CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 11 octobre 2024, n° 22/16203
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Hutchinson (SA)
Défendeur :
Tyron Runflat Limited (Sté), Dal (SAS), L.A.Vi (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Marcade, Mme Marques
Avocats :
Me Guyonnet, Me Mollet-Vieville, Me Boccon-Gibod, Me Horn, Me Dios, Me Lesne
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu l'ordonnance contradictoire rendue le 27 février 2020 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris qui a :
- déclaré le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des actes de contrefaçon commis en dehors du territoire français,
- renvoyé la société Hutchinson à mieux se pourvoir s'agissant des actes de contrefaçon aux parties anglaise et allemande du brevet EP 340,
- dit que la question de savoir si la société Global Wheel a commis ou non des actes de contrefaçon en France relève de la compétence du tribunal en formation de jugement,
- condamné la société Hutchinson à payer aux sociétés Tyron Runflat Limited et Global Wheel la somme de 10 000 euros à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé les dépens,
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 24 novembre 2020 qui a :
- déclaré l'appel recevable à l'encontre des sociétés L.A.VI et Dal,
- confirmé la décision entreprise en toutes ces dispositions sauf à préciser qu'elle ne concerne que les sociétés Tyron et Global Wheel,
Y ajoutant,
- déclaré le tribunal judiciaire de Paris compétent pour statuer sur les demandes en contrefaçon du brevet européen EP 340 pour les actes prétendument commis par les sociétés L.A.VI et Dal en Grande Bretagne et en Allemagne,
- débouté les sociétés Dal et L.A.VI de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- rejeté toutes autres demandes des parties contraires à la motivation,
- dit que chaque partie conservera la charge des dépens ainsi que des frais irrépétibles engagés dans la procédure d'appel,
Vu l'arrêt rendu le 29 juin 2022 par la Cour de cassation (1ère chambre civile) qui a :
- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il déclare le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des actes de contrefaçon commis (par) en dehors du territoire français et renvoie la société Hutchinson à mieux se pourvoir s'agissant des actes de contrefaçon aux parties anglaise et allemande du brevet EP 340, l'arrêt rendu le 24 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris,
- remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée,
- condamné les sociétés Dal, L.A. VI, Tyron Runflat et Global Wheel aux dépens,
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes formées par les sociétés Dal, L.A. VI, Tyron Runflat et Global Wheel et les condamne in solidum à payer la somme de 3 000 euros à la société Hutchinson,
- dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé,
Vu la saisine de la cour de renvoi le 12 septembre 2022 par la société Hutchinson,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 1er septembre 2023 par la société Hutchinson qui demande à la cour de :
- recevoir Hutchinson en son appel et l'y déclarer bien fondée,
- confirmer l'ordonnance rendue le 27 février 2020 en ce qu'elle a dit que la question de savoir si Global Wheel a commis ou non des actes de contrefaçon en France relève bien de la compétence du tribunal judiciaire de Paris en formation de jugement,
Constatant au surplus que la société Global Wheel ne soutient plus son exception d'incompétence devant elle,
- infirmer cette ordonnance en ce qu'elle a :
- déclaré le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des actes de contrefaçon commis en dehors du territoire français,
- renvoyé la société Hutchinson à mieux se pourvoir s'agissant des actes de contrefaçon aux parties anglaise et allemande du brevet EP 340,
- condamné la société Hutchinson à payer à la société Tyron Runflat Limited la somme de
10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la réformant pour le surplus,
- déclarer le tribunal judiciaire de Paris compétent pour apprécier et statuer sur chacune des contrefaçons de brevet et les sanctions demandées par la société Hutchinson dans ses assignations du 9 juillet 2018 à l'encontre de chacune et de manière solidaire des défenderesses, tant sur le marché français, que sur les marché anglais et allemand, et ce en application des articles 14 du code civil, 42 § 3 et 46 § 3 du code de procédure civile, ainsi que des articles 4, 6.1, 7.2 et 8.1 du règlement UE 1215/2012,
- débouter en conséquence la société Tyron Runflat Limited en son exception d'incompétence, ainsi que les sociétés Dal et L.A. VI en toutes leurs demandes, fins et conclusions, y compris au titre des articles 699 et 700 code de procédure civile,
