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Décisions

CA Toulouse, 4e ch. sect. 1, 11 octobre 2024, n° 22/02476

TOULOUSE

Arrêt

Autre

CA Toulouse n° 22/02476

11 octobre 2024

11/10/2024

ARRÊT N°2024/243

N° RG 22/02476 - N° Portalis DBVI-V-B7G-O3YQ

MD/CD

Décision déférée du 08 Juin 2022 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( F 21/01032)

V. ROMEU

Section Activités Diverses

[H] [M]

C/

S.E.L.A.R.L. BDR&ASSOCIES

Association CGEA DE [Localité 4]

S.A.S.U. .ITE

CONFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU ONZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANTE

Madame [H] [M]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Karim CHEBBANI de la SELARL CABINET CHEBBANI, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIM''ES

S.E.L.A.R.L. BDR&ASSOCIES prise en la personne de Me [B] [K] ès qualités de mandataire liquidateur de la SASU ITE

SIS [Adresse 3]

[Localité 7]

Sans avocat constitué

S.A.S.U. .ITE

[Adresse 8]

[Localité 5]

Représentée par Me Thierry DEVILLE de la SARL ALIZE 360, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE

INTERVENANT

Association CGEA DE [Localité 4]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Sans avocat constitué

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 4 septembre 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. DARIES, conseillère, faisant fonction de présidente chargée du rapport. Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. DARIES, conseillère faisant fonction de présidente

F. CROISILLE-CABROL, conseillère

AF. RIBEYRON, conseillère

Greffière, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

- DEFAUT

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par M. DARIES, conseillère, faisant fonction de présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre

FAITS ET PROCÉDURE :

Mme [H] [M] a été embauchée le 22 octobre 1997 par la SASU I.T.E, assurant des prestations de services informatiques, en qualité de technicienne PAO-DAO suivant contrat de travail à durée déterminée régi par la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.

La relation de travail s'est poursuivie à durée indéterminée à compter du 2 janvier 1998. Mme [M] exerçait ses fonctions exclusivement auprès de la société Airbus, unique client de la SASU Ite.

Le 11 mars 2021, M. [V], dirigeant de la SASU Ite, a informé ses salariés qu'à la suite d'un appel d'offre, la société Airbus ne renouvellerait pas son contrat.

Le 6 mai 2021, Mme [M] a signé un contrat de travail à durée indéterminée avec la société Altran en qualité d'« advanced technician », prenant effet le 1er juin 2021, régi par la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils, sociétés de conseils.

Par courrier du 10 mai 2021, Mme [M] a adressé sa démission à la SASU Ite, indiquant y procéder à sa demande.

Par courrier du 12 mai 2021, la SASU Ite a refusé cette démission, niant lui avoir demandé de démissionner.

Par courrier du 26 mai 2021, Mme [M] a demandé à la SASU Ite de procéder à son licenciement pour motif économique.

Par courrier du 29 mai 2021, Mme [M] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Mme [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 12 juillet 2021 afin de solliciter que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le versement de diverses sommes.

Le conseil de prud'hommes de Toulouse, section activités diverses, par jugement du 8 juin 2022, a :

- prononcé le rabat de la clôture,

- jugé que les griefs invoqués par Mme [M] à l'encontre de la Sasu Ite à l'appui de sa prise d'acte de rupture sont dépourvus de tout fondement,

- jugé qu'en conséquence, la rupture du contrat de travail de Mme [M] doit s'analyser en une démission,

- débouté Mme [M] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la Sasu Ite du surplus de ses demandes,

- mis les dépens à la charge de Mme [M].

Par déclaration du 30 juin 2022, Mme [H] [M] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 14 juin 2022.

Par jugement du 23 février 2023, le tribunal de commerce de Toulouse a placé la Sasu Ite en liquidation judiciaire et a désigné la Selarl BDR & Associés prise en la personne de Me [B] en qualité de mandataire liquidateur.

Le 15 juin 2023, Mme [M] a assigné en intervention forcée devant la Cour d'appel de Toulouse la Selarl BDR & Associés prise en la personne de Me [B] ès qualités de mandataire liquidateur de la SASU ainsi que l'AGS CGEA de [Localité 4].

PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 25 janvier 2024, Mme [H] [M] demande à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il a :

* jugé que les griefs invoqués à l'encontre de la SASU Ite à l'appui de sa prise d'acte de rupture sont dépourvus de tout fondement,

* dit qu'en conséquence la rupture de son contrat de travail doit s'analyser en une démission,

* débouté Mme [M] de l'ensemble de ses demandes,

* mis les dépens à sa charge.

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SASU Ite du surplus de ses demandes.

Et statuant à nouveau,

- juger que l'arrêt à intervenir sera opposable à l'AGS et à la Selarl BDR & Associés, prise en la personne de Me [K] [B], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Ite,

- débouter la SASU Ite, l'AGS ainsi que la Selarl BDR & Associés, prise en la personne de Me [K] [B], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SASU Ite de l'intégralité de leurs demandes,

- juger que la prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner solidairement l'AGS ainsi que la Selarl BDR & Associés, prise en la personne de Me [K] [B], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Ite, à lui payer les sommes suivantes :

* 39 950 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 16 515 euros à titre d'indemnité de licenciement,

* 4 700 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 470 euros de congés payés sur préavis,

- fixer les créances au passif de la société Ite.

En tout état de cause :

- condamner solidairement l'AGS ainsi que la Selarl BDR & Associés, prise en la personne de Me [K] [B], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Ite, à lui payer la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- ordonner la communication de documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à compter de la décision à intervenir,

- condamner solidairement l'AGS ainsi que la Selarl BDR & Associés, prise en la personne de Me [K] [B], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Ite, à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement l'AGS ainsi que la Selarl BDR & Associés, prise en la personne de Me [K] [B], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Ite aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 23 juillet 2024, la Sasu Ite demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* prononcé le rabat de la clôture,

* jugé que les griefs invoqués par Mme [M] à l'encontre de la Sasu ITE à l'appui de sa prise d'acte de rupture sont dépourvus de tout fondement,

* dit qu'en conséquence la rupture du contrat de travail de Mme [M] doit s'analyser en une démission,

* débouté Mme [M] de l'ensemble de ses demandes,

* condamné Mme [M] aux dépens.

- le réformer, en ce qu'il l'a déboutée du surplus de ses demandes, qui visaient à voir :

* condamner Mme [M] à lui payer une somme de 4 700 euros à titre d'indemnité de préavis,

* condamner Mme [M] à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice financier,

* condamner Mme [M] à lui payer une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau :

- dire qu'aucun manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail de Mme [M] ne peut lui être reproché,

- dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Mme [M] n'est donc pas justifiée,

- qualifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Mme [M] de démission et dire qu'elle devra en produire les effets,

- dire qu'elle a loyalement exécuté le contrat de travail de Mme [M],

- dire que Mme [M] ne peut se prévaloir d'un quelconque préjudice,

- débouter, en conséquence, Mme [M] de toutes ses demandes, notamment ses demandes au titre de l'astreinte,

- dire que Mme [M] n'a pas exécuté son préavis de 2 mois dont elle est redevable envers l'employeur,

- condamner Mme [M] à lui payer une somme de 4 700 euros à titre d'indemnité de préavis,

- dire que la prise d'acte par Mme [M] de la rupture de son contrat de travail le 29 mai 2021 avec Mmes [W] et [U] l'a empêchée de remplir ses obligations contractuelles avec Airbus au-delà du 31 mai 2021,

- dire qu'elle a subi un préjudice financier de ce fait, qu'il conviendra de réparer,

- condamner Mme [M] à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice financier,

- condamner Mme [M] à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance en date du 23 août 2024.

Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Par courrier transmis par RPVA le 04 septembre 2024, la cour a sollicité une note en délibéré en ces termes :

« La cour constate que postérieurement au jugement de liquidation judiciaire du 23 février 2023, la SASU Ite a adressé des conclusions en mentionnant 'en présence de la Selarl BDR & Associés ' prise en la personne de Maître [B].

