Cass. crim., 16 octobre 2024, n° 23-82.720
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [O] [P], par ailleurs gérante de la société [1], a reçu sur son compte bancaire et celui de la société des sommes provenant de l'activité non déclarée d'entrepreneur en bâtiment exercée par son fils.
3. Ce dernier a été poursuivi et définitivement condamné pour travail dissimulé, blanchiment et fraude fiscale.
4. Mme [P] a été poursuivie pour blanchiment à titre habituel et la société [1] pour blanchiment par personne morale. Elle a également été poursuivie pour opposition au paiement d'un chèque, car elle avait fait opposition à un chèque de 5 851,20 euros tiré sur le compte de la société [1], avec lequel son fils avait payé une cuisine.
5. Mme [P] et la société [1] ont été déclarées coupables de ces délits par jugement du tribunal correctionnel du 22 octobre 2021, et condamnées à douze mois d'emprisonnement avec sursis et cinq ans d'interdiction de gérer s'agissant de Mme [P], 100 000 euros d'amende, la dissolution ainsi que la confiscation d'une maison d'habitation, s'agissant de la société [1]. Sur l'action civile, le tribunal a déclaré recevable la constitution de partie civile de la direction générale des finances publiques.
6. Mme [P] et la société [1], ainsi que le ministère public, ont fait appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen
Énoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré Mme [P] coupable d'opposition au paiement d'un chèque dans l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui, alors :
« 1°/ que d'une part, le délit d'opposition au paiement d'un chèque n'est constitué que si se trouve caractérisée la volonté de porter atteinte aux droits d'autrui, laquelle ne peut être constituée dans le cas où l'agent a légitimement pu croire à la perte du chèque ; qu'en jugeant que Madame [P] ne pouvait « valablement se prévaloir de l'argument selon lequel elle faisait « confiance à son fils », étant elle même obligée de présenter à son interlocuteur bancaire la raison pour laquelle elle a fait opposition » (arrêt, p. 6) tandis qu'il ressortait des éléments et pièces de la procédure que la prévenue avait procédé à l'opposition du chèque dans l'unique but de pallier sa perte, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 163-2 du code monétaire et financier, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que d'autre part, l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui devant s'apprécier au moment de la réalisation de l'opposition au paiement du chèque, la cour d'appel ne pouvait s'abstenir de répondre à l'articulation essentielle du mémoire qui faisait valoir de manière précise et circonstanciée que l'absence de dol spécial se déduisait de l'absence d'intention de nuire au bénéficiaire du chèque, Madame [P] ne le connaissant pas et ayant formé opposition au chèque uniquement au motif qu'elle avait valablement pu le croire perdu suite aux déclarations de son fils (conclusions, p. 7). »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
9. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
10. Pour déclarer Mme [P] coupable d'opposition au paiement d'un chèque avec l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui, l'arrêt attaqué énonce que Mme [P] et son fils s'accordent à dire que c'est ce dernier qui a demandé à sa mère de faire le chèque litigieux, mais que c'est Mme [P] qui s'est rendue à la banque pour procéder à l'opération.
11. Les juges ajoutent que Mme [P] ne peut valablement se prévaloir de l'argument selon lequel elle faisait confiance à son fils, étant elle-même obligée de présenter à son interlocuteur bancaire la raison pour laquelle elle a fait opposition, et que, responsable du chèque litigieux et des opérations effectuées sur le compte, sur lequel elle est la seule autorisée à agir, elle ne peut ignorer qu'une telle opération porte nécessairement atteinte aux intérêts du bénéficiaire du chèque.
12. Ils retiennent que la cousine de la prévenue, entendue par les enquêteurs, a indiqué que Mme [P] lui avait demandé de ne rien dire aux gendarmes alors que plusieurs chèques avaient été encaissés de son compte sur le compte de la société, pour un montant de 24 410 euros.
