que plus exactement, la société Enerlis émet de simples suppositions alors qu'en la matière, il revient à la requérante d'apporter a minima la preuve d'indices rendant crédibles ses craintes ou suppositions.
Par ailleurs, il est de principe que la simple embauche, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente, n'est pas en elle-même fautive (voir par exemple Com., 28 septembre 2022, pourvoi n° 21-15.892). Il incombe donc à la requérante de caractériser l'existence d'indices rendant vraisemblables ses soupçons de concurrence déloyale, et donc de manoeuvres déloyales de débauchage de ses salariés par la société Accenta.
Or si l'appelante établit l'existence d'indices de comportements potentiellement fautifs adoptés par ses trois anciens salariés, M. [Z], Mme [I] et Mme [N], à l'occasion de leurs départs, comme l'a relevé le premier juge, la société Enerlis ne démontre en revanche pas le moindre indice laissant supposer qu'ils auraient agi à la demande, à l'instigation ou avec l'accord de la société Accenta, leur nouvel employeur.
De même, si les modalités d'exécution de son contrat de recruteur par la société FSC, laquelle a contracté à la fois avec la société Enerlis et avec la société Accenta, peuvent être interrogées, en revanche, l'appelante ne démontre l'existence d'aucun élément laissant supposer un agissement répréhensible de la société Accenta dans ce cadre.
Ainsi, l'appelante ne rapporte pas la preuve de l'existence d'indices suffisants rendant vraisemblables ses soupçons de concurrence déloyale à l'encontre de la société Accenta.
Il importe peu dès lors de déterminer si les activités des sociétés Enerlis et Accenta sont similaires. Le fait qu'elles exercent toutes deux dans le même secteur d'activité, à savoir celui des économies d'énergie, ce qui n'est pas contesté, induit qu'il s'agit effectivement d'entreprises concurrentes. En l'absence d'indices laissant supposer une déloyauté de la part de la société Accenta, et donc en l'absence de preuve de l'existence d'un procès en germe possible, il est indifférent de déterminer si l'appelante propose comme l'intimée des solutions en matière de géothermie.
En conséquence, faute de caractérisation d'un motif légitime à l'obtention de l'ordonnance sur requête du 15 mai 2023 à l'encontre de la société Accenta, l'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle en a ordonné la rétractation, uniquement à son égard.
Les mesures subséquentes à cette rétractation, telles que prévues par l'ordonnance dont appel, seront par ailleurs cantonnées aux mesures de saisies opérées au sein de la société Accenta.
Sur les demandes accessoires :
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance qui ne visent que la société Accenta.
Partie perdante, la société Enerlis ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société Accenta la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Déclare l'action en rétractation de la société Accenta s'agissant des mesures d'instruction ordonnées à l'encontre des sociétés Idex Services, Idex Energies et FSC irrecevable,
Confirme l'ordonnance du 24 novembre 2023 en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance sur requête du 15 mai 2023 à l'encontre de la société Accenta mais l'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Constate la nullité de l'ensemble des actes réalisés en exécution de la mesure d'instruction effectuée dans les locaux de la société Accenta par M. [D] [Y], membre de la SCP Judicium, commissaires de justice associés,
Ordonne à M. [D] [Y], membre de la SCP Judicium, commissaires de justice associés, de procéder à la restitution des pièces saisies au format « papier » et à la destruction de toutes les pièces saisies au format électronique dans un délai de 20 jours à compter de la signification de l'ordonnance dont appel,
Ordonne à M. [D] [Y], membre de la SCP Judicium, commissaires de justice associés, de dresser procès-verbaux des destructions et restitutions, dont un exemplaire sera remis à la société Accenta,
Dit que la société Enerlis supportera les dépens d'appel,
Condamne la société Enerlis à verser à la société Accenta la somme de 7 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.