L'article L 641-9 du code de commerce stipule que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens composant le patrimoine engagé par l'activité professionnelle, même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Au visa de l'article 125 du code de procédure civile, la cour soulève d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la SASU Ite et l'irrecevabilité des conclusions de la SASU Ite, en l'état de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à son égard et de l'absence de constitution de la Selarl BDR & Associés ' prise en la personne de Maître [B], ès qualités de mandataire liquidateur de la société, régulièrement assignée.

Par courrier transmis par le greffe, la cour invite les conseils de Mme [M] et de la SASU Ite à adresser toutes observations utiles en cours de délibéré au plus tard pour le 20 septembre 2024 ».

Par notes en délibéré adressées par RPVA les 05 et 17 septembre 2024, le Conseil de Mme [M] conclut à l'irrecevabilité des conclusions de la société Ite, dont le liquidateur régulièrement appelé en la cause, n'a pas constitué avocat, considérant que la société placée en liquidation judiciaire à cette date n'avait plus qualité à agir.

Par note en délibéré transmise par RPVA le 05 septembre 2024, le Conseil de la SASU Ite conclut à la recevabilité de ses conclusions au visa de l'article L 641-9 du code de

commerce disposant également: ' Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Toutefois, Ie débiteur peut se constituer partie civile dans Ie but d'établir la culpabilité de l'auteur d'un crime ou d'un délit dont il serait victime.

Le débiteur accomplit également les actes et exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans Ia mission du liquidateur ou de l'administrateur lorsqu'il en a été désigné.'

La société fait valoir que:

. le jugement du 23 février 2023 ayant placé la société en liquidation judiciaire et nommé la SELARL BDR & Associés en qualité de liquidateur n'a pas mis un terme à la procédure, celle-ci a été suspendue le temps d'appeler les organes de la procédure et les AGS dans la cause,

. la clôture de liquidation judiciaire n'étant pas intervenue, la personnalité morale de la société subsiste et elle peut intervenir dans une procédure judiciaire et a qualité à agir,

. les conclusions déposées et notifiées le 08 décembre 2022 et celles récapitulatives du 22 juillet 2024 mentionnent qu'elles sont établies 'pour la société prise en la personne de son représentant légal' et restent valables et recevables quelque soit les changements intervenus relatifs aux représentants légaux de la société Ite, pour défendre les intérêts de l'employeur.

. aujourd'hui le représentant légal en exercice est le liquidateur, à savoir la SELARL BDR & Associés, prise en la personne de Me [B], notamment par l'appel en cause initié par la salariée et la cour de cassation n'impose pas d'indiquer le nom de la personne exerçant les pouvoirs de représentation.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la procédure

Sur l'irrecevabilité des conclusions de la SAS Ite et la qualité à agir de la société soulevées d'office par la cour en cours de délibéré:

Il s'évince de la réponse de la société Ite que celle-ci ne prétend pas avoir été mandatée par le liquidateur judiciaire, ayant conclu 'en présence de la Selarl BDR & Associés liquidateur judiciaire '.

Elle n'invoque pas le droit propre du débiteur à conclure.

Aussi la cour considère que les conclusions et pièces de la SASU Ite sont irrecevables.

Il sera statué sur les seules conclusions de Mme [M], au vu de ses pièces et des éléments de fait mentionnés dans le jugement du conseil de prud'hommes.

Sur la prise d'acte

La prise d'acte s'analyse comme un mode de rupture du contrat de travail, à l'initiative du salarié, qui se fonde sur des manquements imputés à son employeur dans l'exécution de ses obligations. Elle ne produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si les manquements reprochés sont actuels et d'une gravité incompatible avec la poursuite du contrat de travail. Dans le cas contraire, elle produit les effets d'une démission.Contrairement au licenciement, la lettre de prise d'acte ne circonscrit pas le litige.

Il incombe au salarié d'établir la matérialité des faits qu'il invoque.

La lettre de prise d'acte de rupture du contrat de travail est ainsi libellée:

'Je reviens vers vous à la suite de la lettre que je vous ai adressée le 26 mai 2021.

