CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 11 octobre 2024, n° 24/03707
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Fina Collections (SARL)
Défendeur :
La Clairvoyance (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseiller :
Mme Le Cotty
Avocats :
Me Guetta, Me Hatet-Sauval, Me Saget
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Par acte en date du 26 juillet 2019, la société La Clairvoyance, représentée par son mandataire la société Immo pierre gestion, a consenti à la société Fina Collections un bail commercial portant sur des locaux situés [Adresse 1] et [Adresse 5], dans le [Localité 2], moyennant le paiement d'un loyer annuel de 12.000 euros hors charges et hors taxes, payable trimestriellement d'avance, outre une provision trimestrielle sur charges de 215 euros.
Par ordonnance rendue le 14 septembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies, accordé à la société Fina Collections des délais rétroactifs pour régler les causes du commandement de payer, suspensifs des effets de la clause résolutoire, constaté que la société Fina Collections avait soldé les causes du commandement de payer dans le cadre des délais accordés et dit que la clause résolutoire prévue au contrat de bail du 26 juillet 2019 était réputée non acquise.
Des loyers étant à nouveau demeurés impayés, le bailleur a fait délivrer au preneur, par acte du 5 septembre 2023, un commandement, visant la clause résolutoire, de payer la somme en principal de 6.469,55 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 30 août 2023, 3ème trimestre 2023 inclus, ainsi que la somme de 646,95 euros au titre de la clause pénale.
Par acte du 16 octobre 2023, la société La Clairvoyance a fait assigner la société Fina Collections devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail, expulsion de la locataire et condamnation de celle-ci au paiement, à titre provisionnel, de l'arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation.
Par ordonnance réputée contradictoire du 18 janvier 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :
constaté l'acquisition de plein droit de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail à la date du 5 octobre 2023 ;
dit que la société Fina Collections devra libérer les locaux situés [Adresse 1] et [Adresse 5], à [Localité 2], et faute de l'avoir fait, ordonné son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef, avec le cas échéant, le concours de la force publique ;
rappelé que le sort des meubles sera réglé conformément aux dispositions des articles L433-1 et suivants et R433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
condamné la société Fina Collections à payer à la société La Clairvoyance :
la somme de 4.536,89 euros à titre de provision à valoir sur les loyers, charges et indemnités d'occupation échus au 22 novembre 2023, 4ème trimestre 2023 inclus, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
une indemnité d'occupation mensuelle provisionnelle équivalente au montant du loyer et des charges, soit actuellement la somme de 1.689,11 euros TTC et ce, jusqu'à la libération effective des lieux ;
la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
condamné la société Fina Collections au paiement des dépens, dont le coût du commandement de payer ;
dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes.
Par déclaration du 14 février 2024, la SARL Fina Collections a relevé appel de cette décision en ce qu'elle a constaté l'acquisition de plein droit de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail à la date du 5 octobre 2023 et ordonné son expulsion.
Par dernières conclusions remises et notifiées le 6 mars 2024, elle demande à la cour de :
- la dire recevable et bien fondée en ses demandes ;
- prononcer la nullité de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté l'acquisition de clause résolutoire stipulée au bail en date du 5 octobre 2023 ;
- infirmer l'ordonnance entreprise ;
- constater que les causes de l'ordonnance déférée ont été réglées en principal, dépens et frais d'exécution, qu'elle a dûment réglé le montant des loyers pour la période postérieure et qu'elle est à jour du règlement de ses loyers ;
- prononcer la suspension des effets de la clause résolutoire à titre rétroactif insérée au bail du 6 juillet 2019 ;
- débouter la société La Clairvoyance de sa demande d'acquisition de la clause résolutoire et d'expulsion ;
subsidiairement,
- lui accorder un délai de 24 mois pour quitter les lieux en application de l'article L 412-3 'du code de l'organisation judiciaire' ;
- débouter les 'demandeurs' de toute demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises et notifiées le 8 avril 2024, la société La Clairvoyance demande à la cour de :
- dire la société Fina Collections irrecevable en sa demande de délais pour quitter les lieux ;
- la dire mal fondée en son appel ;
- confirmer l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a condamné la société Fina Collections à lui payer une indemnité d'occupation mensuelle provisionnelle équivalente au montant du loyer et charges, soit la somme de 1.689,11 euros TTC et ce jusqu'à la libération effective des lieux ;
statuant à nouveau de ce chef,
- condamner la société Fina Collections, à titre provisionnel, au paiement d'une indemnité d'occupation, à compter du 5 octobre 2023 et jusqu'à parfaite libération des lieux, égale au montant du loyer en principal, charges et taxes en sus, augmenté de 50 % ;
à titre subsidiaire, s'il était fait droit à la demande de délais pour quitter les lieux formulée par la société Fina Collections,
- dire que lesdits délais seront subordonnés au paiement à bonne date des indemnités d'occupation et qu'à défaut de paiement d'une seule mensualité, la procédure d'expulsion pourra être immédiatement poursuivie sans mise en demeure préalable ;
- débouter la société Fina Collections de toutes demandes contraires ;
- la condamner à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens tant de première instance que d'appel avec faculté de recouvrement direct au profit de Me Caroline Hatet.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 juin 2024.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
SUR CE, LA COUR,
L'article 835 du code de procédure civile dispose : 'Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.'
