CA Lyon, 1re ch. civ. B, 15 octobre 2024, n° 22/07570
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Maison Bellecour (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Goursaud
Conseillers :
Mme Lemoine, Mme Lecharny
Avocats :
Me Rossi, Me Croze
EXPOSE DU LITIGE
Le 11 avril 2019, M. [P] a donné à bail à la société Maison Bellecour un local commercial à usage de restaurant à [Localité 6] (69).
Mme [X] et M. [W], propriétaires d'une maison mitoyenne depuis 2014, se plaignant de nuisances acoustiques provenant de la tourelle d'extraction des fumées de cuisine du restaurant à enseigne « Le Bacchus », exploité par la société Maison Bellecour, celle-ci a fait procéder au changement de tourelle ou hotte de toiture le 17 octobre 2019 par l'entreprise de M. [B].
Devant la persistance de nuisances acoustiques, Mme [X] et M [W] ont obtenu la réalisation d'une étude par l'agence régionale de santé (l'ARS), les 11 et 12 mars 2020, concluant à une émergence non réglementaire au niveau de la tourelle.
Malgré l'installation, fin mai 2020, par la société Maison Bellecour, d'un fût de rejet vertical, Mme [X] et M. [W], maintenant leurs doléances, notamment au vu d'une nouvelle étude réalisée par l'ARS les 24 et 25 juin 2020, ont mis en demeure la société Maison Bellecour de mettre fin aux nuisances.
Par exploit d'huissier de justice du 18 septembre 2020, Mme [X] et M. [W] ont donné assignation à la société Maison Bellecour devant le juge des référés du tribunal judiciaire en vue de la réalisation d'un expertise et, par exploit d'huissier de justice du 28 octobre 2020, la société Maison Bellecour a appelé en cause M. [B].
Par ordonnance du 14 décembre 2020, M. [G] a été désigné comme expert et il a été fait interdiction à la société Maison Bellecour « d'user de la tourelle en dehors des plages horaires de 11 heures à 14 heures et de 19 heures à 22 heures à vitesse minimale ».
Par ordonnance du 27 septembre 2021, les opérations d'expertise ont été rendues communes à M. [P].
Dans son rapport du 20 mai 2022, l'expert judiciaire a conclu à l'existence de malfaçons dans les travaux de changement de tourelle et d'une non-conformité de l'installation existante, les travaux de reprise et de mise en conformité étant évalués à 6 132 euros HT, réalisables en deux ou trois jours.
Par exploit d'huissier de justice du 17 août 2022, Mme [X] et M. [W], dûment autorisés, ont donné assignation à la société Maison Bellecour à jour fixe devant le tribunal judiciaire en vue de la réalisation forcée des travaux de reprise et de mise en conformité.
Par jugement 13 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a notamment:
- déclaré que la société Maison Bellecour est l'auteur d'un trouble anormal de voisinage au préjudice de M. [W] et Mme [X],
- condamné la société Maison Bellecour à réaliser des travaux de mise en conformité du système d'extraction des fumées de cuisine au moyen du remplacement de la tourelle par un caisson d'extraction et de la gaine de diamètre 250 mm par une gaine de 355 mm, avec astreinte définitive de 100 euros par jour de retard à compter du mois suivant la notification du jugement,
- condamné la société Maison Bellecour à payer à M. [W] et Mme [X] la somme de 14 800 euros au titre de leur préjudice de jouissance,
- condamné la société Maison Bellecour à payer à M. [W] et Mme [X] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par déclaration du 14 novembre 2022, la société Maison Bellecour a relevé appel du jugement.
Par jugement du 17 janvier 2023, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé la liquidation judiciaire de la société Maison Bellecour et désigné Me [M], ès qualité de liquidateur judiciaire, qui intervient volontairement dans la présente instance.
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 13 février 2023, la société Maison Bellecour, représentée par Me [M], ès qualité, demande de:
Infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
A titre principal
Constater l'interruption d'instance,
A titre subsidiaire
Débouter M. [W] et Mme [X] de l'ensemble de leurs demandes aucun trouble anormal du voisinage n'étant imputable à la société Maison Bellecour.
A titre très subsidiaire,
Débouter M. [W] et Mme [X] de l'ensemble de leurs demandes, la société Maison Bellecour étant dans l'impossibilité de faire exécuter les travaux auxquels elle a été condamnée par le jugement du 13 octobre 2022.