Aux termes de cette lettre, je vous faisais part des difficultés rencontrées depuis le 11 mars 2021 et de la situation inextricable dans laquelle, avec mes collègues, vous nous aviez placées.

En résumé et sans reprendre les termes détaillés de notre précédente correspondance, vous avez fait en sorte que nous signions des contrats de travail à effet au 1er juin 2021 avec la société Altran en nous demandant de démissionner après avoir signé ces contrats.

En agissant ainsi, vous souhaitiez manifestement échapper à la législation sur le licenciement économique et nous n'avons donc bénéficié d'aucun de nos droits en pareil cas.

De surcroît, les contrats que nous avons signés avec Altran ne reprennent pas notre ancienneté et sont assortis d'une période d'essai de deux mois.

Ces contrats n'ont donc pas repris nos droits et sont précaires durant la période d'essai.

Par crainte de n'avoir aucune autre solution pour préserver nos emplois, nous avons néanmoins signé ces contrats et conformément à votre demande, nous vous avons adressé nos lettres de démission.

Comme mes collègues, j'ai eu la surprise de recevoir une lettre de votre part refusant cette démission pourtant sollicitée par vous.

En outre, vous contestiez alors être à l'origine de ce processus.

Bien évidemment, vous saviez qu'en agissant ainsi, vous nous placiez en porte-à-faux vis-à-vis d'Altran, notre futur employeur.

Pour tenter de trouver une solution et vous inciter à appliquer à la loi tout simplement, nous vous avons toutes les trois adressé une lettre détaillée.

En réponse, vous nous avez contacté téléphoniquement pour nous menacer et notamment d'un licenciement pour abandon de poste si nous ne nous présentions pas le 1er juin 2021 et ce alors même que vous saviez pertinemment que nous ne pourrions pas être en capacité de le faire, sauf à violer les engagements pris à votre demande auprès de la société Altran.

Une telle situation est inadmissible dans la mesure où vous nous avez totalement manipulé et vous nous avez placé dans une situation particulièrement délicate en nous privant de nos droits.

En réponse à nos lettres du 26 mai 2021, vous nous avez le même jour adressé une lettre dans laquelle vous indiquiez ne pas comprendre le sens de notre démarche !

Nous pouvons prouver que vous êtes à l'origine de cette situation et en toute hypothèse, vos manquements et votre déloyauté à notre égard rendent impossible la poursuite de notre contrat de travail.

Pour l'ensemble de ces raisons, je prends acte de la rupture de mon contrat de travail à vos torts et vous indique saisir le Conseil de prud'hommes de Toulouse pour faire valoir mes droits et obtenir la réparation de mon préjudice'.

Mme [M] soutient avoir fait l'objet de la part de l'employeur de manoeuvres et pressions pour l'amener à signer un contrat de travail sans reprise d'ancienneté avec la société Altran, repreneur du marché Airbus et à démissionner de son poste à la SASU Ite, ce qui l'a privée de bénéficier des règles protectrices d'un licenciement économique .

Elle conclut que ces manquements graves empêchaient la poursuite du contrat de travail et que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme [M] expose que la société Ite, lors de la réunion du 11 mars 2021, lui a fait part ainsi qu'à ses collègues de la perte du marché Airbus, de ce qu'elle cesserait définitivement son activité au 31 mai 2021, que les sociétés Alten et Altran, possibles repreneuses du marché, allaient les contacter pour leur proposer une reprise de leur poste de travail et qu'il était convenu que la société adjudicataire deviendrait leur nouvel employeur. Il était ajouté qu'après la signature du nouveau contrat de travail, elles pourraient formaliser leur démission auprès de la société Ite.

L'appelante soutient que l'employeur a organisé le processus de recrutement de ses futurs « ex salariés » en:

. leur remettant un tableau à remplir afin de renseigner leurs disponibilités pour organiser les entretiens d'embauche avec la société Altran, laquelle lui adressait le lien Teams pour se connecter à son entretien fixé au mercredi 17 mars 2021 à 12h00,

. modifiant le curriculum vitae en prévision de l'entretien d'embauche, lequel a eu lieu avec la société Alten,

. indiquant aux salariés le 22 mars 2021 que s'ils refusaient de donner leur démission, la société romprait le contrat par le biais d'un licenciement pour motif économique au 30-04-2021, tel que M. [J], ancien salarié, l'écrit à l'inspection du travail le 22-03-2021 et tel que l'a attesté M. [D], autre salarié, le 30-09-2021.