- dire et juger que le moyen sur un procès équitable soulevé pour la première fois par la seule des quatre co-défenderesses la société Tyron Runflat Limited dans ses conclusions n°2 du 4 août 2023 est irrecevable et mal fondé, l'en débouter,
- condamner la société Tyron Runflat Limited à restituer immédiatement à la société Hutchinson la somme de 10 000 euros, et ce avec les intérêts légaux de droit,
- condamner en vertu de l'article 700 code de procédure civile, la société Tyron Runflat Limited à payer à la société Hutchinson la somme de 100 000 euros à titre de remboursement équitable des peines et soins qu'elle a dû débourser sur l'incident d'incompétence soulevé et maintenu par la société Tyron,
- condamner conjointement et solidairement les sociétés Tyron Runflat Limited, Dal et L.A.VI (anciennement dénommée Tyron France) à payer à la société Hutchinson la somme de 50 000 euros toujours en vertu de l'article 700 code de procédure civile à titre de remboursement complémentaire de ses frais et honoraires qu'elle a dû avancer pour écarter les demandes judiciaires que les sociétés Tyron Runflat Limited, Dal et L.A.VI ont cru pouvoir maintenir pendant plus de cinq ans devant plusieurs juridictions, ainsi qu'en vertu de l'article 1240 du code civil.
- condamner conjointement et solidairement Tyron Runflat Limited, Dal (anciennement dénommée Tyron France) et L.A.VI aux entiers dépens (dont les notifications à l'étranger) tant ceux d'appels que de première instance, dont distraction au profit de la SCP AFG, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 6 septembre 2023 par la société Tyron Runflat Limited qui demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 27 février 2020,
En conséquence,
- juger que le tribunal judiciaire de Paris est incompétent pour connaître des prétendus actes de contrefaçon qui auraient été commis par la société de droit anglais Tyron Runflat Limited en dehors du territoire français, en particulier en Allemagne et au Royaume-Uni,
- renvoyer la société Hutchinson à mieux se pourvoir s'agissant des prétendus actes de contrefaçon qui auraient été commis par la société de droit anglais Tyron Runflat Limited en dehors du territoire français, en particulier en Allemagne et au Royaume-Uni,
En tout état de cause,
- condamner la société Hutchinson à payer à la société Tyron Runflat Limited la somme de
20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Hutchinson aux entiers dépens de première instance et d'appel y compris sur renvoi après cassation,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 6 septembre 2023 par la société Dal (anciennement Tyron France) et la société L.A.VI qui demandent à la cour de :
- déclarer recevables les conclusions des sociétés LA.VI et Dal,
- statuer sur le seul litige soumis à la cour par renvoi suite à l'arrêt rendu entre les parties le 29 juin 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation, et déclarer irrecevables les demandes dont la cour n'est pas saisie,
- en tout état de cause, les sociétés LA.VI et DAL s'en rapportant à la décision de la cour concernant la compétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître des actes de contrefaçon prétendument commis en dehors du territoire français et renvoie la société Hutchinson à mieux se pourvoir s'agissant des actes de contrefaçon aux parties anglaise et allemande du brevet EP 340,
- déclarer irrecevables toutes les demandes de la société Hutchinson en ce qu'elles sont dirigées contre les sociétés LA.VI et Dal,
- débouter la société Hutchinson de ses demandes à l'égard des sociétés LA.VI et Dal et rejeter la demande de la société Hutchinson de voir condamner les sociétés Tyron Runflat Limited, Dal et LA.VI à lui régler la somme de 50 000 euros à titre d'indemnité,
- condamner la société Hutchinson à payer aux sociétés Dal et LA.VI la somme de 20 000 euros à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance dont recouvrement direct au profit de Me Dios,
Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 16 février 2023 qui a constaté le désistement d'instance de la société Hutchinson à l'égard de la société Global Wheel,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 7 septembre 2023 ;
SUR CE,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que la société française Hutchinson a fait assigner en juillet 2018 devant le tribunal de grande instance de Paris la société sud-africaine Global Wheel, fournisseur de la société anglaise Tyron Runflat (ci-après la société Tyron) ainsi que les sociétés Dal et LA VI, distributeurs en France des produits de cette dernière, pour contrefaçon, en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne, du brevet européen n°1 262 340 (EP 340) dont elle est titulaire pour des roues avec système de gonflage.