A titre infiniment subsidiaire,
Réduire à de plus justes proportions l'indemnisation au titre du préjudice de jouissance,
En toute hypothèse,
Condamner M. [W] et Mme [X] à payer à la société Maison Bellecour, représentée par Me [M], ès qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées le 10 mai 2023, M. [W] et Mme [X] demandent de:
Confirmer le jugement
Fixer au passif de la société Maison Bellecour la somme de 26 938,28 euros, selon déclaration de créance du 25 janvier 2023,
Débouter la société Maison Bellecour et la Selarl [I] [M], ès qualité de liquidateur judiciaire de l'ensemble de leurs demandes.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions précitées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 7 septembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur l'interruption de l'instance
M. [W] et Mme [X] justifient avoir déclaré le 25 janvier 2023 leur créance à la procédure collective ouverte au bénéfice de la société Maison Bellecour, à hauteur de la somme de 26 938,28 euros.
En outre, Me [M], est intervenu volontairement à l'instance, ès qualités de liquidateur judiciaire, par conclusions notifiées le 13 février 2023.
Dès lors, le moyen tiré de l'interruption de l'instance du fait de la liquidation judiciaire de la société Maison Bellecour, doit être rejeté.
2. Sur la responsabilité de la société Maison Bellecour
La société Maison Bellecour, représentée par Me [M], ès qualité, fait notamment valoir que:
- elle a conclu avec M. [P] un bail commercial portant sur des locaux équipés, dont une salle de restaurant,
- le bailleur a la charge des grosses réparations, dont les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué,
- les travaux de mise en conformité du système d'extraction des fumées de cuisine au moyen du remplacement de la tourelle par un caisson d'extraction de la gaine de diamètre 250 mm par une gaine 355 mm, préconisés par l'expert judiciaire, sont des grosses réparations qui ont pour objet de rendre le bien conforme à sa destination, qui incombent au bailleur,
- la société Maf, qu'elle a contacté, a refusé de réaliser les travaux préconisés par l'expert au motif qu'ils n'étaient pas adaptés et a proposé soit le changement du boisseau en briques pour passer une gaine de 400mm, soit le passage à l'extérieur de la tourelle,
- elle a fait toutes diligences pour remédier aux désordres et aux nuisances acoustiques en faisant réaliser les travaux par l'entreprise Visar [B], qui était tenue d'une obligation de résultat,
- aucune faute ne peut lui être reprochée,
- il résulte du rapport d'expertise judiciaire que l'entreprise Visar [B] a engagé sa responsabilité et est à l'origine des préjudices allégués par les intimés,
- seule la preuve d'un dommage personnel peut justifier une action en réparation du trouble anormal et la seule constatation d'une infraction aux dispositions du code de la santé publique est insuffisante à cet égard,
- la preuve du préjudice n'est pas rapportée, à défaut pour les intimés de démontrer que les bruits issus de la cuisine du restaurant les empêchent de jouir de leur bien,
- les intimés ont fait effectuer des travaux de transformation de leur grange, mitoyenne au local commercial, et ont fait installer deux fenêtres de toit jouxtant la tourelle d'extraction, ce qui a contribué à leur propre dommage.
M. [W] et Mme [X] font notamment valoir que:
- ils subissent les nuisances acoustiques provenant de la tourelle d'extraction des fumées de cuisine du restaurant exploité par l'appelante depuis plus de quatre ans,
- il appartient à l'appelante d'exercer un éventuel recours contre le bailleur ou M. [B],
- les travaux préconisés par l'expert judiciaire, qui peuvent être effectués en deux ou trois jours permettraient de mettre fin au trouble,
- la société Maf ne saurait modifier les préconisations de l'expert judiciaire, de sorte que la preuve de l'impossibilité d'exécuter les travaux n'est pas rapportée,
- les nuisances sonores ont été relevées par l'expert, de sorte que leur préjudice est établi, puisqu'elles affectent leur sommeil, ainsi que leur jouissance de l'extérieur de la maison.
Réponse de la cour
Toute personne, qu'elle soit propriétaire ou locataire d'un bien, qui est à l'origine d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.
Il n'est pas contesté en appel que la non-conformité du système d'extraction des fumées de cuisine provenant de l'activité de restauration de la société Maison Bellecour, est à l'origine, chez M. [W] et Mme [X], qui sont ses voisins immédiats, d'un bruit ambiant qui excède les normes réglementaires.
La société Maison Bellecour est dès lors responsable de plein droit des dommages qui en résultent et tenue de les réparer, nonobstant sa qualité de locataire et quand bien même les travaux à réaliser pour mettre un terme aux nuisances sont de grosses réparations au sens de l'article R 145-35 du code de commerce, celle-ci pouvant le cas échéant exercer un recours contre le bailleur.
La circonstance que la société Maison Bellecour ait tenté de mettre un terme aux nuisances en faisant réaliser des travaux ou n'ait commis aucune faute est sans incidence, s'agissant d'un régime de responsabilité objective, sans faute, dont la seule constatation d'un trouble anormal de voisinage suffit pour engager la responsabilité de son auteur.