Sur ce

Sur le contexte de l'activité, la SASU Ite a perdu le marché Airbus prenant fin initialement au 30-04-2021 puis au 31-05-2021 selon mail de l'employeur du 19-04-2021.

Le 21-05-2021, il informait les salariés de la fin du télétravail suite à l'amélioration de la crise sanitaire et les invitait à participer à un buffet de retour à l'entreprise le 31-05-2021.

Il n'est pas démontré par la salariée que la société ait fait état d'une cessation totale d'activité au 31-05-2021, ce qu'elle a contesté dans son courrier du 26-05-2021 en confirmant la poursuite de certaines activités après cette date et de ce qu'à compter du 01-06, Mme [M] exercerait dans les locaux à [Localité 5].

Il ressort tant des conclusions de Mme [M] que du jugement du conseil de prud'hommes que la société conteste:

. avoir participé à son embauche par la société Altran, opposant que par courriel commun du 15 mars 2021, Mesdames [M], [W], [U] et M. [J] ont à la suite d'une orientation par le Défenseur des droits, contacté l'Inspection du travail pour savoir si en cas de signature d'un contrat avec un nouvel employeur, ils devaient présenter le contrat à la société Ite,

. avoir contraint la salariée à démissionner, ce qu'elle a dénié par courrier du 10 mai 2021 en refusant d'accepter la démission, la considérant comme équivoque, alors qu'elle a accepté la démission de deux autres salariés, Messieurs [J] et [D], qui ont attesté ne pas avoir subi de pression de l'employeur,

. avoir voulu éviter un licenciement économique alors qu'elle n'avait aucun motif, une certaine activité s'étant poursuivie.

C'est au salarié et non à l'employeur d'invoquer le caractère équivoque de la démission et en cas de refus de ce dernier d'accepter la démission, de saisir la juridiction prud'homale afin de solliciter l'analyse des conditions de la rupture du contrat de travail.

En tout état de cause, aucune des parties n'a considéré le contrat de travail rompu à la date d'envoi de la lettre de démission du 10-05-2021.

Les pièces versées par la salariée sont relatives:

- à ses rendez-vous d'entretien avec la société Altran selon mail du 11-03-2021 adressant le lien de connexion) et avec la société Alten, le courriel du 30-03-2021 mentionnant 'comme convenu avec M. [V] [dirigeant] je vous propose ce créneau afin d'échanger ensemble', outre un tableau dactylographié, mais sans aucune entête de société ni intitulé, comportant des dates et heures devant correspondre à des rendez-vous avec en marge de chacun, un prénom écrit manuscritement,

- à la rédaction des curriculum vitae: la transmission par l'employeur à Mme [M] le 15-03-2021 d'un exemple de CV (est produit celui de Mme [P]) et un SMS lui conseillant de détailler un peu ses activités dans la rubrique expérience professionnelle et de le renvoyer pour le lire, l'envoi du CV modifié par Mme [M] sur ces points et le retour après lecture par l'employeur le 16-03-2021,

- à l'envoi d'un courriel à l'Inspection du travail par 'M. [J]et ses collègues', le 22-03-2021 expliquant que la société Ite ayant perdu le marché pour lequel ils travaillaient, l'employeur leur a indiqué qu'une entreprise allait leur proposer un contrat en CDI, 'qu'une fois signé, à deux d'entre nous, d'envoyer une lettre de démission', qu'ils étaient libres de signer ou non et à défaut la société ferait un licenciement économique au 30 avril avec indemnités.