Le juge de la mise en état, a, par ordonnance du 27 février 2020, déclaré sa juridiction incompétente pour les actes de contrefaçon en Grande- Bretagne et en Allemagne.
La société Hutchinson a fait appel.
La cour d'appel de Paris, par arrêt du 24 novembre 2020, a confirmé le premier juge, s'agissant de l'incompétence à l'égard des sociétés Global Wheel et Tyron.
La société Hutchinson a formé un pourvoi.
Par arrêt du 29 juin 2022, la Cour de cassation (1ère chambre civile) a, cassé et annulé partiellement l'arrêt de la cour d'appel de Paris, seulement en ce qu'il déclare le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des actes de contrefaçon commis en dehors du territoire français et renvoie la société Hutchinson à mieux se pourvoir s'agissant des actes de contrefaçon aux parties anglaise et allemande du brevet EP 340, aux visas :
- de l'article 8, point 1, du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale,
au motif que :
3. Selon ce texte, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut aussi être attraite, s'il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
Rappelant que la Cour de justice de l'Union européenne (CJCE, 12 juillet 2012, aff. C-616/10) a dit pour droit, à propos de l'article 6, point 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, rédigé en des termes identiques à l'article 8 point 1 précité, que ce texte « doit être interprété en ce sens qu'une situation dans laquelle deux ou plusieurs sociétés établies dans différents États membres sont accusées, chacune séparément, dans une procédure pendante devant une juridiction d'un de ces États membres, de contrefaçon à la même partie nationale d'un brevet européen, tel qu'en vigueur dans un autre État membre, en raison d'actes réservés concernant le même produit, est susceptible de conduire à des solutions inconciliables si les causes étaient jugées séparément, au sens de cette disposition. Il appartient à la juridiction de renvoi d'apprécier l'existence d'un tel risque en tenant compte de tous les éléments pertinents du dossier», la Cour de cassation énonce :
5. Pour déclarer les juridictions françaises incompétentes pour connaître des actes de contrefaçon commis par la société Tyron en dehors du territoire français, l'arrêt retient que les atteintes prétendument portées en Grande Bretagne et en Allemagne aux parties anglaise et allemande de son brevet européen ne relèvent pas de la même situation de droit que celles portées à la partie française du brevet et que les produits incriminés en France et ceux qui le sont hors du territoire français ne sont pas les mêmes, de sorte qu'il n'y a pas identité de situation de droit et de fait dans les demandes portant sur des actes de contrefaçon commis sur le territoire français et en dehors du territoire, les décisions relatives aux demandes risquant d'être divergentes mais pas inconciliables.
6. En statuant ainsi, alors que la société Hutchinson invoquait les atteintes portées par les sociétés françaises et la société Tyron, en France, en Allemagne et en Grande Bretagne, aux mêmes parties nationales de son brevet européen, concernant le même produit, la cour d'appel, à qui il appartenait de rechercher si le fait de juger séparément les actions en contrefaçon n'était pas susceptible de conduire à des solutions inconciliables, a violé le texte susvisé.
- de l'article 14 du code civil,
au motifs que :
8. Il résulte de ce texte que le demandeur français, dès lors qu'aucun critère ordinaire de compétence n'est réalisé en France, peut valablement saisir le tribunal français qu'il choisit en raison d'un lien de rattachement de l'instance au territoire français, ou, à défaut, selon les exigences d'une bonne administration de la justice.
9. Pour dire incompétent le juge français pour connaître des actes de contrefaçon commis en dehors du territoire français par la société Global Wheel, domiciliée en Afrique du Sud, l'arrêt retient que la société Hutchinson ne démontre pas la pertinence du rattachement avec la présente instance, alors que le juge français n'est pas compétent pour les faits prétendument commis à l'étranger par la société Tyron dont la société Global Wheel était le fournisseur et que les juridictions anglaise et allemande sont compétentes pour juger des prétendus actes de contrefaçon de la partie nationale du brevet litigieux commis sur leurs territoires respectifs.