Le dommage dont se plaignent M. [W] et Mme [X], à savoir un trouble de jouissance à cause des bruits continus à l'extérieur et à l'intérieur de la maison, même lorsque les fenêtres sont fermées, de jour comme de nuit, est établi par le rapport d'expertise judiciaire, qui a mesuré l'émergence du bruit causé par la tourelle le 9 novembre 2021 entre 16 heures et 19 heures, ainsi que le 24 novembre entre 22 heures et 23 heures 30 et retenu que la plupart des émergences globales et spectrales mesurées dépassent les valeurs réglementaires définies dans le code de la santé publique.
Enfin, la société Maison Bellecour ne saurait être exonérée de sa responsabilité en raison de l'installation de fenêtres de toit par M. [W] et Mme [X] à proximité de la tourelle alors que l'expert a relevé que l'émergence du bruit dépasse les seuils réglementaires même lorsque les fenêtres sont fermées, ainsi qu'à l'extérieur de la maison, privant ces derniers de la possibilité de profiter de leur jardin.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la responsabilité de la société Maison Bellecour représentée par Me [M], ès qualité est engagée.
Le jugement est confirmé de ce chef.
3. Sur la réparation du dommage
La société Maison Bellecour, représentée par Me [M], ès qualité, fait notamment valoir que:
- les travaux préconisés par l'expert judiciaire sont impossible à exécuter,
- la société Maf, qui est intervenue en qualité de sapiteur lors des opérations d'expertise et a établi un devis, a refusé de les exécuter et préconisé en lieux et place soit le changement du boisseau en briques pour passer une gaine de 400 mm, soit le passage en extérieur,
- du fait de la liquidation judiciaire, elle n'a pas la possibilité d'exécuter les travaux demandés,
- le préjudice a été évalué à la somme mensuelle de 400 euros, sans aucune justification ni recherche de la valeur locative du bien.
M. [W] et Mme [X] font notamment valoir que:
- leur préjudice de jouissance a été évalué par l'expert judiciaire à 400 euros par mois pendant 37 mois, du mois de juin 2019 au mois d'août 2022,
- la hotte n'a pas cessé de fonctionner pendant la crise sanitaire, des plats à emporter étant confectionnés,
- la société Maison Bellecour ne rapporte pas la preuve de l'impossibilité d'exécuter les travaux auxquels elle a été condamnée, la circonstance que la société Maf préconise d'autres travaux étant insuffisante.
Réponse de la cour
La demande tendant à voir condamner la société Maison Bellecour à réaliser les travaux de mise en conformité du système d'extraction des fumées de cuisine, sous astreinte, équivaut à une demande tendant à voir condamner la société en paiement, puisqu'elle doit financer les travaux à réaliser.
Compte tenu de la liquidation judiciaire de la société Maison Bellecour et en l'absence de demande en fixation chiffrée correspondant aux travaux demandés, cette demande doit être déclarée irrecevable.
Le jugement est infirmé de ce chef.
En revanche, c'est par des motifs exacts et pertinents, que la cour adopte, que les premiers juges ont retenu que le préjudice subi par M. [W] et Mme [X] pendant 37 mois devait être évalué sur une base mensuelle de 400 euros, compte tenu des désagréments nuit et jour, à l'intérieur comme à l'extérieur de la maison, soit la somme totale de 14 800 euros.
Le jugement est donc confirmé, sauf à dire que la société Maison Bellecour, en liquidation, ne peut être condamnée à son paiement, cette somme étant fixée au passif de la procédure collective ouverte à son bénéfice.
4. Sur les autres demandes
Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à dire que la société Maison Bellecour n'est pas condamnée au paiement de ces sommes, qui sont fixées au passif de la procédure collective ouverte à son bénéfice.
La société Maison Bellecour, représentée par Me [M], ès qualité, est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel sont à la charge de la société Maison Bellecour, représentée par Me [M], ès qualité qui succombe en sa tentative de remise en cause du jugement.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Rejette le moyen tiré de l'interruption de l'instance,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il:
- condamne la société Maison Bellecour à réaliser des travaux de mise en conformité du système d'extraction des fumées de cuisine, sous astreinte,
- condamne la société Maison Bellecour à payer à M. [W] et Mme [X] une indemnité au titre de leur préjudice de jouissance et au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande tendant à voir condamner la société Maison Bellecour à réaliser des travaux de mise en conformité du système d'extraction des fumées de cuisine au moyen du remplacement de la tourelle par un caisson d'extraction et de la gaine de diamètre 250 mm par une gaine de 355 mm, sous astreinte,
Fixe à la somme de 14 800 euros le préjudice de jouissance de M. [W] et Mme [X] au passif de la procédure collective de la société Maison Bellecour,
Fixe au passif de la procédure collective de la société Maison Bellecour la créance de M. [W] et Mme [X] à la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Fixe au passif de la procédure collective de la société Maison Bellecour les dépens de première instance et d'appel, en ce y compris les frais de l'expertise judiciaire, et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.