M. [J] interrogeait l'inspecteur du travail sur la nécessité de démissionner si un nouveau contrat était signé, quels seraient les droits à indemnisation si le contrat avec le nouvel employeur était rompu et quel était le montant de l'indemnisation en cas de licenciement économique,

- ultérieurement, à la suite de la saisine par trois salariés, le Défenseur des droits est intervenu auprès de l'Inspecteur du travail lequel a répondu le 17-05-2021 qu'une salariée a fait l'objet d'un licenciement économique début mai, motif qui pourrait être invoqué par les autres salariés pour demander la requalification de leur démission devant le conseil de prud'hommes.

S'il s'évince de ces pièces que l'employeur a facilité la prise de contact avec les sociétés susceptibles de reprendre le marché Airbus, il ne peut en être déduit:

. ni qu'il s'est entendu avec le repreneur pour déterminer les termes du nouveau contrat de travail sans reprise de l'ancienneté, ce d'autant que selon la convention collective applicable, l'ancienneté est le temps d'emploi dans l'entreprise avec le même employeur en une ou plusieurs fois et il n'y a pas en l'espèce de changement de situation juridique de la société prévu à l'article L 1224-1 du code du travail imposant une reprise des mêmes termes du contrat de travail,

. ni qu'il a fait pression pour que les salariés signent le contrat le 01 mai 2021, alors que ceux-ci avaient saisi l'inspection du travail d'une demande de conseil au mois de mars 2021 quant aux conséquences de la signature d'un nouveau contrat, de la nécessité d'une démission dans ce cas et des avantages d'un licenciement économique.

Mme [M] remet en cause les témoignages opposés par l'employeur de M. [J] et M. [D], dont les termes sont repris dans les conclusions de l'appelante, lesquels ont attesté, le premier fin mai 2021 et le second en septembre 2021, ne pas avoir subi de pression pour démissionner et signer le nouveau contrat de travail, ce d'autant que M. [D] (dont on ne sait s'il a également conclu un contrat avec Altran) par nouvelle attestation du 01-03-2022 a déclaré que son témoignage du 30-09-2021 était de complaisance à la demande de l'employeur et qu'à l'issue de la réunion du 11-03-2021, M. [V] [dirigeant] a demandé de donner démission.

S'il y a lieu d'écarter les attestations contradictoires de M. [D] ( dont le revirement intervient un an après), il sera relevé que M. [J], dans la lettre à l'inspection du travail, mentionne que seuls 2 salariés étaient concernés par une demande de démission et ne cite aucun nom.

Le fait qu'une salariée ait été licenciée pour motif économique en mai 2021 ne démontre pas que la société ait voulu éviter d'appliquer une procédure collective à Mme [M] en la poussant à signer un contrat avec un nouvel employeur et donc à démissionner, alors même que M. [J] dans son courrier à l'inspection du travail (dont aucune réponse n'est produite), mentionne que l'employeur a laissé le choix entre une démission et un licenciement économique.

Si la situation économique de la société a certainement été impactée par la crise sanitaire, elle n'a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire que 2 ans après, en juin 2023 et a donc cessé son activité à cette date.

Mme [M] ne démontre pas quel préjudice elle aurait subi de ne pas avoir pu bénéficier de la procédure de licenciement économique alors même qu'elle n'allègue pas que le contrat signé avec la société Altran a été rompu et ne justifie pas de sa situation.

Dès lors la cour considère que Mme [M] ne démontre pas que l'employeur a utilisé des manoeuvres tendant à la forcer à signer un contrat avec un nouvel employeur et donc à démissionner.

En l'absence de manquements graves de la société empêchant la poursuite du contrat de travail, la prise d'acte de Mme [M] s'analyse en une démission par confirmation du jugement déféré.

De ce fait, l'appelante sera également déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur.

Sur les demandes annexes:

Mme [M], partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé en ce qu'il a condamné Mme [M] aux dépens et a débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

Mme [M] sera également déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles en appel.

PAR CES MOTIFS:

La cour statuant publiquement, par arrêt par défaut,

Déclare irrecevables les conclusions et pièces de la SASU Ite,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [H] [M] aux dépens d'appel,

La déboute de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par M. DARIES, présidente, conseillère, faisant fonction de présidente et par C. DELVER, greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

C. DELVER M. DARIES

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