10. En statuant ainsi, par des motifs impropres à faire échec à la compétence des juridictions françaises fondée sur la nationalité française de la société Hutchinson, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Il résulte de ces énonciations que la cour de renvoi n'est saisie que de la question de la compétence territoriale de la juridiction française pour connaître des actes de contrefaçon allégués commis en dehors du territoire français par la société Global Wheel et par la société Tyron
En cours de procédure, les sociétés Tyron et Global Wheel ont décidé de mettre fin au litige qui les opposait et par ordonnance en date du 16 février 2023, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement d'instance de la société Hutchinson à l'égard de la société Global Wheel.
Compte tenu de ce désistement intervenu en faveur de la société Global Wheel, la saisine de la cour de renvoi est réduite à la question de la compétence territoriale de la juridiction française pour connaître des actes de contrefaçon allégués commis en dehors du territoire français par la société Tyron.
Il n'y a donc pas lieu de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 27 février 2020 en ce qu'elle a dit que la question de savoir si Global Wheel a commis ou non des actes de contrefaçon en France relève bien de la compétence du tribunal judiciaire de Paris en formation de jugement ni de statuer sur la compétence du tribunal judiciaire de Paris pour apprécier et statuer sur la contrefaçon de brevet et les sanctions demandées par la société Hutchinson dans ses assignations du 9 juillet 2018 à l'encontre de chacune et de manière solidaire des défenderesses, tant sur le marché français, que sur les marchés anglais et allemand.
Sur la compétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaitre des actes de contrefaçon reprochés à la société Tyron commis en dehors du territoire national et en particulier en Allemagne et en Angleterre
La société Hutchinson fait grief au juge de la mise en état d'avoir déclaré le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des actes de contrefaçon commis en dehors du territoire français aux motifs qu'il n'y aurait pas identité de situations de fait et de droit dans les actions portant sur des actes de contrefaçon commis dans des pays différents, que les décisions rendues par les juridictions nationales risquent d'être divergentes mais pas inconciliables au sens de l'article 8.1) du règlement n° 1215 /2012 et que la prorogation de compétence prévue par cet article n'est pas applicable. Elle demande en conséquence à la cour de renvoi de déclarer le tribunal judiciaire de Paris compétent pour statuer sur chacune des contrefaçons de brevet invoqués dans son assignation et de débouter la société Tyron de son exception d'incompétence en se prévalant de l'article 8 1) du règlement 1215/2012 précité, de l'identité des produits en cause dès lors qu'ils relèvent d'une même chaîne d'approvisionnement qu'ils soient vendus en France ou en Angleterre, d'une identité des actes de contrefaçon incriminés (importation en France et en Angleterre, acte de vente en ligne sur un site accessible en France, en Allemagne et en Angleterre) et de l'identité de la partie nationale du brevet européen dont elle invoque l'atteinte, et donc de mêmes situations de fait et de droit ou à tout le moins en substance identiques en dépit de bases ou fondements juridiques différents pour la France d'une part et pour la Grande Bretagne et l'Allemagne d'autre part. Elle considère que le moyen invoqué par la société Tyron fondé sur le droit au procès équitable est tant irrecevable que mal fondé en application du principe de concentration des moyens et s'oppose par ailleurs à l'argument concernant l'éventuelle impossibilité d'exercer devant le tribunal français une action en nullité des parties allemande et anglaise du brevet EP 340 du brevet invoqué par la société Tyron sur le fondement de l'article 2224 du code civil.