13. Les juges relèvent encore que Mme [P] a varié dans ses déclarations, affirmant lors de son premier interrogatoire tenir la comptabilité, pour expliquer in fine ne plus recevoir les relevés de compte de la société, éléments qui caractérisent sa mauvaise foi.
14. En se déterminant ainsi, par des motifs dont il ne ressort pas que Mme [P] a eu l'intention, au moment où elle a formé l'opposition au paiement du chèque, de porter atteinte aux intérêts du bénéficiaire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le deuxième moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches
Énoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré Mme [P] et la société [1] coupables de blanchiment aggravé et de blanchiment par personne morale, alors :
« 3°/ que de troisième part, l'élément intentionnel du blanchiment consiste dans la connaissance du prévenu de l'origine délictueuse des fonds doublée de la volonté de prêter son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion de ceux-ci ; qu'en se bornant à déduire l'intention délictuelle de la prévenue de l'existence de revenus non déclarés aux organismes sociaux ou à l'administration fiscale, la cour d'appel, en s'abstenant de toute caractérisation précise d'actes de blanchiment, a nécessairement privé sa décision de base légale au regard des articles 121-2 et 121-3, 324-1, 324-2 1° et 324-9 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que de quatrième part, en relevant qu'en sa qualité de gérante, Madame [P] ne pouvait ignorer l'existence des activités délictueuses de son fils Monsieur [V], lorsque de telles énonciations sont insuffisantes à caractériser qu'un acte matériel de placement, de conversion ou de dissimulation supposé porter sur des fonds d'origine illicite ait été réalisé de manière intentionnelle, la cour d'appel a de nouveau méconnu les textes précités ;
5°/ que de cinquième part, en se fondant, pour caractériser l'élément moral du blanchiment, sur l'assertion selon laquelle « il paraît difficilement concevable qu'en tant que gérante, elle ne se soit pas aperçue des encaissements importants qui prévalaient sur ces comptes et les flux financiers qui en découlaient alors qu'elle-même a perçu des sommes en contreparties des opérations qu'elle effectuait » pour en déduire que l'exposante a « permis par l'intermédiaire de la structure juridique qu'elle gérait de dissimuler des ressources illicites générées par son fils » (arrêt, p. 6) sans s'expliquer sur les conclusions qui faisaient expressément valoir qu'en raison d'une altération de ses fonctions cognitives à prédominance mnésique et attentionnelle constatée selon expertise psychiatrique du 18 janvier 2016, Madame [P] ne pouvait avoir eu conscience de faciliter ou d'apporter son concours à une opération de blanchiment, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
17. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
18. Pour déclarer Mme [P] coupable de blanchiment à titre habituel et la société [1] de blanchiment par personne morale, l'arrêt attaqué énonce qu'il paraît difficilement concevable qu'en tant que gérante, la prévenue ne se soit pas aperçue des encaissements importants qui prévalaient sur ses comptes, et des flux financiers qui en découlaient alors qu'elle-même a perçu des sommes en contrepartie des opérations qu'elle effectuait.
19. Les juges ajoutent que cette contrepartie, qui ne pouvait intervenir dans le cadre du fonctionnement d'une entité économique légale et transparente, caractérise l'élément intentionnel de l'infraction.
20. Ils concluent que Mme [P] a permis par l'intermédiaire de la structure juridique qu'elle gérait de dissimuler des ressources illicites générées par son fils.
21. En prononçant ainsi, par des motifs hypothétiques, dont il ne ressort pas que la prévenue avait connaissance de l'origine frauduleuse des fonds versés sur son compte bancaire et sur celui de la société [1], et a eu l'intention de les dissimuler, la cour d'appel, qui de surcroît n'a pas répondu au moyen péremptoire des conclusions de la prévenue concernant ses capacités cognitives, n'a pas justifié sa décision.
22. La cassation est par conséquent encore encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen de cassation proposé, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 13 avril 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Besançon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du seize octobre deux mille vingt-quatre.