Sur la nullité de l'ordonnance
La société Fina Collections invoque la nullité de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté l'acquisition de plein droit de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail à la date du 5 octobre 2023 en soutenant qu'il n'existe pas de bail du 5 octobre 2023.
La mention, dans le dispositif de la décision déférée, de la date du 5 octobre 2023 porte en réalité non sur la date du bail, mais sur celle à laquelle la clause résolutoire s'est trouvée acquise, l'ordonnance identifiant par ailleurs très précisément le bail comme étant daté du 26 juillet 2019. Aucune nullité n'est dès lors encourue à ce titre.
Sur l'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences
L'article L.145-41 du code de commerce dispose : 'Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.'
Il est constant que le 5 septembre 2023, la société La Clairvoyance a fait délivrer à la société Fina Collections un commandement de payer l'arriéré locatif d'un montant global de 6.469,55 euros, dus au 30 août 2023, visant la clause résolutoire insérée au bail, et que les causes de ce commandement n'ont pas été réglées dans le délai d'un mois imparti par cet acte, de sorte que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies au 5 octobre 2023.
La cour ne peut dès lors que confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a constaté la réunion des conditions d'acquisition de la clause résolutoire à cette date.
Sur les délais de paiement
Aux termes de l'article L. 145-41 du code de commerce précité, le juge peut accorder des délais de paiement et suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire.
La société Fina Collections fait valoir qu'elle a réglé les causes du commandement de payer aux fins de saisie signifié le 13 février 2024 et a ainsi payé l'intégralité des condamnations dont elle a fait l'objet, ce qui justifie l'octroi rétroactif de délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire.
La société La Clairvoyance conclut au rejet de la demande de délais de paiement en indiquant qu'elle subit depuis plusieurs années les impayés de la locataire qui attend la délivrance d'actes d'huissier pour payer son loyer. Elle observe en outre que la locataire devait, à la date 1er avril 2024, la somme de 4.283,20 euros.
La société Fina Collections indique et justifie par la production de la copie des ordres de virements (pièce Fina Collections n°7), avoir réglé au mandataire du bailleur, les 15, 19 et 20 février 2024, la somme totale de 9.403,87 euros correspondant aux causes du commandement de payer aux fins de saisie qui lui a été signifié le 13 février 2024 (pièce La Clairvoyance n°9), lequel inclut les sommes de 4.536,89 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 22 novembre 2023 et les indemnités d'occupation de 1.689,11 euros au titre de chacun des mois de janvier et février 2024.
Il résulte des éléments qui précèdent que les causes du commandement étaient intégralement payées le 20 février 2024. Si la bailleresse indique que la locataire devait, à la date 1er avril 2024, la somme de 4.283,20 euros correspondant à l'indemnité d'occupation du 2ème trimestre 2024, elle ne demande pas la condamnation de la société Fina collections au paiement à titre provisionnel de ce montant, ni n'invoque un quelconque retard de paiement de cette dernière.
Compte tenu des efforts entrepris par la société Fina Collections pour payer sa dette, il convient de lui accorder un délai de paiement rétroactif jusqu'au 28 février 2024 et de constater que, celui-ci ayant été respecté pour le paiement de l'arriéré locatif, la clause résolutoire est réputée n'avoir jamais joué.
L'ordonnance entreprise sera dès lors infirmée en ce qu'elle a ordonné l'expulsion de la société
Fina collections et a condamné cette dernière au paiement d'une indemnité d'occupation.
Sur les frais et dépens
Le sort des dépens de première instance et des frais irrépétibles a été exactement apprécié par le premier juge.
Au regard des circonstances de l'espèce, chacune des parties supportera les dépens exposés dans la procédure d'appel.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.
PAR CES MOTIFS
Rejette la demande de nullité de l'ordonnance déférée ;
Infirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions dont il a été relevé appel ;
Statuant à nouveau,
Accorde à la société Fina Collections un délai expirant le 28 février 2024 pour s'acquitter de l'arriéré locatif et suspend les effets de la clause résolutoire pendant ce délai ;
Constate que la société Fina Collections s'est intégralement acquittée de l'arriéré locatif dans ce délai ;
Dit en conséquence que la clause résolutoire est réputée n'avoir pas joué ;
Dit n'y avoir lieu en conséquence à constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, expulsion de la société Fina Collections et condamnation de celle-ci au paiement d'une indemnité d'occupation ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens qu'elle a exposés en appel ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.