La société Tyron demande à la cour de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état qui a considéré le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaitre des prétendus actes de contrefaçon qui auraient été commis par elle en dehors du territoire français, en particulier en Allemagne et au Royaume-Uni soutenant une absence d'identité de situation de fait et de droit entre les actes de contrefaçon reprochés en France portant sur la partie française du brevet européen EP 340 et ceux qui sont incriminés en Allemagne et au Royaume-Uni portant respectivement sur les parties allemande et anglaise dudit brevet européen, la société Hutchinson se plaignant que 129 jantes sont contrefaisantes ayant des références différentes et étant commercialisées sur des territoires différents. Elle demande donc à la cour de juger que le tribunal judiciaire de Paris est incompétent pour connaître des prétendus actes de contrefaçon qui auraient été commis par elle en dehors du territoire français, en particulier en Allemagne et au Royaume-Uni, la compétence d'exception en cas de pluralité de défendeurs prévue par l'article 8 1) du règlement UE 1215/2012 étant inapplicable en l'espèce. Elle fait valoir qu'à défaut, son droit à un procès équitable serait violé du fait de l'impossibilité de soulever efficacement devant le juge français le moyen de défense consistant à solliciter la nullité des parties allemande et anglaise du brevet EP 340 dès lors que la validité d'un titre national de brevet relève de la compétence exclusive du juge national de l'Etat de délivrance et qu'une telle décision aurait pour effet de mettre à sa charge le coût des procédures en nullité de brevet dans chaque pays où la contrefaçon de la partie nationale du brevet est alléguée ajoutant qu'elle a déjà sollicité la nullité des revendications qui lui sont opposées de la partie française du brevet EP 340 devant le tribunal judiciaire de Paris.
Les sociétés L.A.VI et Dal (anciennement Tyron France) demandent à la cour de statuer sur le seul litige qui lui est soumis sur renvoi suite à l'arrêt rendu le 29 juin 2022 par la Cour de cassation et de déclarer irrecevables les demandes de la société Hutchinson dont la cour n'est pas saisie et les demandes indemnitaires dirigées contre elles.
Ceci étant exposé, il y a lieu de préciser qu'il n'appartient pas à la cour statuant en appel d'une ordonnance du juge de la mise en état ayant déclaré le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaitre des actes de contrefaçon incriminés commis en dehors du territoire français d'apprécier le fond du litige, qu'il s'agisse de la portée du brevet opposé par la société Hutchinson, de la réalité des actes de contrefaçon allégués par elle ou de la prescription alléguée de l'action en nullité de la société Tyron.
Aux termes de l'article 8.1 du règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012 dont la société de droit anglais Tyron admet l'application à son égard compte tenu de la date de l'assignation qui lui a été délivrée : « Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut aussi être attraite s'il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément».
Cet article doit être interprété à la lumière de la jurisprudence de la CJUE relative à l'article 6.1 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000, devenu l'article 8.1 dans le règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012, et notamment des arrêts C-539/03 Roche c/ Primus du 13 juillet 2006 et C-616/10 Solvay c/ Honeywell du 12 juillet 2012.
La CJUE a rappelé dans l'arrêt Solvay du 12 juillet 2012 que :
21. La règle de compétence spéciale (de l'article 6.1 devenu l'article 8.1) en ce qu'elle déroge à la compétence de principe du for du domicile du défendeur, doit faire l'objet d'une interprétation stricte.
22. Cette même règle ne saurait être interprétée en vue de l'appliquer de telle sorte qu'elle permette au requérant de former une demande dirigée contre plusieurs défendeurs à la seule fin de soustraire l'un de ces défendeurs aux tribunaux de l'État où il est domicilié.
23. C'est à la juridiction nationale qu'il appartient d'apprécier l'existence du lien de connexité entre les différentes demandes portées devant elle, c'est-à-dire du risque de décisions inconciliables si lesdites demandes étaient jugées séparément, et, à cet égard, de prendre en compte tous les éléments nécessaires du dossier.
24. Pour que des décisions soient considérées comme risquant d'être inconciliables, il ne suffit pas qu'il existe une divergence dans la solution du litige, mais encore faut-il que cette divergence s'inscrive dans le cadre d'une même situation de fait et de droit.
25. Il ne saurait être conclu à l'existence d'une même situation de fait, dès lors que les défendeurs sont différents et que les actes de contrefaçon qui leur sont reprochés, mis en 'uvre dans des Etats contractants différents, ne sont pas les mêmes.
D'autre part, il ne saurait être conclu à l'existence d'une même situation de droit lorsque plusieurs juridictions de différents États contractants sont saisies d'actions en contrefaçon d'un brevet européen délivré dans chacun de ces États et que ces actions sont engagées à l'encontre de défendeurs domiciliés dans ces États pour des faits prétendument commis sur leur territoire.
26. En effet, un brevet européen demeure régi, tel qu'il découle clairement des articles 2 paragraphe 2, et 64 paragraphe 1 de la convention de Munich, par la réglementation nationale de chacun des États contractants pour lesquels il a été délivré. De ce fait, toute action en contrefaçon de brevet européen doit, ainsi qu'il ressort de l'article 64, paragraphe 3, de ladite convention, être examinée au regard de la réglementation nationale en vigueur, en la matière, dans chacun des États pour lesquels il a été délivré.
29. Afin d'apprécier l'existence du lien de connexité entre les différentes demandes portées devant elle et donc du risque de décisions inconciliables si ces demandes étaient jugées séparément, il incombera à la juridiction nationale de prendre, notamment, en compte la double circonstance selon laquelle, d'une part, les défenderesses au principal sont accusées, chacune séparément, des mêmes actes de contrefaçon à l'égard des mêmes produits et, d'autre part, de tels actes de contrefaçon ont été commis dans les mêmes États membres, de sorte qu'ils portent atteinte aux mêmes parties nationales du brevet européen en cause.
Elle a alors dit pour droit, à propos de l'article 6, point 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, rédigé en des termes identiques à l'article 8 point 1 précité, que ce texte « doit être interprété en ce sens qu'une situation dans laquelle deux ou plusieurs sociétés établies dans différents États membres sont accusées, chacune séparément, dans une procédure pendante devant une juridiction d'un de ces États membres, de contrefaçon à la même partie nationale d'un brevet européen, tel qu'en vigueur dans un autre État membre, en raison d'actes réservés concernant le même produit, est susceptible de conduire à des solutions inconciliables si les causes étaient jugées séparément, au sens de cette disposition. Il appartient à la juridiction de renvoi d'apprécier l'existence d'un tel risque en tenant compte de tous les éléments pertinents du dossier.».
En l'espèce, ayant constaté que la société Tyron exposait sur son stand un produit dénommé 'Tyron Rubber Runflat' contrefaisant selon elle les revendications du brevet EP 340 dont elle est titulaire et après y avoir été dûment autorisée par ordonnance présidentielle, la société Hutchison a fait pratiquer le 15 juin 2018 une saisie-contrefaçon sur le stand de la société Tyron du salon Eurosatory, qui se tenait à [Localité 8] en juin 2018. Elle incrimine en plus de la jante référencée 1990 exposée en France sur le stand tenu par la société Tyron, 129 autres jantes vendues en Angleterre et en Allemagne sous les références 1904, 1942, 1946 et 1991.
Par actes d'huissier de justice du 9 juillet 2018, la société Hutchison a fait assigner les sociétés Tyron, Global Wheel, Tyron France (devenue DAL) et L.A.VI, devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris en contrefaçon de brevet, au visa des articles L. 613-1 à 4 et L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle, des sections 9 et 10 de la loi allemande sur les brevets et de l'article 60 1° et 2° de la loi du Royaume-Uni sur les brevets au titre de l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation ainsi que la détention aux fins précitées ainsi que l'offre de livraison de telles jantes tant en France qu'en Allemagne et en Grande-Bretagne.
La société Hutchinson reproche aux sociétés françaises L.A.VI et DAL, anciennement dénommée Tyron France, d'avoir offert tant en France qu'en Angleterre la jante incriminée référencée 1990. La compétence du juge français pour connaître de ces faits est désormais acquise.
La saisie-contrefaçon pratiquée le 15 juin 2018 a révélé la présence sur le stand de la société Tyron du salon Eurosatory de cette jante référencée 1990. La société Hutchinson incrimine en outre la vente par la société Tyron, en Angleterre et en Allemagne, par le biais de son site internet, d'autres jantes sous les références 1904, 1942, 1946 et 1991.
Ainsi les faits de contrefaçon allégués à l'encontre de la société Tyron résulteraient de l'importation en Grande Bretagne par cette dernière de chacune des jantes incriminées, de l'offre, notamment de la jante 1990 sur les territoires britannique et français et de la mise dans le commerce, notamment par internet, des mêmes jantes.
Il s'agit de faits identiques provenant d'une même chaîne d'approvisionnement dès lors que chacune des jantes incriminées a été importée en Grande Bretagne par la société Tyron et que les jantes 1990 sont offertes par les défenderesses à l'action sur le site anglais de la société Tyron, la question de savoir si la jante référencée 1990 saisie en France est ou non identique à la jante référencée 1904 avant sa modification relevant quant à elle de l'appréciation du juge du fond et non pas de la présente cour de renvoi après cassation partielle.
Les jantes incriminées par la société Hutchinson ont été importées en Angleterre par la société Tyron, et il est reproché à ce titre à cette dernière la contrefaçon de la partie anglaise du brevet EP en cause selon la loi anglaise. La jante référencée 1990 a été importée et exposée par la société Tyron en France et il est reproché à ce titre à cette dernière la contrefaçon de la partie française du brevet selon la loi française. S'agissant de la jante offerte à partir du site internet de la société Tyron, est alléguée la contrefaçon de la partie anglaise du brevet selon la loi anglaise et de la partie française du même brevet selon la loi française. Enfin est poursuivie la contrefaçon de la partie allemande du brevet résultant de l' offre de la même jante en Allemagne selon la loi allemande.
Il en résulte que la société Hutchinson invoque des atteintes portées par les sociétés françaises et la société Tyron, en France, en Allemagne et en Grande Bretagne, aux mêmes parties nationales de son brevet européen, concernant les mêmes produits, et que ses demandes sont liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément, cette situation n'empêchant pas la société Tyron de solliciter la nullité du titre qu'on lui oppose devant les juges respectivement compétents.
En conséquence, l'ordonnance du conseiller de la mise en état qui a dit le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des faits prétendument commis en Grande Bretagne et en Allemagne par la société de droit anglais Tyron et a renvoyé la société Hutchinson à mieux se pourvoir s'agissant des actes de contrefaçon allégués aux parties anglaise et allemande du brevet EP 1 262 340 doit être infirmée.
Sur les autres demandes
Les dispositions de l'ordonnance du juge de la mise en état relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront également infirmées.
Le présent arrêt valant titre ,il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de restitution des sommes versées par la société Hutchinson au titre des frais irrépétibles.
La société Tyron qui succombe sera condamnée aux dépens de l'incident de première instance et d'appel qui comprendront ceux de l'arrêt cassé partiellement.
Elle sera en outre condamnée à payer à la société Hutchinson qui a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le surplus des demandes formées à ce titre étant rejeté y compris celles formées à l'encontre des sociétés Dal et L.A.VI.
Les demandes des sociétés Dal et L.A.VI formées également au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront également rejetées.
Enfin la demande de la société Hutchinson formée tant à l'encontre de la société Tyron que des sociétés Dal et L.A.VI et fondée sur l'article 1240 du code civil au motif que la procédure a duré plus de cinq ans devant plusieurs juridictions s'apparente à une demande de dommages intérêts pour résistance abusive qui, outre le fait qu'elle n'a pas été soumise à la première cour d'appel, doit être rejetée à ce stade.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans la limite de la saisine après cassation partielle,
Infirme l'ordonnance du juge de la mise en état en ce qu'elle a dit le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des actes de contrefaçon commis en dehors du territoire français et a renvoyé la société Hutchinson à mieux se pourvoir s'agissant des actes de contrefaçon aux parties anglaise et allemande du brevet EP 340, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles mis à la charge de la société Hutchinson et aux dépens.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare le tribunal judiciaire de Paris compétent pour connaître des actes de contrefaçon du brevet EP 1 262 340 allégués à l'encontre de la société Tyron Runflat Limited en dehors du territoire français.
Condamne la société Tyron Runflat Limited à payer à la société Hutchinson la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Rejette toutes autres demandes.
Condamne la société Tyron Runflat Limited aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront ceux de l'arrêt cassé partiellement et qui seront recouvrés directement conformément à l'article 699 du code de procédure civile.